1. Genèse et objectifs d’une initiative
En arrivant en brousse à Madagascar, si j’ai été émerveillé par la foi des gens et leur force pour faire des kilomètres pour venir célébrer, j’ai souffert de voir que notre action évangélisatrice se limitait trop à organiser, à « faire du culte », à ramasser le « Vokatra », à faire des retraites dans lesquelles les gens étaient passifs et devaient écouter pendant des heures sans être acteurs et sans que l’Evangile ne soit au centre.
Je souffre aussi quand on fait « passer des examens de catéchisme » où le plus pauvre, celui qui est moins soutenu par sa famille, se trouve recalé et où la foi est présentée comme un ensemble de notions et prières à réciter, tout en ne contestant pas l’importance d’un bagage à transmettre.
Arrivant du Brésil où « toutes » (évidemment pas toutes… mais beaucoup) les familles, même pauvres et illettrées ont la Bible, j’ai aussi été étonné de voir que presque personne n’avait la Bible ou au moins le Nouveau Testament chez lui.
Cela m’a amené à appeler les gens à acheter le Nouveau Testament en le vendant 3 000 Ariary au lieu de 7 000, à appeler les jeunes « sessionnistes » qui viennent se former une fois par mois au Centre de Promotion Rurale d’Ikalalao et aux responsables du F.E.T. (Mej en France) d’acheter le Nouveau Testament 1 000 Ar à condition qu’ils s’engagent à faire un « Cahier de Paroles de Vie » (fourni gratuitement), c’est-à-dire à essayer de lire la Parole de Dieu chaque jour, à choisir un verset qui leur touche le cœur, à écrire la date, la référence du texte médité, le verset ou « Parole de vie » choisi.
Par ailleurs (voir autre récit et vidéo sur le site internet), nous avons lancé des « Théâtres d’Evangile » ou « tableaux vivants » dans toutes les retraites (communion, confirmation) ou rassemblements d’Eglise (congrès F.E.T., etc) et nous appelons les fiangonana à préparer un « Théatre d’Evangile » joué après la proclamation normale de l’Evangile et avant l’homélie.
Le Père Chevrier, fondateur du Prado, disait que « connaître Jésus Christ, c’est tout », et il a été inventif pour étudier l’Evangile de manière contemplative, le faire étudier, provoquer les jeunes de la Persévérance à jouer l’Evangile (ceux qui avaient appris à lire, écrire et fait leur communion dans l’ancienne salle de bal du Prado pendant leur séjour de 6 mois et qui étaient maintenant autonomes, inserrés dans la vie).
Quand on fait étude d’Evangile sur tout ce qui est dit sur « Parole de Dieu », « Bonne Nouvelle », on voit qu’elle est non seulement un objet à transmettre, mais le sujet, l’acteur même de la transmission. Je suis convaincu qu’il faut aider les gens à « manger la parole » et servir ensuite ce qu’elle va provoquer dans les cœurs des gens. Je suis convaincu que l’urgence est d’autant plus grande que les sectes arrivent et attaquent les catholiques en disant que « les prêtres leurs interdisent d’avoir la Bible » parce qu’ils ont peur que les gens la lisent et s’aperçoivent qu’ils font de l’idolâtrie » en vénérant Marie. L’absence d’ancrage fort dans la Parole de Dieu rend plus vulnérables les gens aux pressions des sectes.
Quand je regarde Madagascar et tout ce qui peut être blessé dans le cœur des gens qui fait qu’ils volent les planches des ponts par exemple, que les aides reçues de l’extérieur sont souvent détournées ou amènent les gens à tout attendre de l’extérieur, à partir aussi de ce que j’ai pu vivre au Brésil, je suis convaincu que l’Evangile mis dans la main des pauvres peut toucher les gens et aider à se mettre debout.
Je dirais exactement la même chose en France où les blessures dans les cœurs des gens sont autres, mais où c’est la même urgence à aider à rencontrer la personne du Christ dans l’Evangile.
Les partages à partir de la guérison du paralysé de la Belle Porte ou sur le mensonge d’Ananie et Saphira en faisant le lien avec notre vie n’ont fait que me confirmer dans ce chemin.
