Chapitre 10 – A la première unité, que sommes-nous devenus 18 ans plus tard, en 2004 ?

Par Annick Sachet et Pascale Fouassier

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En parodiant Alexandre DUMAS, ce chapitre pourrait s’intituler « 20 ans après ».

20 ans après l’arrivée de Bruno Cadart dans le service, 17 ans après la soutenance de sa thèse, qu’en est-il de l’action menée avec lui et qu’en est-il de notre esprit militant ? Comment le service a t’il traversé ces années ?

1. Morphologie actuelle du service :

Exit la 1ère Unité : maintenant on parle du service « Arche ». Les rénovations architecturales successives ont eu lieu et le nombre de lits dont j’ai la responsabilité a considérablement diminué. Nous sommes passés de 224 lits de long séjour à 62 lits répartis en 38 lits de SLD (Soins de longue Durée), 20 lits de SSR (Soins de Suite et Réadaptation)[1] et 4 lits d’Aigus constituant une unité de soins palliatifs gériatriques.

2. La naissance de l’unité de soins palliatifs :

Dans les suites du travail mené avec Bruno Cadart et toute l’équipe, nous avons pu ouvrir des lits de moyens séjours (20 lits non sectorisés, « volants »). Notre compétence à prendre en soin des patients arrivés au terme de leur existence a été reconnue dans l’institution et par nos collègues extérieurs à l’hôpital. Nous avons donc vu au fil des ans que très souvent nos lits de soins de suite étaient occupés par des patients relevant de soins palliatifs.

Cela a fini par devenir un problème car l’ensemble du personnel ne souhaitait pas s’investir dans les soins palliatifs, et d’autre part, nous n’en avions pas réellement les moyens en personnel. De plus, nos locaux étaient inadaptés.

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Nous avons donc profité de la dernière tranche de modification architecturale – celle qui signait la fermeture des dernières salles communes de l’AP-HP[2] – pour positionner au sein du secteur des lits de SSR… 4 lits avec des annexes (postes de soins – salon – cuisine – chambre d’hôte – bureau médecin – bureau psychologue…), de façon à pouvoir les transformer en lits de soins palliatifs gériatriques. Années après années, ce projet a été présenté à nos instances budgétaires … et plusieurs fois refusé.

En 1998, nous avons obtenu quelques vacations médicales pour faire fonctionner une équipe mobile. Cela nous a permis d’embaucher le Docteur Pascale Fouassier dont l’action a été déterminante pour la création du projet soins palliatifs.

Et puis, la situation s’est débloquée en 1999, et nous avons obtenu sur les crédits ciblés soins palliatifs (Plan Kouchner[3]) des créations de poste de personnel soignant.

Notre centre de soins palliatifs a vu le jour en Mai 2000, comprenant une unité de 4 lits de Soins Palliatifs Gériatriques, une équipe mobile (mi-temps médical – mi-temps psychologue), une consultation (douleur-soins palliatifs).

En 2002 et 2003, l’équipe a pu être renforcée par la venue d’une secrétaire médicale et d’une Infirmière pour l’Equipe Mobile.

3. Le secteur de soin de longue durée :

La rénovation architecturale a considérablement pénalisé l’organisation possible des soins. Nous nous sommes retrouvés avec 3 salles de 14 lits réparties sur 3 niveaux différents.

Les actions d’animation restent importantes : fêtes, collaboration active avec le forum J. Vignalou…

L’esprit qui régnait dans le service du temps de Bruno est resté, tout au moins, j’essaie de le faire perdurer. Mais, il y a des ratés.

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La présence médicale est moindre car dispersée sur les différents secteurs. Les médecins attachés et internes se succèdent. Il faut les former avec plus ou moins de réussite. Le personnel a beaucoup changé et une part de l’histoire du service se perd.

Les traitements antalgiques et les soins de confort restent prioritaires. On essaie toujours de laisser des prescriptions anticipées et de baliser les dossiers pour les internes de garde, mais il faut bien reconnaître que c’est moins systématique que du temps de Bruno Cadart.

Nous avons beaucoup travaillé sur l’évaluation de la douleur chez les patients âgés non communicants. Nous avons rallié le groupe de gériatres travaillant sur l’ECPA (échelle comportementale de la personne âgée). Nous utilisons moins souvent DOLOPLUS, mais elle est également toujours à la disposition du soignant.

L’insuffisance de personnel en Soins de Longue Durée est toujours d’actualité. Certains jours, cela va, mais d’autres ! Quand on se retrouve avec un aide-soignant pour prendre en soins 14 patients très dépendants, cela laisse mal à l’aise. Quelle qualité de soins peut-on alors donner ? Et une « fin de vie » au milieu de cela, nécessitant une présence plus grande, des soins de bouche, du « nursing-cocooning », comment est-ce possible ?

Il y a une autre difficulté : en ayant dans le même service une Unité de Soins Palliatifs avec les moyens qui y sont attachés et une Unité de Soins de Longue Durée ne disposant pas des mêmes moyens, je ressens vivement le fait que la mort peut se dérouler « à 2 vitesses ».

