Epiphanie… gentil conte de fée ou appel à entendre ? (Janvier 1998)

0. Le Texte d’Evangile de la visite des mages (Mt 2,1-12)

Jésus était né à Bethléem en Judée, au temps du roi Hérode le Grand. Or, voici que des mages venus d’Orient, arrivèrent à Jérusalem et demandèrent :

«Où est le roi des juifs qui vient de naître? Nous avons vu se lever son étoile et nous sommes venus nous prosterner devant lui.»

En apprenant cela, le roi Hérode fut pris d’inquiétude, et tout Jérusalem avec lui. Il réunit tous les chefs des prêtres et tous les scribes d’Israël, pour leur demander en quel lieu devait naître le Messie. Ils lui répondirent «A Bethléem en Judée, Car voici ce qui est écrit par le prophète. Et toi, Bethléem en Judée,. tu n’es certes pas le dernier parmi les chefs-lieux de Judée; car de toi sortira un chef. qui sera le berger d’Israël mon peuple»

Alors Hérode convoqua les mages en secret pour leur faire préciser à quelle date l’étoile était apparue, puis il les envoya à Bethléem, en leur disant: «Allez vous renseigner avec précision Sur l’enfant. Et quand vous l’aurez trouvé, avertissez-moi pour que j’aille, moi aussi, me prosterner devant lui. Sur ces paroles du roi, i1s partirent.

Et voilà que l’étoile qu’ils avaient vue se lever les précédait; elle vint s’arrêter au-dessus du lieu où se trouvait l’enfant. Quand ils virent l’étoile, ils éprouvèrent une très grande joie. En entrant dans la maison, ils virent l’enfant avec Marie Sa mère; et, tombant à genoux, ils se prosternèrent devant lui. Ils ouvrirent leurs coffrets, et lui offrirent leurs présents: de l’or, de l’encens et de la myrrhe.

Mais ensuite, avertis en songe de ne pas retourner chez Hérode, ils regagnèrent leur pays par un autre chemin.

1. Laisser la foi de Matthieu nous appeler

Aujourd’hui, fête de l’Epiphanie… On nous raconte l’histoire de mages mystérieux venus voir Jésus à Bethléem. Il y a plusieurs manières d’accueillir la Parole de ce jour. On peut :

  • rester au niveau d’un gentil conte de fée, sympa mais sans aucun lien avec notre vie actuelle, rêver longtemps d’étoiles magiques…
  • discuter des heures pour savoir si l’événement s’est passé ou non de cette manière, et rejeter ce récit parce qu’il serait pure invention ;
  • accueillir la foi de Matthieu, chercher à entendre ce qu’il cherche à nous dire à travers ce récit, laisser l’Esprit Saint susciter en nous notre propre réponse devant Dieu qui se fait connaître hier et aujourd’hui.

2. Fête de la manifestation du Seigneur à tous les hommes et par tous les hommes

Aujourd’hui, fête de l’Epiphanie du Seigneur… « Epiphanie », un mot qui vient du grec et qui signifie : « manifestation ». Fête de l’Epiphanie… Fête de la manifestation du Seigneur. Dieu qui se fait connaître, qui se manifeste aux hommes.

Dans son Evangile, Luc a évoqué la visite des bergers, cette manifestation de Dieu en Jésus aux plus proches : les bergers des environs, aux plus simples, aux plus pauvres, aux plus marginalisés. Matthieu, lui, nous dit sa foi en nous racontant ce récit de mages venus de très loin se prosterner devant Jésus.

Etonnante conscience de Matthieu et de Luc que Jésus répond à l’attente de tous les hommes :

  • ceux de Bethléem et ceux qui viennent de loin ;
  • les plus pauvres et ceux qui sont riches ;
  • ceux qui sont instruits et ceux qui n’ont pas été à l’école ;
  • les puissants et ceux qui sont pratiquement au rang d’esclaves ;
  • les Juifs comme l’étaient les bergers, et ceux qui sont d’autres religions comme les mages.

Quand on voit nos assemblées chrétiennes 2 000 ans après, la manière dont la foi de quelques apôtres s’est répandue sur toute la terre et jusqu’à aujourd’hui, il y a de quoi être émerveillé de cette confiance de Matthieu en la force de l’Esprit Saint pour manifester l’amour du Père en Jésus. N’oublions pas qu’il écrit à un moment où les chrétiens ne sont que quelques uns et où ils connaissent déjà la persécution. D’où lui vient cette foi que le message qu’il porte est destiné à tous les hommes et leur parviendra ?

Pour nous qui avons parfois le sentiment d’être les derniers des mohicans en France et qui nous inquiétons de l’avenir de notre Eglise, de nos paroisses, de nos groupes, il y a une provocation.

Notons que Matthieu ne dit pas que les mages sont devenus des apôtres du Christ, des chrétiens, comme pour mieux suggérer que Jésus n’appartient pas aux chrétiens, que bien d’autres autour de nous accueillent le Christ dans leur vie, vivent de son amour, sont aimés par lui, nous le révèlent, sans forcément oser ou pouvoir le reconnaître, porter consciemment son nom, recevoir le baptême chrétien.

3. Nos communautés lieu de l’épiphanie du Seigneur aujourd’hui

Nous venons d’entendre l’histoire d’hommes mystérieux, vivant il y a deux mille ans… En fait, Matthieu nous parle de l’histoire de chacun de nous. Il nous parle de la manière dont Dieu se manifeste dans notre vie à chacun et communautairement. Il n’est pas question d’un mage, mais de plusieurs. Et si chacun a sa quête propre, ils se sont mis en route ensemble. Si chacun a eu sa propre manifestation de Dieu en regardant l’enfant Jésus, ils l’ont vu ensemble. Ce qui permet de percevoir cette présence de Dieu, c’est le rassemblement de ces mages autour de l’enfant Jésus. Ce qui permet de percevoir, c’est à dire de sentir et de manifester, la présence de Dieu à Vitry aujourd’hui, c’est aussi notre rassemblement de chaque dimanche autour de Jésus, de sa Parole, de son corps offert et partagé. Notre assemblée de ce matin est épiphanie, manifestation du Seigneur.

Comment ne pas penser au chemin de Michel : invité par Marc à son mariage, Michel est revenu interpellé. L’Eglise n’était pas ce qu’il croyait et il s’était laissé toucher par la foi de Marc, par la prière des chrétiens ce jour-là. Invité à participer à une équipe de jeunes couples redécouvrant la foi par ce même Marc, marié à Maria, profondément croyante, il a accepté de venir pour voir. A la première rencontre, Michel s’est présenté comme non croyant et en révolte. A la deuxième rencontre, après avoir lu tout l’Evangile selon Saint Marc, il dit : « Je n’aurais jamais pensé que Jésus puisse dire cela sur la croix, qu’il puisse crier : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? »[1] Je ne pensais pas qu’il était vraiment homme. Il doute, et moi aussi. »

Dans la foulée, Michel m’invite à dîner et dira : « J’étais venu pour apporter la contradiction, ce n’est pas celle que je pensais que j’ai apportée. » Et puis il évoque la messe paroissiale à laquelle il avait participé à 10h avant de partager entre jeunes couples à 11h : « Je ne savais comment me situer, si j’allais faire où non le signe de croix. J’étais étonné de voir des jeunes et touché parce qu’ils ont dit. Aujourd’hui, je réfléchis à demander confirmation. » Il a lui-même témoigné de sa découverte et permis à d’autres de se mettre en route. Je ne suis pas sûr, quand trop facilement nous nous dispensons de la messe du dimanche, que nous ayons bien conscience de la place essentielle de ce rassemblement pour nous, mais aussi pour ceux susceptibles d’y venir et pour qui notre présence et la manière dont nous participons peuvent être chemin ou au contraire obstacle pour découvrir la source du bonheur qu’est la rencontre du Christ.

Epiphanie du Seigneur qui se poursuit aujourd’hui, importance capitale du rassemblement du dimanche, mais aussi d’équipes de chrétiens de tous âges qui se réunissent pour lire l’Evangile et approfondir leur foi.

4. Toute la vie de Jésus y compris sa vie aujourd’hui est « Epiphanie »

Matthieu nous raconte la visite des mages comme épiphanie, manifestation à tout homme de l’amour de Dieu en Jésus… Mais c’est toute la vie de Jésus qui est épiphanie, manifestation de l’amour de Dieu aux hommes :

  • la naissance à Bethléem,
  • le temps caché à Nazareth,
  • toutes les rencontres au cours de son ministère, les guérisons, les appels, l’enseignement, sa manière d’être, de s’inviter chez chacun, de venir chez les pécheurs, chez ceux qui sont perdus,
  • sa prière,
  • bien sûr les moments plus spécifiques que sont le baptême, la transfiguration, la passion, la mort sur la croix,
  • mais aussi quand il se manifeste ressuscité à ses disciples où qu’il est avec eux par son Esprit, qu’ils le découvrent déjà présent chez ceux auxquels ils sont envoyés, qu’ils agissent en son nom.

Toute la vie de Jésus est « Epiphanie », manifestation de l’amour de Dieu aux hommes. Toute la vie de Jésus, y compris sa vie aujourd’hui. Dieu n’en finit pas de se dire, de nous parler aujourd’hui, de se faire connaître notamment dans son corps qu’est l’Eglise.

5. Epiphanie… fête de Dieu qui se fait connaître et de l’homme qui cherche Dieu

« Epiphanie »… Mystère d’un double mouvement :

  • fête tout en même temps de Dieu qui se manifeste, qui se fait connaître
  • fête de l’homme qui cherche Dieu…

Il y a l’étoile, qui renvoie à l’action de Dieu qui veut se faire connaître et qui conduit à l’enfant Jésus, manifestation pleine de Dieu… Mais que serait l’étoile, si des hommes n’avaient pas scruté le ciel, s’ils ne s’étaient pas interrogés sur le sens de leur vie, sur le bonheur ; s’ils n’avaient pas été capables de se mettre en route, de tout quitter pour aller voir l’enfant Jésus dans son étable.

En faisant ce récit, Matthieu veut nous rendre attentif à cette quête de bonheur, à cette quête de sens, qui est en chacun de nous, que Dieu a semé au cœur de l’homme. N’est-ce pas ce qui nous anime chacun que cette quête perpétuelle de sens, de bonheur, cette interrogation sur la présence de Dieu ?

Tous, d’une manière ou d’une autre nous cherchons ce qui va orienter toute notre vie, ce qui peut la combler. Tous, d’une manière ou d’une autre, nous ne pouvons nous satisfaire d’une vie animale : métro, boulot, dodo… Tous, croyants ou non, il nous arrive de chercher ce qui peut combler une vie, quelle étoile suivre, à quelle lumière se laisser guider.

6. Trouver la bonne étoile

La difficulté, c’est de trouver la bonne étoile… Il y en a tellement ! Il y en a qui sont plus brillantes que d’autres, qui peuvent éblouir et empêcher de voir. Il y en a qui sont filantes, qui surgissent très lumineuses et captent le regard, pour disparaître aussitôt. Il y en a qui sont des illusions, des effets d’optique, des mirages. L’étoile polaire qui permet de s’orienter la nuit, n’est pas l’astre qui a l’apparence la plus brillante, mais c’est celui qui mène au bon port. Il en est de même pour les « étoiles », les lumières, les repères, qui conduisent au bonheur durable.

En nous parlant de l’étoile des mages, Matthieu nous parle de toute notre vie. Sur quelle valeur je peux fonder ma vie pour trouver un bonheur durable. En parlant d’étoiles, nous pouvons penser au très quotidien de notre vie, de nos vies :

  • à l’école, mais aussi au travail, dans une vie en société, la tentation de la satisfaction facile par la triche, la magouille, l’écrasement de l’autre, du plus faible…
  • dans une vie avec d’autres, la tentation de se prendre pour le centre du monde, ou de vouloir paraître et de passer à côté de la rencontre vraie avec l’autre
  • dans une vie d’ados, de jeune, la tentation d’aller trop vite et de ne jamais pouvoir aimer vraiment ;
  • dans une vie de couple, il y a le feu initial et ensuite la tentation de trouver tellement d’autres étoiles plus brillantes, de se laisser prendre par des étoiles filantes et de passer à côté du bonheur réel, profond, qui connaît la souffrance, mais qui comble, qui n’a pas besoin d’être tapageur, de s’afficher ;
  • dans une vie de foi, le risque de se laisser avoir par plein de théories fumeuses (new âge, exotisme spirituel, mais aussi intégrisme), ou au contraire de laisser des philosophies matérialistes ou tout un tas de raisonnements éteindre en nous la joie de la rencontre de Dieu : les copains arrêtent la caté, ne veulent pas faire équipe, alors je fais comme eux, pour ne pas paraître ridicule, ou par flemme…, « y’a pas besoin d’aller à la messe pour être croyant… » autant de raisonnements qui nous évitent de répondre personnellement à l’appel du Christ : « toi, viens, suis-moi ! » ou encore « faites ceci en mémoire de moi ! »

Nous pourrions continuer longtemps cette réflexion sur le choix de la bonne étoile, de celle qui est réellement lumière pour nous conduire au Christ.

7. Plutôt que scruter le ciel, être attentif aux illuminations intérieures

Matthieu parle d’étoile… Qu’y a-t-il eu dans le ciel il y a 2 000 ans ? Je ne sais. Mais ce que je sais, c’est qu’il nous rend attentif au feu intérieur que nous avons tous ressenti à un moment ou à un autre. Si nous sommes là comme croyant aujourd’hui, c’est qu’à un moment ou à un autre de notre vie, nous avons ressenti quelque chose de l’amour de Dieu en Jésus qui se faisait connaître en nous, même si nous ne savons pas trop le dire ou si nous sommes habités par le doute.

J’aime bien cette phrase d’Antoine Chevrier, un prêtre de Lyon qui vivait au siècle dernier et qui évoque cette étoile intérieure :

« Sentez-vous naître cette grâce en vous ? C’est-à-dire, sentez-vous un attrait intérieur qui vous pousse vers Jésus Christ ? Un sentiment intérieur qui est plein d’admiration pour Jésus Christ, pour sa beauté, sa grandeur, sa bonté infinie, qui le porte à venir à nous. Sentiment qui nous touche et nous porte à nous donner à lui. Un petit souffle divin qui nous pousse et qui vient d’en haut, une petite lumière surnaturelle qui nous éclaire et nous fait voir un peu Jésus Christ et sa beauté infinie.

 Si nous sentons en nous ce feu divin, si nous apercevons une petite lumière, si nous nous sentons attirés tant soit peu vers Jésus Christ, ah ! cultivons cet attrait, faisons le croître par la prière, l’oraison (la prière personnelle), l’étude d’Evangile, afin qu’il grandisse et produise des fruits… »

8. Epiphanie… l’histoire d’une vie avec plusieurs étapes

Les mages ont vécu diverses étapes :

  • il y a ce temps chez eux d’interrogations, de discussions entre eux, ce temps à scruter le ciel, à lire les livres scientifiques de l’époque ;
  • il y a ce temps où ils aperçoivent l’étoile et décident de la suivre ;
  • il y a ce temps de marche où il est facile de trouver le chemin : l’étoile est là, évidente, qui les conduit ;
  • il y a peut-être eu ce temps où ils se sont habitués à suivre l’étoile, sans plus mesurer la chance d’avoir cette lumière pour les conduire, ne la regardant plus que d’une manière distraite, le regard dispersé vers de multiples autres lumières, jusqu’à ne plus la voir quand ils ont été pris par les multiples lumières de la ville ;
  • il y a ce temps où l’étoile disparaît à leurs yeux, ils ne la voient plus, ils ne perçoivent plus son rayonnement, ils sont dans la nuit obscure, sans savoir où aller, pleins de question sans doute : cette étoile n’était-elle qu’illusion, pur fruit de leur imagination, hallucination collective ?
  • il y a ce temps où l’étoile réapparaît ;
  • il y a enfin ce temps où ils ne sont plus devant l’étoile, mais devant Jésus lui-même et où ils se prosternent ;
  • il y a enfin ce temps où ils repartent par un autre chemin, transformés par la rencontre du Christ.

Leur chemin est l’image de nos chemins d’hommes, de femmes. Il y a les moments où la foi est évidente, brille comme une lumière, est sensible ; il y a les moments de joie plus intense où tel ou tel peut ressentir plus fortement la présence du Christ ; il y a les moments où c’est la nuit, où je ne ressens plus rien, où il n’y a plus de lumière pour me guider.

En parlant de foi, il s’agit autant de foi en Jésus Christ que de foi en la vie, de confiance en soi, de goût pour vivre, aimer, donner, recevoir.

9. Très jeune, être attentif à choisir l’étoile à suivre

Matthieu parle des mages quand ils arrivent à Bethléem. Il ne faut pas oublier tout le temps de préparation avant, tout le temps de recherche, de mise en route.

Si chacun peut réorienter sa vie à tout moment, on s’accorde à souligner l’importance des choix de valeurs faits très tôt, des décisions de fond. Nombre d’hommes, de femmes, témoignant de la joie de croire et de vivre, disent que c’est très jeunes qu’ils ont perçu l’appel de Dieu : des petites joies simples dans un temps de prière, une célébration, la confirmation, la lecture d’un texte, un engagement au service d’autres, la rencontre de personnes partageant cette quête de l’absolu, de la justice, de la pureté, autant d’événements tout simples, discrets et qui ont déterminé toute leur vie.

On n’est pas trop jeune pour rêver et décider d’être un mage, un chercheur de Dieu, d’une vie de bonheur reçu dans le don de soi aux autres.

Il n’est jamais trop tard pour faire mémoire, revenir aux lumières aperçues sur la route et dont on s’est parfois éloigné.

Nos blessures sont un lieu privilégié de la rencontre de Dieu, un lieu où nous nous émerveillons de celui qui vient nous rejoindre là où nous mêmes n’arrivons plus à nous aimer, là où nous faisons l’expérience que l’amour de Dieu est un don gratuit fait à des hommes, des femmes qui se reconnaissent pécheurs.

Comment ne pas entendre cependant que chaque geste, chaque choix nous marque, et qu’il est des blessures dans la vie qui rendent difficile le bonheur ? Comment ne pas ignorer le côté fragile, précieux, de cette étoile qui nous guide vers le bonheur ? Comment ne pas tout mettre en œuvre pour ne pas la perdre, cultiver la capacité à nous laisser guider par elle ?

10. Repères pour avancer quand l’étoile disparaît :

Matthieu ne nous dit pas que les mages renoncent à leur recherche quand l’étoile n’est plus visible, perceptible. Il ne nous dit pas qu’ils repartent chez eux où qu’ils se mettent à suivre d’autres étoiles. On ne les voit pas s’asseoir désespérés et renier ce qui les avait fait vivre, avancer, se mettre en route.

Il nous dit qu’ils continuent leur recherche. A qui s’adressent-ils pour cette recherche ? A ceux qui sont les religieux de l’époque, quelle que soient leurs limites.

Où ceux-là vont-ils se renseigner ? Dans la Bible, dans la Parole de Dieu.

Si nous pouvions recevoir à travers la confession de foi de Matthieu la force de continuer à avancer, à chercher, à prier, à pratiquer, à mettre en pratique l’Evangile, même quand nous sommes dans la nuit, aussi bien dans une vie en Eglise, que dans une vie en couple, en famille, en société…

11. Etonnante confiance de Dieu que de charger des hommes de transmettre la Parole

Il ne nous est pas dit que les religieux auxquels les mages s’adressent vont eux-mêmes se laisser toucher par la naissance du Christ. Sur la croix, le Christ sera seul, condamné par ceux-là mêmes qui avaient pour charge de « relier » les hommes à Dieu. On se souvient que le mot « religion » et donc « religieux » vient d’un mot latin qui signifie « relier ».

Aujourd’hui, chacun, par notre baptême, notre confirmation, pour certains par notre ordination, pour d’autres par leur mariage, nous avons cette mission : permettre aux hommes, aux femmes, d’aujourd’hui de découvrir cet amour de Dieu pour tout homme, toute femme, et pour cela, en vivre nous-mêmes.

Quels que soient notre indignité, notre infidélité, nos doutes, nos trahisons, le sentiment qui nous habite de ne pas être capables, nous avons pour mission de permettre à tous les mages d’aujourd’hui, tous ces hommes et femmes qui cherchent un sens à leur vie, de trouver des compagnons sur la route qui les renvoient à la Parole de Dieu, qui leur permettent de recevoir une manifestation particulière de l’amour de Dieu dans l’accueil de sacrements.

Et pour permettre à d’autres de pouvoir découvrir la Parole de Dieu, sans forcément la lire, de pouvoir se nourrir de la présence de Jésus, sans forcément pouvoir les recevoir, nous sommes appelés, jour après jour, à nous nourrir de cette Parole, des sacrements.

L’évêque de Créteil aujourd’hui décédé, le Père Frétellière, répétait souvent aux jeunes chrétiens :

« Vous êtes pour beaucoup de vos copains, le seul Evangile qu’ils pourront ouvrir. »

Si Dieu n’a pas peur de se manifester à travers des vies d’hommes, de croyants, de religieux qui le trahissent, devant cette quête des hommes comment ne pas entendre son appel à la conversion, à vivre vraiment de l’Evangile pour ne pas faire obstacle au Christ.

J’aime lire et relire l’appel de Chevrier à la sainteté, non pour être meilleur que d’autres ou en croyant y arriver, mais par conscience à la fois de l’amour de Dieu qui veut se faire connaître et qui a besoin que notre vie ne soit pas obstacle, et conscience de la soif des hommes d’un sens à leur vie qui peut être comblée par la rencontre du Christ. En méditant devant la crèche en 1856, habité par ce qu’il avait découvert de la vie des plus pauvres dans la banlieue de Lyon en pleine révolution industrielle en s’étant fait proche d’eux à l’occasion d’inondation par le Rhône, il a une « lumière » :

« Je me disais : le Fils de Dieu est descendu sur la terre pour sauver les hommes et convertir les pécheurs. Et cependant, que voyons-nous ? Que de pécheurs il y a dans le monde ! Les hommes continuent à se damner (à vivre sans connaître la joie de connaître le Christ).

Alors, je me suis décidé à suivre Notre Seigneur Jésus Christ de plus près, pour me rendre plus capable de travailler efficacement au salut des âmes, et mon désir est que vous-mêmes, vous suiviez aussi Notre Seigneur de plus près. »[2]

Dans la ligne de ces mages venus se prosterner devant Jésus dans la crèche, Antoine Chevrier dira :

« C’est ce mystère de l’incarnation qui m’a converti. »

12. Hérode a quelque chose à nous apprendre

Même Hérode a quelque chose à nous dire. Quand il réunit tous les religieux, tous les savants pour scruter les Ecritures et pouvoir répondre aux mages venus l’interroger, quand il envoie les mages en leur disant : « allez vous renseigner avec précision sur l’enfant… », il permet cette épiphanie, cette manifestation du Seigneur aux mages.

Il indique un chemin essentiel : se renseigner avec précision sur Jésus, et, pour nous, lire et relire l’Evangile. C’est le Père Frétellière qui écrit :

« Je plaide pour que nous revenions à l’Evangile. A l’Evangile tout simple,  lu, relu, médité, prié, partagé, vécu. Personnellement et, ensemble. Constamment. »[3]

Avant de s’intéresser aux motivations qui habitent Hérode, le récit de Matthieu nous ouvre en filigrane à toute l’importance du dialogue avec les non croyants, occasion pour nous de chercher plus loin, d’approfondir notre foi, de la purifier, d’accepter qu’elle soit mise en question, interrogée, « d’aller nous renseigner avec précision sur l’enfant, d’entendre plus fortement l’appel fait à tous à la sainteté pour que tout homme puisse connaître le Christ.

13. Hérode nous ressemble

Remis devant la manifestation de l’amour de Dieu qui se propose d’être notre maître pour nous ouvrir au bonheur, il y a deux attitudes possibles :

Il y a d’abord l’attitude des mages, qui se prosternent devant l’enfant Jésus, laissent éclater leur joie, reconnaissent en lui un Dieu crucifié qui se propose d’ouvrir son règne à tout homme, ce qu’ils manifestent par leurs cadeaux :

  • à travers l’offrande de l’or, ils reconnaissent Jésus comme leur roi, celui qui se propose de régner sur toute leur vie ;
  • à travers l’offrande de la myrrhe qui sert à ensevelir les corps, ils reconnaissent en Jésus un roi crucifié qui se révèle sur la croix comme celui qui aime du plus grand amour, qui donne sa vie pour tous les hommes sans imposer son amour ;
  • à travers l’offrande de l’encens, ils reconnaissent en ce bébé couché dans une mangeoire, né dans la pauvreté absolue, leur Dieu.[4]

Il y a l’attitude d’Hérode, qui reconnaît tellement bien la grandeur de ce bébé qu’il n’a de cesse que de l’éliminer de sa vie. Il le reçoit comme un concurrent de sa prétention à être maître de tout, des autres, de sa vie. Devant cette vie qui naît, il n’a de cesse que de semer la mort.

Quand il nous arrive de percevoir de manière privilégiée l’appel de Dieu, son épiphanie dans notre vie, en nous se joue le même combat. Nous sommes partagés.

D’un côté nous sommes attirés vers une attitude d’accueil confiant, total, de celui qui se propose pour être notre maître, celui qui nous emmènera toujours plus loin dans une vie d’amour donné, reçu, partagé, celui dont la rencontre fait naître en nous un sentiment d’immense respect, nous amène à nous prosterner, à offrir tout, toute notre vie, à accepter d’avoir à repartir par un « autre chemin », renouvelé, différent, enrichi, d’avoir dû quitter quelque chose de nous pour nous ouvrir à lui, à nos frères.

D’un autre côté, nous sentons bien qu’il y a quelque chose à quitter de notre prétendue toute puissance, qu’il y a quelque chose, tout, mais pas d’un coup, jour après jour, avec la force de Dieu, à donner, pour entrer dans cette relation d’amour. Devant cet appel, nous sommes tentés de fermer les yeux, de tout mettre en œuvre pour éliminer le Christ de nos vies, celui qui apparaît comme un concurrent de notre « moi » qui refuse de grandir dans une « ouverture » à un « tu ».

Je me souviens d’un jeune séminariste aujourd’hui prêtre qui évoque, quand il raconte l’histoire de l’appel de Dieu dans sa vie, le moment de sa profession de foi : les accompagnateurs avaient proposé à ceux qui le voulaient et qui avaient pensé à être prêtres ou religieux, religieuses, de l’écrire sur un papier. Et il se souvient d’avoir écrit cet appel qu’il sentait très clairement en lui. Du jour au lendemain, il a alors arrêté pendant 10 ans, toute vie en Eglise. Après coup, il relit ça en disant : j’avais compris que si je continuais à venir, le Christ me demanderait toute ma vie. D’une certaine manière, il avait cherché à éliminer Jésus de sa vie pour un temps. Aujourd’hui, il témoigne de sa joie d’avoir laissé Jésus devenir son « maître » et du bonheur qu’il y reçoit.

