Chapitre 5 – Face aux demandes d’euthanasie

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La souffrance est parfois telle que la mort est ressentie comme préférable à la vie et qu’une demande d’euthanasie, de mort provoquée, est alors exprimée.

C’est une question fondamentale par rapport à laquelle l’équipe a concrètement dû se situer dans la mise en place de l’accompagnement des personnes en fin de vie. Elle est réfléchie ici à partir de cette pratique en gériatrie long séjour, mais elle peut être étendue à d’autres situations et je constate que les équipes qui accompagnent réellement les malades mourants, qu’ils soient jeunes ou vieux, cancéreux ou atteints d’une autre maladie, tiennent le même discours, que ce soit en France, en Angleterre, au Canada, aux U.S.A., en Suisse ou ailleurs.

1. Définition du mot « euthanasie » :

Ce mot est utilisé dans des sens divers ce qui crée une grande ambiguïté dans les débats.

Patrick Verspieren relève trois utilisations différentes du mot euthanasie :

–     la lutte contre la souffrance sans que soient clairement précisés les moyens employés (simple analgésie ou mort provoquée).

–     la suppression de la vie d’un malade incurable.

–     la décision de s’abstenir d’employer auprès d’un malade incurable de moyens techniques qui pourraient (peut-être) prolonger sa vie, mais qui seraient source d’inconfort ou de souffrance[1]

Je n’utiliserai, dans cette thèse, le mot euthanasie que dans un seul sens proposé par Patrick VERSPIEREN :

Définition

« Euthanasie, fait de donner sciemment et volontairement la mort ; est euthanasique le geste ou l’omission qui provoque délibérément la mort du patient dans le but de mettre fin à ses souffrances. »[2])

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Ce geste ou cette omission sont à distinguer très clairement de « l’abstention thérapeutique » quand elle est un choix fait en vue de répondre à des besoins de base jugés prioritaires par rapport à la satisfaction du besoin « maintien de la vie », lorsque ces besoins ne sont pas compatibles, ou quand elle est respect du non consentement de la personne à des soins qu’elle juge insupportables et ne répondant pas à son désir profond. Il s’agit donc de ne pas mettre en oeuvre des traitements possibles en théorie, dans le but de respecter le désir profond de la personne ou de lui permettre de satisfaire à des besoins que ces traitements empêcheraient de satisfaire. Un tel choix peut avoir pour conséquence que la mort ne soit pas empêchée, mais son but n’est pas de donner la mort.

Certaines abstentions, ne respectant pas les conditions définies dans le chapitre précédent, ont clairement une dimension euthanasique.

Ainsi, ne pas apporter de l’eau, à une personne qui ne peut plus la prendre par elle-même et qui ne la refuse pas, parce que l’on n’est pas prêt à prendre les moyens de lui proposer cette eau et que la vie de cette personne n’a plus de sens à nos yeux, est de l’euthanasie.

En Janvier 1984, lorsque, certains jours, le service tournait avec 1 aide soignante pour 56 personnes et 1 infirmière pour 112 de garde, les soignants n’arrivaient pas à proposer ne serait-ce que de l’eau aux personnes dépendantes. 15 pensionnaires ont été trouvés déshydratés le lendemain par l’équipe de jour et ont dû être perfusés.

Un médecin, informé de cette situation, au lieu de réagir sur le manque de personnel, s’est interrogé sur l’intérêt des perfusions chez les « vieillards de long séjour »…

Une telle abstention basée sur la non reconnaissance de la dimension de personne du vieillard en long séjour, qui consiste, à ne pas répondre à ses besoins, dans les conditions précisées dans le chapitre précédent, et qui revient à accepter, en connaissance de cause, qu’aucun des besoins ne soient satisfaits, à tolérer que la personne soit abandonnée, est un acte d’euthanasie et même une oeuvre d’extermination des plus faibles, de ceux qui sont ressentis comme indésirables.

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Si l’on pousse plus loin l’analyse, ce qui se rapproche de l’euthanasie, dans une telle situation, c’est l’attitude de la société dans son ensemble qui accepte de laisser fonctionner des services de long séjour dans une telle carence de personnel.

Un même traitement mis en place dans des situations différentes et dans un but différent sera ici un véritable soin, permettant à l’autre de vivre, ailleurs, un acte d’euthanasie visant à provoquer la mort de la personne, à la tuer.

Par exemple, mettre une dose très importante de morphine et d’anxiolytique à une personne, dans le but de « l’endormir », en allant jusqu’à utiliser des doses provoquant la dépression respiratoire et la mort est clairement de l’euthanasie.

Mais, mettre les mêmes doses, voire même des doses supérieures, à une personne qui souffre physiquement en respectant les règles de prescription permettant à cette personne de voir ses douleurs calmées, son angoisse traitée, sans la plonger dans l’inconscience,[3] n’est pas de l’euthanasie (mort provoquée) mais un soin qui permet à la personne de communiquer de nouveau avec autrui, de vivre.

Si l’on se trouve devant des douleurs très importantes ou une dyspnée particulièrement aiguë, accepter, en mettant des doses très importantes – en respectant les règles de prescription – de prendre un certain risque que la durée de vie soit écourtée, du fait de cette prescription, un risque proportionné à la situation, pour permettre à la personne de vivre en relation et de ne plus être réduite à un corps de douleur, n’est pas non plus de l’euthanasie.

La visée de l’acte posé n’est pas la mort. La mort est acceptée comme conséquence éventuelle, comme une complication dont on met tout en œuvre pour cherche à limiter le risque de survenue par une connaissance plus poussée des antalgiques et de leur maniement.

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Avec Patrick Verspieren, nous appellerons ce risque : le risque antalgique en référence au risque opératoire : lorsque l’on tente une opération quelle qu’elle soit, on vise, la guérison, la vie, mais on accepte de prendre un certain risque appelé « risque opératoire » que la personne décède du fait de l’intervention.

Une bonne connaissance du maniement des antalgiques permet de diminuer considérablement le « risque antalgique », au point même que l’utilisation d’antalgiques majeurs, le plus souvent, ne raccourcit pas la durée de vie et peut, au contraire, l’allonger, en permettant à la personne de retrouver l’appétit, le goût de vivre, la possibilité de ne plus être exténuée par la douleur ou la sensation d’étouffement et en lui redonnant éventuellement la possibilité de recevoir, de nouveau, des traitements à visées curatives.[4]

2. Fréquence des demandes d’euthanasie par le malade

La demande d’euthanasie exprimée par le malade lui-même est rare. Elle est même rarissime dans les services qui ne fuient pas la mort, traitent la douleur, prennent en compte l’ensemble des besoins de la personne et l’accompagnent.

Ainsi Blandine Beth écrit :

« Signalons qu’il est exceptionnel qu’un malade, accompagné, qui ne souffre pas, se suicide ou demande l’euthanasie. Il n’en existe pas un seul connu dans l’histoire du St Christopher Hospice, même parmi les 50 % de patients qui rentrent chez eux avec une bouteille entière de morphine. Il est même étonnant de voir que chez les cancéreux ou les mourants il y a une immense volonté de vivre et un espoir qui demeure jusqu’aux derniers instants. »[5]

A la maison médicale Jeanne Garnier, à Paris, clinique spécialisée dans l’accueil des patients cancéreux au stade terminal, il n’y avait pas plus de deux demandes exprimées pour 400 décès par an.[6]

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Dans le cas particulier des personnes âgées, une telle demande semble encore plus exceptionnelle comme le note Renée Sebag Lanoë[7] à partir d’enquêtes qu’elle a faites, et de travaux réalisés aux Etats-Unis[8], « l’acceptation de la mort et celle de l’euthanasie sont deux choses distinctes. Si la première augmente avec l’âge, la seconde est moins importante chez les vieillards (…) ». Renée Sebag Lanoë dit avoir rencontré moins de 5 demandes en 8 ans d’exercice.[9]

Je parle jusqu’ici des « demandes d’euthanasie » comme s’il s’agissait d’une réalité univoque.

Il s’agit en fait de situations diverses :

Cela peut-être une demande de mort ou une demande d’être tué. Cette demande peut s’imbriquer dans une négociation ou se situer en dehors d’une relation. La personne peut demander à être tuée par la famille, des proches ou par le médecin… Cela peut-être un appel aux significations diverses à décoder de la même façon que Murray Parkes nous invitait à entendre la signification particulière à chacun des « j’ai peur de mourir ».

On ne peut réduire à une demande d’euthanasie le fait qu’une personne âgée répète : « J’aimerais mieux être morte ». Une relation, une écoute, une négociation amèneront à préciser l’objet de cette demande. Ce peut être l’expression d’une difficulté à vivre, une demande d’aide, une revendication d’autres conditions de vie, une demande de mourir naturellement et aussi, parfois, une demande d’être tuée.

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3. Causes des demandes exprimées par le malade

3.1 La peur de la douleur :

La demande est faite par la personne devant des douleurs intolérables ou par crainte de la survenue de douleurs importantes, de sensation d’étouffement. Elle traduit une absence de confiance du malade vis à vis de l’équipe soignante et vis à vis du médecin en général. C’est une conséquence de la carence aiguë du corps médical en matière de traitement de la douleur et d’accompagnement.

Cette peur, cette absence de confiance, nous l’avons particulièrement rencontrée avec Madame Batéot, malade évoquée ci-après.

3.2 Histoire de Madame Batéot[10] :

« Madame Batéot, 80 ans, parfaitement lucide, est entrée dans le service le 6 Juin 1984.

–     « J’ai un cancer du poumon, je n’ai plus aucune famille, je viens ici pour mourir, donnez-moi la mort ».

C’est en raccourci ce qu’elle nous a dit en arrivant. Elle était tellement essoufflée et pâle que nous avons immédiatement fait un bilan qui s’est avéré normal, à part une opacité sur la radio de poumons qui avait beaucoup régressé suite à une radiothérapie. Nous avons passé du temps à l’écouter. Dans les jours qui ont suivi son arrivée, elle nous a dit que son père, sa mère, sa soeur, son mari étaient morts en étouffant et qu’elle allait en faire autant. Comme pour les autres malades nous lui avons expliqué notre rôle, les moyens dont nous disposions et nous l’avons mise sous corticoïdes. Nous lui avons garanti que nous ne la laisserions pas souffrir. Elle s’est remise à respirer, à vivre.

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Au départ, elle refusait absolument tout examen complémentaire, toute consultation en cancérologie. Après un temps de négociation, elle a accepté de consulter en cancérologie à condition d’être accompagnée par Agnès, l’interne qui m’avait accueilli comme externe, et après que nous nous soyons engagés à ne faire aucun exemple complémentaire ou traitement sans son accord. Nous souhaitions savoir de manière plus précise où elle en était de son cancer, si son refus de tout soin était totalement justifié, si nous arriverions à la convaincre de faire un traitement curatif au cas où cela soit raisonnable. La consultation nous a convaincu que son refus de soin curatif n’était pas le fruit d’une peur démesurée et que son appréciation de sa situation était adaptée.

S’il en avait été autrement, nous aurions essayé de lui faire valoir l’intérêt d’un traitement curatif mais sans passer outre son refus. Nous aurions eu d’autant plus de chances de la convaincre que l’accueil de sa parole et l’engagement de notre part à la respecter avait fait naître une confiance.

En tous cas, par rapport à la demande initiale de mort, elle avait repris confiance et goût en la vie, ne restait plus au lit toute la journée, s’habillait, venait aux sorties du service en bateau-mouche, au zoo de St Vrain. Du 6 Juin au 25 Septembre, la situation est stable.

Le 25 Septembre elle est très essoufflée en raison d’une embolie pulmonaire. La tumeur a de nouveau augmenté de taille. A mon arrivée les infirmières m’attendent et me disent :

–     « tu ne peux pas la laisser comme ça ».

Sous-entendu, l’euthanasie est la seule solution.

Je vais voir Madame Batéot, l’examine, puis je m’assieds sur son lit. Je me suis alors fait agresser, ou plutôt tester :

–     « La vie est irrespirable, donnez-moi la mort »… Long silence

–     « Vous m’aviez dit que je ne souffrirai pas, que vous seriez là… »

Pendant 3/4 d’heures je suis resté sur son lit, silencieux, perplexe. Elle me questionnait, puis attendait. Mais la demande était claire, elle voulait la mort. Soit j’acceptais, et je me mettais en contradiction avec ce que nous disions depuis que nous avions plus particulièrement mis l’accent sur l’accompagnement des mourants, soit je refusais et fuyais son lit, ce qui n’était pas mieux…

Au bout de trois quarts d’heures, elle s’est redressée sur son lit, m’a regardé et a dit:

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–     « Vous êtes encore là ? »

La relation a alors changé du tout au tout. Elle avait vu que je n’avais pas fui, que je n’avais pas étouffé ses questions et que, malgré sa révolte, j’étais resté sans chercher à avoir réponse à tout, sans nier ce qu’elle ressentait, et en particulier le côté « irrespirable » de la vie pour elle.

Dès lors l’échange a été très différent. Finalement, comme elle respirait, certes rapidement, mais sans signe de lutte, j’ai fini par lui dire qu’il me semblait qu’elle respirait encore assez bien, qu’elle ne souffrait pas (ce qu’elle me confirma) et qu’elle avait surtout peur de mourir d’étouffement et seule. Je lui ai redit que notre rôle n’était pas de la tuer, ni de prolonger coûte que coûte sa vie, que nous ne la laisserions pas souffrir et que nous serions là. Pour ce faire, nous l’avons prévenue qu’avec le Dr Sachet, nous laisserions nos coordonnées pour pouvoir être joints à tout moment. D’autre part, nous avons augmenté les corticoïdes, adjoint des anxiolytiques et nous avons laissé une prescription très détaillée pour que les infirmières et l’interne de garde puissent intervenir en attendant notre arrivée. Quand l’équipe a vu que nous laissions nos coordonnées, qu’ils ne se retrouveraient pas seuls face à elle si elle étouffait, plus personne n’a parlé d’euthanasie et tous l’ont entourée.

Pendant quatre semaines, nous n’avons jamais été appelés, elle respirait mieux, continuant à se lever mais ne s’habillant plus. Le 16 octobre au matin, elle a fait une importante dyspnée qui a cédé avec des corticoïdes et des anxiolytiques.

Mais sans point de repère (il n’y a aucun enseignement en faculté sur ce problème), j’ai eu peur et, après en avoir parlé avec Annick Sachet et en équipe, nous avions fait mettre les constituants d’un cocktail lytique dans la pharmacie. Nous avions ajouté qu’il ne fallait rien faire sans nous avoir d’abord joints. C’était une façon de nous rassurer, d’être sûrs de ne pas laisser Mme Batéot dans des souffrances insupportables, même au nom d’un repère éthique fondamental et auquel nous adhérions.

Déjà, en 1986, je signalais que je ne réagirais plus de la même façon. Le cas s’était d’ailleurs reposé depuis 1984 et nous n’avions à aucun moment envisagé de cocktail lytique, de mort provoquée.

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L’attitude à avoir dans un tel cas, n’était pas d’envisager un cocktail lytique, mais de savoir prendre un risque antalgique proportionné aux maux dont elle souffrait en visant de calmer la dyspnée pour lui permettre de vivre de nouveau en relation avec autrui.

En 2003, en cas de situation aiguë non contrôlée autrement malgré un traitement bien conduit, et uniquement dans ce cas qui doit rester rare, la solution consiste à provoquer une « sédation réversible », un sommeil léger au moment d’une souffrance aiguë non calmée autrement sans mettre de dose susceptible de provoquer la mort.[11]

Dans la même période, Madame Batéot a accepté de rencontrer « en plus » Marie Geneviève Freyssenet, psychologue du service. Je vous livre un bref résumé de ses notes de travail :

La proposition était la suivante : « pour s’en aller, pour mourir, parfois il reste quelque chose à dire, à faire ou à penser et qui retient ».

Sa réponse a été en plusieurs temps :

–     « A quoi bon encore parler ? Je n’ai plus rien à dire, je n’ai pas eu une belle vie. »

–     Puis nous avons fait un peu connaissance : D’où elle était ? D’où j’étais ? Quel métier ? Mariée ? Enfants ? Parents ? Logement ? Elle a dit qu’elle comprenait bien que « de déménager ça vous cause du souci ».

–     Puis « mariée deux fois, je n’ai pas été heureuse. Je n’ai pas eu de vie, voilà ! »…

–     « aidez-moi à chercher dans mon sac et dans mes papiers. Je veux savoir ce qu’il me reste sur mon compte ». Ses papiers étaient confus. Madame Guigui, la surveillante générale du service s’est renseignée et a transmis le renseignement par écrit.

N’ayant plus d’enfant, elle a choisi de « fleurir ses parents ». « 100 francs pour chaque, 1 violette et 1 blanche ».

Elle a du faire un effort de mémoire pour nous dire exactement à quel cimetière il fallait porter les fleurs.

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Le reçu du fleuriste lui a été transmis. Par la suite, elle a précisé qu’il s’agissait de son oncle et de sa tante qu’elle considérait comme ses parents véritables.

Entre le 27 et le 29 cela était réglé.

Quant à moi, elle m’a fait appeler le dimanche 28 en fin d’après-midi : j’étais à une rencontre au Centre Sèvre entre personnes engagées dans la mise en place ses soins palliatifs et je venais de prendre la parole suite à une question d’un participant sur le traitement des sensations d’étouffement ; je venais juste d’expliquer que, depuis que nous laissions nos coordonnées 24h/24, Mme Batéot allait bien et n’avait plus posé de problème, quand quelqu’un a transmis le message que le Docteur Cadart était attendu d’urgence à l’hôpital Charles Foix… tout le monde a compris ce qui se passait…

Quand je suis arrivé à l’hôpital, je l’ai trouvée respirant parfaitement bien et, si je n’avais pas soupçonné qu’elle avait vérifié la solidité de l’engagement que nous avions pris, j’aurais eu de quoi trouver qu’elle exagérait. Je n’ai rien changé au traitement et j’ai passé une heure avec elle. Quand je suis parti, elle était toujours calme et respirait sans difficulté importante même si elle avait une vraie gêne liée au cancer qui continuait d’évoluer.

Le lendemain elle dit à la psychologue:

–     « Et le docteur est venu, un dimanche après-midi… Voyez-vous cela ! »

Il était clair qu’elle avait testé le système et vérifié que ce qui lui avait été promis serait tenu, qu’elle pouvait faire confiance à la parole des soignants, qu’elle ne serait pas seule au moment de sa mort, qu’elle n’étoufferait pas.

Le 29, je reste jusqu’à 19h ; elle est de plus en plus faible. Elle parle également avec nous de la tombe de ses parents à fleurir, de son enterrement auquel elle souhaite que nous soyons.

Le 30, la situation est tellement instable que je prends 3 jours de garde pour adapter le traitement au fur et à mesure. Je suis très peu auprès d’elle car je dois répondre aux appels de tout l’hôpital mais ma présence la rassure et rassure l’équipe. Avant de partir en week-end, le Docteur Sachet discute avec elle pour savoir si elles doivent se dire « au-revoir » ou « adieu ».

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A 21h, quand je passe, toute l’équipe est autour de son lit et ils parlent de leurs dernières vacances chez eux aux Antilles. Elle rit, demande du Monbazillac. Comme nous n’en avons pas, nous trinquons avec du Pineau des Charentes. Elle en boit une gorgée puis s’arrête :

–     « C’est trop rude pour moi ».

Plus tard dans la soirée, elle me dira sa gratitude.

Le 1er Novembre, elle est trop faible pour parler, nous communiquons en lui donnant la main. Je lui demande si elle a besoin de quelque chose pour lui permettre d’exprimer éventuellement son refus de vivre, non pour le prendre au mot, mais pour ne pas refuser de l’entendre. Au lieu de ça, comme réponse, elle me tend l’autre main pour que je la lui tienne aussi.

Cela me rappelle le l’histoire de Madame Champagne qui avait aussi longtemps demandé la mort et qui, à la même question, répondait :

–     « Non, donnez-moi la main »…

Madame Batéot est morte sans cocktail lytique, à 2h30 dans la nuit du 1er au 2 novembre, parfaitement calme, sans étouffer. Nous lui donnions la main, et une partie de l’équipe l’a accompagnée à son départ pour le cimetière. »

La demande initiale d’euthanasie exprimée par Madame Batéot était la conséquence d’une absence de confiance de sa part dans les soignants. Elle avait vu toute sa famille mourir en étouffant sans que leur dyspnée ne soit traitée et elle craignait d’en faire autant. Sa demande n’était pas une demande de mort, mais une demande de ne pas souffrir. Le non soulagement d’un inconfort majeur est donc le premier facteur expliquant la demande d’euthanasie par le malade.

C’est vraiment une situation où, comme jamais, j’ai mesuré l’intérêt de l’interdit d’euthanasie pour ne pas enfermer une personne dans sa demande, pour être tout tendu dans un combat pour la vie (il ne s’agit pas ici de la seule dimension biologique de la vie), pour être inventif pour accueillir l’autre même en situation difficile au lieu de l’éliminer sous couvert de résoudre le problème dont il est porteur.

Même si j’avais été conduit à prendre un « risque antalgique » plus important, voire même à enfreindre l’interdit d’euthanasie dans ce cas particulier et en ayant conscience d’enfreindre un interdit fondamental, une loi autorisant l’euthanasie et l’idéalisation qui est faite du suicide assisté ou de l’euthanasie ne nous auraient pas aidés mais enfermés et rendus incapables de vivre ce que nous avons vécu avec Madame Batéot et qui a profité à bien d’autres malades ensuite.

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Si nous n’avions pas eu ces repères comme un fondement solide entre nous, il est évident que nous aurions conclu rapidement que « la seule solution humaine » était d’euthanasier Madame Batéot. Ce récit n’aurait jamais existé. Nous n’aurions pas contribué à diffuser un savoir faire pour soulager les malades présentant un risque d’étouffement.

C’est cette expérience que l’on n’était plus condamné à étouffer qui nous a permis d’accompagner sans crainte les personnes atteintes de paralysie progressive dont il sera question plus loin.

3.3 Pourquoi le non traitement de la douleur ?

La première réponse à la demande d’euthanasie par le malade mais aussi, nous le verrons, par la famille et les soignants, réside dans un traitement correct de la douleur.

Nous avons vu, plus haut, que la douleur physique peut-être traitée dans la très grande majorité des cas sans utiliser de sédation réversible, et que les rares cas plus difficiles peuvent être résolus avec cette sédation réversible.[12] Le problème de la douleur physique est surtout la conséquence d’une carence des équipes soignantes.

On peut, dès lors, s’interroger sur les raisons de cette non utilisation correcte du traitement antalgique. Elles sont multiples :

Il y a, bien sûr, l’ignorance liée à l’absence de formation des soignants. Mais ce fait n’est plus prépondérant. Alors qu’aujourd’hui les traitements antalgiques sont largement connus[13], on constate qu’ils continuent à ne pas être utilisés.

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Depuis 1986, en France, diverses lois et dispositions réglementaires font une obligation aux soignants de savoir proposer un traitement correct de la douleur (voir annexe 4).

A Ivry, en 1986, le fait qu’un service se soit particulièrement intéressé à ce problème et se soit exprimé, a permis une relative information des autres services. Certains ont commencé à utiliser alors la morphine puis ont arrêté.[14] Selon eux, ce n’est pas efficace.[15] Mais les doses utilisées n’étaient pas suffisantes, données seulement lorsque la personne souffrait déjà beaucoup et sans toujours respecter le principe d’une prise toutes les 4 heures. Autre reproche entendu et justifiant cet abandon : la somnolence, dont nous avons vu plus haut comment l’éviter.

En 1986, dans un service, qui a fait appel à l’équipe soignante de la Première Unité pour réfléchir ensemble à l’attitude à avoir face à celui qui meurt et en particulier par rapport à la douleur, on constate que la morphine n’est pas utilisée et l’on voit des prescriptions de PALFIUM® injectable 1/2 ampoules toutes les 6 heures… (on sait que la durée d’action du PALFIUM® est de 2 heures et qu’il n’a pas du tout sa place dans le traitement des douleurs chroniques[16]).

L’ignorance n’est donc pas seule en cause, ni même la peur irraisonnée de la morphine qui, comme nous l’avons vue, est encore profondément ancrée. A ces facteurs, il faut ajouter la conception que les soignants ont de leur rôle (voir ci-dessus) et la peur de la mort, des mourants, qui expliquent aussi ce désintérêt.

Il ne faut pas négliger non plus un dernier élément : la sous-estimation et la négation de la souffrance des malades par le médecin et les soignants.

Ainsi Hunt et ses collaborateurs écrivent : « les infirmières acceptent trop facilement que des patients souffrent sans qu’on les soulage, comme en témoignent leur habitude de ne s’enquérir de la douleur que lors des distributions de médicaments, et leur inconscience des souffrances muettes ».[17]

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Patrick Verspieren fait un constat analogue pour les malades de réanimation :

« Remarquons que le médecin a le plus souvent tendance à minimiser, sinon même à nier, le poids des souffrances physiques et morales du malade de service de réanimation ».(…)[18]

En gériatrie, on retrouve aussi cette négation de la souffrance par le médecin et les autres soignants.

C’est cette surveillante dont Louise Chauchard rapporte les propos :

« Elle n’est pas angoissée, c’est sa démence sénile »[19]

Ailleurs, c’est un médecin qui expliquait que les escarres n’étaient pas douloureuses et un autre, gériatre dans un hôpital de long séjour, qui se demandait si les personnes âgées avaient réellement des douleurs importantes. Après 40 ans d’exercices, il disait ne pas en avoir vu.

On insiste beaucoup et à tort pour dire que la mort des personnes âgées se fait, en général, sans douleur par opposition à la mort de sujets jeunes cancéreux, au point que certains finissent par nier complètement la douleur des personnes âgées.

