De quoi parlez-vous en chemin ? – Premières impressions à Madagascar – 31 mars 2010

Note: il y a forcément des erreurs d’appréciation de celui qui débarque et ne comprends pas tout…

Chers amis,

De quoi parlez-vous en chemin ? Où reconnaissez-vous la présence du Ressuscité ?

Nous arrivons au Triduum Pascal. Bientôt, nous lirons le récit des disciples d’Emmaüs découragés, quittant Jérusalem et abandonnant la suite de Jésus (Lc 24,13-31). « De quoi parlez-vous en chemin ? », leur demande Jésus ressuscité qui, « lui-même, les a rejoints sur la route », sans qu’ils ne réussissent à le reconnaître. Et eux de répondre : « Tu es bien le seul qui n’ait pas appris ce qui s’est passé ces jours-ci… » Ils espéraient que Jésus ferait disparaître la souffrance, l’injustice, la maladie, la mort, l’oppression par les romains… et voilà qu’il a été crucifié et est mort. « Il y a bien quelques femmes qui disent que le tombeau a été trouvé vide, et des compagnons qui y ont été aussi… « mais lui, Jésus, ils ne l’ont pas vu… »

Nous méditerons le retournement de ces disciples rejoints par Jésus au milieu de leurs préoccupations, de leurs désespoirs, de leurs engagements aussi, dont les yeux se sont ouverts tandis que Jésus leur ouvrait l’Ecriture et leur partageait le pain, puis quand ils se dirent l’un à l’autre ce qu’ils avaient senti. Oubliant leur fatigue, leur peur, la nuit, voilà qu’ils courent annoncer cette rencontre incroyable : « Christ est ressuscité et nous en sommes témoins ». Bientôt, nous verrons d’autres disciples, Pierre et Jean, qui ne sont désormais plus enfermés dans la peur, dire au paralytique : « De l’or, de l’argent, nous n’en avons pas, mais ce que nous avons, nous te le donnons, au nom de Jésus le Nazaréen, lève-toi et marche ! »

De quoi parlez-vous en chemin ? Au milieu de quelles réalités vous est-il donné de vous laisser rejoindre par le Ressuscité ? Régulièrement, j’ai la joie de recevoir des emails des uns et des autres qui témoignent de cette rencontre, ou qui font part de leurs révoltes devant un monde en souffrance. Je suis toujours très heureux de recevoir vos emails.

Où est-ce que je fais cette expérience de la rencontre du Ressuscité ?

Il y a tant d’évènements depuis 3 mois au milieu desquels il m’est donné de me laisser rencontrer.

Il y a eu l’expérience de laisser le Brésil, la paroisse de Dores en particulier, où j’avais été si heureux. Une nouvelle fois, je fais l’expérience de la fécondité qu’il y a à quitter. Mon départ a été l’occasion pour beaucoup de dire ce qu’ils avaient reçu, puis de s’engager de manière renouvelée. L’arrivée de Wagner qui m’a succédé à Dores, un vrai frère pour moi, a permis un nouveau dynamisme : par exemple, là où 250 personnes restaient après les messes mensuelles dans les communautés pour lire les Actes des Apôtres, ils ont été plus de 500 au mois de février ; là où j’apportais un appui « moral » à la fondation d’associations et de syndicats de producteurs ruraux, il s’est engagé plus directement, ayant une formation dans ce domaine. J’ai en tous cas reçu de ces 4 ans une préparation forte pour la nouvelle étape où je suis. Wagner, Sœur Maria do Socorro, d’autres, par leurs emails, me permettent de rester en communion et de suivre les joies et les peines de ceux qui m’avaient adopté.

Il y a eu les deux mois en France, moment fort de rencontres avec les uns et les autres, de célébration de 50 ans de vie et 20 ans d’ordination, de retraite avec les prêtres du diocèse de Créteil, de partage en famille et avec les amis. Merci pour ce temps si riche où il m’a souvent été donné d’avoir le cœur brûlant en retrouvant certains d’entre vous et en étant bénéficiaire de vos attentions si fraternelles dont je vous remercie encore.

