Chapitre 6 – Entre l’Eglise et l’A.D.M.D., un dialogue impossible ?

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1. Deux conceptions de la dignité strictement opposées en leur fondement.

Au terme de ce parcours, nous ne nous retrouvons pas avec une simple différence d’appréciation devant le geste de donner la mort volontaire par euthanasie ou par suicide dans les conditions précisées par l’A.D.M.D. Nous nous retrouvons devant deux définitions de la dignité qui s’opposent en leur fondement.

Il y a bien sûr un accord sur les deux premiers points concrets que revendique l’A.D.M.D. pour que mourir dignement soit possible: un traitement correct de la douleur et un refus de l’acharnement thérapeutique. Par contre, le désaccord est total sur le troisième point, non seulement sur le fait que quelqu’un puisse le demander pour lui-même, mais encore pour qu’il tolère que d’autres le demandent pour eux-mêmes. S’il y a des croyants à l’A.D.M.D., et sans nous prononcer sur leur foi personnelle, sur l’histoire qui les a amenés à adhérer à cette association, sur la signification qu’ils donnent à une telle adhésion, en restant à un regard extérieur et objectif, cette adhésion est en contradiction avec l’enseignement de l’Eglise et la foi qu’elle confesse.

Au delà des droits concrets revendiqués, il y a un désaccord radical entre la conception de la dignité de l’A.D.M.D. et celle de l’Eglise. Il n’est pas possible de se situer à la fois sur deux conceptions qui diffèrent en leur fondement. Il n’est pas possible non plus de se situer à mi-distance entre deux conceptions de ce type. Pour l’une, l’homme se comprend à partir de sa seule raison et il est à lui-même sa propre mesure. Pour l’autre, l’homme est pour lui-même un inconnu, un mystère, un homme divisé au plus profond de lui-même. Il se comprend dans une ouverture à un au-delà de lui-même. Pour les chrétiens, cette ouverture à un au-delà de lui-même est ouverture au Dieu de Jésus Christ et accueil du salut qu’il offre au genre humain.

2. Un accord impossible.

Au-delà de leurs contenus marqués par une opposition tenant à leurs fondements mêmes, nous allons considérer maintenant la façon dont les positions en présence sont portées par les deux groupes concernés, la façon dont chacun se situe dans le débat.

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D’un côté, l’A.D.M.D. se situe dans une anthropologie présentant une définition univoque de la vérité de l’homme, une vérité qui s’imposera d’elle-même à la raison. Elle se situe aussi dans le registre de l’évidence de l’horreur de la maladie, de la vieillesse, une horreur qui appelle de manière évidente la solution du suicide ou de l’euthanasie. Nous avons longuement développé ce point plus haut.

De son côté, l’Eglise se situe dans le monde en se référant à une révélation, une révélation que tous les hommes sont loin de partager. Elle se situe dans le dialogue avec le monde comme étant bien du monde, mais aussi comme n’étant pas du monde. Elle se reçoit comme porteuse d’un message à annoncer aux hommes et qui ne lui appartient pas, qui la dépasse.

Si elle essaye de rendre compte raisonnablement de sa conception, elle ne situe pas la raison de la même manière que l’A.D.M.D., et le message qu’elle propose ne s’adresse pas seulement à la raison mais aussi au coeur, pour reprendre le terme de Pascal.

Si le Dieu qu’elle annonce ne s’impose pas mais se propose, s’il s’adresse à la liberté de l’homme, s’il se dit comme le Dieu de tous les hommes, il se dit aussi comme une vérité qui ne se discute pas, une vérité qui est et qui touche au plus profond de l’homme. Il n’appartient pas à l’homme de mettre la main sur Dieu, ni sur lui-même.

