Devenons des Saints (Revue des prêtres du Prado, Avril 2002)

« Devenons des saints[1] »

1. Ton Esprit nous devance :

Stéphanie, 18 ans, animatrice d’équipes cinquième, après avoir lu les chapitres 3 et 4 des Actes au cours d’un partage d’Evangile entre animateurs d’aumônerie, s’exclame :

–   « Quand Pierre dit : ‘Regarde-nous bien’… est-ce qu’il ne veut pas dire : Regarde en nous le Christ » ?

Pour elle, qui cherchait des lumières pour être « catéchiste », animatrice d’équipes de jeunes de cités, elle avait là une révélation.

Dans la préparation de la prochaine session des diacres en lien avec le Prado, un nouveau venu a proposé comme thème : « Devenir un autre Jésus-Christ visible ». Il a ajouté : « en lisant les Ecrits Spirituels, j’ai vu que c’était un thème central. »

Quand on lit les Ecrits d’Antoine Chevrier, on voit bien l’équivalence entre « devenir un autre Christ » et « devenir des saints » :

« Quand je pense que vous catéchiserez un jour les pauvres, que vous vous dévouerez un jour au service du bon Maître, que vous ferez ce que je n’ai pu faire moi-même, que vous deviendrez un jour des saints, que vous travaillez à devenir vraiment d’autres Jésus-Christ, que la charité embrasera vos cœurs et vous fera porter de bons fruits qui demeureront toujours, je suis heureux. Oh ! devenez des saints ! c’est là tout votre travail de chaque jour. Croissez dans l’amour de Dieu, croissez pour y arriver dans la connaissance de Jésus-Christ parce que c’est la clef de tout. Connaître Dieu et son Christ, c’est là tout l’homme, tout le prêtre, tout le saint ; puissiez-vous y arriver. Priez pour moi, je prie aussi pour vous, et suis avec une affection toute paternelle votre Père et votre ami en Jésus-Christ notre Maître. » [2]

2.      Perspective de tout cheminement pastoral :
« La sainteté »

Dans sa lettre « Au début du Nouveau Millénaire[3] », en profonde résonance avec le chemin que nous propose Antoine Chevrier, après une très belle contemplation du visage du Christ, Jean-Paul II donne comme première indication pastorale :

« Et tout d’abord je n’hésite pas à dire que la perspective dans laquelle doit se placer tout le cheminement pastoral est celle de la sainteté. »

Et il poursuit :

« Une fois le Jubilé terminé, la route ordinaire reprend, mais présenter la sainteté reste plus que jamais une urgence de la pastorale. »

Il appuie son affirmation en renvoyant au Concile :

« Il faut alors redécouvrir, dans toute sa valeur de programme, le chapitre V de la constitution dogmatique sur l’Église Lumen gentium, consacré à l’« appel universel à la sainteté ». Si les Pères conciliaires ont donné tant d’importance à ce sujet, ce n’est pas pour conférer une sorte de touche spirituelle à l’ecclésiologie, mais plutôt pour en faire ressortir un dynamisme intrinsèque et caractéristique. La redécouverte de l’Église comme « mystère », c’est-à-dire comme « peuple uni de l’unité du Père et du Fils et de l’Esprit Saint »,  ne pouvait pas ne pas entraîner aussi la redécouverte de sa « sainteté », entendue au sens fondamental d’appartenance à Celui qui est par excellence le Saint, le « trois fois Saint » (cf. Is 6,3). Dire que l’Église est sainte signifie présenter son visage d’Épouse du Christ, pour laquelle il s’est livré, précisément en vue de la sanctifier (cf. Ep 5,25-26). Ce don de sainteté, pour ainsi dire objective, est offert à chaque baptisé.

Mais le don se traduit à son tour en une tâche, qui doit gouverner toute l’existence chrétienne : « La volonté de Dieu, c’est que vous viviez dans la sainteté » (1 Th 4,3). C’est un engagement qui ne concerne pas seulement certains chrétiens : « Tous les fidèles du Christ, quel que soit leur état ou leur rang, sont appelés à la plénitude de la vie chrétienne et à la perfection de la charité ».[4]

3. A l’écoute d’Antoine Chevrier

Nous retrouvons là l’intuition d’Antoine Chevrier : « Il faut devenir des saints. » Quand Antoine Chevrier perçoit avec force l’amour du Christ, et que, dans le même mouvement, il prend conscience de manière forte que nombre de ses contemporains ne connaissent pas le Christ, qu’il médite sur le « mal insondable »[5]qui marque le monde, loin de se décourager devant l’immensité de la tâche et les fragilités de l’Eglise de son temps, il conclue :

« alors je me suis décidé à suivre Jésus-Christ de plus près, et mon désir est que vous-mêmes, vous suiviez aussi notre Seigneur Jésus-Christ de près.[6]»

Cela vaut le coup de rechercher tous les passages où Antoine Chevrier appelle à la sainteté, tant dans ses lettres que dans le Véritable Disciple. Il est frappant alors de constater l’omni-présence de cet appel dans les lettres aux séminaristes, mais aussi aux sœurs, à celles et ceux qui, à son époque, avaient la responsabilité de « catéchiser », faire connaître Jésus-Christ.