« Que la volonté de ton cœur de Père soit faite… »

Et Madagascar ? J’y suis venu pour une double mission : participer à la vie du diocèse de Fianarantsoa (440 km sud de Antananarivo) et appuyer l’Association des Prêtres du Prado. Mais, avant de pouvoir vivre cette mission, les 3 premiers mois sont totalement consacrés au début de l’apprentissage de la langue. 3 fois par semaine, je vais en vélo à l’autre bout de la ville (6 km) pour suivre 2 heures de cours particulier. Cela m’aère un peu et me permet de me mêler à ce peuple si attachant. Je consacre tout mon temps à essayer de parler. C’est une très belle langue qui construit des mots en en associant d’autres. Exemples : les larmes se disent « ranomaso » (eau des yeux) ; le soleil se dit « masoandro » (yeux du jour).

Il y a une expression qui m’a particulièrement fait réfléchir et prier : c’est leur manière de traduire la phrase du Notre Père « que ta volonté soit faite ». Dans ce cas précis, pour exprimer « volonté », ils ont lié deux mots : « sitraka » = volonté, et « fo » = cœur. Cela donne « sitraponao » (le k et le f se sont transformés en p, et le « nao » indique le possessif ‘de toi’) = « volonté de ton cœur ». « Que la volonté de ton cœur, de ton cœur de Père qui es aux cieux, soit faite »…

Il ne s’agit pas de n’importe quelle volonté, d’un caprice de tyran, mais de la « volonté du cœur », et du cœur de Dieu qui est Père… qui se dit dans ce Fils livré sur la croix, proposant mais n’imposant pas son amour, allant jusqu’au don ultime de lui-même.

L’apprentissage du malgache

Si Madagascar a été une colonie française, le peuple parle malgache et la majorité ne parle pas le français même si un certain nombre le comprend. A table, les prêtres parlent toujours en malgache, même s’ils s’interrompent pour parler un peu en français, pour m’accueillir. Beaucoup d’entre eux ont d’infinies difficultés à parler français.

Où en suis-je de l’apprentissage ? J’arrive à suivre un texte écrit pendant que quelqu’un lit (par exemple la messe) et suis capable de « vocaliser » un texte, lire à voix haute sans comprendre ce que je lis. Mes auditeurs disent qu’ils comprennent bien ce que j’ai lu. Est-ce seulement une politesse pour celui qui arrive ? En tous cas, j’ai commencé à concélébrer à la cathédrale chaque matin, à lire les quelques paragraphes du concélébrant à voix haute et personne ne semble avoir ri. Samedi, nous n’étions que deux pour l’office du soir et j’ai donc prié à voix haute, seul, la moitié des psaumes, répondant au collègue. Mais ne me demandez pas pour qui ou pour quoi nous avons prié… La qualité de l’accueil fraternel m’aide à me lancer pour dire quelques phrases sans arriver, le plus souvent, à comprendre la réponse qui m’est faite.

J’ai appris ce soir qu’ils comptaient sur moi pour aller présider les fêtes pascales dans une paroisse rurale en malgache… Je n’aurai pas l’homélie à faire et, si les progrès en lecture continuent, ça devrait aller.

J’habite à l’évêché, dans la ville haute de Fianarantsoa. Nous sommes une quinzaine de prêtres, diacres, séminaristes en stage, à nous retrouver pour les repas avec l’archevêque, un homme très sympathique et accueillant, qui est président de la Conférence épiscopale malgache. Pour eux, je suis « du diocèse de Créteil, le même diocèse que le diocèse d’origine du Cardinal Philippe Barbarin », dont le passage a marqué ici. J’y retrouve aussi le Père Marc, curé de la cathédrale, et qui a été fidei donum dans le diocèse de Créteil, avec qui je concélèbre chaque jour.