Bien sûr, à l’Unité de Soins Palliatifs, nous prenons les patients en fin de vie les plus symptomatiques, ceux dont la charge en soin est très lourde. C’est notre vocation d’U.S.P. Il n’empêche que, dans certains cas, ces patients ne sont pas très différents de ceux de Soins de Longue Durée et je vis très mal cette situation de ne pouvoir donner à chacun la qualité des soins qu’il requiert. Cet état de fait est évidemment ressenti de la même manière par l’ensemble du personnel et demande beaucoup de communication au sein du service pour désamorcer les jalousies territoriales.

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4. Au niveau de l’institution :

L’ensemble des services de l’hôpital a soutenu le projet de création du centre de soins palliatifs.

L’équipe mobile est régulièrement sollicitée par l’ensemble des services pour un compagnonnage et une formation au lit de malade.

Le traitement de la douleur, les soins palliatifs sont entrés dans le programme des cours effectués chaque semestre aux internes.

Un C.L.U.D. (Comité de Lutte contre la Douleur) est né en Septembre 1999, j’en assure la présidence. Si la naissance de ce Comité de Lutte contre la Douleur doit beaucoup aux ordres venus d’en haut (Lois KOUCHNER), son existence ne s’est ni contestée, ni remise en cause.

Un autre groupe transversal s’est formé sous l’égide du Professeur MOULIAS et de Martine MARZAIS (Directrice du Service de Soins Infirmiers) : il s’agit du groupe R.E.D. (Rencontre Ethique et Déontologie) qui organise des réunions de réflexion en éthique et déontologie.

L’hôpital a également conduit toute une réflexion sur la prise en charge des patients décédés et de leur famille.

5. Les actions du service de l’arche :

Le service a continué à s’investir dans des actions de formation à l’intérieur comme à l’extérieur, mais le plus souvent de façon beaucoup moins multi-pluridisciplinaire que du temps où Bruno Cadart travaillait avec nous.

Les aides-soignants, infirmier(e)s et cadres infirmiersn’ont pas perdu la parole…mais il est plus difficile de les emmener avec nous, ne serait-ce que pour des raisons d’effectifs.

Il y a par contre, davantage de soignants formés et les médecins ont pu compléter leur connaissances en effectuant des formations universitaires (Soins Palliatifs – Ethique – Plaies et cicatrisations – Douleur). Formation riche à la fois par leur contenu, mais aussi par les rencontres qu’elles suscitent.

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6. L’avenir… :

Mon action dans le service s’est clairement positionnée sur le développement des Soins Palliatifs, que ce soit l’équipe mobile qui se développe remarquablement grâce à l’investissement du Docteur Fouassier, ou le développement de l’Unité d’hospitalisation dont nous souhaitons augmenter la capacité. 4 lits ne nous permettent pas de fonctionner en autonomie et nous ne pouvons faire face à toutes les demandes.

En regardant en arrière, on a vraiment l’impression que le service comme l’institution dans son ensemble, ont beaucoup progressé dans le domaine de la prise en charge de la Douleur de la fin de vie, et de la réflexion éthique.

Les ratios de personnel se sont améliorés, mais parallèlement, l’état de nos patients a changé. Ils nous arrivent plus âgés, plus malades et/ou dépendants qu’avant. Leur séjour parmi nous est plus bref (même en SLD). Nous avons toujours cette insatisfaction de ne pas arriver à faire ce qu’il faudrait…Cette impression de toujours manquer de temps…de bras…. Je repense à l’expression qu’avait employée Marie-Geneviève Freyssenet en s’adressant à Madame Guigui[4] : « On retient d’une main le rocher de Sisyphe et de l’autre on remplit le tonneau des Danaïdes »

C’est un peu cela… s’investir dans un service hospitalier gériatrique.

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7. Perspectives d’avenir :

Après trois ans de fonctionnement, nous prenons conscience à travers l’U.S.P. et l’équipe mobile que le parcours des personnes âgées en fin de vie est souvent difficile avant d’arriver jusqu’à nous avec des transferts aux urgences parfois injustifiés ou au contraire des maintiens à domicile qui craquent faute de soutien adapté et par insuffisance de prise en charge des symptômes alors même que la personne l’aurait souhaité.

Les professionnels jeunes et moins jeunes paraissent souvent démunis, sans repères éthiques clairs pour les aider à prendre la décision la plus adéquate.

Tout ceci nous incite à envisager, pour l’avenir, de développer nos liens avec le domicile et les maisons de retraite et de mettre notre expertise au service des professionnels plus isolés.

Actuellement, nous proposons des consultations externes dans ce but. Prochainement, nous espérons nous déplacer à l’extérieur.

L’avenir devrait être au développement de réseaux de liens entre professionnels de santé, services sociaux, associations, familles, bénévoles pour utiliser au mieux les ressources locales qui pourraient répondre au désir profond de la personne en fin de vie.