Une personne de 92 ans, qui reçoit 6×50 milligrammes de morphine par 24 heures sans faire de dépression respiratoire, sans somnolence, pendant un mois, alors qu’elle n’a pas d’autre pathologie que des escarres, est assurément une personne qui souffre[20]. Pourtant, cette personne démente ne criait pas et c’est l’observation de ses rictus, de ses contractions qui nous a permis de dépister cette souffrance relativement muette et qui ne s’exprimait qu’au moment des pansements par un triple retrait des membres inférieurs.

Nous avons d’ailleurs adopté la règle suivante :

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« Une personne qui manifeste des signes de souffrances au moment des pansements d’escarres est une personne qui souffre en permanence et dont la douleur doit être traitée avec la même dose d’antalgique sur tout le nycthémère (succession du jour et de la nuit).[21]

N’oublions pas non plus ce prêtre de 80 ans, le Père Joseph, évoqué plus haut et qui a reçu 6 x 200 mg pendant plus d’un mois sans faire de dépression respiratoire. A son propos, on note que la douleur peut être sous-estimée parce que le patient lui-même, bien que lucide, ne l’exprime pas comme cela avait été le cas pendant des mois pour le Père Joseph.

Cette absence de traitement correct de la douleur n’est pas réservée aux mourants. En janvier 1987, j’ai subi une intervention chirurgicale particulièrement douloureuse suite à une entorse grave d’un genou. Réveillé avec une douleur que je n’arrivais plus à supporter, j’ai appelé l’infirmière qui m’a fait une première injection. Dix minutes après, la douleur, au lieu de diminuer, avait encore augmenté. J’appelais de nouveau et l’infirmière me refaisait une injection qui augmentait encore la douleur. Etant un peu plus réveillé, je sonnais et lui demandais ce qu’elle m’avait injecté.

Il s’agissait de FORTAL®, un produit qui ne devrait plus avoir sa place dans le traitement des douleurs, qu’elles soient chroniques ou aiguës et ce pour diverses raisons[22] :

–     Le FORTAL® a un « effet plafond », ce qui signifie qu’au-delà d’une certaine dose, l’augmentation de la dose n’entraîne pas d’augmentation de son efficacité.

–     De façon relativement fréquente il peut provoquer des délires et des crises d’angoisse.

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–     Surtout, il est à la fois agoniste et antagoniste, c’est-à-dire qu’il a à la fois une action du type de celle de la morphine et une action qui annule celle de la morphine. Il ne doit donc pas être prescrit chez quelqu’un qui a reçu de la morphine et l’on doit, lorsqu’il est devenu inefficace chez une personne, respecter une fenêtre thérapeutique, une période pendant laquelle on ne peut passer à la morphine et donc pendant laquelle on est obligé de laisser la personne souffrir.

–     Un médicament, quand il est nécessaire, ne doit être prescrit que si l’on ne dispose pas d’équivalent aussi efficace, et ne possédant pas moins d’inconvénient. Ici, dans tous les cas, on doit préférer la morphine au FORTAL®, lorsque les autres antalgiques se sont révélés inefficaces, ou d’emblée si c’est nécessaire comme dans ce type d’intervention où un traitement en post-opératoire devrait être institué sans attendre que la douleur se réveille.

Dans le cas précis, chaque injection avait pour effet d’annuler l’effet résiduel de la morphine utilisée à fortes doses pendant l’intervention. Donc ces injections provoquaient la douleur au lieu de la calmer !

Etant médecin, j’ai obtenu de l’infirmière du Dextropropoxyphène et j’ai pu régler moi-même mon traitement. Une fois la douleur calmée, j’ai fait appeler l’anesthésiste en lui signalant que je venais de faire un travail sur le traitement de la douleur et que, peut-être, cela pourrait l’intéresser que je lui fasse part de ce que j’avais ressenti « de l’autre côté de la barrière ».

Elle est venue ainsi que le chef de service et les échanges ont été très cordiaux, mais j’ai été frappé de ce qu’ils ont dit spontanément, et ce, dans un climat qui n’était pas du tout passionnel.

Le premier argument invoqué a été celui du manque de temps. Ils ont ajouté que ce qui comptait pour eux, c’était le geste opératoire, le problème de la douleur n’étant pas prioritaire.

L’anesthésiste a expliqué que c’était aux infirmières de s’occuper des douleurs, tout en me précisant qu’elles ne disposaient d’aucun protocole ni d’aucune prescription pour intervenir. Le patron, qui opère un grand nombre d’italiens, a aussi dit que les italiens criaient très fort et que ça ne prouvait pas qu’ils aient mal. Cela ne répondait pas à la question que je lui avais posée relative aux douleurs que j’avais ressenties personnellement et je me suis permis de lui faire remarquer que si les italiens sont peut-être plus démonstratifs et ont une façon différente d’exprimer leur douleur, ils ne crient pas lorsqu’ils n’ont pas mal…

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L’anesthésiste a alors expliqué que les gens se faisaient opérer pour « n’importe quoi », pour un nez difforme, pour une bosse inesthétique, et que si l’on traitait leur douleur, ils n’arrêteraient pas de se faire opérer. Je lui ai juste rappelé que je ne pouvais plus marcher et c’est ce qui m’avait amené à me faire opérer. Je lui ai aussi demandé si elle se rendait compte de ce qu’elle venait de dire et je lui ai dit que cela me faisait penser aux femmes à qui l’on faisait des curetages sans anesthésie après avortement clandestin « pour leur apprendre à vivre ».

Je n’ai pas cherché à argumenter point par point la réponse de mes interlocuteurs et jusqu’au bout l’échange que nous avons eu a été très courtois. J’ai été à la fois étonné et pas étonné par ce qu’ils m’ont dit. En effet, ce sont des arguments habituels quand on cesse de prétendre faire bien et pour le mieux. Ces arguments disent quelque chose de la réalité vécue.

Par exemple, dire que l’on manque de temps peut être une plate excuse passe-partout. Il est bien connu que dans notre société, tout le monde manque de temps. A la limite, cela peut signifier qu’on a du temps. Cela peut signifier qu’on manque de maîtrise sur son temps de travail, et, ou, en dehors, dans sa vie privée, que le temps libre, qui est court, on ne sait comment l’organiser, que dans ce temps de peau de chagrin, on est submergé, incapable de réfléchir et confus. Cela peut aussi signifier que l’on aurait du temps pour mieux s’occuper de la douleur des gens, mais pas de tout le monde, et pas tout le temps, que l’on ne supporte pas cette distorsion et que, finalement, on ne fait rien.

Je me demande si ces arguments habituels, trop habituels, mis en avant, ne sont pas aussi comme un écran à des raisons plus personnelles et plus authentiques, propres à chacun.

Dans le centre de rééducation où j’ai ensuite été transféré, une aide-soignante m’a parlé de sa cousine atteinte d’une tumeur cérébrale inopérable, au stade terminal, faisant des chutes à répétition et souffrant de céphalées – maux de tête – très intenses qu’elle soulageait avec du Dextropropoxyphène.[23]

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Son médecin traitant venait de lui dire d’interrompre ce traitement car (sic) « il faut souffrir pour guérir »! Elle a suivi cet avis…

Dans ce même centre, un malade venu pour un problème identique au mien faisait, par ailleurs, une à deux crises de coliques néphrétiques par jour. Entre le moment où la crise débutait et l’intervention des soignants, il se passait souvent une demi-heure, ou trois-quarts d’heure, d’autant que, pendant quinze jours, aucun protocole n’était prévu et il lui fallait à chaque fois attendre l’arrivée de l’interne de garde.

Quand un protocole a enfin été mis en place, c’est du FORTAL® qui a été prescrit, un produit qui, encore une fois, ne devrait plus être prescrit. Un jour, il lui a provoqué une crise de délire et une grande angoisse. Il avait l’impression que s’il se couchait, il ne se relèverait plus car il serait mort. Ce protocole a néanmoins été maintenu occasionnant une nouvelle crise d’angoisse plus limitée.

Les crises continuaient à se répéter. Une infirmière l’a alors suspecté de simuler la douleur et d’être un toxicomane. Elle lui a injecté un placébo (produit sans action thérapeutique) en lui disant qu’il s’agissait de FORTAL®. Il s’en est rendu compte du fait de la douleur qui n’était pas calmée. Il a ensuite été lire le cahier de prescription sur lequel l’infirmière avait marqué :

–     « Je lui ai dit que je lui avait injecté du FORTAL® mais je lui ai fait du sérum physiologique et ça a marché ».

Cet homme, qui par ailleurs avait d’importants problèmes personnels, a très mal vécu le fait d’être pris pour un imbécile, un simulateur et un toxicomane, sans parler de sa douleur non traitée, ce qui le laissait en permanence dans l’angoisse de la crise suivante et qui ne serait pas calmée. Il a marqué son commentaire sur le cahier de prescription et, le lendemain, par mesure de représailles, l’infirmière a mis plus d’une heure pour venir calmer une nouvelle crise.

Il a alors été transféré en néphrologie, après un mois de crises à répétition. Une échographie a objectivé un calcul obstruant l’uretère gauche. Ce calcul a été extrait chirurgicalement et, depuis, il ne demande plus « sa dose » de FORTAL® et « ne simule plus ». Simplement il aura fallu un mois d’attente et qu’il se révolte pour que son problème soit pris au sérieux.

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Je pourrais longuement poursuivre cette énumération de cas qui ne sont pas des exceptions. Ils traduisent la complexité des réactions des soignants devant la souffrance de l’autre. Cette complexité est liée à des raisons d’ordre personnel. Elle est aussi liée à un fonctionnement institutionnel que Goffman analyse avec pertinence dans son chapitre sur « l’univers du personnel ». Je les ai cités pour bien souligner la nécessité d’une prise de conscience par les soignants de la fréquente inadéquation de leurs soins face à la douleur d’autrui et du fait que chacun d’entre nous peut devenir un bourreau et se retrouver dans des situations folles.

Je n’oublie pas la façon dont j’ai réagi au cours de mes études travaillant l’été comme infirmier débutant devant un homme de 85 ans, grabataire, qui ne mangeait plus, et dont le dos était emporté par une immense escarre. J’avais été envoyé auprès de lui pour lui nettoyer sa plaie sans qu’aucun traitement antalgique n’ait été prescrit, ni pour calmer la douleur tout au long de la journée, ni de manière spécifique en supplément pour le temps du pansement. Le médecin du service qui avait prescrit de « décaper » les escarres n’avait plus le courage d’entrer dans sa chambre lors de la visite quotidienne.

Cet homme criait pendant les pansements, mais je ne devais pas entendre, c’était « pour son bien ». Je ne voyais pas comment refuser d’exécuter un ordre reçu alors que je débutais dans le métier. Je me cramponnais. Je ne voyais plus que la plaie, le mal a extirper. Je n’entendais plus cet homme, je n’entendais plus ses cris ; Je me battais contre cette plaie qui m’agressait, contre cette mort pourtant inéluctable.[24]

3.4 le malade mis dans des situations insupportables. Histoire de Madame Sève

Cette carence des équipes soignantes et des médecins en matière de traitement de la douleur, amène des malades, des familles, des soignants, à demander au médecin la mort qui leur semble dès lors préférable à cette vie de douleur. Si la douleur physique non traitée est le facteur principal de demande d’euthanasie, il n’est pas le seul. La souffrance ne se réduit pas à la douleur physique. Ce peut-être aussi la difficulté à vivre diminué, vieilli ou handicapé et surtout seul et non reconnu.

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Un certain nombre de ces difficultés à vivre sont littéralement provoquées par les soignants. Elles sont le fruit d’une conception restrictive de leur rôle, d’une mauvaise compréhension de « l’obligation de moyens », de la « non assistance à personne en danger » et la conséquence de la non prise en compte du consentement aux soins.

Madame Sève a 85 ans, habite chez sa petite fille, et est hospitalisée dans un service de médecine pour altération de l’état général et apparition d’une démence d’évolution rapide. Un bilan ne permet pas de trouver de cause organique et il semble que Madame Sève se soit brutalement enfermée dans son monde à elle et se laisse mourir progressivement. En particulier, elle mange très peu. Son passage en moyen séjour est prévu mais, la veille, elle présente une ischémie aiguë du membre inférieur droit.

Elle est traitée médicalement avec succès par des vasodilatateurs mais, une récidive survient, et elle est transférée en chirurgie. Bien que son état se détériorait, on pouvait encore communiquer verbalement avec elle et, un mois et demi plus tôt, elle communiquait parfaitement avec sa famille.

L’intervention chirurgicale est présentée comme la seule alternative possible à la petite fille à qui on explique que, si elle n’est pas opérée, elle va beaucoup souffrir et mourra dans des douleurs importantes. L’interne considère qu’il faut être déprimé, à 85 ans, pour refuser une amputation, seule chance de survie effectivement et qu’il faut donc protéger la personne contre elle même.

Elle ne comprend pas qu’une personne, qui déjà n’arrivait plus à vivre à domicile, puisse ne pas souhaiter voir sa vie prolongée alors que son avenir, c’est une amputation, un placement en long séjour et une vie de plus en plus pénible.

Certes, une négociation pourrait peut-être lui permettre d’accepter l’amputation et de trouver le goût de vivre même en long séjour, même amputée, comme cela s’est produit dans un cas similaire rapporté par Madeleine Riffaud[25]

Mais cette dame est considérée comme irresponsable et le chirurgien recommande vivement à la famille de ne pas la prévenir. Il va même plus loin, une fois la jambe amputée, il explique à la famille :

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–     « Il ne faut pas lui dire qu’elle a une jambe en moins, elle pourrait ne pas le supporter, la vérité serait trop dure pour elle. »

Après quelques jours en chirurgie, Madame Sève entre à la 1ère Unité. Elle est agitée et semble révoltée. Quand le médecin va la voir, elle lui dit

–     « Allez-y, tuez moi, vous pouvez commencer à déchirer ma chemise… Je le sais, ma famille m’a condamnée. »

Lorsqu’on essaye de la raisonner, elle répond avec un regard en coin

–     « Si, si vous verrez, demain je ne serai plus là… »

Plus tard, le médecin repasse et lui demande comment ça va

–     « Mal. »

–     « Qu’est ce qui ne va pas ? »

–     « J’ai mal. »

–     « Où ? »

–     « A la jambe. »

–     « Qu’est ce qu’elle a, votre jambe ? »

–     « Elle a raccourci… »

Puis elle redemande la mort et ajoute que de toutes manières, elle ne sera plus là à l’aube car sa famille l’a condamnée… à la guillotine.

Est-ce une demande d’euthanasie ? Certains diraient qu’elle délire… Si elle avait bien un épisode de délire, ses paroles sont cependant très adaptées à la situation. En tout cas, c’est l’expression d’une très grande souffrance et elle arrête toute alimentation pendant plusieurs jours.

Ce qu’elle dit aux soignants, elle le redit à sa famille et les accuse de l’avoir condamnée, tout en demandant à mourir. Bientôt, la petite fille qui était très attachée à elle et l’avait accueillie chez elle pendant des années, ne vient plus la voir. On apprend qu’elle est en arrêt maladie pour dépression grave. L’équipe soignante essaye de garder le contact avec elle en l’appelant régulièrement, au téléphone, mais la relation reste difficile.

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L’équipe soignante essaye d’être présente auprès de Madame Sève et un traitement par halopéridol est institué. Petit à petit, Madame Sève retrouve une certaine sérénité et se remet à manger. Au bout de quelques temps, elle arrête de nouveau de manger, mais, cette fois-ci, communique bien. Très vite elle a des escarres, sa douleur est traitée, elle est hydratée par perfusions sous-cutanées puis meurt. Dans toute la dernière période, elle ne demandera plus jamais qu’on la tue.

3.5 D’autres causes encore :

Il existe sûrement d’autres situations non liées à un mauvais traitement de la douleur, non provoquées par les soignants, et qui sont ressenties comme insupportables par une personne au point qu’elle peut demander la mort. On peut imaginer, par exemple, un refus de survivre en long séjour.

D’une certaine façon, cela tiendrait aux conditions même d’accueil des personnes âgées qui, comme nous l’avons montré plus haut, sont très difficiles du fait de la carence en personnel, de l’exclusion sociale, des pertes multiples vécues par la personne et de la promiscuité.

Reste que, même en imaginant une amélioration réelle de l’accueil des personnes handicapées, certaines peuvent ne pas supporter de vivre diminuées. Je n’ai jamais, pour ma part, rencontré de telles demandes d’euthanasie.

On abordera plus loin la situation de malades dont le problème majeur n’est pas la douleur, mais le fait de se retrouver totalement paralysés et lucides comme c’est le cas dans la Sclérose Latérale Amyotrophique qui est souvent mise en avant pour appuyer la demande de légalisation de l’euthanasie.

3.6 Réponse au Professeur Schwartzenberg

Dans un livre qui ressemble plus à un plaidoyer pour l’euthanasie ou à une autojustification qu’à une réflexion, le Professeur Schwartzenberg énumère et raconte un certain nombre de situations dans lesquelles « un » médecin a été amené à pratiquer l’euthanasie parce qu’il n’y avait pas « d’autre solution », parce que ne pas répondre aurait été un « laisser aller criminel comme Ponce Pilate »[26], et aurait fait de lui un de ces « bourreaux et tortionnaires qui ont toujours besoin de justifier leur crime » (le crime, selon lui, réside dans le fait de refuser de pratiquer l’euthanasie).

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Avant d’analyser les situations qu’il présente, il faut remarquer que ce médecin, qui passe aux yeux des gens qu’il « soigne » pour un « ange », ou pour un « Homme », quelqu’un de « bien »[27], qui passe pour un héros aux yeux de nombreux soignants et d’un public non averti, parce qu’il réduit son rôle de médecin au fait de « guérir », parce que, manifestement, il ne connaît pas[28] la technique de traitement antalgique et des soins palliatifs, ou ne l’utilise pas[29] lorsqu’il est devant quelqu’un qui souffre et que guérir ne veut plus rien dire, le Professeur se trouve enfermé dans une alternative impossible et qu’il a du mal à vivre, contraint soit d’euthanasier, soit de laisser souffrir ses malades.

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« Lorsque le médecin redescend l’escalier, il n’est pas fier de lui ni de sa profession. Il n’existait qu’une seule réponse à apporter à la question posée par la maladie de cette femme, c’était de la guérir. En dehors de cette unique, de cette seule réponse, toutes les autres sont mauvaises. Elles sont plus ou moins mauvaises selon les cas, selon les lieux où l’on se place, mais elles sont toutes mauvaises. On peut choisir de prolonger la vie à tout prix, par n’importe quel moyen, même artificiel, et honorer ainsi le serment qu’on a prêté jadis au début de sa carrière devant l’effigie d’Hippocrate.

On peut aussi décider de répondre à l’appel désespéré de cette femme condamnée à mort par notre insuffisance scientifique actuelle, et du moment qu’on n’est pas capable de la guérir, au moins essayer de ne pas la laisser s’amoindrir. De toute façon, qu’il s’agisse de la première ou de la deuxième, la réponse est mauvaise. Seulement, dans un cas elle paraît moins mauvaise que dans l’autre. Il existe dans la vie des situations auxquelles on ne peut apporter que de mauvaises réponses. Cela ne signifie pas qu’on ne doive pas répondre. »[30].

Parmi les cas qu’il énumère, on trouve :

–     3 cas où manifestement le traitement antalgique est incorrect ;

–     1 cas où il n’y a pas de traitement correct de la sensation d’étouffement ;

–     1 cas où la question posée n’est pas celle de l’euthanasie mais celle du pourquoi d’une réanimation abusive[31],

–     4 cas où un accompagnement n’a pas été proposé et où la personne risque d’avoir été enfermée dans une phase de révolte et de dépression sans pouvoir s’appuyer sur autrui pour dépasser ces phases ;

–     1 cas de suicide parce que le médecin n’est pas arrivé à temps pour pratiquer l’euthanasie (la personne, que le médecin avait promis « d’aider », s’est sentie trahie, abandonnée. Sans rien pouvoir affirmer, on peut se demander si une proposition d’accompagnement et une prise en charge par une équipe formée, n’aurait pas permis à Catherine de passer cette phase de désespoir) ;

–     enfin 1 cas manifestement très difficile d’un handicapé physique dépendant d’autrui depuis des années.[32]

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On note donc que, dans huit cas sur dix, peut-être même, neuf sur dix, une autre réponse s’imposait d’elle-même, qui n’a rien à voir avec une réponse dictée par des remords encombrants, et qui n’est pas le fait « d’hommes respectueux de la vie à tout prix, (…) qui prennent le moindre souffle douloureux prolongé pour une victoire… »[33]

On constate, aussi, que 50 % des personnes, « délivrées » par ce médecin, sont des personnes qui sont venues le voir, parfois de loin, pour être tuées et non pour être soignées, du fait de la publicité qu’il fait de sa pratique.

La demande d’euthanasie par le malade apparaît donc comme l’exception mais elle peut se produire et il nous faudra réfléchir à la réponse à y apporter.

4 – Les demandes d’euthanasie exprimées par les familles et les soignants

4.1 – Devant la douleur:

Si la demande est rarement formulée par le malade lui même, elle est plus fréquemment exprimée par l’équipe soignante ou la famille. Elle l’est alors soit de manière explicite, soit, le plus souvent, de manière voilée, de manière mêlée : « abrégez ses souffrances », « il faut l’endormir », « on ne peut le laisser comme ça » etc. Cette demande intervient souvent par peur de la douleur physique éventuelle, devant une douleur non traitée par les médecins, ou devant une situation ressentie comme de l’acharnement.

Cette expression voilée de la demande traduit bien le fait que ce qui est demandé n’est pas tant la mort que la fin d’une situation ressentie comme insoutenable.

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La formulation même de la demande dans ce qu’elle a d’impersonnel appelle un échange, une négociation, pour en préciser le contenu, voire la faire évoluer et ainsi pouvoir y répondre de façon adaptée.

Prendre alors la famille au mot peut provoquer de véritables drames. Ainsi, l’histoire suivante :

Novembre 1985, dans la banlieue parisienne. « Allo, la paroisse de « x », pourriez-vous venir à l’hôpital « y », nous allons « déconnecter » quelqu’un. »

Ce n’est pas la première fois qu’une communication du même type est reçue dans cette paroisse. On mesure là à quel point l’euthanasie est banalisée dans certains services et l’opportunité de l’article de Patrick Verspieren « Sur la pente de l’euthanasie ».[34]

Le prêtre se rend donc à l’hôpital « y » et trouve une femme italienne de 60 ans éplorée. Son mari gît devant elle dans le coma. Comme souvent, le prêtre est appelé à l’extrême fin, lorsque la personne ne peut plus communiquer et son rôle est perçu comme un rôle magique pour donner un passeport pour l’au-delà, en dehors de toute relation avec la personne, en dehors de tout cheminement avec elle, et seulement « lorsqu’il n’y a plus rien à faire », voir que l’on a fait « ce qu’il fallait », en provoquant la mort. La femme explique qu’elle avait demandé à ce qu’on « abrège ses souffrances » parce qu’il avait du mal à respirer. Les soignants sont venus et ont alors posé une « perfusion ». Son mari était assis à côté d’elle, il lui parlait et, dit-elle, il est tombé inerte. Elle pleure de plus belle. « Arrachez ça » crie-t-elle en montrant la perfusion. « J’ai demandé à ce qu’on calme ses souffrances, pas à ce qu’on le tue ! »

Si l’on reprend l’histoire de Monsieur Lartigue,[35] on voit que la réponse de l’équipe soignante à la demande de sa famille exprimée de façon identique, en ne les prenant pas au mot mais en répondant à leur demande réelle – que leur père ne souffre plus – leur a permis de vivre un temps essentiel entre eux et d’accéder à une réelle paix. On imagine facilement que le deuil de la famille de Monsieur Lartigue sera très différent de celui de cette femme italienne.

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Qu’est-elle devenue depuis ? Comment peut-elle assumer la mort de son mari, cette mort dite « douce » et « sans souffrance » ? Est-ce qu’une loi autorisant l’euthanasie pourrait « apaiser ses scrupules » comme le pense Gilbert Brunet[36] ? Lorsqu’elle « remontera dans ses souvenirs », pourra-t-elle parler de la « bonne conscience que donne le devoir accompli, le devoir de poser un geste qui », pour Odette Thibault, « n’est rien de moins qu’une prière : donner une mort douce sur leur demande instante à ceux pour qui la vie n’est plus supportable (…) »?[37]

Cette femme italienne pourra-t-elle évoquer l' »Immortalité » comme le fait le professeur Léon Schwartzenberg dans un paragraphe qu’il intitule « La minute de vérité »[38] :

« Seulement, de temps à autre, une fois disparu, il arrive que les assistants du destin, les témoins de l’existence passée , si brève soit-elle, les amis, les amants, souvent des inconnus, se souviennent et racontent à d’autres qu’un après-midi, bref comme celui d’un taureau ou long comme celui d’une vie humaine, une lumière éclatante était soudain apparue : celle d’un être vivant qui avait essayé, quelques courts instants, de dépasser sa condition : c’est ce souvenir lumineux qu’on a coutume d’appeler l’immortalité ».

Pourra-t-elle faire sienne l’opinion d’Arthur Koestler qui écrit dans la préface du guide anglais dit d’Autodélivrance :

« Ainsi l’euthanasie c’est plus que l’administration d’analgésiques mortels.[39] C’est une manière de réconcilier l’individu avec sa destinée. »[40]

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4.2 – Par peur de la relation avec celui qui meurt

La demande d’euthanasie émerge aussi relativement fréquemment devant des personnes qui n’ont aucune douleur physique et qui ne demandent pas à être tuées comme pour Monsieur Bonnet,[41] parce que la relation à celui qui meurt fait peur. Elle est alors présentée de façon humanitaire : « vous ne pouvez pas le laisser comme ça… »

Lorsque l’on fait remarquer que la personne n’a pas mal, ne demande pas la mort mais demande à rester en relation, la motivation réelle est exprimée : « ce n’est pas toujours évident de voir les gens mourir, cela fait peur ». Et comme le disait bien une infirmière lors de la réunion d’équipe faite pour Monsieur Bonnet :

« Cela fait mal aux soignants de se retrouver face à une personne consciente, qui va mourir et il faudrait endormir la douleur et la conscience des soignants ».

La demande d’euthanasie exprimée par les familles et les soignants relève donc de deux causes principales :

–     la peur de la douleur physique qui le plus souvent n’est pas traitée correctement ; cette peur peut s’exprimer devant une douleur effectivement présente et non traitée ou par peur qu’elle ne survienne alors que le malade n’a pas mal ;

–     la peur de la relation à l’autre, le désir de se protéger soi par rapport à celui qui meurt, l’incapacité et les limites des soignants et des familles à accepter ce face à face qui nous renvoie à ce que nous sommes comme homme, à notre fragilité.

4.3 – Pour des raisons économiques:

Ailleurs, rarement, mais cela existe, ce sont des considérations économiques, la perspective d’un héritage et surtout celle de ne plus payer le placement.[42]

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Pour ce qui est de l’équipe soignante, il existe aussi des motivations économiques imbriquées avec des motivations découlant de la conception que les soignants ont de leur rôle.

Certains ressentent les mourants comme occupant indûment des lits qui coûtent cher.[43] Ils définissent le rôle de l’hôpital moderne en termes économiques et techniques comme une entreprise de restauration de la santé dont le produit fini est le malade guéri. Sa mission est donc de lutter contre la mort et pour la conservation de la vie. Dans cette optique, la mort est un mauvais indice de productivité » (…).

« A l’hôpital, il arrive qu’on se heurte à la mort : « Elle n’est pas rare », précise-t-on. Cependant, il y a lieu de distinguer celle (en quelque sorte accidentelle) de malades hospitalisés dans un but de guérison de celle de mourants confiés en tant que tels à l’institution. On doute que l’hôpital soit fait pour recevoir cette seconde catégorie: « L’assistance aux mourants relève plus du domaine humain que médical. Il n’appartient pas à l’hôpital de s’en occuper ».

Lors d’une réflexion sur l’accompagnement des mourants, le chef d’un service de médecine interne a expliqué qu’il « avait été obligé de pratiquer l’euthanasie parce qu’il avait trop de mourants à ce moment là ».

Selon lui, « son service n’était pas fait pour ça, et il ne pouvait pas faire face à ces demandes qui l’empêchaient de soigner des gens qui en ont besoin ».

4.4 – Le désir de « toute puissance »

L’euthanasie se comprend aussi comme un refus de perdre l’initiative, les soins étant compris de façon restrictive comme une intervention sur l’autre, une action sur sa maladie visant à lui redonner la santé. Ce n’est pas un hasard si les services qui pratiquent le plus l’euthanasie sont les plus interventionnistes, à la limite souvent de « l’acharnement ».

L’histoire suivante illustre bien cette difficulté des soignants à perdre l’initiative :

Appelé à 7h30 pour un homme de 80 ans en train de mourir, et comme aucun mot n’était prévu pour lui, l’interne de garde commence à faire les premiers gestes malgré un refus de soins exprimé avec netteté par cette personne qui disait vouloir mourir.

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Chez cet homme en état de choc, l’interne pose un plasmion, fait un électrocardiogramme, injecte un médicament pour stimuler la fonction cardiaque et fait une injection de corticoïdes dans le double but de remonter la tension et d’améliorer sa respiration qui est très difficile.

Ces gestes posés, il peut lire le dossier, parler avec les infirmières et avec le malade.

Ce monsieur, hémiplégique, artéritique, présente une ischémie aiguë d’une jambe. Son pied commence déjà à se nécroser et l’amputation au niveau de la cuisse est inéluctable s’il veut survivre. Cette situation n’est pas nouvelle et il a eu le temps d’y réfléchir.

Sa tension étant toujours imprenable et comme il est conscient, l’interne parle avec lui. Le malade lui demande, de nouveau, très clairement de ne rien faire. Après un long temps d’échange avec lui, après réflexion avec les infirmières qui le connaissent bien, considérant l’état dans lequel il est, l’interne estime que ce qu’il exprime correspond effectivement à son désir profond et doit être respecté.

Cet homme demande à ce qu’on le laisse mourir tranquillement, disant « qu’il a fait sa vie ». L’interne communique longtemps avec lui et le prévient que sa famille a été appelée. Il les avait fait appeler dès le début car son état lui était d’emblée apparu comme sérieux.

A 9h, les internes du service arrivent et l’interne de garde passe le relais en leur rendant compte du désir que le malade avait très clairement exprimé et de l’attitude mise en oeuvre.

Le médecin responsable arrive peu de temps après. Prévenu que ce monsieur ne va pas bien et que sa tension est basse, il prescrit d’autres corticoïdes dans le seul but de remonter sa tension. Depuis l’injection précédente le malade n’est plus dyspnéique et ne présente plus de signe de lutte respiratoire.

Une heure après, comme la tension ne remonte toujours pas, il prescrit de son bureau sans aller le voir, une ampoule de PALFIUM®[44]. Le monsieur n’a pas mal, il respire bien à part une légère polypnée, il n’a pas demandé à ce qu’on accélère sa mort, qu’on le tue. Le médecin connaissait les techniques de traitement de la douleur et de la dyspnée.

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Le PALFIUM® injecté par une infirmière comme une banale médication n’a donc pas d’autre but que de provoquer une dépression respiratoire et la mort, mort physique à terme, mais d’abord mort relationnelle. Quand l’interne de garde est passé le revoir à 10h30, il était seul, personne ne l’entourait.

Certes, ce monsieur serait décédé de toute façon et le PALFIUM® a très peu accéléré les choses. Mais pourquoi ce geste inutile, posé sans relation à l’autre ? Pourquoi ce geste contraire à la loi et à la déontologie sans qu’une situation difficile ne puisse l’expliquer ?

Il traduit cette peur de la relation, cette difficulté à perdre l’initiative. Après avoir nié la mort en se battant contre elle, malgré le non consentement de ce monsieur, on continue à nier son pouvoir en la provoquant soi-même.

Ce geste a eu peu d’effet sur la durée de vie de cet homme, mais il en a eu beaucoup sur la relation qui s’était instaurée et il a empêché toute relation avec la famille qui n’a pas eu le temps d’arriver.

D’autre part, cet acte a créé un malaise chez les infirmières du service qui ne comprennent pas très bien l’attitude du médecin par rapport à la mort. Elles n’ont eu aucune part à cette dernière décision mais ont dû l’exécuter.

Ce geste, encore une fois inutile, a des conséquences pour le médecin lui même qui dit bien qu’il a du mal a vivre ces situations et a demandé un jour, à une personne formée à l’accompagnement des mourants de venir animer une réunion d’information et de réflexion dans son service. Il venait en effet de provoquer la mort d’un autre malade ce qui avait entraîné un vif malaise chez les soignants et chez lui en particulier. Il demandait à l’intervenant de venir dire ce qu’il aurait fallu faire, ou plutôt « si ce qu’ils avaient fait était bien ».

La question n’est pas de vivre, après coup, ce geste dans une culpabilité malsaine qui ne permet pas d’avancer. Ce n’est pas mon propos dans ce livre.

La question, me semble-t-il, est d’essayer de comprendre, d’analyser pourquoi nous avons posé tel ou tel geste. Que traduisent-ils ? Que produisent-ils ?

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A partir de cette réflexion nous pourrons voir comment ces gestes correspondent ou non au projet que nous avons, à la fonction, au rôle que la société dit nous avoir donné et nous pourrons vérifier que ce rôle permet effectivement à la société en général, et à chacun de ses membres en particulier de vivre aussi pleinement que possible.

Nous pourrons alors nous interroger sur les moyens à prendre pour tendre vers ce projet tout en acceptant nos limites.

Il nous faudra aussi réfléchir aux gestes que, quelles que soient nos limites, nous ne pouvons pas accepter.

5. Le testament biologique.

Il reste un dernier type de demande d’euthanasie à évoquer parce qu’il arrive que nous le rencontrions concrètement dans la pratique en long-séjour et que, d’une certaine manière, elle est une conséquence de l’existence des services de long séjour tels qu’ils sont aujourd’hui, et, plus largement, des conditions de vie des personnes âgées (en particulier de celles qui sont handicapées ou atteintes de la maladie d’Alzheimer).

Ces demandes ne sont pas non plus sans incidence sur les conditions de vie qu’auront les personnes âgées demain.

Ces demandes ont émergé dans l’opinion à travers l’action de l’A.D.M.D., « l’Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité ».

J’invite le lecteur à se reporter à mon livre « Réflexions sur mourir dans la dignité » pour une plus ample présentation de cette association, de sa conception de la dignité et des problèmes qu’elle pose.[45]

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5.1 Le contenu du testament biologique proposé par l’A.D.M.D. :

Ce type de demande est la demande d’euthanasie faite par une personne en bonne santé pour le cas où « par suite de maladie, accident ou vieillesse, elle ne puisse plus s’exprimer, et que les traitements possibles n’aient plus de chance réelle de rétablir ses facultés et de lui rendre une qualité de vie propre à la satisfaire ».

Voici le texte de cette demande tel qu’il était rédigé en 1986 :

DECLARATION DE VOLONTE DE MOURIR DANS LA DIGNITE

En vertu de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, adoptée par les Nations Unies, et qui reconnaît à chacun la liberté d’exprimer ses convictions et d’en faire application, dès lors qu’elles ne nuisent pas au respect des droits et libertés d’autrui,

 Je, soussigné (e)…………………….

déclare en pleine conscience et en toute liberté que, s’il m’arrive, par suite de maladie, accident ou vieillesse, de ne plus pouvoir m’exprimer, et que les traitements possibles n’aient plus de chance réelle de rétablir mes facultés et de me rendre une qualité de vie propre à me satisfaire, je veux que soient considérées comme ma volonté mûrement réfléchie les décisions suivantes me concernant:

1.- Je refuse d’être maintenu en réanimation et je demande qu’on s’abstienne de prolonger abusivement ma vie par des techniques artificielles (acharnement thérapeutique)

          OUI  NON°

2.- Je désire bénéficier de tous les remèdes apaisant la douleur, même lorsque les seuls restant efficaces risqueraient de hâter le moment de ma mort

          OUI  NON°

3.- S’il n’y a plus d’espoir que les traitements puissent me guérir, je demande qu’on y mette fin et qu’on me laisse mourir tranquillement et dans ce que je considère comme la dignité

          OUI  NON°

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4.- Si je ne m’éteins pas de moi-même, je désire qu’on me procure une mort douce (euthanasie)

          OUI  NON°

 La constance de ma volonté sera attestée par le renouvellement annuel de mon adhésion à l’Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité.

 J’adjure ma famille, les médecins et infirmiers me traitant, et tous autres, de respecter ces volontés. Je décharge de toute responsabilité ceux qui le feront et je les en remercie.

Fait à……..en…exemplaires, dont un se trouve…….,le……………………

            signé

° Rayer la mention inutile.  [46]

5.2 « Le mandat en matière de santé ».

Parce qu’ils craignent que ces « volontés » ne soient pas respectées, des adhérents de l’A.D.M.D. ont écrit à cette association pour proposer la mise au point de ce qu’ils appellent un « mandat en matière de santé » permettant à des « parrains, mandataires et amis » qui formeraient ce qu’ils n’ont pas peur d’appeler une « chaîne de solidarité » et « exécuteraient leur mission » en veillant à ce que les « volontés » de la personne soient effectivement respectées.

Cette « chaîne de solidarité » se construirait lors de réunions de groupes locaux autour « d’une discussion de fond ou à la simple occasion d’un déjeuner ou d’un apéritif. Là, nous nous connaîtrons et nous trouverons bien quelque collègue qui nous soit sympathique, qui nous inspire confiance et qui soit disposé le jour venu à nous servir de mandataire. »[47]

Quand il s’agit de demander à quelqu’un de faire valoir notre demande d’être euthanasié, tué, on se demande ce que peuvent encore signifier des mots comme santé, soigner, sympathie, amis, solidarité, … Par contre le mot perversion prend toute sa force.

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Quand il s’agit par contre de permettre à quelqu’un de s’exprimer pour nous pour obtenir un traitement correct de la douleur et que tout ne soit pas fait pour empêcher la mort quand celle-ci est inéluctable ou que la réanimation risque de mettre dans une situation insupportable, ce mandat est intéressant. J’ai personnellement, en permanence un tel mandat que je porte avec moi.

On se reportera en annexe 4 à la loi du 5 mars 2002 qui, en France, permet à chacun de désigner quelqu’un pouvant s’exprimer pour lui au cas où il ne serait plus en état de le faire.

Maître MOULARD a donc élaboré un projet de Mandat en matière de santé que voici :

MANDAT EN MATIERE DE SANTE

  • Je soussigné,
  • Nom:………….Prénoms…………..
  • Né(e) le………à:……………….
  • ……Nationalité……….
  • Demeurant:……………………….
  • Signataire d’une part d’une DECLARATION DE VOLONTE DE MOURIR DANS LA DIGNITE, dont copie jointe,
  • CONSIDERANT que je puis me trouver dans un état physique ou mental qui ne me permette pas d’exiger qu’on respecte mes volontés au sujet de ma propre vie,
  • DONNE MANDAT, conformément aux articles 1984 et suivant du code civil, à
  • Nom:………….Prénoms:………….
  • Né(e) le………à:……………….
  • Demeurant:……………………….
  • qui connaît bien mes volontés en matière de santé, de veiller à leur exécution, et il accepte expressément cette mission.
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  • EN CONSEQUENCE, je lui donne POUVOIR DE REQUERIR ET D’EXIGER en mes lieu et place
  • La vérité sur mon état et sur le pronostic qu’il autorise;
  • L’information sur les traitements possibles et leurs conséquences probables;
  • L’application ou la suspension de tout traitement;
  • Mon maintien ou mon transfert en tout lieu;
  • Si besoin est pour la bonne exécution de sa mission, mon mandataire pourra :
  • -Saisir tous huissiers, Avocats et Juridictions
  • -Engager toutes actions ou démarches

-Signer tous registres et documents

  • Le présent mandat est gratuit mais tous les frais seront cependant à ma charge ou à celle de ma succession.
  • Signature du mandataire (2) Fait à ….le…..
  • Signature du Mandant (1)
  • Le SOUSSIGNE (nom, fonction, domicile)………..
  • déclare que la signature figurant dans le cadre ci-dessus a été apposée en sa présence par (noms, prénoms)
  • Description de la pièce  …………,le…..
  • d’identité présentée  Signature du Déclarant
  • par le Mandant ou les témoins

(1) Le Mandant fait précéder sa signature de la mention   manuscrite « BON POUR POUVOIR A M… »

(2) Le Mandataire fait précéder sa signature de la mention manuscrite « BON POUR ACCEPTATION DE MANDAT ».

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5.3 Ce qu’expriment ces demandes ?

5.3.1 l’expression d’un symptôme

Le premier facteur est incontestablement la peur du vieillissement et des conditions de vie qui sont offertes aux personnes âgées.

Cette affirmation s’appuie sur la lecture de divers textes de l’A.D.M.D. et plus particulièrement sur le « Plaidoyer pour le Droit à Mourir dans la Dignité » de son président[48] dans lequel la réalité de la vieillesse et en particulier de la vieillesse en institution est omniprésente.

Le deuxième argument sur lequel repose cette affirmation, c’est le constat que plus d’un adhérent sur deux à l’A.D.M.D. a plus de 65 ans, près d’un sur quatre plus de 75 ans.[49]

Par rapport à cette peur du vieillissement, les motivations sont très intriquées comme le montre le plaidoyer cité ci-dessus et dont voici quelques extraits :

« Les médecins et hommes de sciences annoncent bien l’allongement de la vie jusqu’à 120 ans mais n’en assurent pas la qualité et ne prévoient pas cela pour demain. »(…)

« Si certains meurent de belle mort rapide, sans douleur apparente, sans image horrifiante et en étant, la minute d’avant, vivants et lucides, combien d’autres vont agoniser dans la déchéance physique, la sénilité, la confusion intellectuelle, la désorganisation de l’être. Il faut un tabou très fort pour éviter de reconnaître cela, car celui qui vit ne veut pas croire qu’il pourra devenir celui qui se dégrade aussi lamentablement. » (…)

« La vie se déroule et la retraite arrive, avec la dégradation, lente mais sûre, des facultés et des possibilités. Alors petit à petit, il devient incapable, inutile, incohérent, nuisant pour être un jour rejeté et n’avoir plus droit à l’expression, simple objet de consommation médicale.

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Ceux qui l’aimaient, le connaissaient, voient, assistent à ce lent mais irrémédiable processus, comme si la vieillesse était un vaste sable mouvant dans lequel la personne, en ce qu’elle a de plus important, se laisse petit à petit engloutir, jusqu’à n’être plus qu’un vague souvenir.

La sénilité avance, l’incohérence s’installe, les plaies ne se referment plus, l’individu est hospitalisé ou non mais sûrement la dégradation atteint son seuil critique et que ce soit à l’hôpital, l’hospice ou la maison, l’homme n’est plus qu’un morceau de chair qui survit tout en pourrissant lentement.

Il faut voir et concevoir cela pour comprendre la notion de mort indigne et l’impasse qu’elle représente pour l’individu si conscient et orgueilleux de lui-même. » (…)

« Cet homme là, mort, ainsi débranché, vient de mourir après une longue, lente et sûre agonie sociale et intellectuelle, puis une longue, lente et sûre agonie médicale et il vient de se faire voler car, loin de toute sa lucidité, ce qui était un moment, son moment, qu’il ne pourra plus jamais revivre, cette mort qui faisait partie de lui est évacuée dans la tuyauterie ». (…)

On relève plusieurs composantes dans cette peur du vieillissement :

  • – peur de la déchéance physique
  • – peur de la sénilité
  • – peur de l’exclusion sociale
  • – peur de devenir « objet de soins » et peur de l’acharnement, de soins ne répondant pas au désir profond de la personne
  • – peur de la douleur non traitée et provoquée
  • – peur de la vie en hospice telle qu’elle est aujourd’hui.

Ces peurs ne relèvent donc pas de phobies, littéralement de craintes excessives. Elles sont en partie la conséquence de la situation actuelle et des conditions de vie qui sont faites aux personnes âgées.

En ce sens, l’émergence d’un mouvement comme l’A.D.M.D. et des demandes d’euthanasie qu’il prône doit d’abord être compris comme un symptôme d’un corps social qui souffre.

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Les membres de l’A.D.M.D. s’expriment souvent de manière passionnée dans les discussions privées ou lors des débats publics. Connaissant les conditions actuelles du mourir, je comprends bien leur véhémence. Cependant, il me semble que cette véhémence va jusqu’à être passionnelle au point d’empêcher une réflexion plus rigoureuse et plus collective sur la façon de faire évoluer la situation.

5.3.2 L’expression d’un refus

Mais il serait inexact de réduire l’émergence de l’A.D.M.D. à l’expression d’un symptôme, à un cri, car elle est aussi, et tout autant, l’expression d’un refus.

Il s’agit d’abord d’un refus pour soi de vivre autrement que dans un état maximum d’intégrité physique et mentale.

Mais comme le texte de Paul Chauvet le montre aussi, il s’agit tout autant d’un refus pour que l’autre vive dès lors qu’il devient incapable, inutile, incohérent, nuisant au point qu’il est rejeté (sans compter le « coût » pour faire vivre ces personnes). Ainsi il écrit :

« Et le temps change; subitement la mort est redécouverte. Les raisons semblent diverses : augmentation du pourcentage des personnes âgées, lente mise en condition pour poser la question du paiement des retraites, avancement vers cet âge avec réflexion sur un avenir qui paraît sombre, renaissance d’une certaine famille, la visite au grand-père dans son établissement hospitalier etc. et puis, peut-être, l’appel aux descendants pour payer une part de cette hospitalisation de longue durée ; voilà quelques raisons non exclusives de la réapparition de l’idée de la mort. »

Comme on le voit dans ce qui précède, les facteurs sont ici différents :

  • – il y a trop de personnes âgées
  • – problème du paiement des retraites
  • – nécessité pour les enfants de payer une part de l’hospitalisation de longue durée de leurs parents
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Certes, Paul Chauvet et l’A.D.M.D. ne disent pas qu’il faut tuer les vieillards parce qu’ils sont inutiles et qu’ils coûtent cher. Ils demandent le droit à l’euthanasie pour des personnes l’ayant explicitement demandé pour elle-même et non pour autrui.

Mais, dans le même temps, il reconnaît que l’intérêt pour la mort, cette mort dite digne, est une conséquence de ces refus : refus qu’il y ait trop de personnes âgées, refus de payer leur retraite, refus de payer leur prise en charge en long séjour, refus de les accompagner et de les aider à vivre cette étape difficile de leur vie.

On le voit, la marge est étroite.

5.3.3 L’expression d’un mythe

L’émergence de l’A.D.M.D. est enfin l’expression d’un mythe, le mythe de l’homme jouissant d’une « intégrité physique et mentale totale« , maître de lui même et de son destin, disposant librement de sa vie, sans lien ni responsabilité pour autrui (à condition que ses gestes ne nuisent pas à autrui), pouvant « choisir librement et également le moment de finir sa vie et le moyen d’y parvenir ».[50]

Comme tout mythe, il s’y rattache toute une littérature particulière que nous avons déjà entrevue. Voir l’Immortalité selon le professeur Schwartzenberg, ou la prière selon Odette THIBAULT, sans parler du caractère doux et sans souffrance de cette mort.

Cette association, qui se présente comme le rassemblement de personnes lucides et volontaires, essaye de faire croire que le summum c’est de devenir cet Homme Supérieur, ce Surhomme qui dépasse sa condition… « quelques courts instants »… en se donnant la mort ou en se faisant tuer.[51]

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Elle présente comme dépassement de la condition humaine ce qui en fait est anéantissement et mort. De nombreux auteurs pensent qu’hormis les cas d’affection pathologique la rupture de relation avec l’entourage est le premier facteur de suicide euthanasique ; on pourrait ajouter que cela résulte d’une peur que cette rupture ne survienne au cours de l’évolution de leur maladie. « Si bien que le comportement d’auto-destruction renvoie à la société la question du soutien non seulement matériel mais affectif qu’elle est capable de donner aux malades, aux vieillards, aux infirmes.[52]

Dès lors, le dépassement de la condition humaine caractérise plutôt la capacité d’une société à permettre à l’ensemble de ses membres de vivre en relation avec autrui même lorsqu’ils sont malades, vieux ou handicapés.

L’émergence d’un mouvement de militance en faveur de l’euthanasie peut amener la société à réfléchir à la place qu’elle a donnée ou laissé prendre à la science. Pour Robert William Higgins, psychanalyste, membre de l’Association « Fonction Soignante et Accompagnement », en récusant la dimension de la parole et de la pensée dans laquelle l’être humain s’exprime, se manifeste comme être de désir, la science donne lieu à un investissement inconscient d’elle-même comme instance suprême.

Cela expliquerait l’ampleur que prend le consensus en faveur de l’euthanasie qui a bien des égards représenterait le type même de phénomène religieux primaire : offrir sa vie en sacrifice au Dieu Science. L’euthanasie serait ainsi « la seule solution conforme aux progrès de la psychologie, de la morale et de la science ».[53]

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5.4 Un mouvement générateur d’un doute sur la dignité des personnes handicapées ou âgées

A force de présenter ce mythe de l’homme jouissant d’une intégrité physique et mentale complète, de cet homme supérieur qui sait avoir l’élégance de se tuer ou de se faire tuer pour « mourir dignement », ne pas risquer de dépendre d’autrui, on finit par faire naître un doute sur la dignité même de la vie des personnes handicapées ou âgées, sur leur droit à l’existence, sur le sens même de cette existence. Ceux qui animent un tel mouvement en faveur de l’euthanasie présentée comme « mort digne » ne mesurent pas le poids qu’ils font peser sur les personnes handicapées ou âgées.

5.5 Témoignage de Stéphane Raynaud, paralysée par la polio

Mais je vais laisser Stéphane Raynaud, une jeune femme de 26 ans, allongée depuis 16 ans à cause de la polio, dire le sens qu’elle trouve à sa vie.[54] Stéphane, que je ne connaissais pas jusque là, m’avait écrit pour me dire combien l’intervention que j’avais faite sur le thème « Peut-on abréger les souffrances ? » l’avait touchée. Je lui ai alors envoyé la thèse en lui demandant, dans la mesure du possible, de me faire part de ses réactions. En réponse, elle m’a adressé le texte qui suit et qu’elle avait écrit un an auparavant. Je dois avouer que j’ai eu du mal à recopier ce texte de par sa densité.

En l’insérant ici, je n’oublie pas le cri d’autres personnes handicapées clamant leur souhait d’en finir. Je ne prétends pas tout dire du sens que l’on peut trouver à sa vie lorsque l’on est paralysé et je me garderai bien de dire pour d’autres le sens qu’ils devraient trouver à leur vie malgré un handicap. Je l’insère ici comme une expression que l’on ne peut pas si facilement rayer d’un trait de plume :

Comme sur des roulettes !

Comme les « pâtes Lustucru », j’ai quelque chose en plus. Quatre roues et des chromes… à faire pâlir tous les émirs du Proche-Orient !

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Voici donc 15 ans maintenant (texte écrit en octobre 1985) que je suis allongée et presqu’entièrement paralysée. Mon univers se limite à ma chambre, la maison (avec vue imprenable sur les plafonds !), le jardin et un bel aperçu sur le Lubéron. Je ne peux plus marcher ni mener la vie des filles de mon âge et suis définitivement affectée au fauteuil roulant. Ma Cadillac et moi sommes devenues inséparables.

Aux yeux de beaucoup, ce que je vis est intolérable. Pour eux, il n’y a rien de plus dégradant ni de plus inhumain que de devoir demander perpétuellement et d’attendre après les autres pour vivre. Ils préfèreraient mourir que de devenir, selon eux, un morceau de viande sur un lit à végéter inutilement. Un grabataire, comme ils disent… Et pourtant…

Et pourtant, ils ne se doutent pas que la vie à l’horizontale peut avoir un certain cachet ! Que cela peut permettre de se sensibiliser à des problèmes que dans d’autres circonstances on négligerait. C’est une vie différente, certes, mais qui n’est pas dépourvue de charme et de joies. Certaines situations ne manquent pas d’humour d’ailleurs… Faire du « fauteuil-cross » sur le calvaire de Lourdes ou se faire prendre pour un cadavre !… Il y a des situations qui ne manquent pas de sel, je vous assure.