Celui qui appelle ainsi à la sainteté est un homme qui a une profonde conscience de sa fragilité[7], qui a conscience que la sainteté est d’abord don de Dieu, le seul Saint, que l’homme a un travail à faire pour s’ouvrir à ce don.

Dans sa lettre Jean-Paul II part de la question posée par les grecs à Philippe, question de nos contemporains, explicite ou non : « Nous voudrions voir Jésus… »[8] et il insiste sur la dimension communautaire et pastorale de cet appel à la sainteté qui concerne tous les chrétiens.[9]

Si Antoine Chevrier insiste sur la sainteté du prêtre, c’était bien aussi dans une perspective apostolique et avec la conscience qu’il y a un appel particulier pour les prêtres à êtres saints, pour que le Christ soit connu et que nos communautés soient réellement reflet vivant du style de vie et de la mission du « Serviteur » au service de l’espérance des pauvres[10].

Si nous sommes appelés à la sainteté, c’est pour travailler à la sainteté de nos communautés pour qu’elles soient signe pour les pauvres et pour le monde.

4. Dimensions de la sainteté dans Actes 3 et 4 :

Dans son appel à la sainteté, Jean-Paul II part de la question de la foule, à la Pentecôte : « Que devons-nous faire ? »

Quand Stéphanie s’exclame : « est-ce qu’il ne veut pas dire : Regarde en nous le Christ ? », elle le fait en regardant le premier agir des apôtres qui nous soit raconté après l’expérience de la Pentecôte. Cela nous incite à chercher dans ce récit du premier agir des apôtres des indications sur cette sainteté à laquelle aspirer, travailler.

Dans ce qui suit, on trouvera une esquisse d’Etude d’Evangile, provoquant ceux qui le souhaitent à la poursuivre. Il y a dans ce passage un très beau tableau de ce à quoi une communauté chrétienne est appelée à correspondre.

En faisant cette étude, nous serons invités à avoir dans le cœur, la personne des apôtres, mais aussi l’Eglise qui à travers eux monte à la prière et se laisse toucher par ce pauvre à la porte, agit pour lui permettre d’être relevé.

Nous sommes invités à contempler l’Eglise qui va, dans un même mouvement, à la rencontre du monde et de Dieu au nom du Christ avec la force de l’Esprit.

Nous pouvons regarder en filigrane notre Eglise, nos communautés qui vivent aujourd’hui une pauvreté qui n’est pas seulement financière et sont appelées à dire de manière nouvelle :

« De l’or, de l’argent, je n’en ai pas, mais ce que j’ai je te le donne, au nom de Jésus Christ le Nazôréen, lève-toi et marche ! »[11]

4.1 Sainteté et accueil du pauvre

De nombreux saints – Antoine Chevrier, François d’Assise, Oscar Roméro et tant d’autres – se sont ouverts à la vie de Dieu, à la sainteté qui vient de lui, en se laissant toucher par la rencontre des plus pauvres.

On ne voit pas autre chose ici : Pierre et Jean se laissent toucher par la rencontre du paralysé de la Belle Porte. Ils osent une parole à partir de la force qui est de Dieu. Ensuite, ils sont témoins de ce que l’Esprit fait en cet homme et qui devient signe pour la foule.

Dans ce passage, le lien au plus pauvre n’est pas seulement attention personnelle mais aussi action pour transformer un rapport social et permettre à cet homme de se relever, de reprendre sa place dans la communauté humaine, permettant à celle-ci d’être interrogée, remise en cause, retournée vers le Christ.

Dans nos communautés, nous faisons cette expérience de ce que produit le fait de se laisser toucher ensemble par les plus pauvres. C’est le thème du Relais Marge qui vient d’avoir lieu.[12]

Comment plus partager non seulement comment nous veillons à être personnellement liés, compromis avec les plus pauvres, mais aussi comment nous travaillons à édifier des communautés chrétiennes qui se construisent dans ce lien là ?