Habitant à 1300 mètres d’altitude, je suis relativement protégé pour ce qui est de la chaleur et en ce qui concerne les moustiques, même s’il y en a et que je dois rester prudent. C’est plutôt le froid qui fera bientôt problème, car l’hiver approche dans l’hémisphère sud et la température descend bas alors qu’il n’y a pas de chauffage. Par contre, à la différence de Guaçuí, il y a des vitres aux fenêtres.

« Et nous, nous espérions qu’il était Celui qui allait délivrer Israël » (Lc 24,21)

Ce qui marque en arrivant à Madagascar, ce dont il est difficile de ne pas parler avec un regard triste comme celui des disciples d’Emmaüs, ce qui laisse même sans voix, surtout après des années d’engagement pour le développement depuis les années 1960, c’est la misère : une misère qui s’aggrave jour après jour, plus encore en ce moment avec la crise politique et les cyclones récurrents.

Certains pensent que j’ai été préparé à ce choc par mon séjour au Brésil. Mais, si le Brésil est un pays réputé pauvre, c’est en fait un pays riche (11ème puissance mondiale) et émergeant, comptant chaque jour plus sur la scène internationale. Il est marqué par de fortes inégalités, et il y a des pauvres, mais il y a une classe moyenne qui croît. Dans la région où j’étais, beaucoup n’avaient pas de voiture, ne savaient pas lire, mais ce n’était pas la misère. En revanche, Madagascar fait partie des pays les plus pauvres de la planète et qui s’enfoncent chaque jour plus dans la misère.

Il est difficile de savoir ce que les prêtres malgaches avec qui je vis pensent des divers protagonistes de la crise politique actuelle. Ce qui semble clair, c’est que les sanctions prises par les pays de l’O.U.A., entrées en vigueur le 16 mars dernier, sont vécues comme une humiliation. C’est l’objet de commentaires à tous les repas.

Le dernier bilan officiel du cyclone Hubert qui a touché la côte Est à la hauteur de Fianarantsoa au moment de mon arrivée, est de 78 morts, 106 blessés et 34 portés disparus. Il a aussi détruit d’innombrables maisons, infrastructures, récoltes, et amené le spectre de la faim pour les plus pauvres dans les semaines à venir. Je ne sais pas si le bilan tient compte de la mort de jeunes dans la force de l’âge par diarrhées consécutives au cyclone et qui n’ont pu être traitées faute de traitement disponible. Un journaliste local exprimait sa révolte devant cette carence. Il parlait d’une vingtaine d’adultes jeunes… combien d’enfants, de personnes âgées, ont été emportés aussi par cette épidémie ?

Madagascar en quelques chiffres (référence 2005) : Madagascar est un pays grand comme la France et le Benelux, ou le Minas Gerais et l’Espirito Santo, mais plus étiré, faisant à peu près 1 600 km du nord au sud, 500 km d’est en ouest, dans lequel vivent 20 millions d’habitants. La mortalité infantile est de 91,5 °/oo, l’espérance de vie de 53,6 ans. L’indice de fécondité est de 5,7 enfants par femme. On prévoit 33 millions en 2025. 25,2% des hommes et 38,4% des femmes sont analphabètes. 80% de la population vit avec moins de 2 dollars par jour et le salaire minimum est de 60 000,00 Ariary (20 Euros) par mois. La consommation de viande des malgaches est 20 fois inférieure à celle de la France.

J’avais entendu parler de cette misère à l’avance, mais c’est autre chose de la voir. Voici quelques images de cette réalité qui m’ont marqué à mon arrivée.

En premier lieu, c’est la foule des mendiants à Antananarivo, mais aussi, dans une moindre mesure à Fianarantsoa, ville de 20 000 habitants. Beaucoup de gens vivent sur le trottoir, plutôt sur le bord des rues défoncées. Les plus riches d’entre eux se construisent des abris de feuilles de plastique ou de tissus de 50 cm de haut et de la longueur d’un corps humain, permettant de s’allonger. Dans la rue la plus chic de la partie basse de Fianarantsoa, il y a une habitation de ce type qui a réussi à avoir le « privilège » d’être sur pilotis, à 20 cm au-dessus du sol, pour échapper aux torrents de pluie ruisselante. A Antananarivo, dans le quartier des ministères, j’ai été marqué par la vue de cette femme les pieds dans le caniveau et la tête plongeant dans une bouche d’égout s’ouvrant sous le trottoir pour laver son linge.