Malgré tout, mon existence est très protégée et je vis un peu sur une île. J’ai parfois l’impression d’être en état d’hibernation pour que puisse s’accomplir enfin un travail intérieur que l’usage de mes bras et de mes jambes n’aurait pas favorisé. De ma position de totale dépendance, j’ai pu comprendre peu à peu que ma position pouvait être le meilleur des garde-fous. Combien de pièges et de désillusions ai-je ainsi pu éviter ? Ce corps court-circuité m’a en fait déblayé la route de bon nombre d’obstacles et si ce corps est désormais immobile, si je me suis retrouvée démunie de tout ce qui, normalement, fait le charme d’une existence, c’est en réalité pour apprendre que, justement, là n’est pas l’Essentiel.

On ne peut pas vivre sans nourriture. Mais j’ai appris que l’on pouvait très bien vivre sans bras et sans jambes. Lorsque j’ai attrapé la polio, j’avais dix ans. Je terminais ma deuxième année de danse classique et espérais bien recevoir un prix. (En fait, je l’ai eu, mais presqu’à titre posthume !)

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Quelle aurait été ma vie sans cette maladie ? Je n’en sais rien et je m’en fiche… Une chose est sûre, je ne regrette rien. Comment pourrais-je regretter une situation dont je me suis nourrie ? Heureusement, ma famille et la jeunesse aidant, l’adaptation à ma nouvelle situation s’est faite en douceur. J’ai subi beaucoup d’injustices, d’humiliations et de souffrances tant physiques que morales, mais j’ai acquis la certitude que cette épreuve m’a plus enrichie que détruite. La révolte d’ailleurs, m’aurait menée à la folie, à l’autodestruction comme à celle de mon entourage… La Vie a donc tiré un trait sur tout un passé et un hypothétique avenir mais Elle a été la plus forte. Je suis repartie sur de nouvelles bases. Ce « parcours du combattant » ne m’a pas laissé de souvenirs impérissables mais cette expérience m’a ouvert les portes d’un monde qui m’était étranger. La découverte de cet univers intérieur n’a pour moi pas de prix et je trouve que, finalement, cela valait bien un corps.

Aujourd’hui, je finis par aimer ce corps disharmonieux et me sens bien dans ma peau de paralysée. Mais d’une autre manière, je ne me sens pas handicapée… Je ne parviens pas à « m’associer » à l’état de ce corps. Même dans mes rêves je ne suis pas handicapée ! Je me sens en quelque sorte libre dans ma prison de chair. Un peu comme si je « l’habitais ». Je me sens un être humain comme les autres même si mon expression physique est différente. Ce qui vit en moi, ce que je suis, est comme ce qui vit et est en vous.

La plupart des gens ont tendance à me plaindre mais au contraire, je me sens privilégiée. Je ne souffre pas, je suis bien entourée et vis dans un cadre très agréable. Je veux dire par là, qu’il y a des situations vraiment plus pénibles que la mienne… Je crois également que je suis même plus heureuse que bien des gens qui ont apparemment tout pour l’être et qui finissent, un jour, par sombrer dans le chaos… la folie, le suicide…

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Mon existence n’est cependant pas dépourvue de difficultés et de travailler sur les fâcheuses tendances dont je suis largement pourvue, n’est pas une mince affaire ! Ma vie d’handicapée elle-même exige beaucoup de patience car la majeure partie de mon temps passe en attente. Attente de tout et de rien : attendre que quelqu’un se présente pour ramasser mes affaires tombées, me donner à boire, ou… me gratter ! Et ce, durant des heures parfois. J’aimerais de temps en temps changer d’horizon aussi, voir d’autres gens, d’autres choses… Mais je dois être compréhensive, de m’oublier un peu car ma position ne me donne pas le droit d’abuser des autres. Ma vie ne doit pas trop peser sur celle de mon entourage… Tout ceci est bien beau mais guère facile à respecter. Les vieux réflexes reprennent trop souvent le dessus et je finirai un jour, par me retrouver sur cale avec les pneus crevés… De vivre 24/24 avec sa propre famille, ce n’est pas sans poser quelques petits problèmes et dans cet univers restreint qui est le mien, toutes les situations correspondant à mes propres faiblesses me sont présentées. Rien n’est mis de côté ! La vie est bien faite…

En résumé, cette expérience m’a aidée à me tourner vers le « Dedans ». Elle m’a appris (elle m’apprend toujours d’ailleurs !) à vivre et m’a montré que d’un « mal » il fallait savoir tirer un « bien ». Pour moi, d’avoir été durement frappée dès l’âge de dix ans ne relève pas de l’injustice, mais simplement de la Nécessité. J’ai vécu ce que je devais vivre et je suis là où il fallait que je sois. Et ce pour mon propre bien. Si d’un côté j’ai tout perdu, je crois que sur un autre plan, j’ai gagné de belles compensations.

5.5 L’A.D.M.D. : Un mouvement générateur d’un doute sur le sens même des soins aux personnes âgées et handicapées

Nous avons déjà constaté l’aggravation de la carence numérique en personnel, ce qui nous a amené à l’interrogation suivante :

–     Comment soigner…sans soignant ou presque ?

Nous avons ensuite réfléchi à la question :

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–     Qu’est-ce que soigner ?… « Se mettre au service de l’autre, à partir d’une relation et en utilisant notre compétence technique, lui permettre de faire son chemin à lui, dans le respect du cadre éthique, juridique et déontologique actuel, l’aider à s’adapter dans un environnement qui change, à grandir, vieillir et finalement attendre si possible la mort en paix ».

Mais l’équipe a d’abord dû répondre à une question préliminaire :

–     Faut-il encore soigner les personnes âgées, cela a-t- il un sens ?

Cette question fondamentale est une des conséquences du mouvement d’opinion animé, entre autres, par l’A.D.M.D., ou plus exactement, un tel mouvement favorise la diffusion de cette question, et fait qu’aujourd’hui, avant même de pouvoir réfléchir au « comment soigner », une équipe soignante en gériatrie long séjour doit d’abord s’interroger sur le sens même de son existence, sur sa raison d’être, sur sa légitimité.

N’est-elle pas, comme l’insinue l’A.D.M.D. :

« un reliquat d’un monde ancien, archaïque, obscurantiste, la résultante d’une société encore minée par les scrupules, qui refuse d’admettre l’évidence de l’évolution de la société et de l’homme, qui n’a aucun sens de l’élégance, ni de la dignité, et qui, pour entraver cette évolution, s’appuie sur les freins du médical, du religieux, du politique, et de l’inconscient social ? »

Ces équipes soignantes en long séjour disparaîtraient-elles inéluctablement grâce à ces « quelques personnes lucides » qui « seront bientôt fières d’avoir appartenu aux pionniers de la dignité humaine » ?[55]

5.6 Un mouvement générateur d’une démobilisation de la société

Un tel discours entraîne une démobilisation des soignants et de la société. Pourquoi soigner si l’on peut, d’un geste, résoudre le problème que l’accueil de l’autre me pose, en supprimant l’autre et en lui permettant ainsi de connaître ce « dépassement de lui-même », cette « immortalité »… ?

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Pourquoi se mobiliser pour faire évoluer les conditions d’accueil des personnes âgées ? Si notre vie n’a de sens, à nos yeux, que dans cet état maximum d’intégrité physique et mentale, cet état mythique, comment reconnaître la dignité de l’autre qui est en face de moi ?

Si sa vie n’a pas de sens, pourquoi l’accueillir ? Comment pourra-t-il, dès lors, exister aux yeux d’autrui, ce qui est un besoin fondamental de tout homme ?

Et, si même nous sommes conscients du caractère inacceptable des conditions de vie qui sont actuellement les siennes, pourquoi se mobiliser ? Beaucoup ressentent ce problème comme insoluble et estiment vaine toute mobilisation. Bien plus, ils ne se sentent pas personnellement concernés, puisqu’ils ont signé leur testament biologique.

Le discours, me semble-t-il, peut devenir beaucoup plus pervers encore : c’est comme si, non seulement on ne se sent pas concerné par la souffrance d’autrui (devant laquelle on a déjà fui), mais en plus, sans le dire directement, on lui reproche sa souffrance, et même son existence : « Je ne veux pas faire vivre à mes enfants ce que je viens d’endurer là (la vieillesse puis la mort d’un parent), je veux m’inscrire chez vous » (signer mon testament biologique).[56] Ce que l’on peut traduire par : « Vous vous rendez compte ce qu’il (ou elle) m’a fait endurer, il aurait pu prévoir, signer son testament… »

Tout le monde n’a pas fui la souffrance et je ne voudrais pas, en écrivant ce qui précède, ne pas entendre d’abord la souffrance qu’expriment des personnes qui ont beaucoup donné en portant un proche malade et qui, faute d’avoir été assez aidées, faute d’avoir pu recevoir et grandir en même temps qu’elles donnaient, adhèrent à l’A.D.M.D. et cautionnent un combat qui me paraît une réponse inadaptée et dangereuse à un vrai problème : la douleur et la souffrance de personnes âgées et malades trop souvent non traitées ou provoquées, le soutien insuffisant malgré tout ce qui existe déjà à ceux qui ont dans leur entourage un proche qui connaît la maladie ou la vieillesse.

On le voit, au lieu de tourner chacun vers l’accueil de l’autre, vers le combat pour qu’autrui vive, au sens plein du terme, y compris lorsqu’il est malade, handicapé ou âgé, un tel discours galvanise les énergies dans le sens d’un immense appel à la mort, d’une fuite de notre responsabilité pour autrui, et bientôt, d’un devoir d’exclusion et d’extermination de ceux qui sont présentés comme un poids pour la société.

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5.7 Une confusion délibérément provoquée

L’émergence de l’A.D.M.D. amène donc des équipes soignantes à devoir préalablement justifier leur mission, qui n’est plus considérée comme allant de soi, avant même de pouvoir se mettre au travail.

Il lui faut ensuite essayer de se repérer dans un univers, où certains ont délibérément créé la confusion pour empêcher quiconque de s’y retrouver, et permettre, sans autre mode de réflexion, d’imposer l’euthanasie comme une idée, puis un idéal, avant d’être un devoir.

Lorsque l’on appelle « chaîne de solidarité » ce lien qui unit des mandataires, que l’on parle de mandat en matière de « santé » quand il s’agit de mandat en matière de mort, que l’on présente de façon déformée la loi sur la non assistance à personne en danger, que l’on confond la « non assistance » avec le fait d’accepter la mort d’un malade, que l’on sait condamné, ce que l’on identifie avec l’acte de seconder quelqu’un dans son suicide ou de lui en procurer les moyens, alors plus aucune réflexion digne de ce nom n’est possible.[57]

En long séjour, une fois que l’équipe soignante a discerné que les soins qu’elle a à donner ont un sens, qu’ils sont même le reflet d’une société civilisée, qu’elle a mis au point des soins qui permettent effectivement à la personne de vivre et répondent, dans le cadre éthique actuel, à son désir profond, il lui faut encore justifier son action et l’expliquer sans détour.

Parle-t-elle d’accompagnement, la famille traduit : on va provoquer sa mort. Parle-t-elle de traitement de la douleur, d’utilisation de la morphine, il lui faut expliquer qu’elle ne tue pas, et elle a beau l’expliquer, elle n’est pas crue. La famille traduit : « Ils ont fait ce qu’il fallait » c’est à dire, ils ont provoqué sa mort.

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6. Que répondre aux demandes d’euthanasie ?

6.1 Traiter la douleur, faire des soins appropriés.

On l’a vu, la réponse à ces demandes passe d’abord par un traitement correct de la douleur, par une réflexion de l’équipe sur son rôle, sur l’adéquation des soins aux besoins des personnes en fin de vie, par un accompagnement de la personne, et, dans le cadre éthique actuel, par une réponse à sa demande profonde.

6.2 « Répondre aux désirs profonds »…?

Nous n’avons pas précisé, jusque là, ce que nous entendions par « désir ou demande profonde », un désir qui serait à distinguer du désir exprimé.

A partir de tout ce qui précède il nous faut essayer d’aller plus loin sur cette notion sans en épuiser le sens pour autant.

Le désir profond n’est pas une entité, quelque chose qui serait déjà entièrement constitué, mais sous forme cachée et qu’il faudrait chercher à découvrir.

D’une certaine façon, il s’agit d’exprimer par ce terme une réalité que le malade construit lui-même, s’il y est aidé. Par exemple, pour Madame Batéot[58], c’est la relation, l’espace ouvert par les soignants, qui lui ont permis de retrouver la force de vivre, de demander à ce qu’on lui donne la main. C’est paradoxalement cet espace ouvert, ce goût de vivre retrouvé qui lui ont peut-être permis enfin de mourir. Dans sa demande, son désir, il y avait plusieurs réalités : désir de ne pas souffrir, de ne pas être seule, de fleurir la tombe de ses parents -c’est comme si elle ne pouvait pas partir avant ce dernier geste-, désir que son corps soit respecté -elle refusait tout traitement dont la radiothérapie-, désir de ne pas être seule pour son enterrement.

Parler d’une réponse à la demande profonde de la personne, c’est donc parler d’une attention des soignants à l’ensemble de ses besoins, d’une certaine qualité de relation ouvrant un espace dans lequel la personne peut de nouveau être sujet, être elle-même, faire face aux événements, créer du neuf, accueillir la vie, et si c’est son moment, enfin mourir.

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Le désir profond est donc une réalité dynamique émergeant d’une relation, et comme telle, dans son élaboration même, il dépend de la personne mais aussi de ceux qui l’entourent. Une certaine qualité d’écoute et d’échange peut amener une personne à désirer vivre. Un autre type de relation peut amener au contraire une personne à désirer profondément la mort. Le désir profond, la demande profonde, élaborée par la personne sera alors, bel et bien une demande de mort.

Dès lors, il nous faut aller plus loin : le rôle des soignants n’est pas de répondre sans autre discernement au désir profond du malade, mais de faire que son action permette à la personne de vivre en relation et, de ce fait, retrouve une envie et une possibilité de vivre, jusqu’à sa mort, une mort qui doit être acceptée par les soignants.

6.3 Susciter une parole avec le malade.

La parole des soignants est très importante pour permettre au malade d’exprimer ce qu’il a du mal à vivre, les pertes et les peurs qui sont les siennes. Cette parole est importante pour lui permettre d’exprimer aussi ce qu’il vit de positif, ce qu’il découvre, voire même la part de joie qu’il peut aussi éprouver.

Elle joue aussi, comme nous venons de le voir, sur la demande exprimée.

Elle permet enfin qu’il comprenne les soins mis en oeuvre, qu’il puisse y adhérer et y participer, et qu’il puisse être rassuré sur un certain nombre de ses peurs, en particulier celles de la douleur et de l’étouffement.

6.4 Susciter une parole avec la famille.

Les familles doivent également pouvoir exprimer leurs peurs, parler de leurs pertes, de ce qu’elles ont du mal à vivre et être écoutées de façon à pouvoir dépasser ces difficultés, ou y faire face.

A la première Unité, la parole des familles trouve sa place :

–     A l’entrée de la personne dans le service, où l’on essaye de reconstituer sa biographie, où l’équipe situe un peu sa façon d’envisager les soins, où la famille est invitée à appeler à tout moment pour avoir des nouvelles, faire des remarques ou poser des questions, où enfin il lui est signalé qu’elle peut à tout moment passer dans le service, y compris la nuit si cela est nécessaire. Une chambre d’hôtes a été aménagée à l’intérieur même du service.

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–     De façon régulière tout au long de l’hospitalisation de leur parent, soit fortuitement, soit à la demande de la famille.

–     A l’occasion de maladies et en particulier lorsque la personne entre dans une phase qui peut être terminale. La famille est alors alertée par téléphone directement par le service, puis informée régulièrement et associée au processus de décision des soins à mettre en oeuvre. Les traitements lui sont expliqués en détail, en particulier celui contre la douleur à la surveillance duquel elle est associée, si elle le souhaite. Enfin, autant que la disponibilité des soignants le leur permet, elle est écoutée, accompagnée, pour l’aider à vivre cette étape de la mort d’un proche, d’un parent, qui, si elle peut être vécue sereinement et avoir sens pour l’entourage, n’en reste pas moins une disparition, une souffrance, une blessure.

–     A l’occasion de réunions semestrielles auxquelles toutes les familles sont invitées. Si ces réunions ont d’abord été, comme à l’hôpital Paul Brousse, l’occasion pour les familles de critiquer l’équipe et de décharger leur agressivité sur elle, elles sont devenues le lieu d’une réflexion entre soignants et familles. La réunion de Juin 1985 nous a permis de réfléchir ensemble au traitement de la douleur et à l’accompagnement des personnes en fin de vie.

Il existe aussi un lieu pour une parole, une réflexion et une action des familles réunies entre elles et groupées en association type loi 1901. Cette association des familles du service est indépendante de l’équipe soignante, et fédérée à l’Association Nationale « Combat pour les vieux jours ».[59]

6.5 Susciter une parole entre soignants :

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Cette parole entre soignants est fondamentale pour permettre à l’équipe d’exprimer aussi ses peurs, ses pertes, ses réussites, ce qu’elle découvre et ce que les malades expriment. Elle lui permet de remettre en cause sa pratique, de s’autoformer, en un mot, de changer.

Or, comme l’écrit Emmanuel Goldenberg, et cela correspond à notre expérience, quand les soignants changent, les malades changent aussi.

La parole entre soignants « a permis de mettre en évidence de façon concrète les relations d’implication réciproque qui existent entre les soignants et leurs patients. Quand les soignants ont changé, nous avons constaté que les malades changeaient également.

Une reprise relationnelle avec l’entourage, l’environnement, devenait possible. Nous avons vu des malades sortir du mutisme, reprendre leur alimentation, se montrer à nouveau intéressés par la vie.

On a vu aussi très souvent des situations parfois insupportables diminuer ou même disparaître. C’est le cas des troubles digestifs, les vomissements par exemple, mais aussi de toutes sortes de douleurs, y compris certaines pour lesquelles une cause organique existait. »[60]

Il ne faut pas, bien sûr, surestimer ce changement. Il reste des situations difficiles, il reste des personnes qui meurent seules et dans la souffrance. Les soignants eux-mêmes gardent leurs limites. Ce qui change plus fondamentalement à mon avis, c’est le sentiment qu’un chemin est possible, que le face à face avec celui qui meurt n’est pas seulement une impasse et qu’il peut même nous apprendre à vivre différemment, plus pleinement, qu’il peut être source de joie et de découvertes pour celui qui meurt, pour sa famille et aussi pour les soignants. Le fuir peut être se condamner à fuir sa propre vie, à ne pas vivre si ce n’est dans la peur du lendemain, de l’autre, voire de soi-même.

A la première unité, une réunion mensuelle a lieu pour chacune des trois équipes, y compris l’équipe de veille (les médecins, la surveillante générale, la psychologue se déplacent une fois par mois entre 23 h et 4 h du matin).

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La participation de l’équipe soignante à la formation d’élèves infirmières, d’étudiants en médecine, d’aides soignants, de garde-malades à domicile, de bénévoles ou dans le cadre de la formation permanente de l’Assistance Publique, sont autant d’occasions d’une parole en équipe.

Si dans d’autres équipes l’appel à un psychanalyste a été fait pour susciter cette parole, cela n’a pas été notre cas.

Tous ces éléments ont permis à l’équipe soignante d’avoir une certaine sérénité pour faire face aux situations difficiles.

C’est le fonctionnement global de l’équipe qui a été transformé, chacun étant reconnu et ayant sa part de parole à exprimer. Ainsi, qu’un aide soignant puisse, par exemple, écrire un texte sur ce qu’il a vécu avec un malade et le lire devant deux cents personnes (directeurs d’hôpitaux, surveillantes générales, infirmières générales, directrices d’écoles d’infirmières) est à la fois le signe de ce changement et, en même temps, un élément qui modifie par lui-même l’esprit de l’équipe.[61]

Les demandes d’euthanasie par le malade ou les soignants ont pratiquement disparu ou, plus précisément, quand de telles demandes sont exprimées, l’équipe a appris à les écouter et à y faire face de telle façon que la demande exprimée puisse changer et faire place à une demande de vivre, d’être accompagné, de ne pas souffrir comme pour Madame Batéot par exemple.

Cependant, nous ne pouvons exclure de nous trouver un jour devant une personne qui maintienne sa demande et il nous faut donc réfléchir à notre réponse.

7. Le cadre éthique et juridique :[62]

Nous l’avons répété plusieurs fois: notre action s’inscrit dans un cadre éthique et juridique. Quel est-il ?

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Ce passage est écrit en 1986. On se reportera à l’annexe 4 pour plus de précisions sur la législation actuelle en France.

On verra que l’euthanasie est toujours clairement illégale et que, par contre, la mise à disposition du malade et de son entourage d’un traitement efficace de la douleur et d’un accompagnement est érigée en droit.

De même, diverses dispositions insistent sur la prise en compte du consentement ou non du malade aux soins qui lui sont proposés.

7.1 – La loi :

Patrick Verspieren écrit :

« Aux alentours de l’année 1980, dans tous les pays, quel que soit le système de législation, l’homicide même réalisé par compassion et sur la demande de la victime est considéré comme une atteinte au droit[63] (Il faut peut-être faire une exception pour l’Uruguay). De nombreuses législations (en Suisse, Grèce, Danemark, Islande, Finlande, Autriche, Allemagne Fédérale, Pays-Bas) admettent une atténuation de la peine pour les cas de véritable euthanasie pratiquée à la demande du malade; les tribunaux font souvent preuve de clémence et vont jusqu’à prononcer l’acquittement. Mais l’euthanasie reste condamnée par la loi.

Les arguments des juristes pour justifier ces législations plus ou moins sévèrement répressives, reposent d’abord sur l’ambiguïté des concepts de pitié et de consentement à l’euthanasie. Quels sont les véritables mobiles de celui qui donne la mort: répondre à une demande instante, ou ne plus souffrir soi-même de la vision de l’épreuve d’autrui ? Et comment faire la distinction entre une véritable demande et l’acceptation passive de celui qui se sent à charge et subit peut-être de multiples pressions ?

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Reconnaître légalement le droit à l’euthanasie peut donc conduire à de multiples abus. Plus fondamentalement, c’est le ressort même de la société qui est en jeu : une société qui reconnaît le droit à l’euthanasie volontaire, c’est à dire à l’assistance au suicide dans une situation de maladie incurable ne risque-t-elle pas par le fait même de renforcer les tendances mortifères de ses membres ? » [64]

Dans le bulletin de l’A.D.M.D. de février 1986[65], on apprend que l’une des trois associations hollandaises pour le droit à mourir, la S.V.E. (Stiching Vrijwillige Euthanasie -fondation pour l’euthanasie volontaire-), a décidé, le 4 avril 1985, de se dissoudre, ses buts étant atteints, l’euthanasie volontaire n’étant plus réprimée aux Pays-Bas par les tribunaux. Ce changement ne se serait pas fait par une réforme de la législation mais par un changement de la jurisprudence. On lit, dans le bulletin de l’A.D.M.D. :

« La Cour Criminelle de Rotterdam a estimé en effet, dans un arrêt du 1er décembre 1981, qu’aucun crime n’était commis, lorsqu’un médecin régulièrement autorisé donnait une aide pour mourir, pourvu qu’il respecte un certain nombre de conditions. Ces conditions ont été érigées en règles par le ministère public et les différents tribunaux. En sorte que, dans l’attente du vote d’une loi actuellement pendante devant le Parlement, il suffit que les médecins se conforment à ces règles, pour être à l’abri de tous les ennuis. »

D’après Madame Van Till, la liste des règles en question serait la suivante :

  1. Il doit y avoir une souffrance, physique ou morale, jugée intolérable par le patient.
  2. La souffrance et le désir de mourir ne doivent pas être passagers, mais durables.
  3. Le désir de mourir doit être une décision volontaire du patient dûment informé.
  4. La personne doit avoir une conscience exacte et claire de son état et des autres possibilités (tel ou tel traitement et absence de traitement) ; elle doit être capable de comparer ces solutions, et les avoir effectivement comparées.
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  1. Il ne doit pas y avoir à ses yeux d’autre issue raisonnable.
  2. Le moment et le genre de mort ne doivent pas causer aux autres une peine évitable (c’est à dire que, autant qu’il est possible, les proches doivent être prévenus et le patient avoir mis ses affaires en ordre).
  3. La décision d’aider à mourir ne doit pas être prise par une seule personne. Il est obligatoire de consulter un autre professionnel (médecin, psychologue ou membre du service social).
  4. Un docteur en médecine doit prendre part à la décision et prescrire les médicaments appropriés.
  5. La décision doit être prise, et l’aide apportée, avec le plus grand soin.
  6. La personne recevant l’aide pour mourir n’est pas forcément un mourant (ce peut, par exemple, dit Madame Van Till, être un paraplégique).

On note à quel point un certain nombre de critères sont subjectifs et difficilement vérifiables.

Aux Etats-Unis, la loi interdit expressément l’euthanasie, mais, toujours d’après l’A.D.M.D., elle serait détournée par des négociations entre médecins, famille et conseils juridiques pour s’assurer de l’absence de poursuites judiciaires.

Robert Latimer, 47 ans et résident de Wilkie au Canada, a été reconnu coupable en 1995, de meurtre au second degré de sa fille Tracy, 12 ans, quadriplégique. M. Latimer, qui maintenait d’avoir agi par compassion afin d’abréger les souffrances de sa fille, a été condamné à la prison à perpétuité, sans possibilité de libération conditionnelle avant 10 ans.