Il ne faut pas sous-estimer tout l’impact de ce travail d’appel à lire l’Evangile, à le mettre en théâtre pour aider des jeunes à avoir envie de lire, écrire, s’exprimer, s’organiser, réfléchir, choisir, agir. Cela rejoint la dynamique éducative de Paulo Freire au Brésil qui a donné beaucoup de fruits.
Par ailleurs, en entendant souvent les catéchistes ou les prêtres se plaindre que, une fois que la première communion ou la confirmation aient été faites, les gens ne viennent plus, je me suis demandé comment aider à passer de « l’attente passive que les gens viennent à la fiangonana » à « l’action pour que l’Eglise aille vers eux ». Dans l’Evangile, nous ne voyons pas le Christ attendre que les gens viennent, même s’il doit parfois les fuir, mais nous le voyons sortir, aller vers.
Je voyais aussi la difficulté pour les équipes F.E.T. à se réunir, à mener des actions. Le lancement des « Théatres d’Evangile » pendant les célébrations des fiangonana avait déjà dynamisé des équipes, mais comment vivre « l’aller vers » ?
Encouragé par le Père Wilson Rakotonirina, directeur du district, lui-même en mission en France pour deux mois, et en profonde communion de prière avec lui que j’ai associé à notre mission devant les jeunes tout au long de ces jours, j’ai donc proposé de faire deux missions au mois d’août, période qui présentait deux avantages :
– pas d’autre activité pastorale qui pourrait être en concurrence
– présence des jeunes qui étudient en ville pendant l’année.
L’appel a donc été lancé auprès des sessionnistes pour une mission à Ikalalao (15 au 19 août 2012) et auprès des responsables F.E.T. pour la mission à Befeta (22 au 26 août 2012). Il a été élargi aux jeunes intéressés, aux catéchistes an-sitrapo (bénévoles) ou en titres ainsi qu’à des professeurs de l’école catholique.
J’ai aussi lancé cette initiative à cette période en pensant à tous ceux pour qui les J.M.J. sont inaccessibles à cause de leur coût. Je pensais aussi à ceux qui iraient aux J.M.J. pour qu’ils trouvent là une préparation, une formation.
Parfois, je m’inquiète de savoir comment, au-delà du fait de rassembler de nombreux jeunes, de vivre cette force du rassemblement, il va leur être donné d’entrer personnellement dans la rencontre du Christ dans l’Evangile, comment il y a eu une préparation, comment il y aura un suivi, une structuration d’une vie de disciple et d’apôtre.
Nous avons perdu toute la pédagogie des mouvements comme l’action catholique où le grand rassemblement était précédé par tout un travail en amont avec cahier de militant, méditation de l’Evangile personnelle et en équipe, regard sur la vie, vie en équipe, initiatives pour aller vers, accompagnement personnel des responsables, le tout se célébrant lors de grands rassemblements.
2. Le schéma type de la mission :
- Mercredi soir :
- Arrivée au centre
- Jeudi matin :
- Préparation par équipes du théâtre des Actes des Apôtres chapitres 1 à 9. Nous avons gardé le texte même en faisant des coupures (le choix de Mathias a été supprimé, les homélies de Pierre ont été légèrement raccourcies, celle d’Etienne a été réduite à l’introduction et à la conclusion, le reste étant résumé en une phrase), et en mettant en style direct les dialogues, en introduisant tel ou tel élément pour faciliter la mise en scène. Les noms géographiques (Ac 2, 8-11) ont été actualisés pour être compris par les jeunes (note : je tiens à disposition de qui veut les textes des évangiles ou des Actes des Apôtres déjà préparés pour être mis en tableau vivant).
- En fin de matinée, présentation par chaque équipe de son travail, pour permettre une première écoute et améliorer la mise en scène ou corriger ce qui n’aurait pas été compris par les jeunes.
- Jeudi après-midi :
- Messe avec liturgie de la Parole constituée par la présentation par chaque équipe de son théâtre, suivi du partage des « Paroles de vie » trouvées par les membres de l’équipe, et d’un dialogue avec le prêtre sur les « lumières » pour nous aujourd’hui, pour la mission. Entre les théâtres et au sein même des théâtres, s’intercalaient des chants facilitant l’écoute. Le choix d’une lecture longue était pour permettre une connaissance solide de la fondation de l’Eglise, de sentir la force de l’Esprit Saint chez les apôtres, hommes « simples et sans instruction », de voir la place centrale de Pierre, mais aussi celle de Marie, de permettre toute une catéchèse.