La misère a aussi le visage des « camions locaux », appelés « kalesy » (prononcer calèche) moyen de transport le plus habituel pour les matériaux de constructions de maison, mais aussi pour les produits du marché. Il s’agit d’une plateforme de bois de 2 mètres de long sur 1 mètre de large, montée sur 4 roues de bois de 15 cm de diamètre. Les chariots les plus luxueux ont un volant et un frein (bout de bois qui frotte sur la roue), ce qui permet au chauffeur de se laisser porter quand la route descend. Dans les côtes, ou quand la route est boueuse ou sableuse, 3 ou 4 hommes sont arc-boutés pour essayer de faire avancer des charges souvent impressionnantes tant par leur volume que par leur poids.

Près du lieu où je suis les cours de malgache, il y a une grande maison en construction. Le cyclone a détruit le pont et seuls les piétons peuvent encore passer. Tous les matériaux de construction arrivent portés par des hommes et des femmes, sur leur tête.

A Ambositra, 150 km avant d’arriver à Fiana, le moyen de déplacement le plus habituel consiste en des hommes qui courent en tirant une charrette à bras dans laquelle ont pris place des clients, comme en Inde.

La « route nationale 7 » qui relie Antananarivo à Fianarantsoa avant de filer jusqu’au sud, à Toliara, est aussi un bon indice de cette misère : c’est l’axe principal et unique qui traverse le pays du nord au sud, l’autoroute A6 (et bien plus car elle fait fonction d’A6, d’A10, d’A20 et d’A9 en même temps). La route est aujourd’hui goudronnée sur la totalité du parcours, même si la carte IGN continue à indiquer des tronçons ainsi : « route non revêtue praticable toute l’année », et d’autres « route non revêtue saisonnière ». Pour ce qui est du tronçon que nous avons emprunté d’Antananarivo à Fianarantso, il est assez bien goudronné dans l’ensemble, « large » comme les plus petites routes de la Haute Ardèche, aussi sinueux et avec des paysages de cultures en terrasse également magnifiques. Les diverses teintes de vert des rizières, des arbres, sont extraordinaires. Le trafic est très faible et l’on peut passer un quart d’heure sans rencontrer d’autre voiture ou camion. Quand on en rencontre, ils sont souvent arrêtés, car en panne. Le Père Bernard, 73 ans, prêtre français pradosien ordonné à Fianarantsoa, dit que ce trafic si réduit est nouveau et traduit la misère qui s’aggrave, l’impossibilité pour les gens d’acheter des voitures, même des carcasses ambulantes, et de payer l’essence.

Au retour de l’enterrement d’une sœur, ce lundi soir, j’ai découvert que l’électricité n’arrivait pas dans les villages qui bordent la N7. Toutes les maisons étaient plongées dans le noir, et il ne s’agit pas de villages reculés dans une campagne inaccessible. Par contre, le 4×4 avait une sono incomparable : les 12 laïcs qui s’y étaient entassés n’ont pas arrêté de chanter tout le long des 70 km. A un moment, Gervais a raconté toute l’histoire de David, et ils entrecoupaient par des chants adaptés au moment raconté, en particulier le psaume 50, après le récit du péché avec Bethsabée.

Avant de partir d’Antananarivo, nous avons été dans 5 pharmacies du quartier riche, pour essayer en vain de trouver de la Xylocaïne. Un chirurgien de Fianarantsoa avait besoin de ce produit très ordinaire en chirurgie pour faire une intervention sous anesthésie locale et essayer de sauver un jeune de l’amputation suite à une plaie par arme blanche et qui s’était infectée faute d’antibiotiques.