En France, un infirmier Pierre Thibault, inculpé d’homicide volontaire pour avoir donné la mort à une malade de 86 ans « pour abréger ses souffrances », a été acquitté par la Cour d’Assise du Bas-Rhin. Depuis 1986, un procès retentissant d’une infirmière de Mante-la-Jolie a laissé apparaître d’autres facettes de ce que peut être l’euthanasie chez des soignants fragiles.

La loi interdit donc l’euthanasie mais la conviction se répand que cette loi n’est plus appliquée, au point que, lorsque l’on interroge des élèves infirmières de troisième année, mais aussi des monitrices d’école d’infirmières, elles ne savent plus très bien si l’euthanasie est autorisée ou non, et finissent par dire que la loi l’interdit, mais qu’elle peut être pratiquée si le malade le demande.

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En avril 1986, lors d’un cours à des élèves infirmières de 3ème année, nous nous sommes livrés à un petit sondage : sur 60 élèves, toutes avaient vu au moins une fois l’euthanasie pratiquée devant elles, 3 avaient elles même été chargées de poser un cocktail. Reste à savoir ce qu’elles appelaient « euthanasie ».

Le constat que la pratique de l’euthanasie est banalisée est utilisé par l’A.D.M.D. comme argument pour fonder sa demande de légalisation et « sortir de l’hypocrisie actuelle ».

En d’autre domaine, la banalisation de la corruption fonde-t-elle la légitimité de la corruption et un appel à la légitimer ?[66] N’appelle-t-elle pas un engagement sans faille contre cette corruption et ce qui la favorise ?

Voilà le type même d’arguments « pervers ». Si l’euthanasie est un interdit fondamental permettant de défendre l’homme, la banalisation du non respect de cet interdit appelle un engagement résolu pour aider soignants et public à sortir de cette impasse.

7.2 – La Déontologie :

Le Code de Déontologie est très clairement opposé à l’euthanasie comme l’a récemment rappelé le Conseil National de l’Ordre des médecins :[67]

« Certains écrits récents et des propos tenus à la télévision sur l’euthanasie amènent le Conseil National à faire la mise au point suivante :

Dans ces écrits et ces propos, l’expression « aider à mourir » a été employée; elle est ambiguë: elle crée et entretient une confusion entre l’assistance médicale aux agonisants (un des devoirs les plus importants du médecin) et l’euthanasie « active » qui est un meurtre par pitié ou sur demande.

Une telle confusion est inadmissible.

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« Aider à mourir »: oui, s’il s’agit d’apaiser les douleurs et l’angoisse, d’apporter le plus possible de confort et de réconfort à celui qui va mourir. Oui aussi, s’il s’agit de s’abstenir d’un traitement pénible, ou d’y mettre fin lorsqu’il est inutile dans un cas désespéré.

Non, si par cette expression, on entend suggérer d’achever le malade ou de l’aider à se suicider. La médecine n’est pas faite pour cela, le médecin n’a pas ce pouvoir, ni dans la loi, ni dans la règle déontologique.

« Le médecin doit s’efforcer d’apaiser les souffrances de son malade, il n’a pas le droit d’en provoquer délibérément la mort ». Un médecin est gravement répréhensible s’il manque à cet article 20 de notre Code :

– soit en n’apportant pas au mourant l’assistance médicale et les soulagements qu’elle peut leur donner;

– soit en s’arrogeant le droit exorbitant d’arrêter volontairement une vie humaine.[68]

7.3 La question éthique :

Comme le note Patrick Verspieren :

« Il ne suffit cependant pas, en une telle matière, de se référer à la loi civile. Car on peut se demander si les arguments apportés par les juristes tiennent encore de nos jours. Et, de toute façon, sont-ils suffisamment fondés pour s’imposer à la conscience individuelle ? Il est parfois pleinement légitime, au plan éthique d’en appeler à la liberté et à la responsabilité personnelle et de transgresser la loi civile. Est-ce le cas, pour le sujet qui nous occupe ici ?

L’amour d’autrui peut parfois conduire à braver l’ordre social au risque d’être poursuivi en justice. En l’occurrence, n’est-ce pas une preuve d’amour que d’éviter à autrui de souffrir, et un respect de sa liberté que lui apporter une assistance dans une mort qu’il désire mais n’a plus la force de se procurer lui-même ?

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Ces questions, très fréquemment posées aujourd’hui, doivent être sérieusement abordées au niveau qui est le leur, c’est à dire éthique. » [69]

La loi civile n’est donc pas suffisante. Il y a des situations où l’éthique conduit à braver la loi. Cette loi peut aussi être éthiquement mauvaise et l’autorisation légale de l’euthanasie ne rendrait pas éthique, pour autant, cette pratique.

Une société ne peut vivre que si elle respecte un certain nombre d’interdits sans lesquels tout ne devient que chaos. Certains interdits sont fondamentaux comme l’interdit du meurtre, celui de la fusion avec l’autre ou celui de s’installer dans le mensonge. D’autres sont plus relatifs.[70]

Si la prise au sérieux de l’aspect singulier d’une situation peut amener à braver certains interdits, il est des interdits qui ont un caractère absolu et dont le respect évite, lorsque l’on est tout entier pris dans une situation difficile, y compris affectivement, de faire n’importe quoi, même par amour.

A lui seul, le respect de cet interdit premier justifie l’irrecevabilité de l’euthanasie. Mais sa justification n’est pas uniquement théorique, elle est aussi confortée par la pratique et se vérifie par l’expérience.

7.4 – Un interdit libérateur:

7.4.1 Pour l’équipe soignante

Pour l’équipe soignante, accepter l’hypothèse de l’euthanasie, c’est se retrouver en permanence devant le malade miné par un doute, une question : « Sa vie a-t-elle encore un sens, jusqu’où le soigner, ne serait-ce pas lui rendre service que de le tuer ? »

D’autre part, comme l’ensemble de l’équipe soignante ne se trouve pas sur le même versant de la réponse à un même moment, c’est s’assurer à coup sûr une non-cohésion de son action, et de nombreux conflits qui atteignent chacun dans ce qu’il a de plus profond.

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Inversement, d’après mon expérience, je pense qu’un choix clair permet à une équipe d’investir toute son énergie, sans arrière pensée, dans les soins et l’accompagnement. Quand ce n’est pas aux soignants de décider de la mort d’autrui, ils ont alors une disponibilité d’écoute radicalement différente. Le désir profond que peut alors élaborer la personne change aussi et dans le cas rarissime où, malgré tout, la personne maintient cette demande d’euthanasie, elle peut compter sur une équipe soignante solide, qu’elle sait où situer, et qui peut dès lors l’aider à vivre avec son désir de mort.

Une seule question se pose alors à une telle équipe soignante :

–     « Comment soigner ? »

–     Comment aider la personne à faire face à la maladie, la vieillesse, comment rester présent à ce qu’elle vit ?

Ce respect absolu de l’interdit de l’euthanasie permet toute une parole dans l’équipe soignante, ce que l’on note chez la totalité des équipes ayant décidé d’accompagner les personnes en fin de vie, une parole qui change les soignants, et qui, comme nous l’avons vu, change alors les malades, leur permettant éventuellement de retrouver goût à la vie.

Inversement, le choix contraire entraîne le non-dit, le malaise et le conflit. Ceci est très frappant dans le livre du Professeur Schwartzenberg et je l’ai constaté aussi, dans diverses équipes que j’ai pu connaître.

7.4.2 Pour le malade :

Pour le malade, l’interdit d’euthanasie est également libérateur :

  1. Il lui permet de ne pas être enfermé dans une phase de dépression ou de révolte et de ne pas être bloqué dans son évolution par la perspective d’une mort imminente apparaissant comme la seule issue possible et comme un droit.
  2. Il lui permet de pouvoir s’appuyer sur une équipe soignante non ambiguë, qu’il ressent comme solide, tournée vers les soins, au sens global du terme (voir ci-dessus), et qui lui permettra d’exprimer son désir profond, le plus souvent, celui d’être accompagné.
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      C’est très clairement ce qui a permis à Madame Batéot de faire le chemin qu’elle a fait, sans parler du chemin qu’elle a permis à l’équipe de faire. L’équipe ne lui a pas pour autant interdit d’exprimer ce désir de mort qui l’habitait et a su l’entendre.

  1. C’est ce qui permet au malade de se situer par rapport à un pôle solide. B.M.Mount parle de la « peur en retour », celle que le malade lit dans les yeux de ceux qui l’entourent, de la même façon, on peut parler de « l’ambiguïté en retour », celle que le malade lit dans les yeux des soignants, de ceux qui l’entourent, et qui l’amène à exprimer une demande de mort. Cette ambiguïté des soignants peut aussi empêcher le malade de mourir parce qu’il a peur d’être tué et qu’il ne peut se laisser aller en confiance.

L’expérience nous a amené à mieux percevoir la force des propos de Lancet : « La relation entre médecin et malade implique que ce dernier ne sera pas abandonné si les choses tournent mal »[71] et de ceux de Cicely Saunders et Mary Baines qui soulignent la nécessité pour qu’une relation puisse être vécue que les soignants soient convaincus de l’importance de ce moment de la vie, comme du fait qu’elle peut encore être vécue activement, une fois les symptômes contrôlés.[72]

7.4.3 Pour la famille

L’interdit d’euthanasie est également libérateur pour la famille qui trouve, dans l’équipe soignante, un appui solide, et, voyant la douleur physique effectivement traitée, peut vivre positivement la relation à son proche qui meurt, même si cela reste difficile.

On l’a vu avec la famille de Monsieur Lartigue[73] et à contrario, avec cette femme italienne dont le mari avait été tué. Nous l’avons vérifié bien d’autres fois. Le chemin fait avec la famille de Monsieur Bonnet nous a fait mesurer qu’il s’agit bien d’une « libération » que de pouvoir accompagner une personne proche en fin de vie, être présent, sans jamais la supprimer (les symptômes étant traités, et la famille aidée).

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7.4.4 Pour les autres malades :

Il ne faut pas sous-estimer l’importance de cet interdit pour les autres malades.

En effet, ce qui est pratiqué pour une personne n’est pas sans incidence pour autrui. L’euthanasie même effectuée à sa demande, ne concerne pas que la personne prise individuellement : elle peut nuire à autrui, notamment en créant une confusion sur le rôle des soignants.

De plus en plus de personnes craignent d’être tuées par les soignants, au point que de nombreuses personnes âgées refusent d’être hospitalisées de peur d’être tuées[74] ou se renseignent avant: « C’est pas un hôpital où l’on tue ? » demandait une dame de 89 ans qui devait être hospitalisée. Ailleurs, quand elles se sentent menacées ou que leur famille les sent comme telles, elles changent d’hôpital.[75]

Cette peur, nous l’avons rencontrée plusieurs fois, en particulier avec Monsieur Saillet :

Histoire de Monsieur Saillet :

44 ans, il entre dans le service pour un syndrome de Korsakoff. Il s’agit d’une maladie consécutive à un abus chronique d’alcool qui détruit les circuits nerveux de la mémoire. La personne ne peut plus fixer de faits nouveaux et ne se souvient que de faits anciens. Sa capacité de jugement est intacte, elle est lucide et a une certaine conscience de sa situation. Il s’en suit parfois[76], comme avec Monsieur Saillet, une souffrance morale très importante, sûrement une des plus importantes que j’ai rencontrées, une souffrance qui nous laisse totalement impuissant. Cette maladie est irréversible.

Monsieur Saillet est marié, il tenait un magasin de vins dont sa femme continue à s’occuper. Elle vient le voir une fois par semaine, mais une heure après, du fait de son amnésie antérograde, il ne se souvient plus de sa visite et se plaint qu’elle ne vient jamais le voir. Il se promène indéfiniment et silencieusement avec un regard désespérément triste.

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En juillet, une ascite (apparition de plusieurs litres d’eau dans l’abdomen entraînant un ballonnement très important et consécutif à la destruction du foie par l’alcool) apparaît, nécessitant des ponctions répétées, de plus en plus fréquentes. La situation s’aggrave progressivement. Il est anxieux. La nuit, on le trouve souvent debout, regardant longuement par la fenêtre.

Au fur et à mesure que la maladie progresse, il nous interroge. En raison de l’amnésie, sans doute, mais aussi à cause d’une distance qu’il maintient, l’échange est difficile. Il demande ce qu’il a, s’il en a pour longtemps. Les médecins essayent de lui expliquer sa maladie, les perspectives. Ils lui garantissent qu’il n’aura pas mal, qu’il ne sera pas seul. Mais il oublie tout au fur et à mesure et repose indéfiniment les mêmes questions. Les médecins essayent de communiquer par écrit, mais il oublie qu’il a un mot dans son tiroir et ne va pas le rechercher.

Un jour, je lui demande s’il a mal. J’insiste pour qu’il n’hésite pas à me dire s’il souffre, en lui redisant que nous avons les moyens de traiter sa douleur. Monsieur Saillet m’a alors regardé droit dans les yeux et m’a dit :

–     « Ah, vous voulez me faire des injections, des perfusions, et me tuer… »

Il exprimait avec force un doute, une peur que nous avions déjà perçue chez d’autres malades, qui, lorsqu’ils sont mourants, en viennent à avoir peur d’être tués.

Les soignants ont continué à essayer d’accompagner Monsieur Saillet. Souvent, ils le trouvent en train de pleurer, essayant de cacher ses larmes. La relation s’est poursuivie, main tenue, bras autour de ses épaules, écoute de ses plaintes, de ses questions, de ses silences, regards longuement croisés. Que voulait-il dire ? Que portait-il ?

Finalement, il est mort le 5 février 1985. Son séjour nous a marqués en nous laissant mal à l’aise : cette difficulté de communication, cette tristesse cette solitude extrême, et surtout cette peur qu’il avait de nous :

–     « Vous voulez me tuer… »

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L’interdit d’euthanasie me semble également fondamental pour éviter de faire subir à certains une pression intolérable que nous avons déjà entrevue dans l’analyse de la position de l’A.D.M.D.: celle de se sentir obligé de demander l’euthanasie pour ne pas être un poids pour les autres, ou parce que vouloir continuer à vivre serait, soi-disant, faire preuve de « faiblesse », « d’absence d’élégance ou de sens de la dignité »… Cela est tout particulièrement vrai en gériatrie.

8. Une nécessaire formation éthique.

Tout ce qui précède amène à souligner l’importance pour les soignants d’une formation éthique qui leur permette de « s’arracher à l’immédiateté de l’appréciation des situations », les amène à « prendre du recul par rapport à une affectivité plus ou moins impulsive » et attire « leur attention sur les conséquences proches et lointaines de leurs actes ».[77]

En 1986, cette formation éthique commence à apparaître, sur demande des enseignants à Montpellier, sur celle des étudiants à la faculté de Bichat, et peut-être ailleurs. En 2003, cette formation éthique commence à se généraliser, mais elle reste encore insuffisamment développée pour la majorité des étudiants en médecine.

C’est une telle formation, suivie en dehors de la faculté de médecine, qui m’a permis de proposer à l’équipe de la Première Unité cette remise en cause de sa pratique et la mise en place de l’accompagnement des personnes en fin de vie. C’est cette formation éthique qui m’a permis d’être à l’écoute des questions suscitées par la transformation d’une pratique, par le face à face avec celui qui meurt et de favoriser une réflexion entre soignants, avec certains malades et avec les familles.

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9. Le cas de maladies comme la maladie de Charcot ou « Sclérose latérale amyotrophique »

9.1 Notions sommaires sur la S.L.A.

Si nous sommes si catégoriques dans ce refus de l’euthanasie au terme de la réflexion éthique qui précède, que répondre aux malades atteints de maladies particulièrement éprouvantes, comme ceux atteints de la « Sclérose Latérale Amyotrophique » (S.L.A.), encore appelée maladie de Charcot ? Comment entendre leur souffrance ?

La « Sclérose Latérale Amyotrophique » est une paralysie progressive, sans traitement connu, évoluant plus ou moins vite, mais souvent en 2 ou 3 ans vers une paralysie totale mettant le malade en situation de ne plus pouvoir : bouger, parler, manger, respirer, communiquer. Les seuls muscles volontaires qui demeurent actifs sont les muscles qui commandent les mouvements des yeux.

Médicalement, il s’agit d’une destruction progressive, on parle d’une « sclérose » des nerfs moteurs qui descendent dans la partie latérale de la moelle épinière. Cette destruction des nerfs se traduit par une disparition des muscles, une « amyotrophie ». On sait qu’un muscle qui ne reçoit plus de stimulation nerveuse meurt, s’atrophie, d’où le terme d’amyotrophie quand il s’agit d’un muscle. Cette amyotrophie est bilatérale, elle va toucher aussi bien la partie droite que la partie gauche du corps.

Dans la perspective de soins compris comme une réponse aux seuls besoins biologiques et à la mise en œuvre de tous les traitements possibles pour empêcher la mort, quand la paralysie atteint la déglutition et la respiration, l’attitude médicale classique consiste à poser une gastrotomie[78] pour alimenter, à faire une trachéotomie et à mettre sous machine respiratoire. Dès lors, le malade peut vivre des mois, des années, sans pouvoir parler, sans pouvoir bouger ne serait-ce que le petit doigt, sans pouvoir communiquer, tout en ayant toutes ses capacités intellectuelles et donc une conscience aiguë de la situation dans laquelle il se trouve.

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9.2 Avant d’évoquer la S.L.A., comment entendre le cri de Vincent Humbert ?

Au moment où je termine la relecture de ce livre, on apprend la mort provoquée de Vincent Humbert par sa mère.

9.2.1 L’histoire de Vincent Humbert

Pour ceux qui ne connaissent pas l’histoire de Vincent Humbert, voici une brève présentation d’après le récit qu’en fait un journaliste dans des conditions que nous présenterons ci-après :

Le 25 septembre 2000, alors qu’il a 19 ans, Vincent a un grave accident de la route. Devant la gravité de son état, sa famille demande aux médecins de ne pas lutter et de ne pas tout faire pour le maintenir en vie, une vie dont il est vite évident qu’elle sera marquée par des handicaps multiples et lourds. Les médecins n’entendent pas et réussissent à empêcher la mort. Vincent est alors dans le coma. Sa mère va alors quitter son travail, sa maison, pour être à son chevet tous les jours. Elle trouve un travail de présence auprès de personnes âgées la nuit pour pouvoir survivre. Elle va parler à Vincent, tout faire pour l’aider à sortir du coma avec un amour et un courage hors du commun, avec le risque cependant d’être prise dans une relation fusionnelle[79]. Dans cette période là, un interne interpellera la mère de Vincent « pour qu’elle fasse le deuil de son fils », ce fils que les médecins maintenaient en vie dans le même temps, mettant tout en œuvre pour empêcher une mort naturelle.

Au bout de 9 mois, Vincent sort du coma mais il est tétraplégique, aveugle et muet. Sa mère s’aperçoit un jour qu’il arrive à bouger son pouce. Elle lui réapprend l’alphabet et convient d’un code avec lui : elle dit les lettres de l’alphabet, et, quand c’est la lettre que Vincent veut utiliser, il fait une pression avec son pouce. Lettre par lettre, il arrive à faire des phrases. Les progrès vont permettre un partage très fort entre Vincent et sa mère, mais, un jour, le médecin lui annonce qu’il n’a plus sa place dans l’établissement. De ce jour-là, Vincent décide de mourir. Il fait la demande au médecin qui refuse bien sûr.

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Il finit par « écrire » une lettre au Président de la République française. Un journaliste apprend l’existence de cette lettre et la publie dans le journal. Elle est reprise dans les médias nationaux. Le Président de la République française va entrer en contact personnel avec Vincent et sa mère, proposer des aides concrètes et de faire le point 6 mois plus tard, refusant bien sûr d’autoriser l’euthanasie de Vincent.

Un journaliste va utiliser le système de code mis au point entre Vincent et sa mère et va lui permettre d’exprimer ce qu’il ressent dans un livre : « Je vous demande le droit de mourir. »[80] Il va assurer la mise en forme de ce que Vincent exprimait par les pressions de son doigt.

Le Président de la République ayant refusé d’octroyer un droit qui ne lui appartenait pas, Vincent décide de mourir en faisant une pression très forte, d’après son livre, sur sa mère pour qu’elle accepte de réaliser sa demande une fois qu’il aura terminé son livre.

Mi-septembre 2003, les médias annoncent la sortie du livre de Vincent Humbert, maintenant connu en France comme celui qui a écrit au Président de la République pour réclamer le droit de mourir. La sortie du livre est annoncée pour le 25 septembre 2003, 3ème anniversaire de son accident et les journalistes précisent que Vincent termine son livre en signalant qu’il ne sera sans doute plus en vie au moment de sa parution.

Ce même 25 septembre 2003, sa mère injecte des drogues à Vincent pour provoquer sa mort. Les médecins commencent par mettre Vincent en réanimation sans trop se préoccuper apparemment de son non consentement aux soins qui ne faisait aucun doute avant que l’un d’entre eux ne mette fin à la réanimation.

9.2.2 Quelques réflexions à propos du chemin de Vincent et après avoir lu son livre :

D’abord, comment ne pas être touché par la souffrance de Vincent, de sa mère, par l’amour aussi qu’elle lui a prodigué ? C’est d’abord le sentiment profond qui m’habite.

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Il est toujours périlleux de discourir sur la souffrance, la souffrance de l’autre. Cependant, il s’agit là d’un geste militant et médiatisé et il n’est pas possible de terminer ce livre sans quelques réflexions à partir des éléments que l’on peut recueillir à travers la lecture de son livre.

La première remarque, c’est qu’avant d’être devant une situation qui pose la question du droit à l’euthanasie, on est devant un problème d’acharnement thérapeutique, de soins inadaptés :

–     Acharnement thérapeutique au départ. Il semble qu’il était clair d’emblée que Vincent ressortirait très handicapé. A travers ce que Vincent exprime, les médecins ne pensaient pas qu’il pourrait retrouver une vie en relation et ils l’ont même comparé à un ver de terre[81] pour décrire l’état dans lequel il se trouvait à sa mère. Etait-ce soigner en prenant en compte l’ensemble de ses besoins que d’empêcher la mort à tout prix contre l’avis de son entourage ?[82]

–     Acharnement thérapeutique à la fin : pourquoi l’avoir placé en réanimation après le geste posé par sa mère ?

Le cas de Vincent illustre tristement tout ce que nous décrivons plus haut de ce que produisent des soins inadaptés quand des soignants ne prennent pas en compte le nécessaire consentement aux soins, ne font pas confiance à ce qu’exprime le malade ou son entourage (avec discernement) quand il ne peut plus s’exprimer.[83]

Une autre question que pose le récit de Vincent, c’est celle de la communication entre les médecins, le malade et sa famille.

Je n’oublie pas que nous n’avons que la version de Vincent à travers le récit élaboré par un journaliste qui milite en faveur de l’euthanasie et que la situation de Vincent est une situation très difficile. Mais, tant qu’on réduira les soins à la lutte pour la survie, que l’on n’aura pas d’autre message à donner que : « il n’y a plus rien à faire », « il faut faire le deuil de votre fils », on mettra les malades et leurs entourages devant des impasses, des murs insurmontables.

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Parmi d’autres messages adressés par les soignants à Vincent et perçus de manière difficile, comment ne pas entendre l’impact de l’annonce de la fin de la prise en charge en établissement de rééducation sans proposer apparemment d’autre projet et un accompagnement ? C’est à partir de cette annonce que Vincent dit avoir pris la décision de demander la mort.

Les rôles joués par le journaliste et l’éditeur posent très fortement question.

Bien sûr, il a sans doute eu le souci de permettre à Vincent de faire entendre sa souffrance et d’obtenir une réponse personnelle du Président de la République. Mais comment ne pas voir qu’en médiatisant cette demande il enferme Vincent et sa mère dans cette demande et empêche toute autre issue ?

La médiatisation empêche Vincent par exemple d’entendre vraiment le témoignage d’un malade aussi paralysé que lui et qui est aussi passé par une phase où il souhaitait la mort et qui tente de lui ouvrir une autre perspective que le seul souhait de la mort. Pour ce faire, ce malade lui écrit une très belle lettre qui a touché Vincent au point de la reprendre dans son livre.[84] Mais il ne pourra pas l’entendre vraiment et se dédire publiquement. Il ne pourra pas plus donner suite à la manière remarquable dont le Président de la République Monsieur Jacques Chirac, en s’impliquant dans la relation et en proposant une aide matérielle, en proposant de faire le point au bout de six mois, en prenant des nouvelles à plusieurs reprises, essayera d’ouvrir un espace de vie.

Vincent a exprimé de manière médiatisée son intention de mourir. Il se retrouve enfermé dans ce paradoxe de devoir clamer en même temps deux propositions contradictoires :

–     dire toute la vie reçue depuis trois ans à travers l’amour phénoménal de sa mère, un chemin qui lui a permis de retrouver une communication ;

–     dire dans le même temps qu’il est déjà mort, qu’il ne vit plus, que plus rien n’a de sens pour lui depuis l’accident.

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Cette situation débouche sur une demande exprimée à cette même mère qu’elle le tue. Au long des pages du livre, on voit bien qu’il a conscience, pour une part, de mettre sa mère dans une situation plus que difficile, et pas seulement à cause de la loi. Si on en croit ce qu’il écrit, il lui force littéralement la main.[85] Il fait écho sans s’y arrêter plus à l’expression de sa mère se demandant si elle aura la force de vivre après.[86]

Les réactions d’hommes politiques, de militants d’associations se battant pour promouvoir le droit à l’euthanasie et au suicide assisté, s’emparant de l’histoire de Vincent ne vont pas simplifier les choses. Vincent existe maintenant en se comprenant comme « le nouveau porte-parole de l’euthanasie en France », un « symbole » qui « a osé avec toute sa tête demander le droit de mourir. »[87]

Vincent est même enfermé par ce journaliste et son éditeur dans un scénario de mort sous les yeux du public qui pose vraiment problème sur la déontologie de ceux qui l’ont orchestré. Car Vincent n’a pas pu agir seul : il dépendait totalement d’eux pour la rédaction et la date de sortie de son livre, pour les conférences de presse de sa mère quelques jours avant.

On n’oubliera pas en le lisant que le livre a été mis en forme par le journaliste, à partir certes des expressions de Vincent. Mais qu’est-ce qui est vraiment de Vincent ? Qu’est-ce qui est du journaliste qui milite pour la promotion de l’euthanasie ?

Le journaliste et l’éditeur risquent bien d’avoir littéralement enfermé Vincent et sa mère dans une situation inhumaine en utilisant son histoire, pour des motivations militantes, pour faire « avancer une cause ».

Quel autre chemin s’ouvre maintenant pour cette mère qui, selon les mots mêmes de son fils, a souffert de cette médiatisation et dû se cacher, que de devenir une militante éperdue de la cause pour justifier un geste dont je ne suis pas sûr qu’il correspondre vraiment à son choix initial, encore moins qu’il lui ait permis de traverser au mieux cette épreuve.

La manière dont des militants, des journalistes, des associations s’emparent maintenant de cette histoire pour imposer l’évidence d’une remise en cause de l’interdit d’euthanasie dans un contexte fortement passionnel, en n’aidant pas le public à distinguer les questions en jeu comme celles que je viens de pointer ci-dessus a quelque chose de profondément malsain et malhonnête.

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Comment accepter, par exemple, qu’un quotidien réputé sérieux comme le Monde, dans l’éditorial écrit en écho à l’injection par la mère de Vincent de médicament pour provoquer sa mort laisse entendre que les soins palliatifs consistent à injecter des médicaments à dose létale ?[88] C’est un exemple parmi tant d’autres de cette confusion délibérément provoquée.

Qui, parmi les partisans de cette légalisation de l’euthanasie, dans le débat médiatique qui a suivi, a valorisé toutes les législations apparues depuis 1986 et qui permettent au malade d’avoir un droit à voir sa douleur traitée, à ne pas se faire imposer des examens ou traitements qu’il juge inadaptés pour lui, à pouvoir dialoguer en vérité, à pouvoir faire valoir sa volonté par un tiers s’il lui arrivait d’être dans le comas, à avoir des lieux de recours face à un médecin ou une équipe ?[89] Pourquoi ce silence délibéré ?

Qui a alerté sur le fait qu’on utilise une situation malgré tout exceptionnelle et qui, comme nous l’avons montré plus haut pose d’autres questions que celle de l’euthanasie et pouvait se régler autrement, pour imposer de manière large l’idéal de la mort volontaire, du suicide assisté ?

Quelle que soit l’opinion que l’on a sur l’euthanasie, que gagnera-t-on à un débat lancé et mené dans de telles conditions ? Si la cause est si juste, si évidente, s’il s’agit de faire « progresser l’humanité », pour reprendre des expressions de l’A.D.M.D., pourquoi de tels procédés pour imposer une légalisation de l’euthanasie dans la désinformation la plus totale ?

Nombreux seront ceux qui liront ce livre en étant renforcés dans la conviction de l’évidence du droit à l’euthanasie et au suicide assisté, notamment à cause de cette confusion délibérément instillée dans le débat médiatique par tous ceux qui utilisent la mort de Vincent.

D’autres trouveront dans ce récit, en percevant dans quelle situation s’est retrouvé Vincent, sa mère, l’équipe soignante, la confirmation qu’il est urgent d’ouvrir une autre voie, et ce en dehors de toute considération religieuse, et de ne pas enfermer des malades et leur entourage dans des champs relationnels aussi fous, qu’il est urgent d’avoir un vrai débat en profondeur et sans confusion.

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Je ne peux pas ne pas ressentir avec une profonde douleur la souffrance physique et morale dans laquelle Vincent et sa famille ont été enfermés, une profonde douleur aussi devant cette société qui promeut avec une telle force un idéal de mort.

La présentation de la situation des personnes dont il va être question ci-après[90] et qui se retrouvent totalement paralysées et incapables de toute communication si on les nourrit par gastrotomie et qu’on les fait respirer par trachéotomie, dans une situation proche de celle de Vincent, voudrait ouvrir d’autres perspectives que celle de l’euthanasie, d’autres perspectives aussi que de laisser et mettre un malade et sa famille dans une situation aussi insupportable sans qu’il y ait lieu pour autant de changer la législation actuelle.

9.3 Pourquoi évoquer la S.L.A. sous forme de 4 récits ?

  • Il y a d’autres maladies[91] particulièrement éprouvantes, mais j’aborde cette situation pour deux raisons :

–     D’abord, elle a été mise en avant à plusieurs reprises par ceux qui militent pour le droit à l’euthanasie et au suicide assisté. Il y a par exemple le film « Choisir sa vie, choisir sa mort » qui s’appuie sur cette situation pour revendiquer l’euthanasie.[92]

–     Ensuite, depuis la première édition de mon livre, j’ai été amené à accompagner dans la durée 4 malades de mon entourage proche. Avec eux, avec les autres personnes qui les entouraient, il nous a fallu inventer un chemin au jour le jour, un chemin à la fois commun aux quatre et propre à chacun.

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  • Je vais aborder cette question sous forme de 4 récits dans le but :

–     de ne pas réduire l’extrême difficulté que peuvent vivre des malades et leurs familles et de ne pas faire taire leur souffrance sous un flot de paroles théoriques ;

–     de témoigner qu’un chemin est possible, pas toujours autant qu’on pourrait le souhaiter, qu’il y a aussi de la vie à accueillir et même de la joie, à condition d’y être aidé ;

–     de permettre à ces malades d’entendre qu’il y a des précautions à prendre pour ne pas être réduit à un corps de douleur ;

–     de permettre à des soignants confrontés à des situations de ce type de bien réfléchir avant de proposer tel ou tel soin ;

–     de permettre aux soignants d’être aidés pour accompagner de tels malades et leur entourage, pour oser parler en vérité.

  • Un chemin de sens qui peut se vivre par des personnes non croyantes

Il se trouve que les quatre personnes proches que j’ai eu à accompagner avec d’autres sont 2 prêtres et 2 religieuses. Ils expriment forcément leur chemin dans toutes ses dimensions, y compris avec leurs mots religieux.

La foi ne les a pas dispensées d’un chemin humain communicable à d’autres qui ne partagent pas leur foi. Elle n’a pas empêché l’une d’entre eux de connaître une fin tragique.[93]

Dans le livre qui l’a fait connaître du grand public, Marie de Hennezel témoigne du chemin de Danièle, elle aussi atteinte de S.L.A. et athée et qui témoigne de tout un chemin de sens, un chemin qui a ému le Président François Mitterrand. [94]

On pourra aussi se reporter au livre « Le scaphandre et le papillon » écrit par un journaliste totalement paralysé, tout en ayant une autre maladie que la S.L.A., et qui trouve sens sans se référer à la foi et en continuant son métier d’écriture.[95]

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Dans les quatre récits qui suivent, comme dans tous ceux qui précèdent, il va de soi que j’ai gardé pour moi des éléments du partage qui relèvent du secret de la relation d’accompagnement, que j’ai transformé tel ou tel détail concret sans changer le vécu pour des questions de discrétion. Dans certains cas, dans la mesure où ce que j’écris est connu d’un large entourage et qu’il me faut rendre compte du lien qui m’amène à cheminer avec ces personnes, je n’ai pas masqué l’identité. C’est le cas de 3 des 4 récits qui vont suivre. J’ai toujours eu à cœur de respecter la personne, son entourage, et en même temps de ne pas esquiver des questions même douloureuses.

Ce qui est redonné dans tous les récits de ce livre veille à être au plus proche de ce qui s’est vécu sans enjoliver, sans taire ce qui a été plus dur, moins idéal. C’est une règle à laquelle je me suis tenu tout au long de ce livre. On a pu le constater dans la présentation de l’histoire de Mr Bonnet[96] où nous n’avons pas masqué les limites de notre attitude initiale.

9.4 Le chemin fait avec Françoise

De septembre 1984 à octobre 1986, tout en étant interne à Ivry, j’habite avec l’équipe des prêtres de la paroisse de Villejuif. Leur soutien m’a d’ailleurs été précieux à ce moment où j’écrivais ma thèse. Pendant toute la fin de ma formation de prêtre à Lyon, de 1986 à 1990, c’est cette équipe de prêtres qui m’accueille à la fin de chaque trimestre. Chaque été, je participe à l’équipe d’aumônerie de l’Institut Gustave Roussy de Villejuif, le centre anti-cancéreux.

9.4.1 Appel à l’aide au moment du diagnostic

A la paroisse de Villejuif, je fais connaissance avec Françoise. 65 ans environ, religieuse, elle habite en communauté avec des sœurs originaires de plusieurs pays dans un appartement à proximité de l’hôpital Paul Brousse.

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Après toute une carrière d’infirmière, elle est membre de l’aumônerie catholique de l’hôpital psychiatrique Paul Guiraud, le plus gros des trois hôpitaux de Villejuif même si ce n’est pas le plus connu.

Françoise tombe malade, au moment où j’étais séminariste à Lyon. Elle commence par avoir du mal à marcher. Pendant un temps, elle ne nomme pas sa maladie et en parle peu.

Dans le cas de Françoise, tant à cause de sa personnalité – une femme qui parle facilement et simplement de tout ce qui la concerne et tient à faire face -, tant par la qualité de sa neurologue, elle a rapidement pu parler en toute clarté de sa maladie et de toutes ses conséquences. Cela lui a évité bien des angoisses inutiles.

En avril 1989, Françoise me demande de passer la voir pour parler de sa maladie et demander de l’aide car elle connaissait notre travail à Charles Foix et avait été présente à la soutenance de ma thèse.

C’est à ce moment que Françoise m’a annoncé le diagnostic précis. Elle m’a partagé les sentiments qui l’avaient habitée : le choc au moment où elle a appris le diagnostic, la révolte, l’abattement, mais aussi une certaine paix, avec une alternance dans le temps de tous ces sentiments.

Elle a aussi évoqué le texte de la résurrection de Lazare :

–     « Il y a une phrase de l’Evangile qui m’a toujours révoltée et qui maintenant me parle, à condition de bien la comprendre : c’est quand des gens vont appeler Jésus pour qu’il vienne guérir son ami Lazare qui est malade. Il répond : « Cette maladie n’aboutira pas à la mort, elle servira à la gloire de Dieu : c’est par elle que le Fils de Dieu doit être glorifié. »[97] Maintenant, cette phrase prend tout son sens pour moi. »

Pour expliciter sa réflexion, elle a d’abord dit combien elle ne voyait pas la maladie comme un évènement provoqué par Dieu. Elle a été très claire sur ce point rappelant que nous ne voyons jamais Jésus se réjouir de voir quelqu’un souffrir ou théoriser sur la souffrance ; nous le voyons se faire proche de toute personne qui souffre et nous rejoindre sur la croix jusque dans cette souffrance.

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Ensuite, elle a expliqué qu’elle voulait s’ouvrir à la vie au cœur même de la maladie. Dans sa foi, elle avait confiance que la force lui serait donnée jour après jour, pas sans médiation humaine, en se recevant jour après jour des autres. Elle souhaitait, au cœur même de sa maladie qui la révoltait aussi, laisser transparaître quelque chose de l’amour du Dieu auquel elle croyait pour tout homme.

Dans le même temps, elle a dit sa fragilité, sa peur, sa difficulté à accepter d’être dépendante. Elle a exprimé sa souffrance, même si elle les comprenait bien, devant des réactions maladroites de son entourage.

Nous nous sommes retrouvés régulièrement mais rarement dans la mesure où je ne passais à Villejuif que tous les 3 mois. Elle était soutenue par les sœurs de sa communauté, par des gens de la paroisse et elle avait fait appel à Geneviève, une de ses amies médecin pour la soutenir au jour le jour. Elle était aussi soutenue par sa neurologue.

9.4.2 Appel à l’aide au moment où les complications sérieuses apparaissent

Son état a évolué rapidement. En avril 1990, elle est en fauteuil roulant électrique. Ses jambes sont inertes, elle a du mal à se servir de ses mains, elle a déjà du mal à faire entendre sa voix. Surtout, elle vient de faire plusieurs fausses routes[98] sans conséquences, sauf qu’elle en est angoissée et que ses sœurs sont très inquiètes.

Françoise demande à ce que je passe. Elle dit sa difficulté à se situer par rapport à ses sœurs qui parlent d’elle en dehors, ont du mal à savoir quand l’aider ou non et sont tentées de décider pour elle et sans elle, sont angoissées par le risque d’étouffement, ont du mal à parler avec elle de ce qui la concerne. Ce sont là des réactions naturelles qu’ont les proches de personnes atteintes par une maladie grave mais qui font problème pour la personne malade. Françoise demande à être aidée et à ce que sa communauté le soit.

  • Pourquoi une rencontre à trois et une rencontre enregistrée ?
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Nous convenons d’une rencontre à trois : elle, Geneviève son amie médecin et moi-même en enregistrant notre partage. Le choix d’enregistrer notre rencontre et de faire appel à Geneviève répondait à plusieurs objectifs :

–     Je n’avais qu’un temps bref pour passer, et donc pas la possibilité d’écouter beaucoup et d’arriver progressivement à aborder divers points, d’y arriver sur plusieurs jours et non pas d’un coup.

      Il faut bien noter qu’il ne s’agissait pas de l’annonce initiale du diagnostic, mais d’une réflexion sur la suite de la maladie à un moment où Françoise avait déjà fait tout un chemin. Ce dont il était question entre nous était déjà largement présent dans sa chair et elle avait eu du temps pour commencer à réfléchir de son côté par rapport à la paralysie, à l’étouffement. Un tel dialogue d’emblée aurait été inhumain.

–     C’est Geneviève qui assurait la présence au jour le jour et qui a été un grand soutien pour Françoise. Il était important qu’il y ait une même parole entre elle, Françoise et moi, qu’elle ne se trouve pas devant des paroles discordantes. Une « même parole », ne signifie pas une parole identique entre Geneviève et moi, mais une parole qui s’élabore ensemble et de manière pluriel dans la manière de se situer.

–     Nous devions aborder des choses difficiles et il me semblait important que Geneviève puisse corriger ou reprendre des choses que j’aurais mal exprimées, qui auraient été difficiles à entendre, ou mal comprises.

C’est cette cassette enregistrée le 13 avril 1990 que je retranscris sans l’enjoliver.[99] Le texte de cette retranscription donne à voir les repères qui nous guident dans la pratique ainsi que nos limites.

Il pourra aussi être relu, analysé et critiqué par des soignants qui voudraient se former. Je sais que l’histoire de Mr Bonnet dans le premier chapitre a été travaillée et critiquée dans des groupes de formation à l’accompagnement ou en éthique.

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Bien que cette retranscription soit longue, qu’il y ait des répétitions, au sein même de la retranscription et par rapport à ce qui se trouve ailleurs dans ce livre, je l’ai maintenue comme telle. Cela donne à voir la manière dont une personne malade entre petit à petit dans la compréhension des choses.

9.4.3. Le dialogue enregistré avec Françoise

  • La question de la parole avec les autres

Bruno

–     « D’abord, comme premier repère avant d’aborder des problèmes plus techniques, je tiens à te dire que je ne parlerai jamais en dehors de toi, je ne contacterai pas ton médecin ou tes responsables sans ton accord. »

Françoise

–     « J’espère bien. Je n’ai pas été ravie de savoir que d’autres étaient venus te questionner. Je ne souhaite pas qu’on parle de moi avec mes sœurs.[100] C’est moi qui parlerai. »

Bruno

–     « Il n’y a rien de pire, dans ce type de situation que d’avoir une parole séparée avec le malade et avec son entourage. Par exemple, ne rien dire au malade et parler avec sa famille en annonçant que leur parent a un cancer, c’est couper toute relation. Tous ne savent pas la même chose, du moins ne l’ont pas su ensemble et toute communication devient très compliquée. Il vaut mieux parler au malade et à son entourage proche, l’entourage que le malade a accepté comme interlocuteur avec lui. »[101]

Françoise

–     « Je suis bien d’accord. »

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Bruno

–     « Par contre, tu ne peux pas empêcher tes sœurs, ta responsable d’avoir des inquiétudes et d’avoir besoin de questionner, d’avoir besoin d’être aidées. C’est dans ce cadre, sans jamais parler pour toi, en les renvoyant toujours à toi, que j’ai accepté de répondre. Je les ai invitées à ne pas cheminer sans toi, à ne pas réfléchir seulement à « un problème », mais à regarder comment vivre avec ce nouvel évènement qui fait partie de la vie, qui n’est pas hors d’elle, votre vie religieuse. »

Françoise

–     « Je te remercie. C’est très important pour moi. »

Bruno

–     « J’ai moi-même été parler de toi sans toi. Mais j’avais besoin d’être aidé et de voir quelles perspectives pouvaient ou non s’ouvrir. J’ai été voir le Docteur Michèle Salamagne, responsable du service de soins palliatifs qui est au bout de votre rue. Si elle avait été ton médecin traitant, je ne l’aurais pas rencontrée sans ton accord. »

Françoise

–     « Ce qui me semble important aussi pour moi, c’est que ce soit l’ensemble de la fraternité qui puisse parler ensemble. J’accepte que mes sœurs puissent un jour parler sans que j’y sois, pour réfléchir pour elles-mêmes, mais je souhaite que la parole ne circule pas dans tous les sens mais ensemble. Surtout quand il s’agit de trouver des solutions, de prendre des décisions. Ça n’empêche pas que mes sœurs aient besoin de trouver quelqu’un pour parler personnellement et être aidées pour elle-même à vivre ce moment. »

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Bruno

–     « Tu as dit en nous accueillant avec Geneviève que tu étais contente de pouvoir parler avec des « gens compétents »…

Françoise

–     « J’ai parlé de gens compétents ?… Ah oui ! Je voulais dire de gens compétents dans le domaine médical. »

Bruno

–     « C’est vrai que nous avons une compétence, que j’ai une formation sur le traitement de la douleur, mais le chemin, nous ne le savons pas. Il est à chercher avec toi, avec ton entourage. Nous sommes là pour donner des repères en faisant toujours attention de ne pas présenter un seul chemin possible, en sachant que ce n’est pas nous qui pouvons faire le chemin. Dans l’accompagnement, j’ai toujours dit qu’il n’y avait pas « la » solution, que c’était toujours un chemin à inventer avec chacun en lien avec les autres. Tu ne peux pas le faire seule. En même temps, il y a des points de repère très clairs. Par exemple sur la douleur : on sait comment la traiter, on sait ce qui est solide. On a des « poignées » auxquelles tu peux t’accrocher, mais nous n’avons pas le chemin tout fait. »

Françoise

–     « D’accord. J’entends ça. »

Bruno

–     « N’hésite pas à demander à qui tu veux pour t’aider à avancer. Je m’excuse d’ajouter encore un point et de t’alerter sur un piège. Le piège, c’est de vouloir tout maîtriser seule. Une fois affirmé que le chemin est celui de la personne malade, le risque pour la personne malade, justement pour se méfier de ceux qui décident pour elle, sans elle, et parce que c’est très important de tenir les choses, de mener sa vie, c’est d’être enfermée sur elle-même. Il faut aussi savoir qu’on a besoin d’accepter une certaine démaîtrise, une certaine aide. Si je sais des choses en matière de soins palliatifs, je dis souvent que le jour où ce sera moi qui serai malade, ou le jour où ce seront mes parents qui le seront, j’aurai tout intérêt à me laisser guider. On a besoin de cette aide pour être pleinement responsable de soi-même. Cette aide n’est pas de l’ordre de l’assistance (au sens péjoratif du mot), encore moins de la substitution, elle est d’un autre ordre. »

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Françoise

–     « Ce qui suppose qu’on a créé des liens avant, qu’on a confiance dans la personne, qu’on est libre de la choisir, que c’est éclairci avant. Je suis tout à fait d’accord qu’il y a à se dessaisir, à tous les niveaux d’ailleurs. Le chemin que j’ai fait au niveau spirituel aussi. On ne peut se baser que sur la confiance. »

Bruno

–     « Cette aide n’est pas unilatérale. Toi tu as besoin d’être aidée, c’est clair. Mais nous aussi, nous avons besoin d’être aidés. La communauté a besoin d’être aidée et tu es une aide pour tes soeurs, pour nous. Ce n’est pas un échange que dans un sens. Nous recevons de toi. »

Françoise

–     « Tout à fait d’accord »

Bruno

–     « Dernier point de repère. Il faudra toujours penser aux deux niveaux :

  • Il y a un traitement médical technique, par exemple le traitement de la douleur.
  • Il y a aussi le chemin humain, spirituel. Ce qui se joue, ce n’est pas seulement ton chemin personnel, c’est celui de ta communauté de sœurs, de tous ceux qui te connaissent et vont cheminer avec toi.

      C’est important, sinon le problème technique occupe tout le champ. Je ne le dis pas pour toi. J’ai été très marqué par ce qu’on a partagé sur ce que tu disais à la fois de la panique mais aussi de ce que tu avais reçu dans ta maladie. C’était clair qu’on parlait à ce niveau, mais il te faudra aider les gens autour de toi : du fait qu’ils ont peur, ils voient d’abord la paralysie, les fausses routes, la dimension biologique. Ce qui devient premier pour eux, c’est l’inquiétude pour après : qu’est-ce qui va arriver, qu’est-ce qu’on va faire ? Il y a toute une angoisse.

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      C’est important, mais ils oublient d’écouter ce que tu deviens, ce qu’ils peuvent devenir en cheminant avec toi. Il faut répondre à l’aspect technique, expliquer, donner des repères, mais aider à regarder autre chose que la température, le poids, la tension. De là où tu es, tu peux les aider. J’ai fini sur ces remarques préliminaires. »

Françoise

–     « Ça va. »

  • Les questions de l’étouffement, de la douleur, de la dépendance physique à prévoir

Bruno

–     « Ce qui va être difficile, c’est qu’il va falloir aborder avec toi des questions que tu ne te poses peut-être pas encore, ou que tu n’es pas encore prête à entendre.

      Pourtant, c’est maintenant qu’il faut en parler. C’est aussi pour ça que la présence de Geneviève[102] est importante pour reprendre avec toi ce qui aurait été mal dit. Si une de tes sœurs est venue parler, c’est que tu viens de faire deux fausses routes légères à quelques jours d’intervalle ; ça les inquiète et ça se comprend. Je n’ai jamais accompagné de personnes ayant la S.L.A.. Aussi, j’ai été voir Michèle Salamagne qui vient d’arriver à l’Unité de Soins Palliatifs au bout de ta rue, pour avoir des repères. J’avais besoin de savoir ce qui pourrait être mis en place pour toi, et si tu le souhaitais, s’ils pourraient te prendre en charge en externe, puis éventuellement en hospitalisation. As-tu vu le film « Choisir sa mort, choisir sa vie » qui présente une personne atteinte de S.L.A. ? »[103]

Françoise

–     « Oui »

Bruno

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–     « C’est une raison de plus pour parler avec toi en clair. J’ai des points importants et sur lesquels tu peux t’appuyer : on peut aujourd’hui traiter la douleur de manière efficace sans être conduit à abréger la vie ou à plonger dans l’inconscience. De même pour l’étouffement. Le problème, c’est qu’actuellement, très peu de soignants le font, d’où toutes ces personnes qui meurent dans des conditions très difficiles. Si tu appelles un médecin non formé… »

Françoise

–     « Ce que tu appelles étouffement, c’est la fausse route ? Mais ce n’est pas forcément ça. Moi, ce qui me gêne davantage aujourd’hui, c’est l’insuffisance respiratoire, le fait que mes muscles ne me permettent déjà plus de respirer comme avant. Ça me tracasse plus que la fausse route en elle-même, sur l’instant, sur la durée, je ne sais pas comment dire. »

Bruno

–     « L’insuffisance respiratoire chronique, on ne peut pas l’empêcher. On peut améliorer un peu, pour un temps, mais on ne peut pas empêcher qu’elle s’installe. Par contre, cette insuffisance respiratoire chronique, elle entraîne une angoisse. »

Françoise

–     « Là, je suis d’accord. »

Bruno

–     « On peut et il faut traiter la part d’angoisse. Ta capacité d’effort se limite de plus en plus parce que les poumons ne respirent pas, parce que les muscles qui écartent la cage thoracique et permettent d’inspirer et d’expirer se détruisent peu à peu. On n’a pas de remède contre ça, mais on peut traiter l’angoisse qui en résulte. En même temps, tu n’es pas laissée seule. Il y a tout un travail d’accompagnement pour t’aider à arriver à consentir à cette limitation par la maladie, pas sans toi, pas à ta place. Il y a toute une part d’angoisse « biologique », liée à l’hypoxie, qui n’est pas maîtrisable par la seule relation et qui relève des anxiolytiques. Je ne te dis pas qu’il n’y a pas de problème d’insuffisance respiratoire chronique. Je te dis qu’on n’est pas sans éléments pour t’aider. C’est vrai que c’est un problème difficile. Tu peux avoir la « certitude » que tu ne seras pas submergée par l’angoisse.

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      C’est la même chose pour les douleurs dans le cas d’un cancer. La certitude c’est que la douleur sera traitée, la maladie, elle, évoluera. Il faut absolument combattre tous les raisonnements de ceux qui disent qu’il faut souffrir. La douleur détruit, détruit la personne, détruit la relation. Il faut dire et redire qu’il est possible de soulager la douleur et les autres symptômes, non seulement que c’est possible, mais que c’est une faute professionnelle de ne pas le proposer. Sur ce point là, on peut dire que la morphine notamment permet de traiter la douleur. »

Françoise

–     « Oui, l’élixir de Brompton. »

Bruno

–     « La morphine et les anxiolytiques, avec d’autres médicaments, maniés par des gens qui se sont formés résolvent le problème de la douleur, de l’étouffement. »

Françoise

–     « Là où je ne fais pas le lien, c’est que tu parles d’anxiolytiques, mais l’étouffement ? L’angoisse, c’est par rapport à l’étouffement. La difficulté à respirer, c’est quelque chose de différent, non ? »

Bruno

–     « Tu commences à manquer d’oxygène. Notre corps est fait de telle manière que l’hypoxie entraîne une certaine angoisse, une certaine douleur, qui fait qu’on s’en rend compte. Elle accélère le rythme respiratoire. Quand on se laisse gagner par la panique, on respire très vite, mais l’air ne va plus jusqu’aux alvéoles pulmonaires, on respire superficiellement et le manque d’oxygène s’aggrave. Mettre des anxiolytiques va déjà supprimer le caractère pénible de l’angoisse. Cela va aussi réduire la fréquence respiratoire, permettre de retrouver une respiration plus efficace car plus profonde. Mais ça ne comble pas la paralysie des muscles et le fait que les poumons n’arrivent plus à remplir correctement leur rôle. On ne joue pas sur le manque d’oxygène, on éteint le signal d’alarme. C’est pareil avec la douleur dans le cancer. (…)[104].