- Se sont ainsi succédées 6 équipes :
- Ascension et Pentecôte jusqu’au portrait de l’Eglise idéale (Ac 1 et 2) ;
- La guérison du paralytique, le discours de Pierre, le passage devant le tribunal (Ac 3 et 4) ;
- Ananie et Saphira, l’action des apôtres, nouvelle arrestation et comparution avec prise de parole de Gamaliel (Ac 5) ;
- L’institution des 7 diacres, le témoignage d’Etienne et son martyr ( Ac 6 et 7) ;
- La mission de Philippe en Samarie puis avec l’éthiopien (Ac 8) ;
- La conversion de Saul (Ac 9, 1-30)
- La messe a ainsi duré 2h45 et cela a permis aux jeunes de vivre le théâtre comme une prière et non un simple jeu. L’homélie s’est faite sous forme de dialogue avec eux après le passage de chaque équipe : « Paroles de vie » ? Lumières pour votre vie, la mission ?
- Préparation des visites dans la fiangonana (Ankarana pour Ikalalao, Ambodimanodila pour Befeta)
- Vendredi :
- Messe d’envoi en mission avec lecture de l’Evangile de l’envoi des 72 et bénédiction de l’eau, pour bénir les maisons, emportée par chaque équipe.
- Trajet pour la communauté et constitution d’équipes avec les jeunes de la communauté chargés de guider les « missionnaires » (6 équipes à Ankarana, 14 à Ambodimanodila)
- Visite de tous les hameaux de la communauté choisie (voir ci-après)
- Déjeuner des équipes dans les hameaux visités
- Après-midi : visites d’autres hameaux
- Préparation messe du lendemain
- Nuit sur place à Ankarana, retour au centre pour la mission à Ambodimanodila
- Samedi :
- Messe dans la petite communauté avec présentation de Actes 1 à 5 en théâtre puis lecture de l’Evangile du jour
- Déjeuner avec la communauté
- Après-midi : retour au centre et relecture (voir ci-après)
- Préparation de la messe de toutes les communautés liées à la communauté du centre
- Dimanche :
- Messe au centre avec les 8 ou 9 communautés liées à ce centre
- Les premières lectures ont été remplacées par Ac 6 à 9 sous forme de théâtre, tableau vivant. On a gardé l’Evangile du dimanche. (voir vidéos)
3. Le contenu des visites
Il s’agissait d’aider les catholiques à participer à la vie de la communauté et de donner un signe d’amitié aux personnes non catholiques, sans faire de prosélytisme comme peuvent le faire certains groupes religieux. Pour éviter que ça soit mal compris, les catholiques de la fiangonana visitée avaient prévenu les protestants du sens de notre initiative.
Un jeu de rôle avait permis de préparer les jeunes à visiter les gens, à dialoguer avec eux et à faire une proposition qui tienne compte de leur religion et de leur désir.
Dans le village principal, nous avons commencé par la visite de toutes les maisons. Les équipes se déplaçaient en chantant des cantiques, frappaient aux portes, se présentaient comme catholiques, demandaient si les gens étaient prêts à les recevoir (le cas le plus fréquent), dialoguaient avec les gens (votre famille ? votre religion ?).
Quand les gens n’étaient pas croyants : heureux de vous saluer, nous croyons en un Dieu qui aime tous les hommes, souhaitez-vous néanmoins que nous prions pour vous, que nous bénissions votre maison ? Dans ce cas-là, nous prions avec, à chaque fois, la lecture de l’Evangile de Zachée.
Quand les gens étaient protestants : heureux de vous rencontrer, vous qui êtes nos frères dans la foi, voulez-vous que nous prions ensemble ? Lecture de Zachée et partage des « Paroles de vie », prière du Notre Père mais pas du Je vous salue Marie, bénédiction si les gens le souhaitaient.
Chez les catholiques : idem avec questionnement sur la participation à la vie de la communauté, invitation à la messe du lendemain, prière du Je vous salue Marie en plus de chants, de l’Evangile de Zachée, du Notre Père, d’un partage d’intentions.
Dans les petits hameaux, nous arrivions en chantant, en appelant les gens à se rassembler sur la place du hameau. Nous nous présentions, invitions les gens à prier, lisions l’Evangile de Zachée. Souvent, nous l’avons mis en « théâtre », invitant les enfants à se joindre à la scène en faisant la foule qui suivait Jésus. Suivait un dialogue collectif à partir de l’Evangile : « Comment Jésus peut entrer aujourd’hui dans nos maisons, dans nos vies ? »
Dans un deuxième temps, nous avons suivi les gens qui souhaitaient que nous entrions chez eux et bénissions leurs maisons.
4. Réalisation :
4.1 Mission à Ankarana « fiangonana », communauté, qui dépend du centre de Ikalalao du 15 au 19 août
Le 15 août après-midi, la mission a commencé, mais pas comme je m’y attendais. 40 sessionnistes avaient promis de venir et je m’attendais à ce que, avec leurs amis, ils soient 50 ou plus. Ils n’étaient que 5. Il y avait aussi Mr Christian, formateur au Centre de Promotion Rurale.
Il n’y aurait eu aucun jeune, j’étais déterminé à monter quand même à Ankarana. J’ai été heureux de voir que le petit nombre ne m’avait pas déstabilisé et j’ai de plus en plus la conviction que c’est le Christ qui conduit, alors peu importe le nombre de personnes qu’il nous envoie.
Je ne peux pas oublier non plus qu’il commence lui-même « à la crèche », comme dit le Père Chevrier, de manière petite, humble, et que s’il y a les foules, on le voit prendre beaucoup de temps pour quelques uns, pour former les apôtres. J’étais heureux de pouvoir vivre cela avec Mr Christian et avec ces 5 jeunes filles : Florentine et Vola d’Ankarimbahoaka, Pascaline de Tsito, Janina d’Ambohibe, Marie-Roseline d’Anjoma.
Jeudi 16 août, nous avons préparé le théâtre du livre des Actes des Apôtres 1 à 5 et les visites des gens.
Vendredi 17, après avoir attendu que le crachin s’arrête, nous sommes montés à Ankarana. J’avoue que j’étais un peu inquiet : le catéchiste d’Ikalalao n’est même pas venu nous saluer alors qu’il habite contre l’Eglise et le Mpiadidy Paul n’était pas avec nous pour cette préparation… En descendant à pied le sentier rendu très glissant par la bruine qui plonge vers le ravin, j’ai fait une belle chute, sans conséquences.
Quand nous sommes arrivés à Ankarana, Paul nous attendait avec 15 jeunes et le catéchiste d’Ankarana. Tout était merveilleusement préparé, mais pas du tout comme je l’avais imaginé : je pensais qu’on aurait commencé par visiter les maisons une par une et eux avaient prévu d’appeler les gens pour qu’ils se réunissent sur la place de chaque hameau pour dialoguer et prier, ensuite de quoi, nous avons visité quelques maisons pour les bénir. Nous avons fait 6 équipes et visité tous les hameaux. Quelqu’un a été prévenir les gens de la fiangonana de Marodita que nous devions aussi visiter pour les prévenir que nous ne viendrions pas vu notre nombre réduit. Nous avons prévu d’aller les visiter le samedi 15 septembre.
L’accueil variait suivant les lieux, suivant s’il y avait des chrétiens catholiques engagés ou non, mais il a été bon partout. A 13h, nous avons déjeuné à l’église d’Ankarana, répété le théâtre avec les jeunes d’Ankarana, puis nous avons visité toutes les maisons du hameau du Mpiadidy.
La communauté avait tenu à ce que nous dormions sur place, chez l’habitant et a offert les repas du vendredi midi au samedi midi, merveilleux fruit de l’Esprit Saint que cette joie de nous accueillir et de partager avec nous.
Le samedi 18 août, nous avons joué les chapitres 1 à 5 des Actes des Apôtres pendant la messe. L’après-midi, nous sommes revenus à Ikalalao avec Christian et les 5 sessionnistes et nous avons fait la relecture (voir ci-après). Le dimanche, même chose pendant la messe des communautés dépendant d’Ikalalao.
4.2 Mission à Ambodimanodila, « fiangonana », communauté, qui dépend du centre de Befeta
Mercredi 22, je suis arrivé à Befeta avec les 5 mêmes sessionnistes enthousiasmées par la première mission et demandant à faire la deuxième, plus des jeunes d’Ankarana et des amis des 5 sessionnistes. Nous avons retrouvé de nombreux jeunes venus des diverses communautés de Befeta, ainsi que tous les catéchistes de ce centre et de nombreux professeurs, tous invités par le Mpiadidy Philibert. Au total, 79 personnes ont participé à la mission à Befeta dans la fiangonana d’Ambodimanodila.
Jeudi 23, en 6 équipes, nous avons mis en scène les chapitres 1 à 9 des Actes des Apôtres dans un climat vraiment très bon. Cela a donné un très bon partage à la messe du jeudi soir.
Vendredi 24, nous avons constitué 14 équipes et visité les 14 hameaux de la Fiangonana Ambodimanodila et tous les hameaux entre Ambodimanodila et Befeta lors du retour au centre le soir. A l’entrée de Befeta, les équipes s’étaient donné rendez-vous pour traverser Befeta ensemble en chantant.
J’avais remarqué que Père Victor, originaire d’Ambodimanodila, avait été ordonné prêtre à Befeta le 6 août 1992 il y a juste vingt ans. Aussi, nous l’avions invité à venir nous rejoindre pendant la mission et célébrer cet anniversaire avec nous. Il était donc avec nous le samedi matin à Ambodimanodila. Les jeunes ont joué les chapitres 1 à 5.
Quand les gens ont vu celui qui jouait le rôle d’Ananie mourir et être portés pour être enterrés avec les chants habituels pour la circonstance, ça a marqué les esprits, et, quand j’ai demandé ce qui avait tué Ananie : la parole de Pierre ? Mais comment l’apôtre d’un Dieu d’amour peut-il tuer ? Et d’alerter sur le mensonge qui tue dans nos vies, c’est peu de dire qu’ils écoutaient.
Beaucoup de joie profonde autant chez les jeunes, les catéchistes, que chez les gens d’Ambodimanodila.
Je crois que Victor était très ému et aussi étonné de voir la manière de faire la mission. Dans son mot après la communion, il a évoqué les divisions dans sa famille suite à des questions d’héritage, sa famille étant présente, et il a pu saluer de nouveau un oncle qui ne lui parlait plus.
L’après-midi : relecture avec les mêmes questions qu’à Ikalalao (voir ci-après). Le lendemain, messe avec toutes les communautés de Befeta présidée par Victor.
4.3 Relecture le samedi soir
Après avoir lu la suite de l’Evangile de l’envoi en mission des 72, quand Jésus réunit ses apôtres et leur fait raconter ce qu’ils ont vécu, l’après-midi a été consacrée à la relecture par équipes. Ensuite, nous avons inclu la remontée des équipes dans l’office de Vêpres. Avant chaque psaume ou cantique, 2 équipes partageaient leurs réponses à partir des questions suivantes :
– Où ai-je vu des signes de l’œuvre de l’Esprit Saint pendant les visites ?
– dans la vie des gens rencontrés ou dans les Actes des Apôtres, ai-je perçu quelque chose de l’appel de Dieu ?
– quelles décisions à partir de là ?
Mpiadidy Philibert et moi-même ont partagé notre relecture avant le cantique de Marie. Ce qui revenait aussi bien à Ikalalao qu’à Befeta :
Signes de l’œuvre de l’Esprit Saint :
- la joie dans nos cœurs et dans ceux des gens visités ;
- nous n’avions pas honte, pas peur pour parler aux gens ou jouer les Actes des Apôtres ;
- dans certains hameaux, on voyait des gens profondément croyants ;
- l’accueil des gens, tous les dons en argent, nourriture, qu’ils faisaient, y compris des familles protestantes.
Appels :
- en voyant des hameaux où presque personne ne savait lire, ou les gens disaient ne pas prier, ne pas aller à la fiangonana, on se dit qu’il faudrait faire quelque chose, que d’autres les visitent ;
- en voyant la joie des gens à se retrouver, j’ai fait part de l’expérience des gens du Brésil qui font des « groupes bibliques » et qui se retrouvent une heure toutes les semaines dans tous les hameaux pour prier une heure en lisant un texte d’Evangile, partageant les « Paroles de vie » et les lumières, les intentions de prière. Ils le font le mardi soir, mais pourquoi ne pas chercher quelque chose du même type dans les hameaux qui y seraient pêts ? Pourquoi ne pas le faire le jeudi (symbolique du jeudi saint) pour ne pas être trop prêt du dimanche et que ça ne remplace pas la prière à la fiangonana mais soit un appel pour y aller.
- Malgré les visites, l’Eglise d’Ankarana était loin d’être pleine et nous avons croisé Zakeu, qui était responsable dans cette communauté et est entré dans une secte évangélique. Il est important d’aider les gens à connaître la fondation de l’Eglise dans les Actes des Apôtres, d’aller les visiter.
- J’ai relancé l’appel par rapport à la maladie alcoolique et parlé du chemin des sessionnistes qui s’aident à devenir abstinents.
Décisions des jeunes et adultes ayant fait la mission :
- Acheter le Nouveau Testament pour ceux qui ne l’ont pas, faire cahier de vie ;
- Lancer une équipe F.E.T. et/ou aller faire des missions dans les hameaux avec les enfants ;
- Appeler les gens à prier dans le hameau ;
- Avancer vers la vie religieuse pour ceux qui sont sur ce chemin.
Le courage de Pierre et Jean pour annoncer l’Evangile malgré la prison et obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes, la guérison du paralytique aidé à se remettre debout, à sortir de ce qui le paralyse, le mensonge qui tue, la lapidation d’Etienne priant avec les mots de Jésus, puis le chemin de Philippe s’approchant de l’Ethiopien et faisant route avec lui, la conversion de Saul, ont touché les cœurs. Des jeunes et adultes ont acheté 4 bibles, 6 nouveaux testaments et il faut que je renouvelle le stock. Tous demandent à faire d’autres missions.
Les catéchistes devaient avoir une réunion entre eux avec le Mpiadidy pendant la mission. Philibert a fait le choix que leur réunion consiste à participer tous à la mission et ils étaient manifestement très marqués.
4.4 Accompagnement d’aspirantes à la vie religieuse et de séminaristes au cours de la mission :
A Ikalalao, parmi les 5 jeunes filles, il y avait Florentine, 17 ans. Je l’avais repérée avec son dynamisme lors des sessions d’une semaine chaque mois au Centre de Promotion Rurale. J’étais passé visiter sa famille quand son père venait de mourir et, bien qu’elle soit la cadette, c’est elle qui avait mené l’accueil puis la prière avec beaucoup d’autorité. Je l’ai aussi vu animer avec beaucoup d’amour et de force une équipe d’enfants pendant la retraite de première communion, j’avais vu son « Cahier de Paroles de Vie » tenu très fréquemment depuis 9 mois, dans lequel elle marquait aussi les lumières qu’elle trouvait dans l’Evangile, et je m’étais dit que j’allais essayer de parler avec elle, mais elle avait pris les devants et était venu me dire :
– « J’aurais voulu être religieuse mais ma maman m’a dit que ce n’était pas possible car j’étais trop pauvre et que je n’avais pas pu étudier au-delà du CEP ».
Depuis, elle a découvert le Prado et qu’il n’y avait pas besoin d’avoir le bac ou le bepc et elle s’apprête à faire un stage en communauté. Elle a vécu la mission avec une intensité qui m’a émerveillé.
Il y avait aussi Mr Christian (formateur au centre d’Ikalalao). Il est aussi en recherche de vie religieuse après deux essais qui n’ont pas abouti, entre autre à cause de son niveau scolaire (CEP). Il a commencé une réflexion pour être laïc consacré du Prado, ayant la même vie que tous les laïcs, mais faisant le choix de suivre le Christ au milieu des pauvres dans le célibat consacré à l’école du Père Chevrier.
Cette mission en petit comité a été un temps particulièrement propice pour accompagner Mr Christian et Florentine.