« Notre cœur ne brûlait-il pas en nous tandis qu’Il nous parlait en chemin et nous ouvrait les Ecritures ? »

Sans pouvoir nier cet aspect de la misère omni présente que je viens d’évoquer et qui atteint plus ou moins presque toute la population, ce qui domine, ce qui habite mon cœur de nouvel arrivant, c’est un émerveillement devant la qualité d’accueil, la force de vie, la joie, la foi qui rayonnent chez les malgaches.

C’est au point que je n’ai pas encore ressenti de tristesse, de vague à l’âme, en me retrouvant dans un monde totalement inconnu, si ce n’est la gorge nouée devant cette misère. Cette tristesse là est réelle et prend de multiples contours, comme le malaise d’avoir des antibiotiques apportés de France pour soigner un rhume attrapé en arrivant ici et qui se compliquait quand d’autres n’ont rien, d’être logé et bien nourri (même si cela reste très simple), quand d’autres si nombreux sont à la rue, de pouvoir communiquer avec vous par internet. Je ne suis pas dans le luxe pour autant, et la paille qui traverse la taie d’oreiller et me pique, ce qui m’empêche de l’utiliser, est là pour me le rappeler.

Quelques flashs de ces richesses de Madagascar qui nous font souvent défaut en Europe.

C’est d’abord le courage des ces hommes et femmes déjà évoqués ci-dessus et que l’on voit sans cesse actifs, sans cesse repartir, reconstruire, comme ces hommes replantant le riz après le passage du cyclone. Je vais sans doute voir peu à peu que s’il y a cette force pour la lutte pour la survie immédiate, si j’en crois ceux qui me précèdent ici, c’est plus difficile d’avoir cette force pour des changements de vie plus durables.

J’ai été touché aussi, même au creux de la misère, par leurs regards de bonté, leur préoccupation d’entrer en relation, d’accueillir. Je pense à cet homme ayant 4 bananes à vendre à l’angle de la rue de la maison de la conférence épiscopale où j’ai été accueilli à mon arrivée, jouant avec son bébé de 4 mois assis sur l’étalage avec la balance. Sous la table, les deux autres enfants s’amusaient. L’amour qu’il y avait dans le regard et les gestes de cet homme m’ont saisi. Quelques mots lancés en malgache m’ont ouvert un temps de partage avec lui, tout simple mais beau.

Ce qui m’émerveille encore, c’est leur sens du partage, de la solidarité. Charles Arsène, prêtre du diocèse de Fianarantsoa et membre du Prado, qui m’a accompagné pour les formalités de visa au ministère de l’intérieur, m’a proposé une visite rapide d’Antananarivo. Au musée du Palais du Premier Ministre, 3 guides se sont succédés, commençant la visite en expliquant qu’ils s’étaient mis ensemble pour partager le pourboire. Là, avec beaucoup de délicatesse, ils ont évoqué l’histoire des relations entre la France et Madagascar. Ce lundi 29 mars, jour férié, Madagascar s’est souvenu de la première révolte en faveur de l’indépendance de Madagascar et des 100 000 malgaches massacrés par l’armée française de 1947 à 1949 qui s’ajoutaient à ceux de la « pacification » quand la France a annexé Madagascar (1895-1915), à tous ceux envoyés comme « chair à canon » en 1917. Pour le moment, je suis étonné par cette manière d’évoquer une histoire douloureuse avec beaucoup de respect pour nous.

Que dire du respect, de la gentillesse, de la multitude d’enfants rencontrés partout ? Partout dans la rue, les enfants hèlent l’étranger avec un grand sourire, parfois gentiment moqueur, le plus souvent accueillant et respectueux.

Chaque jour, à la messe de 6h du matin, les mêmes 12 enfants de chœur se retrouvent. Les plus jeunes ont 6 ans. Leur sérieux, leur participation, restent un mystère pour moi.