8. Echo d’une famille

On trouvera ci-après un exemple de courrier reçu à l’unité de soins palliatifs. Là, il s’agit d’une famille ayant vécu douloureusement les soins reçus par leur grand-mère tant qu’elle n’avait pas été prise en charge par une unité de soins palliatifs.

On voit que la souffrance initiale se retourne en désir de contribuer à soutenir cet effort pour accueillir l’autre jusqu’à son dernier souffle non provoqué dans un service qui traite la douleur et les autres symptômes et prend en compte l’ensemble de ses besoins.

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                                                                Le 13 Mars 2001

A toute l’équipe de l’Unité de Soins Palliatifs,

Ma grand-mère est décédée dans votre service à l’âge de 98 ans.

Loin dans mes souvenirs, je me rappelle l’avoir entendue évoquer les souffrances qu’endurait son corps vieilli. Je me rappelle ces heures passées au téléphone, à l’entendre évoquer ses doutes quant à l’utilité de prolonger sa vie alors qu’à 80 ans passés, il lui semblait que la vie avait bien peu à lui offrir et qu’elle se sentait un poids pour sa famille. Souvent je l’ai entendue se demander à haute voix ce qu’elle avait bien pu faire pour mériter un tel chemin de douleur.

Elle souhaitait finir ses jours dans le calme et la discrétion ; s’évanouir dans son sommeil, dans sa maison, dans son village, tout près de l’endroit où repose son mari depuis trente-sept ans. Au lieu de cela, plusieurs fois ces dernières années, une fois l’hiver venu, elle a du être transportée en urgence dans des lieux qui offraient une infrastructure médicale indispensable. Lieux pourtant inappropriés à une très vieille personne, trop fragile pour pouvoir supporter le bruit, la promiscuité, les horaires militaires, la brutalité du personnel. Et surtout, lieux où le patient subit une violence morale extrême.

Que peut ressentir une personne qui a mené une longue vie courageuse et digne lorsqu’elle doit attendre de longs moments qu’on la délivre de ses propres excréments ? Lorsqu’elle doit subir la soif parce que sa carafe d’eau est trop lourde pour elle ? Lorsqu’elle doit passer la journée dans le silence parce que l’appareil téléphonique n’est pas à porter de sa main ? Alors qu’elle n’ose plus rien demander au personnel soignant de peur de s’exposer à la rancune ? Et par dessus cela, l’attitude du personnel médical, fantômes blancs qui passent dans un tourbillon, palpent et chahutent le patient tel une concasse, ordonnent des examens mystérieux, n’ont que le temps de grommeler des formules savantes.

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Paradoxalement, les mêmes personnes qui au nom de philosophiques principes refusent le dernier recours à leurs patients démunis, leurs retirent toute humanité pour ne les traiter que comme de vieux paquets de chair. Que peuvent faire les familles qui n’ont ni les moyens matériels, ni les connaissances pour éviter cela ? Que dire à une personne qui ne se fait plus d’illusions sur son âge, et n’a plus assez d’espoir en l’avenir pour engager un nouveau combat ?

Ma grand-mère souhaitait deux choses : ne plus souffrir, et terminer ses jours dans la sérénité. Ce n’est qu’après un long parcours qu’elle aura pu les réaliser dans votre service. Toute proche de l’échéance, elle a pu évoquer celle-ci sans appréhension avec sa famille ; comme cela devrait être pour toute chose naturelle. Elle a pu pleinement profiter du présent qui restait, que ce soit en riant avec nous (et vous), en dégustant une tartine de foie gras, ou en s’offrant à elle-même un cadeau. Elle a reçu l’écoute, l’attention, le respect que nous les jeunes lui devions, et qui lui étaient infiniment plus nécessaires que n’importe quel acharnement thérapeutique à guérir un corps qui ne lui était plus d’aucun secours. Enfin, elle s’est éteinte quand elle s’est sentie prête.

De prime abord, je ne peux m’empêcher de penser que la simple existence de votre équipe et que ma grand-mère ait pu en bénéficier, est un miracle. Pourtant, je suis bien persuadé que seules une volonté et une persévérance farouches ont permis cela.

Du fond du cœur, je remercie tous ceux qui y ont contribué, leur souhaite bonne chance dans leur entreprise, et si je peux vous être utile, merci de me le faire savoir.

Cordialement.

Le petit fils d’une patiente de l’U.S.P. de Charles Foix

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[1]      On ne parle plus de lits de « long ou moyen séjour » mais de lits de « soins de longue durée ou de suite et réadaptation »

[2]      L’Assistance Publique Hôpitaux de Paris

[3]      Secrétaire d’état à la Santé à ce moment là en France

[4]      Au moment où Bruno Cadart a réalisé sa thèse, Marie-Geneviève FREYSSENET était la psychologue du service et Madame GUIGUI en était la surveillante générale. Leur engagement déterminé a été un élément majeur du travail réalisé ensemble.

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