Parmi les 79 personnes, il y avait 2 aspirantes à la vie religieuse et 5 petits séminaristes originaires de notre district plus un autre originaire d’un autre diocèse et en vacances à Befeta.
A Befeta, le premier réflexe des séminaristes a été de chercher un lit dans le presbytère, de penser qu’il y aurait un repas à part pour eux avec le prêtre, de vouloir diriger. Il a fallu leur indiquer un autre chemin et j’ai pris un temps de relecture spécifique avec eux le samedi soir.
Au moment de la relecture finale avec tout le monde, une des choses qui est revenue dans les expressions de plusieurs des 6 équipes : « Ce qui a été super, c’est qu’il n’y avait personne à part ; le mpiadidy et le prêtre ont mangé avec nous, comme nous ; on était tous ensemble. Il n’y en avait pas qui était « au-dessus des autres ».
Je ne pouvais pas ne pas penser au travail du Père Chevrier avec les jeunes qu’il accompagnait vers le ministère ou la vie religieuse au milieu des autres jeunes. Je ne pouvais pas non plus ne pas partager ses questions sur la formation des prêtres de son temps qui éloignait les jeunes des pauvres et d’une vie simple au milieu et avec les pauvres, en vivant comme eux.
Pourquoi cette tradition des prêtres, des religieuses, mis à part, mangeant mieux que les autres, servis et non pas signes du Christ lavant les pieds de ses apôtres et choisissant la dernière place ?
En plus des 8 petits séminaristes et aspirantes à la vie religieuse, à la messe du dimanche, il y avait 3 séminaristes en théologie à Vohitsoa, un séminariste qui étudie à Yaondé pour être O.M.I. et une religieuse carmélite, tous originaires du district de Befeta… Sans oubier Victor qui présidait… Impressionnant !
4.5 Une expérience de la Providence
J’ai invité les 5 jeunes qui ont fait la première mission à venir sans kapoaka de riz et de tsara maso parce que j’avais senti qu’ils avaient envie de faire la deuxième mission mais ne pouvaient pas apporter la quantité demandée à deux missions consécutives en période de soudure. Je comptais aussi sur eux pour aider les autres, peut-être peu nombreux comme à Ikalalao, que nous allions trouver à Befeta. 6 autres jeunes sont venus sans nourriture. Avec les dons faits spontanément par les gens visités, y compris par des protestants, les dons ont compensé les sorties ou les non entrées. C’est quelque chose que j’ai déjà constaté d’autres fois et qui m’étonne toujours.
5. Conclusion et perspectives :
Jésus a exulté sous l’action de l’Esprit Saint en voyant les apôtres revenir de mission. Il y avait quelque chose de cela dans mon cœur, dans celui des Mpiadidy.
Je sais bien que nous n’en sommes qu’au début, mais j’espère que cela suscitera des initiatives chez les catéchistes, les responsables F.E.T., à commencer par la période de Noël. L’an dernier, le 24 décembre, dans les 36 fiangonana du districte, les jeunes ont mis en tableau vivant l’intégrale des chapitres 1 et 2 de St Luc plus quelques extraits de Matthieu.
Cette année, s’il était possible que, le 23, dans toutes les fiangonana, ils s’organisent pour aller visiter tous les hameaux, jouer le passage de la naissance de Jésus, interpeller les gens en leur demandant s’il y a place chez eux pour que le Christ puisse naître, comment préparer cette place, et inviter à la célébration avec tableau vivant de Luc 1 et 2 à la Fiangonana le 24, et à la messe de Noël au Centre le 25, ça pourrait être une belle suite…
En attendant d’entendre que des équipes F.E.T. se sont effectivement lancées dans des visites aux enfants des villages.
Père Bruno Cadart, prêtre du diocèse de Créteil, France, fidei donum dans le diocèse de Fianarantsoa, prêtre adjoint dans le district de Befeta, responsable de la formation pour les prêtres du Prado à Madagascar.
Récit rédigé à la Retraite des prêtres du diocèse de Fianarantsoa, Antananarivo, le 30 août 2012
[1] Thème de l’Assemblée des prêtres du Prado de Madagascar 2012 et du Prado Général à Lyon en juillet 2013.