Comme tous ceux qui arrivent à Madagascar, je suis subjugué par la qualité des chants presque toujours polyphoniques lors des célébrations, chants qui jaillissent aussi si souvent en ville d’une école, d’une association, d’une maison.

La messe des Rameaux à la cathédrale « a duré » 3h, sans que j’ai l’impression que ça ne dure, dans un recueillement et une succession de chants polyphoniques extraordinaire, avec 75 enfants de chœur de 5 à 15 ans, et une multitude d’autres dans l’assemblée, participant pleinement à la célébration, chantant, priant, sans aucun bavardage. Et ils n’ont pas l’air malheureux, ni battus pour arriver à ce résultat… La bénédiction des rameaux se fait pendant que l’on chante le salut. La proclamation de la Passion est parlée, et entrecoupée d’un chant qui redit, si j’ai bien compris, ce qui vient d’être proclamé. Elle se conclut par deux chants magnifiant Dieu qui nous sauve. C’est alors l’homélie qui redit l’histoire du salut (10 minutes), puis le credo chanté, la prière universelle alternant paroles et chants et se concluant par la prière à Jean-Marie Vianney en cette année sacerdotale (6 minutes), les annonces (11 minutes), la quête sur fond de chants où chacun vient en procession. Chaque chant en lui-même, par ses paroles, est une catéchèse. Le premier chant de la quête proclamait l’importance de la foi en l’Eucharistie, le deuxième, chanté non plus par toute l’assemblée, mais par une 2ème chorale, disait : « Je compte sur toi, tu es mon Dieu, connais mon chemin Seigneur ! ». La quête se termine, elle a duré 10 minutes, mais sans que l’on ne voit le temps passer, porté par les chants. Qu’en est-il pour eux qui comprennent le sens des paroles ! Il n’y a pas les si belles processions de la Parole et de l’offertoire du Brésil ou d’autres pays d’Afrique, par contre, on danse légèrement au moment du don de la paix, mais de manière bien plus réservée qu’en Afrique ou en Guadeloupe. Suit, au même rythme la prière eucharistique, la communion où la très grande majorité vient communier. Elle dure 10 minutes, pendant que l’assemblée chante deux chants. Ensuite, un chant d’action de grâce, puis le magnificat avec un refrain tous les 2 versets. L’oraison est une longue et belle, j’imagine, prière improvisée par Marc. Enfin, le chant final. Je serai juste surpris, à la sacristie, d’entendre Marc reprendre les enfants de chœur sur les erreurs qu’ils ont faites pendant la célébration (quant à moi, je n’avais rien vu…). Devant une telle qualité de foi, d’amour familial, de célébration, s’il y en a qui peuvent se sentir pauvres, ce ne sont pas les malgaches, mais plutôt nous, les « Vazaha » (mot qui désigne l’étranger européen), qui avons perdu ce sens de la célébration communautaire du dimanche.

Autre source d’émerveillement : l’accueil reçu pour le visa transformable à l’ambassade de Paris, puis pour la prolongation pour 90 jours et pour le dépôt d’une demande de visa long séjour, où tout a été bouclé en 2 matinées, pourraient inspirer notre administration française. Pour être complètement honnête, au poste de police, il m’a fallu convaincre les 4 fonctionnaires présents d’arrêter leur partie de carte. 4 fois, la commissaire m’a demandé si je voulais vraiment la prolongation de mon visa maintenant… avant d’accepter d’interrompre la partie.

Je l’ai déjà évoqué, mais je suis très impressionné par la qualité de l’accueil reçu ici à Fianarantsoa, en particulier à la maison diocésaine : ce sont mille attentions pour que je puisse m’intégrer, pour m’aider à vaincre la peur et oser aligner quelques mots en malgache. Tel ou tel vient plus à ma rencontre et aime à partager, comme Gilbert, responsable de l’accompagnement des mouvements de laïcs (Vie Chrétienne étant le plus présent dans ce lieu évangéliser par les jésuites). Il est préoccupé par les pressions américaines, y compris par leur « Caritas » pour promouvoir le riz génétiquement modifié et qui fera que les malgaches dépendront des USA pour leurs semences.