4.2 Sainteté et pauvreté :

Ils n’ont ni or, ni argent… Ils sont reconnus comme sans instruction et comme gens quelconques… Ils se sont assoupis, ils ont connu le reniement, ils ont abandonné Jésus… Ils ne sont que quelques-uns en face de la foule… Jésus n’est plus visible à leurs yeux…

La situation des apôtres n’est guère différente de la nôtre aujourd’hui… Qu’auraient fait Pierre et Jean, s’ils avaient eu de l’or, de l’argent, plein de moyens face à cet homme ? Auraient-ils osé proposer la vie au nom du Christ, le relèvement, la participation à la résurrection, compter sur la force qui n’est pas d’eux, mais du Christ ?

Ne serait-il pas bon de regarder les chances nouvelles qui s’ouvrent pour notre Eglise et pour nous prêtres au moment où nous éprouvons une certaine fragilité pour nous ouvrir justement à la sainteté, pour laisser agir Dieu, le laisser agir… en étant nous-mêmes actifs, à la mission ?[13]

Le témoignage d’André Redouin dit aussi quelque chose de ce lien entre pauvreté et sainteté.

4.3 Sainteté et prière

Ce n’est sans doute pas un hasard si Pierre et Jean se laissent toucher alors qu’ils montaient au Temple pour prier. Dans ce passage des Actes des apôtres, la prière se retrouve encore dans l’invocation du nom de Jésus pour guérir cet homme. Plus loin, c’est l’exultation du paralysé qui loue Dieu et non pas les apôtres. Enfin, c’est la prière de la première communauté, une fois Pierre et Jean relâchés. Ils vivent alors une nouvelle Pentecôte et reçoivent cet Esprit Saint, agent même de la sainteté.

Comment trouvons-nous dans la prière un lieu privilégié d’ouverture à la sainteté de Dieu ? Comment formons-nous des communautés chrétiennes qui cherchent là, la source de leur agir apostolique et de leur engagement dans ce monde à transformer, à ouvrir à l’action de celui qui remet debout ?

C’est un appel que nous pouvons accueillir à travers l’engagement de Jean Perrin à la Trappe et son témoignage.[14]

4.4 Sainteté et obéissance

L’obéissance à Dieu s’exprime de manière très claire devant le tribunal. Elle est manifeste parce qu’à ce moment l’opposition du monde est plus manifeste.

Elle se disait déjà dans la manière de Pierre et Jean de monter au Temple mais aussi de se laisser toucher par cet homme et de s’inscrire dans les commandements religieux de la foi reçue de leurs pères. Elle se dit encore dans leur engagement à expliciter le signe donné et reçu : « Il les envoya proclamer le Règne de Dieu et faire des guérisons »[15]

Dans notre société de consommation marquée par le libéralisme, l’opposition est souvent insidieuse, mais bien réelle. Où sommes-nous amenés à choisir d’écouter le Christ, plutôt que les hommes ?[16] Où vivons-nous cette obéissance qui ouvre à la sainteté ? Où sommes-nous appelés à avancer sur ce chemin de l’obéissance ?

4.5 Sainteté et conscience d’agir au nom du Ressuscité

La confiance qu’ont les apôtres est autant avant l’acte de guérison, pour oser parler, sûrs que le Christ est à l’œuvre, qu’après, au moment de la relecture, du témoignage. Les références au Nom de Jésus, à son action, sont omni-présentes dans ce cours passage.[17]

Quand nous nous interrogeons sur l’avenir de l’Eglise, du monde, quand nous prenons des initiatives, que nous appelons à tel ou tel service, jusqu’à interpeller aux sacrements, à la vie consacrée, au ministère, quelle conscience, quelle confiance avons-nous d’agir « au nom du Christ », de parler « dans le nom de Jésus », de rejoindre ce qu’il fait déjà ? Comment travaillons-nous à édifier une communauté chrétienne qui grandisse dans cette conscience et cette confiance-là ?

4.6 Sainteté et travail de la Parole de Dieu

Que ce soit dans le geste de guérison posé « à la suite du Christ », que ce soit dans l’explication kérygmatique qui en est donnée après, ou dans la prière nourrie des psaumes et de la Parole de Dieu, on voit le lien fort entre le travail des apôtres pour connaître Jésus-Christ et la possibilité pour eux d’agir dans le nom de Jésus, de témoigner du Christ, de s’ouvrir à la sainteté qui est de lui, de manifester le seul saint.

Nous n’aurons jamais fini d’être inventifs pour mettre effectivement en premier dans notre vie l’Etude d’Evangile pour connaître Jésus-Christ et ne pas seulement en avoir le souhait.

Plus nous sommes débordés, plus il nous faut trouver les moyens avec d’autres pour revenir sans cesse à ce travail. C’est clairement ce qui a tenu Antoine Chevrier au milieu de multiples sollicitations, soucis ou raisons de se décourager.