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      Je ne peux pas te garantir qu’il n’y aura pas de moments d’angoisse, mais qu’on aura les moyens, si elle survient, de la traiter. Par contre, ce qui est difficile, c’est la limitation progressive de tous les mouvements. Là-dessus, on ne peut pas grand-chose (même s’il y a des moyens techniques qui permettent de « tricher » pour un temps, comme ton fauteuil). Ce que l’on peut, c’est être à côté de toi sur ce chemin. Je te garantis que l’angoisse, l’étouffement, ne te détruiront pas. Mais il y a un moment où, à force d’anoxie, si on ne fait pas de trachéotomie, où le corps n’est plus oxygéné, où la mort s’ensuit. »

Françoise

–     « C’est clair. J’’entends ça. »

Bruno

–     « A aucun moment, on ne se met dans la perspective de provoquer la mort avec des médicaments. Par contre, l’angoisse, la douleur seront traitées. Si tu demandes à un médecin non formé, il refusera de mettre des anxiolytiques parce qu’il a appris qu’ils sont dépresseurs respiratoires et qu’il ne faut pas les mettre chez des insuffisants respiratoires. En fait, encore une fois, mis à doses progressives, les anxiolytiques ont bien un effet dépresseur respiratoire mais, en ralentissant la fréquence respiratoire qui était exagérée, ils améliorent la respiration, sans faire de miracle pour autant.[105]

      Il m’est arrivé d’accompagner une malade ayant un cancer du poumon[106]. Nous avons traité l’angoisse. Elle a été plusieurs jours avec de très fortes doses d’anxiolytiques, lucide, calme. Et puis elle s’est éteinte devant nous parfaitement calme. Le fait de connaître et utiliser cette possibilité a permis aussi à l’entourage, aux soignants, de ne pas s’angoisser eux-mêmes et de ne pas l’angoisser en retour. Tu comprends ? »

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Françoise

–     « Je comprends très bien. J’avais suivi un week-end sur les soins palliatifs pour l’aumônerie avec le Docteur Salamagne, au centre Sèvre[107]. Ça m’intéressait, mais sans être concernée en direct. Ça m’a toujours intéressée ce genre de choses. J’y ai pensé à tout ça. Mais, je n’en suis pas encore arrivé à ça, je suis entre deux, si tu veux. Je suis entièrement d’accord avec ce qu’on disait tout à l’heure : arrive un moment où il faut laisser les autres guider, ça ne me pose pas de question. Mais c’est tout « l’entre deux », tout « l’avant ça », si tu veux. »

Bruno

–     « Même là, tu ne te laisseras pas seulement guider. »

Françoise

–     « Oui… enfin… je ne sais pas comment je serai. Je ne l’imagine pas pour l’instant. »

Bruno

–     « Si le traitement de la douleur est mal fait, c’est aussi parce qu’il faut se laisser guider par le malade, et les médecins n’y sont pas toujours prêts. C’est le malade qui peut dire s’il a mal.[108] Jusqu’au bout, il te sera demandé de guider les choses, autrement bien sûr que maintenant. Nous on t’apporte une certaine aide technique, mais tu gardes une certaine maîtrise jusqu’au terme. »

Françoise

–     « Oui, d’accord. En tous cas, je le souhaite. Je le souhaite, franchement, je le souhaite. »

Bruno

–     « D’un autre côté, l’aspect de démaîtrise, tu es invitée à le vivre dès aujourd’hui, pas seulement demain. »

Françoise

–     « Je sais bien. Et c’est même plus difficile. »

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Bruno

–     « Ce n’est pas ‘maintenant je tiens par moi-même et demain je me laisse prendre en charge’. C’est vivre en même temps les deux mouvements maintenant et jusqu’au terme. C’est vrai des « bien-portants », sauf que des situations limites nous le rappellent. »

Françoise

–     « Je suis tout à fait d’accord. Mais, c’est un chemin. »

Bruno

–     « On a parlé de l’insuffisance respiratoire chronique, il faut parler de l’insuffisance respiratoire aiguë. Tu as vu le film : tu as vu qu’il y a des poussées, que par moment, la personne malade est dans des crises aiguës d’étouffement. Ces poussées posent un problème très particulier. Il faut pouvoir avoir la certitude qu’à aucun moment on ne se retrouvera durablement[109] dans cette situation. Tu as évoqué l’angoisse de l’hypoxie par insuffisance respiratoire chronique, mais il y a une autre angoisse, celle de la survenue d’une crise d’étouffement, d’une fausse route. Quand tu fais une petite fausse route, comme tu viens de faire ces jours-ci, il y a la peur plus ou moins claire : et si ça va plus loin ? Tant qu’on n’arrive pas à balayer cette part d’angoisse, on augmente l’angoisse au jour le jour, la difficulté à respirer donc, et cela augmente encore l’angoisse totale et la douleur. C’est un cercle vicieux. C’est pour cela déjà qu’il faut en parler. Cette angoisse relève d’abord de la certitude qu’on sera très rapidement pris en charge si l’évènement se produit.

      Si cela ne tenait qu’à moi, je ferais une explication technique sans attendre à la communauté sur quoi faire en cas d’urgence. Cela leur permettrait de parler de ce qui les angoisse, sachant que leur angoisse t’angoisse en retour et réciproquement. En faisant ça, tu rassurerais tout le monde. Tu permettrais à la communauté de ne plus être impuissante devant quelqu’un qui souffre mais de pouvoir prendre une certaine distance par une connaissance biologique, médicale, le fait de savoir quoi faire au cas où.

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      Il faudrait aussi mettre à domicile du matériel pour qu’elles puissent immédiatement intervenir en cas d’étouffement sans que tu aies à attendre l’arrivée du médecin. (…)[110] Il faut bien sûr appeler un médecin qui prendra le relais.

      Michèle Salamagne ne peut pas intervenir à l’extérieur et on n’entre pas en urgence dans un service de soins palliatifs. C’est donc important de laisser ici un mot très précis, connu par tes sœurs, par ton médecin traitant, élaboré avec lui, qui prévoit tout ce qu’il faut faire en cas d’urgence, qui redise très clairement ton histoire, la maladie que tu as, où tu en es, tes souhaits sur la conduite à tenir. C’est important de prévoir dans quel service de médecine aiguë être envoyée en attendant un transfert possible en soins palliatifs et en lien avec ce service pour que, dès l’arrivée en médecine, un traitement adapté soit lancé.

      En effet, si tu ne dis rien, l’attitude classique devant un étouffement, c’est d’appeler un SAMU, de faire une trachéotomie, de mettre sous machine. Après, tu peux vivre des années. Pendant ce temps, la maladie continue à progresser, tu ne peux plus bouger un doigt, plus écrire donc. Tu ne peux plus parler, à cause de la trachéotomie, mais tu as vu que des malades trachéotomisés arrivaient à apprendre à parler avec trachéotomie. Dans le cas de la S.L.A., comme tu n’as plus de muscle, tu n’as plus de souffle, plus de possibilité de parler. Tu ne peux donc plus communiquer et te retrouves totalement dépendante et pleinement lucide. Les seuls muscles qui fonctionnent encore sont ceux qui permettent aux yeux de bouger. Il est très difficile d’arrêter une machine vitale en sachant que l’arrêt de la machine va provoquer la mort.

      Il est plus facile d’avoir réfléchi à l’avance, refusé de mettre en œuvre tous les moyens qui auraient pu empêcher la mort biologique, mais qui n’auraient pas permis de retrouver une vie en relation, qui enferment dans une situation de souffrance extrême. Ce n’est pas de l’euthanasie.

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      Personne ne peut te faire de soins sans ton consentement. Encore faut-il que ce soit prévu, car ce n’est pas en urgence que peut se mener une telle réflexion et un médecin réanimateur n’aura pas d’autre attitude possible que de mettre sous machine, puis de réfléchir… mais trop tard. Si tu laisses un mot clair, avec un peu de chance, tu peux tomber sur un médecin du SAMU qui prenne en compte ton avis. Le mieux, c’est quand même quand le risque d’étouffement paraît important d’entrer dans un service de soins palliatifs, pour être sûre de ne pas être mise sous machine, pour ne pas connaître l’étouffement à domicile. C’est à toi de réfléchir, avec Geneviève, avec ta neurologue, avec ton médecin traitant, d’élaborer ta décision.»

Françoise

–     « La neurologue est prête à m’accueillir à tout moment. »

Bruno

–     « C’est important. Je pense cependant que l’on gagne dans des situations complexes comme la S.L.A. à être pris en charge dans un service qui s’est formé spécifiquement à toutes ces questions. L’important c’est d’avoir un dialogue dès aujourd’hui et sans attendre qu’une urgence ne se produise. C’est important que tu puisses reparler avec Geneviève et la neurologue de tout ça. Là, on aborde tout d’un coup. Il faut que tu aies le temps du recul, de pouvoir remettre en question les éléments que j’ai pu te donner avec d’autres. »

Françoise

–     « Ce que tu dis là m’aide bien. Je n’ai pas la technique précise, mais j’ai déjà réfléchi à la question pour d’autres. Quand j’ai pensé pour moi, ce qui me vient en tête aussi, c’est la même chose. J’ai accompagné des sœurs, dans d’autres types de maladies, et je connais déjà un peu les soins palliatifs. A la clinique où je travaillais comme infirmière, j’ai essayé de faire prescrire la morphine. Seulement comme les médecins ne la maniaient pas bien, ça n’était pas efficace. Je leur ai dit d’ailleurs. Ils n’entendaient pas. »

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Bruno

–     « Ça veut dire qu’on a des repères clairs, qu’il est possible de ne pas souffrir de douleur ou de l’angoisse lors d’un étouffement. En même temps, il y a tout un chemin que tu as à chercher, à inventer, avec Geneviève, avec la neurologue, éventuellement si tu le souhaites avec Michèle Salamagne. »

Françoise

–     « Avec mes sœurs d’abord ! Enfin, au niveau médical, d’accord. »

Bruno

–     « C’est dans cette assurance que la douleur, l’angoisse, peuvent être traitées, qu’il te faut réfléchir à la trachéotomie. Tu peux aussi faire le choix de l’accepter. »

Françoise

–     « Ça m’intéresse justement de savoir l’alternative.

Bruno

–     « S’il n’y avait pas ces possibilités de traitement de l’angoisse, de discernement pour mettre des soins adaptés en acceptant de ne pas tout mettre en œuvre pour empêcher la mort de survenir naturellement, l’alternative serait celle que présente l’A.D.M.D. :

  • soit la trachéotomie et des mois à être totalement dépendant et dans l’impossibilité de communiquer
  • soit la mort par euthanasie,
  • soit la mort sans trachéotomie, sans euthanasie et dans des souffrances d’étouffement insupportables. »

Françoise

–     « Ou cocktail lytique[111]… C’est ça que tu appelles l’euthanasie ? Je vais demander à la neurologue si elle connaît cette perspective des soins palliatifs. Ce n’est pas évident qu’elle connaisse. »

Françoise se tourne vers Geneviève dont le rôle jusqu’ici était un rôle de témoin passif pour pouvoir reprendre avec Françoise ensuite. Quelques instants, nous parlons à trois.

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Françoise

–     « C’est connu maintenant l’élixir de Brompton toutes les 4 heures ? Les médecins le pratiquent ? »

Geneviève

–     « C’est très peu utilisé encore. En ville, c’est encore pire. J’ai vu des malades revenir chez moi parce que le pharmacien refusait de leur délivrer l’ordonnance de morphine que j’avais faite.[112] »

Bruno

–     « Même des gens très connus comme le Professeur Schwartzenberg ne connaissent pas, ou n’utilisent pas correctement ces traitements. Par exemple, pour tel diplomate, il dit qu’il a été obligé de l’euthanasier parce qu’il souffrait trop alors qu’il avait 300 mg de morphine par jour. Mais il ne fallait pas l’euthanasier ! Il fallait faire un traitement correct de la douleur : augmenter prudemment la dose jusqu’à atteindre le seuil efficace pour calmer la douleur. En voulant être au service du malade, en fait, il tue par incompétence dans le domaine des soins palliatifs, alors même qu’il est très compétent dans d’autres domaines.[113] Aucun médecin n’est compétent dans tous les domaines. Je n’y connais pas grand-chose en cancérologie.

      Aujourd’hui, on voit des médecins qui n’utilisaient pas ou ne connaissaient pas le traitement avec la morphine être tout à fait prêts à se faire conseiller. C’est ce qui m’est arrivé il y a quelques mois à Limonest. Dans ce cas, comme pour toi, il m’avait fallu attendre que le Père Joseph[114] me fasse signe qu’il était prêt à en parler. Ce n’est pas parce qu’on habitait ensemble que ça m’autorisait à intervenir. Pour moi, c’est très important de tendre des perches, mais d’attendre que l’autre m’autorise à parler.

      Voilà, je pense que j’ai été clair. Je n’en dis pas plus pour la trachéotomie. Pour moi, c’est clair que la piste pour la réfléchir se situe dans ce cadre là :

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  • Choisir de vivre en acceptant la trachéotomie et aussi les conséquences qui y sont liées ;
  • Choisir de ne pas tout tenter au niveau biologique et, quelle que soit la durée qu’il reste à vivre, sans chercher à la maîtriser, chercher le chemin pour vivre au mieux avec les autres les jours qui vont rester, y vivre des moments de joie et de plénitude, et aussi des arrachements.

      Ce serait moi, mais je suis en bonne santé, et je ne sais pas ce que je dirais dans ta situation, et il n’y a pas une seule réponse, je ne ferais pas le choix de la trachéotomie. »

Françoise

–     « C’est ce que je pense aussi. J’en suis à peu près là, mais il faut du temps quoi. »

Bruno

–     « Je connais aussi des gens tétraplégiques depuis des années et heureux de vivre. Mais là, il faut bien mesurer qu’il n’y a plus de communication possible, ou du moins une communication très limitée. Tu ne peux même pas serrer la main de quelqu’un pour manifester quelque chose. »

Françoise

–     « Telle que je me connais c’est aussi mon choix. Mais je vais laisser du temps, en reparler avec Geneviève, avec la neurologue. Ce qui m’inquiète, c’est qu’il y a aussi une paralysie de la parole. Moi, je bafouille. Assez souvent, je m’en aperçois déjà. Ça m’inquiète. »

Bruno

–     « Oui. Il ne faut pas oublier que les autres paralysies évoluent en même temps. Si l’on n’empêche pas la mort de survenir naturellement, tu peux espérer arriver à communiquer jusqu’à ta mort, que la paralysie qui t’empêche petit à petit de parler aura aussi touché la possibilité de respirer et qu’il n’y aura pas un temps long à vivre sans pouvoir communiquer. Mais on ne peut savoir complètement. Chaque malade évolue différemment, pas à la même vitesse. Les atteintes musculaires ne se font pas dans le même ordre. L’un sera d’abord paralysé des jambes, un autre des bras, un troisième de la langue. »

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Françoise

–     « Pour le moment, c’est surtout au problème de la parole que je pense. Le problème de la fausse route… d’accord, j’étais impressionnée moi-même il y a quelques jours quand j’en ai fait une ; ça m’a choquée. M’enfin ce n’est pas ça qui est le plus présent dans ma tête pour l’instant. C’est l’insuffisance respiratoire chronique. Je m’essouffle vite. C’est la question de la communication. »

Bruno

–     « Dans le film, tu as vu des gens à qui on a mis la trachéotomie. On a empêché la mort ; la paralysie a continué à évoluer et elles se retrouvent incapables de communiquer.

      Si on fait le choix de ne pas mettre de trachéotomie, on n’a pas à craindre de se retrouver des années sans pouvoir communiquer ni bouger. On peut même espérer communiquer jusqu’au bout ou presque. On est étonné, même avec des moyens très réduits de la richesse de communication qui peut se vivre avec un regard, un petit mouvement. C’est insupportable si ça dure des mois, surtout si on avait pu éviter de se retrouver dans cette situation par un discernement fait avant, mais je suis témoin de relations riches avec des gens très diminués. J’ai beaucoup reçu dans la communication avec des malades qui ne parlaient plus, qui vivaient d’authentiques moments de joie, avec qui il y avait une communication étonnante. »

Françoise

–     « Je l’ai aussi vécu avec des malades. »

Bruno

–     « Je ne peux pas t’en dire beaucoup plus. J’insiste sur le fait que tu as raison de prendre du temps pour réfléchir et décider, de penser que la question de l’étouffement ne se pose pas tout de suite. Mais on ne peut pas prévoir le moment où va survenir une fausse route et c’est avant qu’il faut avoir réfléchi, c’est avant qu’il faut avoir prévu l’attitude à avoir. Michèle Salamagne serait prête à te recevoir pour réfléchir avec toi et envisager un soutien par l’Unité de Soins Palliatifs si tu le lui demandes.

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      Il est bon de ne pas attendre plus pour prendre contact pour que les choses puissent se présenter sereinement quand cela sera nécessaire, que tu sois connue et attendue, que tu saches où tu vas, comment tu seras entourée le moment venu. Elle est prête à te prendre en consultation externe dès maintenant en dialogue avec ta neurologue pour conseiller au niveau des soins palliatifs à mettre en œuvre dès maintenant. Ils peuvent aussi aider ta communauté. »

Françoise

–     « C’est bien. »

Bruno

–     « Je t’alerte encore par rapport au film : il n’a montré qu’une chose, l’horreur, sans présenter de repères permettant de sortir de la seule perspective de l’euthanasie. A aucun moment il n’a montré que, même de manière difficile, un chemin est possible, y compris avec ses joies et quelque chose de l’ordre d’une croissance humaine. »

Françoise

–     « En fin de compte, le film ne m’a pas tellement… »

Bruno

–     « C’est dur à regarder… »

Françoise

–     « Oui, justement ! C’est trop ! C’est du cinéma ! D’une certaine manière. Je veux dire que ça rendait bien compte de la réalité vécue par les malades, mais à travers le prisme de la caméra et en nous rendant spectateur. C’est le débat après qui m’intéressait. Mais il n’était pas très clair. On ne savait pas toujours de quoi ils parlaient. Je ne peux pas dire que je sois choquée par le film parce que je pense qu’on peut se servir de cette maladie autrement, on peut y vivre autre chose. »

Bruno

–     « Sur le plateau, il y avait des gens de l’A.D.M.D. et leur discours enferme les gens dans un vécu exclusif de la maladie sous le mode de l’horreur. Ça rend le débat difficile. On était dans la non communication. »

Page 293

Françoise

–     « Oui, justement. Pour moi, c’est trop, c’est caricatural. On peut vivre autre chose autrement. Le film, pour moi, c’est une parenthèse. Je suis contente de l’avoir vu, entendu, mais je ne peux pas dire que ça m’ait bousculée dans un sens ou dans l’autre. »

Bruno

–     « Le service de soins palliatifs, et plus largement tous ceux qui seront amenés à t’aider, ce ne sont pas seulement des gens qui peuvent t’aider, c’est aussi des gens qui peuvent recevoir beaucoup de toi. Je reçois beaucoup dans l’échange que nous avons là. Ta manière d’aborder ta maladie me marque déjà. Elle marque les gens autour de toi, et, s’ils parlent, ce n’est pas seulement pour dire « Oh, la pauvre… », ou « c’est atroce… ». Tu ne seras pas seulement en situation d’être aidée. Il est reçu quelque chose. Je le dis peut-être trop facilement, et je n’oublie pas que je suis sur mes deux pieds. Mais j’ose quand même, si ça peut t’aider à ouvrir un chemin : ta vocation de religieuse, tu risques de la vivre au-delà de ce que tu peux attendre. »

Françoise

–     « Oui. Je pense que c’est donné. Ma vocation, elle se réalise en plein. Justement, ce n’est pas un « faire », c’est un « être ». Il y a tout ce que je sais, tout ce que je pense, tout ce que je crois. Il y a aussi tout le poids que ça ne se passe pas aussi facilement au quotidien que ça se passe dans ma tête et mon cœur aujourd’hui. Mais c’est tout. C’est toute une démarche. C’est pour ça qu’il me semble important de mettre la fraternité dans le coup et que ça ne soit pas trop lourd pour elle à porter.

      Ce dont je n’ai pas bien conscience… je ne voudrais pas dramatiser les choses… je me dis qu’il y a du temps, toujours du temps. Je suis comme ça. Mais je vois bien que depuis six semaines, ça diminue pas mal. Je m’essouffle dès que je parle comme tu le vois. Mais je ne voudrais pas mobiliser, dramatiser maintenant. C’est là que je ne sais pas bien mesurer les temps… »

Bruno

–     « C’est pour cela que je me suis permis d’intervenir et de t’inviter à ne pas tarder pour prévoir la question de l’étouffement.

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      Ce serait dommage, sous prétexte de ne pas dramatiser, d’attendre alors que les choses se dramatisent d’elles-mêmes, et ce d’autant plus que les urgences n’ont pas été prévues à l’avance. De parler d’emblée de tout clairement, d’avoir tout prévu pourra t’aider et aider ton entourage et t’éviter de te retrouver dans une impasse. Ça permet de vivre bien le temps, car, au niveau du temps, je n’en sais rien. Il n’y a rien de pire que de donner à quelqu’un un temps : tu en as pour tant de temps… C’est un abus de pouvoir et ça coince la personne.

      La question n’est pas

  • pour combien de temps j’en ai ?
  • mais comment je vais vivre ce temps en faire quelque chose en relation avec les autres, et pour cela être rassuré sur le terme parce qu’il a été prévu ?

      Par contre je sais que c’est absolument urgent d’en parler et absolument urgent de prévoir l’urgence. (…)[115] Je n’insiste pas plus. »

Françoise

–     « Oui, d’avoir pu parler avant, d’avoir prévu ce qui se passerait et quoi faire, c’est une libération, c’est sûr. »

Bruno

–     « Il y a un quatrième problème, c’est celui de la dépendance physique. Quand elle sera plus complète, où la vivre ? Ici avec tes sœurs, dans une maison médicalisée ? La réponse dépend de toi, mais pas sans tes sœurs. Comment l’aborder ensemble ? Comment comprendre qu’elles ont besoin aujourd’hui d’être rassurées pour la suite ? »

Françoise

–     « J’ai déjà ma petite idée sur la question. Ça, j’en parlerai avec elles. Mais pas pour l’instant. »

Bruno

–     « Voilà. Je m’excuse. J’ai beaucoup parlé. Je t’ai donné des éléments. Je n’ai pas pris assez le temps d’écouter où tu en étais. Je t’ai donné des cartes et je sais que tu pourras les reprendre avec Geneviève qui est là et t’accompagne. »

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Françoise

–     « Ne te tracasses pas. »

9.4.4 La suite du chemin

Cette rencontre, et celle qui a suivi avec sa communauté, a été source de paix pour elle, pour ses sœurs. La prise en charge par l’unité de soins palliatifs de l’hôpital Paul Brousse à Villejuif, d’abord sous forme de consultations, puis quand elle a été beaucoup plus faible et a fait une fausse route plus importante, en étant hospitalisée quelques semaines avant de décéder en paix sans que sa mort n’ait été provoquée.

Dans le souvenir spontané que j’ai de ce chemin, il y a bien sûr les moments de combat, de révolte, il y a surtout tous les partages avec Françoise, y compris quand on n’entendait presque plus sa voix, un commentaire extraordinaire qu’elle m’a fait du Notre Père et d’autres textes. Si elle a fait le chemin en s’appuyant sur sa force à elle, il est clair qu’elle a reçu ce chemin de tous ceux qui l’ont accompagnée. Dans la foi, comme d’autres évoqués ici, elle dit aussi : « Ça m’a été donné. C’est un Autre qui vit en moi. »

9.5 Le chemin fait avec Jean

En 1990, je suis ordonné prêtre et envoyé à Champigny où j’habite avec François. Je suis nommé vicaire sur deux paroisses : sur le quartier de Coeuilly et des Mordacs ou je collabore avec François ; je suis aussi nommé sur la cité du Bois l’Abbé, un quartier de grands immeubles, le seul classé en « Zone Franche[116] » pour le Val de Marne de part la pauvreté des gens qui y sont et j’y collabore avec Jean, curé de la paroisse. Jean habite seul au centre paroissial du Bois l’Abbé. L’équipe comprend aussi Jean-Pierre qui a la responsabilité de la mission ouvrière et m’aide à découvrir la Jeunesse Ouvrière Chrétienne et l’Action Catholique Ouvrière (pour les adultes) ; il habite en H.L.M. sur le Bois l’Abbé.

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Il y a aussi Michel, prêtre ouvrier, chauffeur de bus, également en H.L.M. sur le Bois l’Abbé.

2 ans après notre arrivée, Jean, 66 ans, se met à lâcher des objets de manière inexpliquée. Un jour, il laisse tomber le calice. Commence alors une série de consultations et d’examens complémentaires. Là encore, l’atteinte musculaire sans signe sensitif et progressive est caractéristique. Les médecins ont certainement fait le diagnostic d’emblée, uniquement avec l’examen clinique. Comme pour Françoise, ils temporisent pour parler vrai. Mais là, ils ne vont jamais arriver à une parole comme celle entre Françoise et sa neurologue.

