Le jeudi 24 décembre, en m’appuyant sur ce que j’avais préparé et médité mais non pas écrit, j’ai fait une homélie en écho à 2 contes de Noël présentés par les jeunes de l’aumônerie de Nontron (Dordogne, France), et à un montage power point évoquant l’actualité présenté par une équipe d’adultes, lors de la veillée qui a précédé la messe de la nuit de Noël.
Des gens m’ont demandé mon texte en insistant. J’accepte de remettre par écrit le message partagé ce soir là sans prétendre redire mot pour mot ce que j’ai pu dire.
Manifestement, ce message a rejoint ce que nombre des participants à cette messe portaient dans leur cœur ou les a touchés.
Je n’oublie pas et garde dans mon cœur et dans ma prière la réaction agressive et bien différente de chrétiens traditionnalistes se présentant comme ayant voté pour le Front National, venus me prendre à partie à la sortie de l’église. Elle ne fait que confirmer l’appel que je sens pour l’Église aujourd’hui à ne pas se tromper de chemin dans un moment dur de l’histoire.
D’abord, un grand merci aux jeunes de l’aumônerie pour les deux « contes de Noël » qu’ils nous ont présentés et qui nous ont aidés à entrer dans la prière, dans le mystère de Noël. Merci aussi à ceux qui ont préparé le montage évoquant toutes les souffrances du monde aujourd’hui.
Il n’est pas possible de célébrer Noël sans avoir dans le cœur tous les événements qui ont marqué cette année et que le montage vient d’évoquer. Quand je vois la situation à Madagascar, ou celle au Mozambique où j’étais au mois de novembre et où la guerre semble vouloir reprendre, quand on a dans le coeur ce qui s’est passé à Paris et dans tant d’autres pays du monde, on comprend que les bougies « paix », « amour » et « foi » du premier conte, se soient découragées et n’aient plus eu la force de briller.
Nous avons entendu le récit de la naissance de Jésus. La venue du Fils de Dieu dans notre monde n’est pas une légende, un conte pour enfants. Cela s’est vraiment passé. En méditant les lectures, je me suis remis devant la situation du pays de Jésus : la vie n’était pas plus facile du temps de l’empereur Auguste et du gouverneur Quirinius. Joseph et Marie – qui était enceinte – avaient été obligés d’aller à pied à Bethléem à cause des caprices d’un tyran, comme ces milliers de personnes que l’on voit à la télévision. Les massacres, les injustices, ne manquaient pas. Pourtant, c’est ce monde là que Dieu aime, c’est dans ce monde là qu’il naît, c’est ce monde là qu’il nous appelle à aimer et auquel il nous envoie.
Dieu aurait bien des raisons de se décourager. Il avait envoyé de nombreux prophètes. Beaucoup ont été tués, leur message n’a pas été entendu. Paradoxalement, plus l’homme rejette l’amour de Dieu, et plus il manifeste son amour : il choisit d’envoyer son Fils. Il n’y a pas de place pour Marie et Joseph, Dieu ne se retire pas. Il n’a pas peur de naître au milieu des plus pauvres, dans la saleté d’un abri pour animaux. Il n’a pas peur de naître dans nos cœurs habités aussi par les ténèbres, dans notre monde en proie à la violence.
En 2015, il n’y a pas eu que des mauvaises nouvelles ! Je vous invite à lire le message pour la paix du Pape François. Dans ce message, il y a des lumières fortes pour nous. Lui-même nous invite à ne pas regarder seulement ce qui est douloureux, à ne pas nous laisser prendre par les images fortes qui passent en boucle sur les télévisions, au point même de nous « anesthésier ». Ce sont les mots du Pape. Il nous appelle à ne pas seulement regarder la violence, mais aussi ce qui peut en être la source. Il nous appelle encore à ne pas nous tromper de chemin pour construire la paix, à la construire en suivant le Christ, en l’accueillant en nous.
Je vous invite aussi à lire le texte du Pape François appelant tous les catholiques à vivre une « année de la miséricorde ». C’est un appel à entrer plus dans cet amour sans limite du Christ pour nous et à témoigner de cet amour sans limite du Christ pour tout homme.
Je garde de cette année 2015 une autre bonne nouvelle : le voyage du Pape en Centrafrique. Voilà un pays qui est déchiré par des horreurs sans limite. C’est un conflit ethnique avant d’être un conflit religieux. Ce qui a permis le voyage du Pape, c’est qu’il y a un archevêque à Bangui, Mgr Dieudonné Nzapalainga, qui a choisi de suivre le Christ même au milieu de la haine. Je vous invite à aller lire son portrait sur le site du journal La Croix.
Chaque semaine, il risque sa vie et parcourt 500 km malgré la guerre pour aller prendre soin de musulmans accueillis dans une communauté religieuse dans une enclave chrétienne. Il a tissé des liens d’amitié avec un Imam et un Pasteur protestant, et, ensemble, ils ont osé donner un signe de paix et de réconciliation quand leurs peuples sont pris par la peur et la haine. Quand le Pape François a décidé d’aller là-bas, malgré les injonctions qu’il recevait de ne pas le faire, à cause des risques très réels qu’il courait, il y a été sans s’inquiéter pour sa vie. Je garde comme un signe fort de la présence du Christ qui naît aujourd’hui parmi nous la célébration de la messe au stade de Bangui à laquelle des musulmans sont venus participer, accueillis par les applaudissements des chrétiens.