Tout homme est habité par cette quête du sens, par cette quête de la rencontre… Et tout homme est partagé par ce combat intérieur quand il perçoit quelque chose de la manifestation de Dieu, cette tentation d’éliminer Dieu de sa vie.

14. D’un regard tourné vers le ciel à un regard posé sur un bébé

Etonnant itinéraire que celui des mages, de ces savants, férus de philosophie, d’astrologie, d’abstraction intellectuelle, passant leur temps à scruter le ciel, et se retrouvant à genou devant un bébé, dans un abris à bestiaux, au milieu du fumier, reconnaissant dans cet enfant fragile, en tout semblable à tous les enfants, le Fils de Dieu, Dieu lui-même se révélant à tous les hommes.

Etonnant itinéraire que celui des mages qui apportent à Jésus ce qu’ils ont de plus précieux, y compris de l’or, et qui découvrent en Jésus qui naît dans cet abris à bestiaux, dans le fumier, Dieu qui n’a pas peur de naître dans nos cœurs d’hommes blessés, habités par l’amour certes, mais aussi par l’immonde de toutes nos fragilités.

Ils reconnurent en lui la réponse à toute leur quête humaine : « il est le chemin, la vérité, la vie »[5]

A nous aussi, il est proposé de dépasser les questions du « pourquoi ? », du « comment ? », du « parce que », et même la question du bien et du mal, pour contempler en Jésus, dans toute sa vie, Dieu qui se fait connaître et qui nous dit à chacun :

  • « Pour toi, qui suis-je ? »[6]
  • « Toi, descends vite, il me faut aujourd’hui demeurer dans ta maison, dans ta vie, dans ton cœur ! »[7]
  • « aimez-vous les uns les autres ! »[8]
  • « Je ne suis pas venu pour les justes mais pour les pécheurs »[9]
  • « Je ne te condamne pas… va, et désormais ne pèche plus ! »[10]
  • « Toi, viens, suis-moi ! »[11]
  • « Il prit du pain et après avoir rendu grâce, il le rompit et le leur donna en disant : ‘Ceci est mon corps donné pour vous. Faites ceci en mémoire de moi’ ! »[12]
  • « Allez donc : de toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit, leur apprenant à garder tout ce que je vous ai prescrit. Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin des temps. »[13]

15. Le récit des mages nous renvoie au plus réel de notre vie

Au terme, nous sommes bien loin des discussions sur la manière dont s’est passée la visite des mages. Le message de Matthieu nous parle du plus réel de la vie de l’homme, de la vie de tout homme, de chacun de nous… il nous parle de la soif de la rencontre de Dieu, du sens de notre vie. A chacun de nous il est proposé de répondre à ces appels par toute notre vie.

Bruno Cadart, Epiphanie 1999

  • Réflexion suscitée par une question d’une jeune de l’Aumônerie des lycées d’Ivry Vitry à l’issue de la célébration de Noël sur le texte de la visite des mages (Mt 2,1-12)

[1] Marc 15,34

[2] Père Chevrier, Ecrits spirituels, 2ème édition, 1986

[3] « 1985, A la croisée des chemins… 1995, compagnons d’humanité », Supplément à Cap 94 n°275, p.12

[4] Cf. Sermon de Saint Pierre Chrysologue pour l’épiphanie

[5] Jean 14,6

[6] Matthieu 16,15

[7] d’après Luc 19,6 (la rencontre de Zachée)

[8] Jean 13,34

[9] Luc 19,10

[10] Jn 8,11

[11] Luc 9,59

[12] Luc 22,19

[13] Matthieu 28,19-20

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