4.7 Sainteté et Mystère de l’Eglise

C’est impressionnant, dans ce cours passage, à quel point tout est lié :

  • action des apôtres et action du Christ, de son Esprit
  • action des apôtres et du paralytique
  • prière et attention au pauvre, montée au temple et capacité à rencontrer les hommes
  • geste posé, et parole qui explicite jusqu’à aller au kérygme, au martyre
  • action posée par tel ou tel et portée en Eglise, confirmée par le don de l’Esprit
  • relèvement physique et appel à la conversion jusqu’à recevoir l’Esprit Saint

La sainteté, l’accueil du Mystère du Christ dans nos pauvretés, se joue certainement dans l’articulation de toutes ces dimensions du Mystère de l’Eglise, de sa mission sans les opposer, sans les séparer.

5. Accorde Seigneur, à tes serviteurs de dire ta Parole avec une entière assurance…

En cette période où il nous arrive de ressentir plus fortement la fragilité du monde, l’absence de perspective à vue humaine (comme en Colombie ou en Palestine/Israël), la fragilité de notre Eglise en grande mutation, notre propre fragilité, puissions-nous entendre de manière nouvelle cet appel de l’Eglise et du Christ, en la personne d’Antoine Chevrier, de Jean-Paul II et d’autres à « être des saints », à « devenir d’autres Christ visibles ».

Puissions-nous porter la même conviction que c’est là l’œuvre : « mettre la sève dans les âmes », former des saints, configurer des communautés qui soient vraiment saintes, reflet vivant du style de vie et de la mission du « Serviteur » au service de l’espérance des pauvres[18].

C’est dans la conscience de cette présence active du Ressuscité que nous célébrons ces jours-ci que nous nous posons aujourd’hui la question adressée à Pierre à Jérusalem, aussitôt après son discours de la Pentecôte:

–   « Que devons-nous faire? »

et que nous laissons résonner l’appel du Christ redit par Antoine Chevrier :

–   « Mes chers enfants, il faut devenir des saints, aujourd’hui plus que jamais, il n’y a que des saints qui pourront travailler utilement à la conversion des pécheurs, à la gloire de Dieu et au triomphe de notre sainte Eglise ! Oh ! que les saints faisaient de belles choses sur la terre ! Comme ils étaient agréables à Dieu et utiles au prochain ! »

C’est toute la lettre 86 qu’il faudrait citer. Puissions-nous faire nôtre la prière de la première communauté chrétienne[19] :

« Et maintenant, Seigneur, sois attentif à tout ce qui nous menace et accorde à tes serviteurs de dire ta Parole avec une entière assurance. Etends donc la main pour que se produisent des signes, et des prodiges par le nom de Jésus ton saint Serviteur. »[20]

Puissions-nous en équipe, nous dire comment nous nous y prenons pour avancer sur ce chemin, puissions-nous aussi nous partager les « prodiges » de Dieu dont nous sommes témoins.

Bruno Cadart, 1er avril 2002, Revue des prêtres du Prado de France

[1] « Devenons des saints » ou « Devenez des saints », une expression d’Antoine Chevrier que l’on retrouve notamment dans VD p. 299, 523 ; Lettres 12, 22, 65, 82, 100, 105, 128, 170, 190, 309, 519.

[2] Lettre n°105 (132) à Nicolas Delorme

[3] Au n°30.

[4] Lumen Gentium n°40

[5] Voir article de Georges Arnold p. 26 et suivantes

[6] Constitutions, n°2.

[7] Sur la conscience de sa fragilité, on pourra se reporter notamment aux lettres n°20, 89, 309. Ce qu’il dit en parlant de sa fragilité personnelle vaut le coup d’être relu en pensant à l’Eglise que nous sommes ensemble.

[8] Jn 12,21 cité dans Novo Millennio Ineunte n° 16.

[9] Voir citation faite plus haut au § 2.

[10] Cf. 3ème piste de réflexion préparatoire à l’Assemblée du Prado International de Juillet 2001, PPI n°69, juillet 1999, p. 59.

[11] Actes 3,6.

[12] Cf. PPF n°76, octobre 2001, p. 68.

[13] Sur le lien entre moyens pauvres et sainteté, on peut se reporter au Véritable Disciple en particulier la page 296 et les autres autour, ou 520 et suivantes.

[14] Cf. p. 62

[15] Luc 9,2.

[16] Actes 4,18-20

[17] Actes 3,6 ; 16 ; 4,7 ; 10 ; 12 ; 17 ; 18 ; 30.

[18] Cf. PPI n°69, juillet 1999, p. 59.

[19] Légèrement réécrite

[20] Actes 4,29-31

Ce contenu a été publié dans Textes Bruno Cadart. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire