Homélie en hommage au Père Jacques Hammel, à Nontron, le 29 juin 2016 (Père Bruno Cadart)

Le Père Hamel a été assassiné par deux Jihadistes le mardi 26 juin alors qu’il célébrait l’eucharistie à Saint Etienne du Rouvray, près de Rouen (France). Voici l’homélie faite lors de la journée de jeûne et de prière à l’appel du Président de la Conférende des Evêques de France et des responsables des Eglises protestantes, évangéliques, orthodoxes, juives, musulmanes en France.

Aujourd’hui, c’est la fête de Sainte Marthe, et il y a le choix entre l’Évangile de Marthe et Marie chez Luc (Luc 10, 38-42) ou celui de la résurrection de leur frère Lazare chez Jean (Jean 11, 1-50). Le jour de la fête de Marthe, je ne trouve pas très gentil de lire celui de Luc dans lequel elle n’a pas le bon rôle. De plus, l’Évangile de la résurrection de Lazare est particulièrement adapté à l’hommage que nous voulons rendre au Père Jacques Hamel.

Au Prado, avec le Père René Mathieu, qui concélèbre avec moi ce soir et qui sera votre nouveau curé à partir de septembre, nous nous aidons à chercher dans l’Évangile, chaque jour, des lumières pour suivre Jésus. Nous le faisons en particulier dans les moments de ténèbres. Permettez-moi de vous partager quelques lumières trouvées dans le récit de la résurrection de Lazare que nous venons de proclamer.

Les cris des hommes dans ce passage de l’Évangile

Ce qui a retenu mon attention, tout d’abord, ce sont des cris. Le cri de Marie qui n’a même pas daigné sortir de chez elle quand elle apprend que Jésus approche de Béthanie et qui finit par s’approcher de Jésus à l’appel de Marthe en lui reprochant de manière forte :

– « Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort. »

J’aime sa manière de ne pas avoir peur de lui crier sa souffrance.

Et puis, il y a les gens qui voient Jésus pleurer devant la souffrance de Marthe et Marie. Certains disent :

–  « Voyez comme il l’aimait ! »

Mais quelques-uns d’entre eux dirent :

– « Celui qui a ouvert les yeux de l’aveugle n’a pas été capable d’empêcher Lazare de mourir. »

J’aime, dans ces moments d’incompréhension profonde devant une souffrance insoutenable, contempler Jésus sur la croix, qui nous a rejoint jusque dans ce cri :

–  « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? »

Mais il ne s’en arrête pas au cri, il donne sa vie par amour et il dit :

–  « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font. »

Au début de ce moment de méditation, de recueillement, que nous soyons croyants ou non, ce peut être important de regarder ces cris de souffrance, de révolte qui habitent nos cœurs, qui habitent le cœur de ceux qui nous entourent, de ne pas les nier pour pouvoir les laisser être réorientés. Il y en a de toutes sortes. Je ne vais pas énumérer tous les cris de peur ou de xénophobie. J’ai parfois mal en écoutant les réactions de certains politiques dont on attend autre chose.

Parmi ces cris, il y a tous ceux qui disent :

– « Comment pouvez-vous croire que Dieu existe quand on voit une telle barbarie qui monte dans le monde entier ? »

Il y a ceux qui accusent les religions d’être responsables de la guerre. Comme si l’Islam vécu en vérité ou la foi chrétienne vécue en vérité étaient sources de guerre, comme s’il s’agissait d’une guerre de religions.

J’aime le cri de Marthe :

–  « Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort… »

parce qu’elle poursuit aussitôt :

–  « … Mais maintenant encore, je sais que tout ce que tu demanderas à Dieu, Dieu te le donnera. »

C’est pour cela que nous sommes là : demander à Dieu de nous donner cette force de l’amour auquel le Christ nous invite dans l’Évangile, lui demander l’Esprit Saint.

J’aime la manière dont Marthe laisse Jésus l’ouvrir à la foi en la vie capable de jaillir même au plus profond de la mort.

Les paroles et les actes de Jésus :

J’ai aimé contempler aussi les paroles et les actes de Jésus dans cet Évangile.

Il y a d’abord une phrase étonnante :

–  « Cette maladie n’aboutira pas à la mort, elle servira à la gloire de Dieu : c’est par elle que le Fils de Dieu doit être glorifié. »

Il y a quelques années, une religieuse infirmière, atteinte de la Sclérose Latérale Amyotrophique, maladie qui l’a conduit en 2 ans à la mort par paralysie totale de tous les muscles, avait demandé à ce que je l’aide sur ce chemin. Notre première rencontre avait eu lieu un vendredi saint, après la célébration de la Passion. Elle m’avait annoncé le diagnostic, dit la conscience très claire qu’elle avait du chemin qui l’attendait, puis elle avait commenté :

« Il y a une phrase de l’Évangile qui m’a toujours révoltée, c’est quand Jésus dit en parlant de Lazare : « Cette maladie n’aboutira pas à la mort, elle servira à la gloire de Dieu… » Comment Dieu peut-il vouloir se servir de la maladie pour sa gloire ? Eh bien, maintenant, cette phrase de l’Évangile me parle comme jamais avant. La maladie n’est pas envoyée par Dieu. Mais je demande que l’Esprit Saint fasse que ma maladie ne conduise pas à la mort, même si je sais bien que je vais mourir, mais qu’il me soit donné de manifester la gloire de Dieu au cœur de cette maladie. »

Et c’est ce qui a été donné à cette sœur qui a rayonné de manière impressionnante tout au long de cette maladie.

En méditant cette phrase, je pense à la mort du Père Jacques Hamel. C’est ignoble, c’est de la barbarie qui nous laisse sans mots. Le Père Jacques n’a pas désiré cette mort. Mais voilà qu’au cœur de l’ignoble, cet événement n’aboutit pas à la mort.

D’abord, se retrouve en pleine lumière la grandeur de la vie de ce prêtre qui a donné sa vie et continuait de semer l’Évangile à 86 ans. Sans l’avoir voulu, il nous fait comprendre mieux la portée des phrases que le prêtre dit à chaque messe, que nous disons tous avec lui :

« Ceci est mon corps livré pour vous… Ceci est mon sang versé pour vous… »

Se manifeste aussi la grandeur de ce rassemblement de quelques chrétiens âgés qui témoignent de l’amour du Christ, sans bruit, chaque jour. Et je pense à tous les prêtres âgés qui continuent à rester en tenue de service, à toutes ces petites assemblées âgées qui se retrouvent fidèlement, à votre équipe d’animation paroissiale qui anime la paroisse de Nontron depuis un an, sans curé nommé, avec l’appui d’un administrateur, le Père Jean-François Lozano.

Quand, hier midi, j’ai proposé de ne pas célébrer seulement dans ma famille, m’attendant à ce que nous nous retrouvions quelques chrétiens à l’Eglise de Nontron, j’ai été dépassé par l’action de votre EAP (Equipe d’Animation Paroissiale). Jamais je n’aurais imaginé célébrer ce soir devant une assemblée nombreuse, avec des élus de plus de dix communes, avec une feuille de chants prête, une annonce dans les journaux, sur le panneau lumineux de la ville, avec la présence de ceux d’entre vous qui ne partagez pas notre foi. Pour moi, c’est aussi un signe de cet événement qui ne conduit pas à la mort mais qui est appelé à servir à la gloire de Dieu.

Nous avons commencé la célébration en évoquant les appels de diverses confessions religieuses de notre pays à s’unir dans la prière, et l’appel lancé par Conseil français du culte musulman (CFCM) aux responsables de mosquées, aux imams et aux fidèles musulmans à se rendre dimanche 31 juillet à la messe dans une église proche de chez eux pour exprimer « solidarité et compassion » après « le lâche assassinat » d’un prêtre. C’est aussi un signe de cet évènement qui ne doit pas conduire à la mort.

Je ne connais pas le Père Jacques Hamel, si ce n’est par les journaux, mais je suis sûr que ça ne serait pas le respecter que d’utiliser cet évènement pour faire grandir la haine.

Il y a une autre phrase de Jésus qui m’a touché. Quand il est encore en Galilée, il annonce à ses disciples qu’il va aller à Jérusalem. Il sait qu’il va mourir sur la Croix. Et quand ses disciples lui déconseillent d’y aller à cause du risque d’y mourir, Jésus répond :

– « N’y a-t-il pas douze heures de jour ? Si quelqu’un marche de jour, il ne trébuche pas parce qu’il voit la lumière de ce monde ; mais si quelqu’un marche de nuit, il trébuche parce que la lumière n’est pas en lui. »

Il ne dit pas qu’il ne va pas mourir, mais il appelle à marcher de jour, à la lumière de l’Évangile, et non pas à celle des ténèbres qui habitent nos cœurs, pour ne pas risquer de « trébucher ».

J’aime l’amitié forte de Jésus pour Marie, celle-là même qui avait une vie cassée et qu’il avait laissée s’approcher de lui, lui laver les pieds de ses larmes, les essuyer avec ses cheveux, les embrasser. J’aime son amitié pour son frère Lazare, sa sœur Marthe. A travers cette famille chez laquelle il vient demeurer, c’est toute notre humanité qu’il vient encore visiter aujourd’hui.

J’aime le voir pleurer devant leur douleur, ne pas faire de théorie sur le pourquoi de la mort injuste, du mal, aller jusqu’à donner sa vie pour nous.

J’aime sa manière de nous associer à son action quand il donne trois ordres forts. D’abord :

–    « Enlevez la pierre ! »

Quand je dois célébrer un enterrement dans des circonstances particulièrement difficiles, j’aime prendre cet Évangile. Cette pierre, ce n’est pas seulement la pierre qui ferme le tombeau de Lazare, c’est le boulet qui nous écrase quand la souffrance se fait trop forte. Aujourd’hui, quand j’écoute les conversations des gens, les discours politiques, cette pierre qu’il faut que nous enlevions, c’est le boulet de la haine, du racisme, des propos globalisants, du rejet, de l’injustice, aussi, qui fait le terreau de toutes les dérives vers la barbarie. En disant cela, je ne veux en aucun cas justifier la dérive de ces jeunes si incompréhensible.

Il y a ce deuxième ordre, cet impératif fort :

–    « Lazare, sors ! »

C’est à nous tous que Jésus s’adresse : sors de la mort, de tout ce qui détruit la vie en toi, dans la société, viens à la vie !

Et il y a encore ce troisième ordre :

–    « Déliez-le ! »

A Madagascar, pour aider les jeunes, nous mimions l’Évangile au cours des messes. Ils avaient mimé l’Évangile de Lazare et l’un d’entre eux gisait entre deux nattes, au pied de l’autel, totalement enroulé dans des linges, y compris son visage. Quand celui qui tenait le rôle de Jésus a crié : « Lazare, sors ! », nous avons vu une momie se dresser. Nous avons tous été saisis. Des jeunes ont alors enlevé tous ces liens.

Oui, il nous faut nous aider mutuellement à délier tout ce qui nous enferme dans la haine, dans la mort, dans la peur, dans l’individualisme, dans une vie sans perspective d’engagement pour une société fraternelle.

Il y a une autre parole de Jésus qui résonne en moi, c’est quand il dit aux apôtres : « Ne craignez pas ceux qui tuent le corps, mais ne peuvent tuer l’âme ; craignez bien plutôt celui qui peut faire périr âme et corps dans la géhenne. » (Mt 10, 28) Ce qui se passe est vraiment horrible, mais si nous y regardons bien, le risque pour chacun de mourir d’un attentat est très inférieur au risque encouru chaque fois que nous prenons la voiture. Par contre, je crains vraiment, si nous ne luttons pas contre ces forces de mort en nous, que nous perdions notre âme, si nous abandonnons les valeurs de la république, si nous prenons un autre chemin que le chemin de l’Évangile.

Je vous ai déjà dit la surprise qui a été la mienne devant les initiatives de l’Equipe d’Animation Paroissiale, et je tiens à redire à vous les élus, en particuliers à ceux d’entre vous qui ne partagez pas notre foi, combien votre présence est importante pour nous ce soir. C’est bien le service de la fraternité que, tous, vous rendez en acceptant une tâche souvent ingrate, où vous donnez de vous-mêmes, de votre temps, risquant toujours les procès, pour construire une société qui vive des valeurs de la République : liberté, égalité, fraternité.

Autres paroles adressées à Jésus ou au nom ou à cause de Jésus :

J’ai aimé aussi méditer ces paroles adressées à Jésus, et d’abord cette parole qui lui est dite quand il est encore en Galilée :

–    « Seigneur, celui que tu aimes est malade. »…

C’est bien ce que nous disons au Christ, ce soir, dans la prière :

–    « Seigneur, cette terre que tu aimes est malade… »

J’aime encore cette parole de Marthe quand elle va chercher Marie cloîtrée dans sa douleur :

–    « Le Maître est là et il t’appelle »

C’est une phrase que j’aime à me redire quand j’ouvre l’Évangile, où chaque fois que je me retrouve dans une rencontre difficile :

–    « Le Maître est là et il t’appelle »

C’est une phrase que nous pouvons nous redire. Dans ce moment difficile, et sachant qu’il y aura d’autres attentats, qu’on aura beau mettre des policiers partout, si jamais c’est possible, cela n’empêchera pas ceux qui ont perdu la raison de tuer s’ils le veulent, il nous faut nous redire :

–    « Le Maître est là et il t’appelle »

Le Dieu d’amour est là qui nous appelle à nous engager dans la construction d’un monde fraternel.

J’aime encore l’inconscience de Thomas. Quand Jésus dit sa détermination à aller à Jérusalem alors même qu’il sait que la mort l’attend, Jésus qui ne renonce pas au message d’amour qu’il vient donner, Jésus qui donne sa vie, Thomas répond :

–    « Allons, nous aussi, et nous mourrons avec lui. »

Oui, allons, nous aussi, avec Jésus, avec le Père Jacques Hamel, avec les religieuses dont on peut lire le témoignage de leur dialogue avec les terroristes, et de leur vie offerte consciemment, et donnons notre vie par amour, engageons-nous pour un monde fraternel, proposons aux jeunes un sens à la vie, communiquons une foi joyeuse, aimante et aimable, donnons une image de l’engagement politique, associatif, crédible.

Lettre de Jean :

Pour terminer, je reprends quelques phrases de la lettre de Saint Jean que nous avons entendue :

–    « Bien aimés, aimons-nous les uns les autres, puisque l’amour vient de Dieu. Celui qui aime est né de Dieu et connaît Dieu. Celui qui n’aime pas n’a pas connu Dieu, car Dieu est amour. Voici comme l’amour de Dieu s’est manifesté parmi nous : Dieu a envoyé son Fils unique dans le monde pour que nous vivions par lui. »

 

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