J’ai été sensible à l’accueil par les prêtres du Prado déjà rencontrés : Marcelin (évêque de Fenoarivo) avec qui j’ai pu partager à mon arrivée à Antananarivo ; Gervais venu me chercher à Antananarivo et dont je dépendrai au double titre de ma mission dans le diocèse de Fianarantsoa et au service du Prado ; Protais qui nous a accueillis lors de notre passage à Ambositra, Bernard que j’ai déjà évoqué plus haut. 2 évêques et 38 prêtres (dont 2 français : Gérard Garnier fidei donum qui a passé 9 ans à Champigny ; Bernard incardiné dans le diocèse de Fianarantsoa) sont engagés au Prado de Madagascar ou en formation pour y entrer.

La semaine prochaine, ce sera la rencontre du bureau du Prado à Antananarivo pour préparer la rencontre nationale de juillet. Cela me permettra d’y voir un peu plus clair sur ma mission, mais, ce que j’ai déjà senti, c’est qu’ils se réjouissent de ma venue pour aider le Prado de Madagascar à grandir.

J’ai eu la joie de dîner et célébrer chez les Sœurs du Prado à Antananarivo. La présence de sœurs du Prado à Madagascar est fruit d’une histoire originale : une malgache a fondé une congrégation de sœurs avant de demander à entrer au Prado avec toutes ses sœurs quand elle a découvert la spiritualité du Père Chevrier. Elles sont une quarantaine de sœurs malgaches réparties en 5 communautés.

Autre signe de la présence active du Ressuscité : les multiples volontaires présents à Fianarantsoa. Chaque jeudi, tous les prêtres de la ville et volontaires laïcs se retrouvent à déjeuner à l’archevêché. Ils viennent de France et d’Italie, pour la plupart, mais aussi de Pologne, de Hollande. Certains viennent à la fin de leurs études pour 2 ans, bien qu’il n’y ait plus le service national obligatoire, d’autres viennent avec femme et enfants, en étant déjà bien installés dans la vie.

Plus largement, c’est impressionnant de voir la qualité d’engagement de l’Eglise, de l’Eglise locale d’abord, sans parler des volontaires venus d’autres pays, auprès des plus pauvres dans le domaine de la santé, de l’éducation. Ici, c’est vraiment ce qui se voit qui tient debout et aide de fait les gens à survivre.

« C’est bien vrai ! Le Seigneur est ressuscité et il est apparu à Simon ! »

Il avait été question que je participe à une session internationale du Prado à Limonest début juillet. J’y renonce pour ne pas risquer d’être en difficultés du côté des visas (ce sera le moment de passer du visa prolongé au visa long séjour) et de peur que cet aller retour peu de temps après mon arrivée ne soit pas bien perçu.

Aujourd’hui, je prie particulièrement avec le Père Michel Santier, notre évêque et tous les prêtres du diocèse réunis au palais des sports de Créteil pour la messe chrismale qui rassemble aussi tous les laïcs engagés dans la mission du diocèse. Je penserai à ceux de Cachoeiro de Itapemirim qui se réuniront jeudi autour de Dom Célio et participerai à la messe chrismale du diocèse de Fianarantsoa jeudi à 6h du matin.

Voilà, j’espère que ces quelques mots vous trouveront en forme. J’espère que la force de vie et la foi des malgaches vous rejoindront aussi et que l’Esprit Saint nous donnera d’entrer plus profondément dans ce mystère pascal : Dieu qui donne sa vie aux hommes qui le rejettent sans cesse et les appelle à vivre de sa vie, à ce que « la volonté de son cœur soit faite », à se faire proche du plus exclu, à s’engager dans tout ce qui remet l’homme debout, même si le résultat apparent n’y est pas.

Très affectueusement. Unis dans la prière. Bonnes fêtes de Pâques !

Bruno

 

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