Ce qui me fait peur, ce ne sont pas d’abord les terroristes de Daech. Bien sûr que c’est terrible. Ce qui me fait peur, c’est de voir monter la peur, la haine, la tentation des visions simplistes, la tentation de généraliser, de voir en chaque musulman un terroriste, de ne plus se reconnaître frère de tout homme. Les résultats des récentes élections, et de savoir que nombre de chrétiens entraient dans cette tentation de la haine, de l’exclusion, du repli sur soi, m’inquiètent tout autant. Certains prétendent défendre les « valeurs chrétiennes » en prenant un chemin qui n’a rien à voir avec le chemin du Christ. Il ne s’agit pas de défendre des valeurs, il s’agit d’accueillir le Christ, et de l’accueillir sur le chemin où il vient nous rencontrer, le chemin de l’amour sans limite, de la vie donnée.
De son temps, il n’a pas manqué de pharisiens qui, prétendant défendre les valeurs, la pureté, ont rejeté le Christ et l’ont crucifié. Jésus nait, aime et donne sa vie pour tous les hommes sans exception. C’est sur ce chemin qu’il nous appelle.
J’ai aimé votre deuxième conte de Noël, quand les outils de l’atelier du charpentier sont tentés de s’exclure mutuellement, parce qu’ils n’arrivent pas à s’accepter différents. On rejette la scie parce qu’on la trouve grinçante et mordante, le clou parce qu’il est trop pointu… pourtant, ensemble, mis en action par la main du Charpentier, du Créateur, du Père des cieux, ils sont appelés à construire le berceau pour accueillir son Fils.
J’ai aimé la manière du Pape François de nous appeler à la paix, à la miséricorde, dans ce moment troublé. Il ne prétend pas avoir la solution à ces problèmes difficiles : Comment accueillir tout ce flux de migrants massif ? Comment résoudre les problèmes de tant de pays ? Que faut-il faire en Syrie, en Irak, en Lybie et ailleurs ? Mais il alerte contre les visions simplistes et habitées par la haine. Je vous invite encore à aller lire le texte du Pape pour la journée de la paix.
J’aime la manière dont il a invité toutes les communautés religieuses à passer d’un problème qui nous dépasse, qui nous fait peur, et pas sans raison, à la rencontre du visage du frère. Ainsi, il a demandé à toutes les communautés religieuses d’accueillir une famille. Cela ne résoudra pas le problème, mais cela nous ouvre à l’accueil du Christ qui s’identifie à l’étranger, au malade, au prisonnier, au pauvre et à vivre la rencontre de l’autre concret. À Limonest, au séminaire, nous nous sommes préparés pour accueillir 2 familles. Elles ne sont pas encore arrivées. Par contre, un voisin du séminaire et deux séminaristes m’ont donné de vivre un réveillon du 31 décembre pas banal. (voir récit au bas de cette page)
Quand nous sommes tentés par la peur, la haine, de prendre un autre chemin que celui du Christ, j’aime regarder les témoignages de chrétiens de Syrie. Ils sont accessibles sur mon site internet. J’aime à regarder Myriam, 10 ans. Elle a dû quitter sa maison à Irkoush, elle est en camp de réfugiés et elle répond aux questions d’un journaliste. Elle prie pour les gens de Daesh, elle dit même croire que Dieu les aime. Elle parle de pardon. Allez regarder cette vidéo. Sâchez chercher les informations qui nous aident à aimer et non celles qui nous anesthésient ou font monter en nous la haine.
Il y a aussi une vidéo de prêtres ayant subi la violence de Daesh, ayant été otages. Ils disent aux chrétiens d’Occident : « Wake up ! » « Réveillez-vous ! » « Vivez vraiment votre foi ! ». Les premières images d’atrocités de Daesh font attendre une vidéo de propagande islamophobe diffusée pour propager la peur et la haine devant des faits réels et inquiétants. Mais rien à voir. Il ne s’agit pas de laisser faire Daech, mais ils parlent de pardon, et même de donner notre vie sans peur. Ils nous appellent, nous les chrétiens d’Occident à nous réveiller, à vivre vraiment notre foi et ils ne s’inquiètent pas seulement de l’action terrible de Daesh, mais de voir les Occidentaux laisser tomber leur foi, ne plus la vivre, de ne plus se retrouver en Eglise.
Je m’adresse de nouveau à vous, les jeunes de l’aumônerie :
– Il y avait 4 bougies, et il y en a une qui ne s’est pas éteinte et qui a rallumé toutes les autres. Quel était son nom ?
– L’espérance.
– Elle s’est levée toute seule pour allumer les autres, la paix, l’amour et la foi ?
– Non. C’est un enfant qui l’a portée et qui a été rallumer avec la bougie de l’espérance les trois autres bougies
– C’est un enfant. Je t’appelle à ne jamais oublier cette réponse. Jésus ne sauve pas le monde par magie, tout seul. Il a besoin que nous le laissions naître en nous, prendre corps en nous, vivre en nous, que nous devenions ses yeux, sa bouche, ses mains, son cœur, et que nous le portions aux autres.
Je prie pour vous, que vous ne laissiez jamais votre foi s’éteindre, que dans ce monde difficile que Dieu aime et où il veut naître, vous lui donniez votre vie et le portiez aux autres, en prenant le chemin qu’il a pris, le chemin de l’amour.
Père Bruno Cadart, Nontron, 24 décembre 2015
prêtre du diocèse de Créteil