Si, pour l’Eglise, il n’y a pas de confusion entre le Christ, qui est La Vérité, une Vérité qui renvoie à un mystère, et la vérité limitée de la parole qu’elle peut dire pour rendre compte du mystère du Christ, de l’homme, du chemin de l’homme vers Dieu, la vérité de cette parole n’est pas relativisée pour autant et n’est pas l’objet de discussion dans ce qui en est le coeur. Cette parole, qui n’est pas immédiatement transparente à la personne du Dieu de Jésus Christ, est reçue par l’Eglise animée par l’Esprit Saint, nourrie de la Bible, de la foi des apôtres, de la Tradition, comme ce qui renvoie au mystère même de Dieu. L’Eglise sait que la révélation dont elle est porteuse ne se donne dans l’immédiateté et qu’elle ne répond pas à toutes les questions de l’homme. Elle sait qu’elle ne doit pas confondre la Vérité du Christ, et les vérités morales dont elle se reçoit porteuse. Elle sait aussi devoir parler à temps et à contre-temps et ne pas relativiser le chemin de vie qu’elle a mission de proposer aux hommes.

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Comme nous l’avons vu, ici c’est l’ensemble de la compréhension que l’Eglise a de l’homme, de son mystère et de celui de Dieu, qui est mis en cause par la revendication de l’A.D.M.D. Le problème que pose l’A.D.M.D. en réclamant le droit à la mort volontaire ne touche pas un aspect secondaire de l’enseignement de l’Eglise. Pour l’Eglise, il ne peut y avoir ici de discussion en vue de modifier sa position.

Nous avons aussi montré que le fait même que des personnes revendiquent et obtiennent pour elles-mêmes que soit reconnu le droit à la mort volontaire atteint immédiatement la liberté de ceux qui refusent ce droit et touche profondément la compréhension que l’homme a de lui-même, l’enfermant dans la mesure qu’il a de lui-même.

Pour repérer le champ dans lequel on se situe pour un éventuel dialogue entre l’Eglise et l’A.D.M.D., il faut remarquer aussi que, si l’Eglise est témoin d’un Dieu qui se propose librement à l’homme, elle se perçoit aussi comme ayant pour mission d’évangéliser le monde, de travailler à ce que, même si la personne du Christ n’est pas reconnue, l’oeuvre de salut du Christ se réalise:

« …Ainsi, l’Eglise unit prière et travail pour que le monde entier dans tout son être soit transformé en peuple de Dieu, en Corps du Seigneur et temple du Saint Esprit, et que soient rendus dans le Christ, chef de tous, au Créateur et Père de l’univers, tout honneur et toute gloire. »[1]

Elle se sent donc responsable, par mission reçue de Dieu, non seulement de ce que vivent ceux qui sont en son sein, mais aussi de ce que vivent tous les hommes.

La conséquence de ce qui précède, c’est que trois types de dialogues sont impossibles:

–     un dialogue dans lequel on chercherait à trouver un compromis entre deux positions;

–     un dialogue qui viserait à obtenir que l’un des partenaires se range à la position du premier;

–     un dialogue qui viserait à obtenir que chacun puisse vivre selon sa propre option tolérant sans la combattre l’option de l’autre.

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3. Quel dialogue reste possible ?

3.1 Le seul débat rationnel est inadéquat mais reste nécessaire.

Il n’y a donc pas de place ici pour un dialogue visant à convaincre l’autre de la justesse de sa position. Aucun discours raisonnable ne pourra emporter l’adhésion de l’autre et l’objet de ce qui précède, même si notre étude fait appel à la raison, n’est pas de convaincre sans appel possible les adhérents de l’A.D.M.D. de la justesse de la position de l’Eglise.

Quand on discute au niveau de la compréhension que l’homme a de lui-même, le discours peut bien faire appel à la raison, il fait appel aussi à l’homme dans sa totalité et reste totalement incapable de fonder une supériorité de la position tenue. Nous sommes au niveau d’options existentielles, d’adhésion de foi. Il est toujours possible d’essayer d’en rendre compte raisonnablement, de comparer des anthropologies, la parole restera à jamais en échec.

Aucun discours raisonnable ne pourra permettre à ceux qui n’auront vécu la vieillesse, la maladie, le handicap, sous le seul mode de l’horreur, de le percevoir comme le lieu où l’on peut aussi accéder à une parole, comme le lieu où peut se vivre une libération, une maturation. Aucun discours rationnel ne pourra convaincre de ce que l’on peut vivre en se découvrant aimé par l’autre même au coeur de la souffrance. Comment dire aussi ce qui est reçu dans l’accompagnement de personnes malades, âgées, handicapées, même démentes ou prostrées ? Comment rendre compte de ce qui, pour le malade ou pour celui qui accompagne, peut se découvrir, au delà du visage de l’autre du Tout-Autre ? Par contre, au-delà du discours, la parole de celui qui se propose de marcher avec l’autre peut amener des personnes à changer de position et à sortir de l’évidence de l’horreur. C’est ce qui s’était passé avec Madame Batéot.[2]

Pour autant, le discours rationnel pour comprendre ce qui est en jeu dans la position de chacun est très important. Nous y reviendrons.

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3.2 Au delà du seul discours rationnel, faire appel au témoignage réciproque.

Il est toujours possible de témoigner, de faire appel au récit. Mais à condition que ce récit en appelle au coeur, à la réponse de l’autre, et qu’il ne se situe pas comme une démonstration, une parole sans appel. Celui qui témoigne doit savoir que l’autre en face pourra aussi faire valoir d’autres témoignages, tout aussi démonstratifs, justifiant une position opposée. Chacun ayant fait à la base un choix fondamental sur la façon de se comprendre et de se situer par rapport à soi-même et aux autres, pourra rendre compte de ce qu’il a vécu, il ne pourra permettre à l’autre qui sera situé différemment de comprendre vraiment ce dont il parle.

Mais, si ce témoignage est fait dans le respect de la réponse de l’autre et en appelle à celle-ci, s’il n’est pas une parole pour refuser d’entendre la parole de l’autre et pour prétendre fonder une évidence, s’il est donné pour autant sans relativiser sa propre adhésion à l’option faite, le témoignage a toute sa place dans une écoute mutuelle.

3.3 Reconnaître l’altérité de l’autre dans la parole échangée.

En effet, il y a nécessité d’une parole, d’un dialogue qui, sans chercher une impossible compréhension, sans renoncer à sa propre option, soit reconnaissance de l’existence de l’autre. A travers cette parole, une parole qui fasse appel à la fois au discours rationnel et au témoignage, et sans prétendre à un consensus impossible, c’est l’homme qui grandira en chacun des interlocuteurs.

Le premier repère pour un dialogue c’est donc le travail pour connaître la position de l’autre, l’entendre telle qu’il la présente, sans renoncer pour autant à porter une analyse différente, une analyse qui se garde de la caricature.

Le deuxième repère, lié au premier, c’est de reconnaître la différence des positions tenues et de ne pas nier cette différence.

3.4 Prendre au sérieux la question de l’autre.

Le troisième repère, c’est, au-delà de la réponse apportée par l’autre, de prendre au sérieux sa question. Quand on se retrouve opposé à un interlocuteur au coeur d’un débat sur des questions vitales, s’il n’y a aucun accord

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possible, si la position de l’autre est ressentie comme touchant l’homme au plus profond de lui-même et le détruisant, il est alors intéressant de se demander en quoi la question qu’il pose est une vraie question.

Ici, il est clair que la revendication d’une mort digne, d’une mort où la personne ne devienne pas objet de soins, ne soit pas enfermée dans la douleur, puisse décider pour elle-même, ait à coeur de prendre sa vie en main, est une vraie question. Il est tout aussi clair que l’A.D.M.D. a joué un rôle important en permettant que s’exprime ce refus de ce qui reste trop souvent la réalité concrète de la mort.

3.5 Un dialogue qui permet une compréhension renouvelée de sa propre position.

L’intérêt de cette prise au sérieux de la question de l’autre, du travail pour écouter et analyser la réponse qu’il donne, de la confronter à notre propre réponse, c’est qu’elle permet d’être reprovoqué sur des questions que l’on n’avait éventuellement pas assez prises aux sérieux et qu’elle permet d’entrer dans une compréhension renouvelée du fondement de notre propre réponse.

Le travail fait depuis sept ans, la rencontre personnelle de responsables de l’A.D.M.D., le travail d’analyse tant de la position de l’A.D.M.D. que de celle de l’Eglise m’amène à une compréhension très différente du problème posé. Je me retrouve très loin d’une discussion sur un geste technique autorisé ou non, comme l’injection d’un produit pour provoquer la mort. A la réflexion sur le « Tu ne tueras pas », s’est substituée une réflexion sur l’ensemble du Décalogue.

Au-delà d’une opinion approfondie, c’est la rencontre de l’altérité de l’autre qui amène à être soi-même transformé, alors même que la position initiale, non seulement n’a pas changé, mais l’adhésion à celle-ci en sort renforcée. Pour moi, la rencontre de l’autre différent me provoque non à la relativisation de ma position, mais à la conversion de moi-même à la Vérité du Christ, une Vérité que l’homme ne peut s’approprier.

L’Eglise n’est pas seulement porteuse d’une révélation à transmettre, elle est chargée de célébrer l’oeuvre de l’Esprit en dehors d’elle et c’est dans la rencontre de l’autre différent que l’Eglise devient toujours plus l’Eglise du Christ:

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« Comme elle possède une structure sociale visible, signe de son unité dans le Christ, l’Eglise peut aussi être enrichie, et elle l’est effectivement, par le déroulement de la vie sociale: non pas comme s’il manquait quelque chose dans la constitution que le Christ lui a donnée, mais pour l’approfondir, la mieux exprimer et l’accommoder d’une manière plus heureuse à notre époque. L’Eglise constate avec reconnaissance qu’elle reçoit une aide variée de la part d’hommes de tout rang et de toute condition, aide qui profite aussi bien à la communauté qu’elle forme qu’à chacun de ses fils. En effet, tous ceux qui contribuent au développement de la communauté humaine au plan familial, culturel, économique et social, politique (tant au plan national qu’au niveau international), apportent par le fait même, et en conformité avec le plan de Dieu, une aide non négligeable à la communauté ecclésiale, pour autant que celle-ci dépend du monde extérieur. Bien plus, l’Eglise reconnaît que, de l’opposition même de ses adversaires et de ses persécuteurs, elle a tiré de grands avantages et qu’elle peut continuer à le faire. »[3]

4. Propositions de repères pour l’Eglise dans ce dialogue.

4.1 Ne pas perdre de vue que c’est la vérité de l’homme et du Christ qui est en jeu.

Le premier repère qui découle de l’analyse qui précède, c’est de bien considérer que nous ne sommes pas devant un aspect secondaire, dont le fondement et l’importance pourrait être relativisé. Derrière cette revendication d’un droit à l’euthanasie et au suicide délibéré, d’une exaltation de ce type de mort, c’est la vérité même de l’homme qui est en jeu, c’est la vérité du Christ et du salut qu’il propose à l’homme. Nous ne réfléchissons pas seulement à un geste technique qui n’influerait que sur les dernières heures de la vie. C’est toute la vie de l’homme qui est ainsi mise en cause, sa façon de se comprendre et de s’ouvrir à un au-delà de lui-même.

Dans le but de souligner ce qui est fondamentalement mis en cause dans la compréhension de l’homme et de Dieu, nous avons peu abordé

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l’aspect des perversions possibles de ce droit, aspect qui est loin d’être négligeable. Au-delà des perversions les plus caricaturales et qu’il ne faudrait pas trop vite sous-estimer, il en est une qui ne peut être évitée et que nous avons déjà relevée :

Ne pas reconnaître pour soi la dignité de la vie marquée par le handicap et la dépendance, c’est de manière indissociable ne pas pouvoir la reconnaître pour autrui et lui interdire la possibilité d’accéder à une estime de lui-même par le regard porté sur lui.

C’est aussi démissionner de tout engagement pour accueillir l’autre quand il est âgé, handicapé ou dément. C’est construire une société qui refuse l’être différent et qui se ferme à l’expérience de pouvoir être aimé et accueilli pour soi-même, gratuitement, sans condition.

Ce qui se joue dans cette question du droit à la mort volontaire, c’est donc la totalité de la vie de chaque homme et plus particulièrement la possibilité même de vivre quand on est handicapé, malade ou âgé.

4.2 Témoigner de l’amour infini du Christ pour tout homme.

Quand l’Eglise dialogue avec le monde, le coeur de son message, c’est de témoigner de l’amour de Jésus Christ pour tout homme, un amour qui est premier et pour lequel rien n’est un empêchement à la rencontre. En même temps, elle doit dénoncer clairement les chemins qui détruisent l’homme, ceux qui tuent l’homme et qui plus profondément détruisent l’humain en l’homme.

Toute la difficulté est de ne pas présenter seulement l’interdit, de ne pas seulement dénoncer, condamner, mais de présenter l’enjeu, la perspective, et de s’engager résolument aux côtés de ceux que la souffrance enferme dans le seul registre de l’horreur pour ne pas seulement discourir mais aussi accéder à une parole avec eux.

Un travail réel a été fait dans l’action pour le développement des soins palliatifs. Il a permis que pour beaucoup la question se déplace. De plus en plus, l’euthanasie n’apparaît plus comme la solution devant la douleur physique. De plus en plus nombreux sont ceux qui peuvent témoigner d’une vie reçue dans l’accompagnement de personnes en fin de vie dans le respect de l’interdit.

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Pour autant, le non-traitement de la douleur, l’absence d’accompagnement, l’absence de parole, de prise en compte de l’ensemble des besoins du malade et de son entourage, l’absence de parole réelle dans les équipes soignantes, le recours à des cocktails lythiques après s’être acharné, restent un fait massif, y compris dans des hôpitaux qui se disent catholique. Le fait d’avoir écrit un livre sur le sujet m’amène à être souvent appelé à l’aide par des malades, des familles ou des soignants qui ont été enfermés dans des situations dramatiques. Simone Cruchon et Odette Thibault ont écrit un livre « Cris pour une mort civilisée », recueil de témoignages de malades. De tels livres pourraient s’écrire encore chaque jour.

Des initiatives ont aussi été prises pour permettre à des personnes atteintes de maladie d’Alzheimer[4] et à leur famille de vivre en relation ce temps de maladie et de ne pas être enfermées dans la déchéance. Il reste néanmoins énormément à faire, pas seulement en rénovant des locaux, ou en augmentant la dotation en personnel, dont nous avons montré ailleurs l’insuffisance scandaleuse, mais en travaillant sur l’accueil des familles et en essayant de chercher avec elles des repères pour que cette étape, en particulier quand il y a placement, ne soit pas seulement un temps subit et qui détruit, mais qu’il puisse devenir un chemin de maturation humaine et aussi de disciple du Christ pour ceux qui sont croyants.

Il peut être tentant, dans le souci de dialoguer avec le monde et de témoigner d’un Christ qui rejoint chacun, de ne plus dire le chemin, de ne plus dénoncer ce qui détruit l’homme et de seulement présenter l’amour du Christ pour ceux qui souffrent. On peut être amené ainsi à présenter l’euthanasie comme une bénédiction de Dieu. Ce type de dialogue ne rend pas compte de l’amour du Christ et enferme l’homme sur lui-même et la mort qu’il porte en lui. De la même façon, une défense de l’interdit faite dans la haine de ceux qui ont une position opposée et en les traitant d’assassins ne rend pas compte de cet amour du Christ pour tout homme et est en contradiction avec le message reçu du Christ.

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4.3 Dialoguer, mais ne pas être dupe.

Si, au nom même de la foi en Jésus Christ, il y a une nécessité du dialogue, du dialogue respectueux de la liberté de l’autre, du dialogue dans lequel le croyant est perpétuellement invité à se convertir, à se retrouver devant le Christ, celui qui est la Vérité, celui qui ne lui appartient pas et agit en tout homme, il est aussi nécessaire de discerner ce qui sera dialogue en vérité et ce qui sera chemin de dupe.

Les dialogues qui amènent une relativisation du message reçu, où l’on préfère se ranger à l’avis du monde, où l’on choisit « l’évidence » de cette voie plutôt que l’appel à se recevoir d’un au-delà de soi, paraissent généreux ou marqués par l’ouverture. En fait, ils sont négation de l’amour que Dieu propose aux hommes.

Pour arriver à un dialogue en vérité dans la pratique, il est nécessaire de commencer par acquérir une connaissance et une analyse approfondie de la position de l’autre et du cadre dans lequel cette parole se dit. C’est ce à quoi veut contribuer ce travail.

Il faut aussi tenir compte des conditions dans lesquelles ce dialogue se déroule. Certains types de débat publics, comme le débat qui avait suivi les dossiers de l’écran du 4 novembre 1986, n’ont de dialogue et de réflexion que l’apparence. De manière générale, les débats devant un public présentent une difficulté particulière, car il y a deux types de contraintes : dialoguer avec l’interlocuteur de l’A.D.M.D. et permettre aux auditeurs de trouver des éléments de discernement. Devant un discours qui se présente comme évident et qui séduit en faisant appel à la sensibilité et en présentant des solutions immédiates, il est difficile de présenter l’autre voie. Même après avoir écrit un plaidoyer contre la douleur et l’acharnement thérapeutique, lorsque je défends le refus de l’euthanasie et du suicide volontaire devant des membres de l’A.D.M.D., je suis très rapidement traité de bourreau et de coeur insensible. Si en plus, on n’est pas praticien et qu’on ne peut faire appel au témoignage ayant autorité, toute parole est immédiatement tournée en dérision. Lors d’un débat récent, des militants de l’A.D.M.D. se référant aux dossiers de l’écran déjà cités plus haut, ont ridiculisé l’attitude de Patrick Verspieren en faisant remarquer « qu’il ne regardait même pas Jacqueline Martin quand elle parlait et qu’il n’avait aucune réponse à ses questions ».

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Certains débats publics, loin de servir le dialogue en vérité, ne font que renforcer la confusion ou servir le dessein de l’A.D.M.D. de banaliser la question soulevée ou de montrer que leur position est cohérente avec la foi chrétienne et que, à défaut d’être reconnue à Rome, elle commence à l’être par bien des chrétiens pratiquants, des prêtres et  qu’ils ont maintenant droit de cité au même titre que d’autres dans des lieux d’Eglise.

Que penser, parmi d’autres initiatives malheureuses citées dans le bulletin de l’A.D.M.D., de celle d’une responsable d’un groupe paroissial de Saint-André à Lille qui a invité la déléguée A.D.M.D. du département pour réfléchir avec dix-huit jeunes de 15 à 19 ans sur le thème de la mort. Voici un extrait du compte-rendu de cette rencontre[5]:

« Lors d’une réunion préparatoire à ma venue, ils ont travaillé sur le mot MORT. Voici les mots qu’ils ont associés: cimetière, suicide, sépulture, meurtre, vie, peur, souffrance, terrifiant, fin, dignité[6], (et timidement) réincarnation. Ils ont fortement insisté sur les mots soulignés. Poussant leur réflexion plus loin, ils ont noté une phrase: « on cache la mort comme une maladie honteuse ». Je précise que ces jeunes n’avaient jamais entendu parler de l’A.D.M.D. auparavant.

Nos échanges ont duré plus de 3 heures. A la fin j’ai fait un petit tour de table en demandant aux 18 jeunes présents de me dire ce qu’ils pensaient de l’A.D.M.D. A mon grand étonnement, plusieurs ont abordé le lourd problème du nouveau-né handicapé. Sur les 18, un seul est contre l’euthanasie (passive ou active) et un autres ne se prononce pas. Je joins aussi un chèque modique d’une somme récoltée dans leurs fonds de poche pour l’A.D.M.D. Je vous serais reconnaissante de faire savoir à la personne qui anime ce groupe que l’A.D.M.D. a reçu cette somme pour que ces jeunes aient un peu plus confiance dans les adultes.

Voyez-vous, cela m’a fait du bien de voir et d’entendre des jeunes, encore si loin en principe de la mort, savoir y réfléchir. »

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Suit une note de la rédaction: « Nous publions cette lettre parce que cela fera du bien aussi à tous, et pour que ces jeunes sachent que nous attachons de l’importance à ce qu’ils pensent. »

Pour s’engager dans ce dialogue et en particulier dans ce débat, l’Eglise aura intérêt à se demander en quoi cela permet effectivement d’écouter la position de l’autre et de rendre compte de la Vérité du Christ, de témoigner de son amour infini pour tout homme et des chemins qui mènent à lui.

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  1. [1] Lumen Gentium, 17.
  2. [2] Bruno Cadart, « En fin de vie », déjà cit., p. 143 à 147.
  3. [3]S. 44,3.
  4. [4] Voir par exemple ce que fait l’équipe de L’Orangerie, Hôpital de la Croix Rouge, 25 rue Champlong, 69450 Saint Cyr au Mont d’Or.
  5. [5] Bulletin de l’A.D.M.D. n° 21, septembre 1986, p. 25.
  6. [6] C’est l’A.D.M.D. qui reproduit ces termes en caractère gras.
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