6 mois après, ce qui était adapté au début[117] va devenir source d’angoisse pour Jean et pour l’entourage non averti qui multiplie les avis et ne comprend pas ce qui se passe. Quant à moi, je suis tenu au silence pour ne pas mettre Jean dans une situation insupportable : ne pas savoir et être avec d’autres qui savent, ne plus pouvoir avoir de communication vraie avec ses proches.

Comme la situation s’aggrave nettement et qu’aucune parole vraie n’a été ébauchée par les soignants, je propose à Jean d’aller consulter mon oncle, le Professeur Laplane. J’avais téléphoné auparavant pour vérifier mon diagnostic à partir des éléments que j’avais rien qu’en faisant parler Jean et que je lui transmettais. Il était d’accord pour aider Jean à comprendre et nommer ce qui lui arrivait.

Quelques jours après Noël, nous dînons en tête à tête, à son retour de consultation. Il a le visage sombre de celui qui vient d’apprendre une catastrophe. Il pose une question ; je réponds comme je peux. Il reste en silence un long temps, jusqu’à 10 minutes. Je reste aussi silencieux. Puis il questionne de nouveau. Le contenu de l’échange sur plusieurs jours a été du même ordre que celui avec Françoise, avec une différence : sans nier le chemin difficile qui l’attendait, j’ai pu évoquer toutes les joies profondes partagées avec Françoise et témoigner qu’il y avait de la vie à recevoir et pas seulement une situation d’horreur à vivre.

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A chaque fois qu’il va devoir passer un nouveau stade de la maladie, avec de nouvelles conséquences fortes pour sa vie de chaque jour, nous le verrons passer par un temps où il semble lutter, serrer les dents, puis nous le verrons se laisser gagner par la paix de celui qui avait pu consentir et rechoisir la vie.

Lors des réunions d’équipe pastorale, lui qui, par discrétion et timidité, ne disait pas grand-chose de lui-même avant sa maladie, partage de plus en plus, aussi bien ce qui était difficile que les joies vécues. Il laisse de plus en plus rayonner de lui une grande tendresse et bonté pour ceux qui viennent le voir, un sourire de plus en plus lumineux.

Quelques moments m’ont plus marqué, et, avant de dire toute la vie reçue, je ne voudrais pas passer sous silence tout ce qui a été douloureux.

Un jour où nous marchions dans la rue, où ses bras étaient totalement inertes, ballants, ou ses jambes le portaient de plus en plus mal, où la fonte des muscles dorsaux lui donnaient une attitude caractéristique avec le ventre proéminent, un creux lombaire très exagéré, il a heurté le bord du trottoir sans que je puisse empêcher sa chute, face contre terre. Il n’a pas pu esquisser le moindre geste de protection avec ses mains. Le repas qui a suivi immédiatement et de nouveau en tête-à-tête, a été particulièrement douloureux, d’autant qu’il avait été très choqué et a mis du temps à reprendre vraiment ses esprits : ainsi, à la fin du repas, tout d’un coup, il demande où il est, quelle heure il est. Quelques jours après, il avait consenti à ce nouveau stade franchi et retrouvé sa paix.

Il y a eu la difficulté à décider d’arrêter de conduire : c’était accepter une plus forte dépendance. Nous essayons de l’alerter, mais il pense pouvoir encore conduire dans Champigny. Un soir, il n’a pas la force d’actionner la poignée de la porte de sa voiture, ni de tourner la clef de contact. Il vient me rechercher au presbytère pour que je l’aide à tourner la clef de contact et à pouvoir monter dans sa voiture. J’ouvre la porte, je mets le contact, je referme la porte. Je ne redis rien de toutes les mises en garde répétées que je lui adressais depuis quelque temps. Chacun de nous deux a vécu douloureusement cette nouvelle étape. Je l’ai regardé repartir au volant avec de grosses difficultés pour prendre le virage au coin de la place. Quelques jours après, il donne sa voiture à un neveu et nous l’avons trouvé de nouveau très serein d’avoir pu consentir.

Quand il n’a plus pu habiter seul au centre paroissial de la cité du Bois l’Abbé, il a été partager le logement H.L.M. de Jean-Pierre.

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Auparavant, au cours d’une rencontre d’équipe consacrée à parler de sa maladie, de ce que ça lui faisait vivre, de ce qu’il attendait de nous, de ce qu’il souhaitait pour la suite, il avait passé un contrat :

–     « Quand je ne pourrai plus m’assumer, m’habiller, faire ma toilette, j’entrerai en maison de retraite publique à la ville voisine. »

Il était aussi convenu que nous irions le chercher régulièrement pour qu’il mange avec nous, ce qui s’est fait effectivement jusqu’à la fin.

Si nous habitions en divers lieux, nous nous retrouvions tous les jours, midi et soir, pour manger ensemble. Il y avait là François, Jean, Jean-Pierre, Michel, moi-même, et aussi Joaquim.

Joaquim, prêtre portugais, vient consulter à Paris en octobre 1992. Il vient de faire une grave hémorragie digestive par rupture des varices oesophagiennes provoquées par une cirrhose du foie[118]. Dans son cas, il ne s’agissait pas d’une complication de la maladie alcoolique mais d’une complication d’une hépatite virale chronique toujours active. Il était au stade terminal de la maladie et venait envisager la possibilité greffe. Il a demandé à être accueilli pour une semaine et il restera 3 ans à habiter avec nous. En avril 2003, Il vient de fêter les dix ans de sa greffe. Depuis septembre 2004, il a repris un ministère actif dans le diocèse de Créteil. Je le mentionne, car, dans un livre qui plaide pour les soins palliatifs, des soins qui se caractérisent souvent par une abstention de traitements à visée curative, je ne voudrais pas laisser croire que la prise en compte de l’ensemble des besoins de la personne passe par un refus de soins éventuellement très techniques et performants.

Jean donc, a de plus en plus de mal à manger. Il était convenu que nous ne l’aidions que si il nous faisait signe de le faire, pour ne pas l’énerver par une prévenance inappropriée. Nous avons dû manger de plus en plus lentement pour que Jean n’ait pas trop l’impression d’être un poids pour nous. Nous sommes souvent sortis de table après 14h.

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Comment dire le bénéfice pour nous, en devant faire attention à notre frère, que d’être obligés d’arrêter de courir et d’être provoqués à vivre des temps de partage fraternel dans un monde où l’on ne sait trop souvent que courir ?

Lors d’un de ces repas, Jean arrive rayonnant disant sous forme de boutade, utilisant l’humour qui le caractérisait pour évoquer et ce qui était dur, et le seuil franchi dans un nouveau renoncement consenti :

–     « J’ai fait gagner son ciel à quelqu’un »,

–     « Ah bon ! Et comment ? »

–     « J’étais dans le bus, je ne pouvais pas lever les bras pour appuyer sur le bouton et demander l’arrêt et quelqu’un a sonné pour moi. Et puis, auparavant, il s’était levé pour me laisser sa place. Quand il arrivera au ciel, on lui dira : entrez donc, je ne pouvais pas sonner et vous avez sonné pour moi… »

Jean faisait allusion à un passage de l’Evangile de Matthieu[119] sur lequel il est souvent revenu tout au long de sa maladie :

« J’ai eu faim et vous m’avez donné à manger, j’ai eu soif et vous m’avez donné à boire (…) Quand est-ce que nous t’avons vu avoir faim, soif et que vous m’avez donné à manger, à boire (…) Chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait. »

Il a commenté ce passage en disant :

–     « J’apprends à vivre cet Evangile dans les deux sens. Jusque-là, j’essayais de donner aux plus pauvres. C’est encore assez facile. Maintenant, j’apprends à recevoir et à permettre à l’autre de donner. »

Je ne peux oublier les messes du dimanche concélébrées avec Jean et Joaquim. Jean ne peut plus du tout lever les bras mais il lui arrive de présider quand même. Il dit les paroles, nous faisons les gestes de bénédiction qu’il ne peut plus faire. Nous lui tenons les mains pour la consécration.

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Devant toute l’assemblée réunie, comme pour un enfant, nous mettons l’hostie dans sa bouche, nous portons le calice à ses lèvres pour qu’il puisse boire. De son côté, tant que la greffe n’a pas été faite, Joaquim reste assis tout le long de la célébration. Le teint jaune cireux du malade en insuffisance hépatique très avancée, il ne se lève que le temps de la consécration. Comment rendre compte de la communion que nous avons vécue là, du message d’Evangile, tout simplement du message humain qui s’est dit là, presque malgré nous ? Comment dire tout ce que nous avons reçu jour après jour ?

La veille de Noël, pour la première fois, Jean demande à Jean-Pierre de l’aider à prendre son bain. Je ne sais pas ce que Jean a pu dire, mais je me souviens que, en arrivant à table, Jean n’étant pas encore là, Jean-Pierre nous a dit que la fête de Noël prenait un sens très particulier pour lui à travers le fait d’avoir eu à donner ce bain à Jean.

Quand il a été plus dépendant, Jean est entré à la maison de retraite de la ville de Villiers sur Marne. Il a eu un grand impact par la qualité de son attention à chacun : aux malades, aux familles, au personnel, à tous ceux qui viennent le visiter. Régulièrement, il vient manger avec nous et continue à célébrer avec nous. Ces bras étaient inertes, mais ses jambes le portent encore.

Quelque temps après, alors qu’il arrive encore à se lever, de manière inattendue, il meurt dans son lit, d’un accident cardiaque. Avec Michel, Jean-Pierre et François, nous avons porté son cercueil à l’entrée de la célébration et à la sortie comme cela se fait dans certaines familles. C’est une des occasions où j’ai senti combien nous pouvions être unis entre prêtres par des liens fraternels très forts.

A la veillée qui a précédé et dans les jours qui ont suivi, beaucoup ont pris la parole pour dire ce que Jean avait été pour eux. Il y avait parmi eux beaucoup de personnes très pauvres du Bois l’Abbé, l’un des quartiers les plus pauvres du Val de Marne. Il y avait des personnes originaires de tous pays, y compris des musulmans qui avaient tenu à être présents parce qu’ils croisaient Jean dans la rue, qu’il les avait écoutés, accueillis. Des pensionnaires et des membres du personnel de la maison de retraite de Villiers étaient là. Tous ont dit combien ils avaient été marqués par Jean, avant sa maladie déjà, mais aussi dans tout le temps de la maladie. Tous ont souligné combien il était devenu chaque jour plus rayonnant, communiquant une joie profonde. Beaucoup disaient combien il n’avait jamais tant communiqué que pendant tout ce temps de maladie. Certains, ont utilisé le mot de « transfiguration » pour dire ce qu’ils percevaient chez Jean.

S’il y a eu toutes les pertes difficiles, ce que l’on peut aussi nommer « dégradation », il est incontestable qu’il s’est aussi vécu quelque chose de l’ordre d’une croissance, que Jean a grandi en humanité et nous avec lui.

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9.6 Le chemin fait avec Marcelle[120]

Marcelle est religieuse. Elle a eu une vie très active, très engagée auprès des plus pauvres dans des cités. Fin 1999, sa voix se modifie rapidement ; sa langue commence à se paralyser. Elle a de plus en plus de difficultés à manger. Ses mains commencent rapidement à être atteintes. Une fois de plus, ce tableau de paralysie motrice pure inexorable et rapidement progressive dans son cas, sans atteinte sensitive, empêche tout doute. Là, il s’agit d’une forme « bulbaire » de la maladie, forme qui atteint d’emblée les nerfs crâniens, parmi eux, ceux qui commandent la déglutition, une forme qui évolue très rapidement.

Comme pour les personnes évoquées ci-dessus, les soignants n’osent pas une parole vraie. Cela provoque une vive inquiétude chez Marcelle et dans sa congrégation. Certains se demandent même si la transformation de sa voix dont « on ne trouve pas la cause » malgré de multiples examens pendant 6 mois ne serait pas d’origine psychologique. Marcelle a souffert d’être prise pour une « malade psy ». Elle n’ose plus parler, se montrer. Chacun autour d’elle y va de son avis. Elle finit par changer d’équipe soignante de référence, mais toujours le même silence des soignants, les paroles en contradiction avec ce qu’elle vit effectivement. Et, bien sûr, aucune parole sur l’éventualité de fausses routes, d’étouffement, et donc la nécessité de prévoir l’urgence et refuser toute trachéotomie parce que d’autres perspectives lui auraient été proposées.

Une de ses amies qui me connaît et sait que mon ministère me fait voyager et m’amène à passer régulièrement dans cette ville de l’Ouest de la France où Marcelle habite la met en contact avec moi. Nous nous sommes rencontrés régulièrement au moins une fois par mois d’avril à novembre 2000, date de son décès. Nous nous sommes aussi écrit et téléphoné y compris deux fois en pleine nuit dans des moments d’angoisse.

Lors du premier partage, elle raconte sa vie, redit comment elle a entendu l’appel de Dieu :

–     « Quand j’avais dix ans, j’avais été visiter une camarade de classe vivant dans des baraques, dans une extrême pauvreté.

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      Je lui avais apporté des fruits, mais, en revenant, je me suis dit que ce n’était pas ça que je devais faire : il me fallait donner ma vie. Ça m’a toujours parlé de donner ma vie pour les pauvres à la suite de Jésus. Mais je n’avais pas prévu devoir la donner comme aujourd’hui, je n’avais pas prévu que c’était moi qui aurais à devenir pauvre. »

Puis Marcelle parle de cette maladie qui évolue vite et a débuté immédiatement sur des muscles vitaux (déglutition, respiration).

–     « Je ne comprends pas ce que font les soignants, pourquoi ils me font tant traîner, pourquoi la prochaine consultation n’est que dans un mois. Ils ne me disent rien. Ça m’angoisse. Je rêve que je n’ai pas de maladie grave, mais je sais bien que c’est grave. Je n’arrive pas à l’accepter. Ne me dis pas que c’est la maladie de Charcot (ou Sclérose Latérale Amyotrophique) ! »

Je n’avais rien évoqué jusque là. Je reste silencieux. C’est elle qui parle et qui enchaîne dans la foulée :

–     « Ce week-end, j’ai participé à une récollection (journée de prière). Nous avons médité le texte de la pêche miraculeuse après la résurrection dans St Jean où Jésus dit à Pierre pour évoquer la mort comme martyre qui l’attendait :

« Quand tu étais jeune, tu mettais ta ceinture toi-même pour aller là où tu voulais ; quand tu seras vieux, tu étendras les mains, et c’est un autre qui te mettra ta ceinture pour t’emmener là où tu ne voudrais pas aller… »[121]

      « Cette phrase m’a beaucoup parlé et donné la paix. C’est bizarre : je pleure et je ris, et je suis en paix. La nuit, je rêve beaucoup en ce moment : je revois toute ma vie qui défile. J’ai dit aux sœurs que je pensais à me jeter par la fenêtre si j’apprenais que j’avais quelque chose de grave. J’ai préparé mon sac pour le faire. J’ai été voir un film avec les sœurs de ma communauté. Il s’agissait de quelqu’un qui voulait se jeter par la fenêtre. Un autre lui demande de ne pas le faire parce que sa voiture est en dessous. On a ri. J’ai peur de la mort. »

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–     « De quoi as-tu peur, dans la mort ? »[122]

–     « De souffrir, de la déchéance. »

–     « Tu as connu des gens qui ont souffert, connu la déchéance ? »

–     « Oui »

–     « Des proches ? »

–     « Une belle-sœur qui avait un cancer et qui a souffert horriblement. Un cousin qui est mort de la maladie de Charcot. Au moment d’en arriver à lui faire la trachéotomie, ils lui ont fait une piqûre pour le tuer. Ils sont morts dans de grandes souffrances. »

J’évoque les progrès des soins palliatifs, la nécessité de prévoir l’urgence. J’évoque le chemin avec le Père Joseph et tout ce qui s’était vécu positivement, dans la paix. Elle enchaîne :

–     « Les médecins ne me disent rien. Ils me font attendre. L’hôpital public, ça ne marche pas. Quelqu’un de ma famille m’a trouvé un rendez-vous dans une clinique huppée et réputée… S’ils ne se dépêchent pas, c’est peut-être qu’il n’y a pas d’urgence, qu’il n’y a rien à faire. Mais moi, je sens que ma langue se paralyse, que mes bras, mes doigts surtout, se paralysent vite. »

–     « En fait, même si tu n’as pas le nom de la maladie, tu sais ce que tu as. Comment le dirais-tu ? »

–     « J’ai une paralysie progressive des muscles de la langue, des bras. J’ai la même chose que mon cousin. »

–     « Tes jambes ne sont pas atteintes ? »

–     « Pas pour le moment. L’autre jour[123], j’ai trouvé que le chemin de l’église à la communauté était beaucoup plus long. J’ai mis deux fois plus de temps qu’avant pour rentrer.

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      J’ai du m’allonger en arrivant. Je voudrais que les médecins me disent la vérité. »

–     « Tu sais, il faudra les y aider. Des fois, ils n’osent pas parler clairement parce que c’est dur pour eux d’annoncer quelque chose de grave et ils ont peur que le malade ne soit pas prêt à entendre. Si le malade leur tend la perche, ça les aide, et ça permet au malade de comprendre ce qui lui arrive et d’être mieux aidé. Si tu veux, mais seulement si tu le demandes, je suis prêt à prendre contact avec ton médecin, ou même à t’accompagner à la consultation pour t’aider à parler avec lui, à poser les questions que tu voudrais lui poser. »

–     « D’accord, je te ferai signe. Mais ce n’est pas la peine tout de suite. On a le temps de voir. Ce n’est pas urgent. J’attends que tous les examens soient faits. »

Marcelle ne saisira pas cette perche et comme j’étais basé loin de la ville où elle vivait, ça ne s’est jamais réalisé. Elle est devant la même difficulté que Françoise : comment apprécier le temps où l’on est ?

–     « J’ai peur que ça soit la maladie de Charcot. »

–     « Je ne sais pas. Il faudrait parler avec ton médecin. En tous cas, quel que soit le nom que l’on donne à la maladie, tu l’as dit toi-même tout à l’heure, ce que tu peux constater, c’est que tu as une paralysie progressive qui touche ta langue, tes mains. Même si c’était la maladie de Charcot, on ne connaît pas la durée d’évolution. Tu as peut-être beaucoup de bon temps à vivre devant toi, peut-être un temps plus court. Je voudrais te dire le chemin fait avec deux autres personnes atteintes de paralysie progressive et que j’ai accompagnées. C’est vrai qu’il y a eu des moments difficiles, des moments de combat. Mais il y a eu plein de moments de joie, même soufferte, de vie accueillie. »

Et j’évoque plus ce chemin fait avec Jean et Françoise.

–     « Tu as vu mes mains ? Je ne peux plus coudre. Et même à l’ordinateur, je clique sur le bouton droit sans le vouloir. J’ai de la chance dans ma communauté : on parle beaucoup, je suis soutenue. »

  • Quelques jours après : Appel au téléphone de l’hôpital, en larmes.
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–     « Ça ne va pas. Je n’ai pas le moral. Je pense que je vais être paralysée. Je me suis étendue dans mon lit, j’ai écarté les bras, ça m’a aidé. Je pense à Jésus sur la croix. Des phrases qui m’ont fait vivre comme : « donner sa vie, sa santé », c’est beau quand on est actif, Mais quand on ne peut plus rien ? Une infirmière est venue m’écouter, cela m’a permis de pleurer. »

J’invite Marcelle à ne pas hésiter à appeler à n’importe quelle heure du jour et de la nuit. Je l’invite à parler avec son médecin, à lui demander un traitement antidépresseur et anxiolytique.

  • Quelques jours après, nouvel appel :

–     « J’ai compris que j’ai une maladie qu’on ne peut pas guérir. »

Deux jours plus tard, une petite lettre :

–     « « Le Seigneur fit pour moi des merveilles ». Merci, pour ta qualité d’écoute, ta confiance envers moi. Tu m’a permis de prendre conscience de l’action de l’Esprit alors que pendant ces 6 mois mon horizon était « bouché »!!! Aujourd »hui, j’ai confiance que la main que me tendent mes sœurs, que tu me tends, me permettra de franchir les passages et ou « le passage » dans la paix. Aujourd’hui, je suis très fatiguée, j’ai mal dormi. Bonsoir, je prie pour toi et avec toi. »

  • Quelques jours après, elle écrit un petit mot à ses sœurs pour annoncer la paralysie progressive qui l’atteint. Elle évoque la paix ressentie en lisant la rencontre entre Pierre et Jésus dans l’Evangile de Jean. Elle dit sa disponibilité pour se laisser conduire par le Christ au milieu de l’épreuve.
  • Lors de la rencontre suivante, elle dit :

–     « Le médecin me dit qu’il ne sait pas ce que j’ai. Il m’envoie faire une scintigraphie en me disant que c’est un scanner. Peux-tu m’expliquer ma maladie, ce que je vais devenir ? »

On constate que cette absence de parole vraie, loin de diminuer l’angoisse, la génère. Ceci dit, Marcelle ne saisit pas la nouvelle perche tendue pour aller ensemble voir son médecin, elle a bien du mal à nommer ce qu’elle a pourtant déjà bien compris.

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Nous reprenons des bouts de dialogue des rencontres précédentes sur les paralysies progressives, les morts paisibles de Françoise et Jean, surtout, tout ce qui a été reçu humainement au cours de ce chemin néanmoins douloureux, mais dans lequel ils n’étaient pas seuls, dans lequel elle sait ne pas être seule.

  • 6 août 2000, fête de la transfiguration ; voici le texte d’une carte postale que Marcelle m’a envoyée d’une maison de repos où elle séjourne :

« Celui-ci est mon Fils Bien aimé, écoutez-le » (Evangile de la fête de la Transfiguration). 40 ans, aujourd’hui que je me suis engagée à « suivre Jésus-Christ », à « l’écouter ». Je ne savais pas où ça me conduirait. Mais je ne regrette rien. Je suis dans la paix. Ici, avec l’Eucharistie tous les jours et la beauté de la nature, j’ai eu la chance de « goûter » la présence du Seigneur. Je pars en famille demain. Ma prière t’accompagne. Bien fraternellement. »

  • Septembre 2000, un email au retour d’une retraite qu’elle a faite et à laquelle elle a dû se présenter devant les autres. Elle m’envoie le texte de sa présentation :

–     « Bruno, je te joins ma présentation faite à la retraite. Je t’en reparlerai mercredi :

« Je m’appelle Marcelle et suis religieuse, je vis en communauté dans une cité. J’ai vécu la mission dans plusieurs banlieues en collaboration avec les différents partenaires (Mouvements d’Action Catholique, catéchuménat, catéchèse), j’ai été « une » parmi tant d’autres au travail salarié et dans la vie de quartier, participante à la vie associative dès ma retraite et ce fut mon bonheur. Mais, au cours de ces derniers mois, j’ai contracté une maladie neurologique invalidante pour laquelle il n’existe pas de traitement.

De ce fait mes activités sont réduites. Ma première réaction fut comme pour Job[124] « un cri de révolte » : « Seigneur, pourquoi moi, pourquoi cette maladie ? » Puis le doute s’empara de moi !…

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Cependant l’Esprit Saint me redit : « ma grâce te suffit, ma puissance donne toute sa mesure dans la faiblesse !… »[125] « Aussi, au soir d’une récollection, j’ai pu lui répondre : »Oui, Seigneur, où veux-tu me conduire ? » Depuis, la souffrance morale est la même, mais elle a pris un tout autre sens. Je dois dire aussi que la prière est devenue ma nouvelle mission et ma compagne de jour et nuit. Vos intentions vont la nourrir. Je sais ce qui m’attend, j’ai un cousin qui est mort de ça. »

Nous nous sommes ainsi rencontrés régulièrement. Le partage tourne toujours sur les mêmes thèmes, passant du rire, à la paix, aux pleurs, à la révolte, du « je ne sais pas ce que j’ai », à la maladie clairement décrite, ou même nommée : « j’ai un cousin qui est mort de ça, de la maladie de Charcot. »

Une fois où elle était particulièrement en détresse et pleurait, je l’avais écoutée silencieusement en lui prenant les mains. En retour, j’avais reçu par email :

–     « Quand tu m’as donné la main, c’était pour t’engager jusqu’au bout ? »

Il n’y a pas eu une seule rencontre sans qu’elle évoque des moments de panique, de pulsion suicidaire, mais aussi des joies, des moments de plénitude. Tout en disant son envie de vivre, son désir de se laisser rejoindre là, elle a exprimé de manière répétée les paniques qui la prenaient par moment, la peur de se tuer dans un tel moment. Nous en avons parlé. Elle savait pouvoir appeler à n’importe quelle heure du jour et de la nuit et elle l’a fait. J’ai laissé mon téléphone beaucoup plus ouvert et je m’étais engagé à écouter très fréquemment ma boîte vocale.

  • Quelques jours avant sa mort, suite à une nouvelle récollection, elle commente cette phrase de Jésus à ses disciples désarçonnés alors que sa mort sur la croix approche :

–     « Que votre cœur cesse de se troubler. »[126] « C’est pour aujourd’hui Jésus-Christ est avec nous, il est tous les jours avec moi. Ce que vous faites au plus petit des miens, c’est à moi que vous le faites. Je passe mon temps à le questionner.

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      Tous les jours, la vie me déshabille un peu plus. C’est dur de ne pas savoir ce que j’ai d’une manière précise, de ne pas savoir où cela va me mener. Tous les jours, on m’enlève un peu de ma peau. On ne peut jamais comprendre tout à fait le Christ. Je ne le connaîtrai vraiment qu’à la résurrection. »

Quelques jours après, elle meurt brutalement, écrasée par un train. Des témoins présents à ce moment parlent d’accident. Mon intime conviction est qu’il s’agit d’un suicide dans une crise d’angoisse.

L’expérience que je partage avec d’autres, est que les soins palliatifs permettent de ne plus vivre l’approche de la mort dans la crainte de souffrances insupportables, que la maladie ne se réduit pas à des pertes et à la déchéance, même en situation dramatique comme dans la maladie de Charcot ou celle d’Alzheimer, qu’il peut là aussi se vivre une croissance, pour le malade et pour ceux qui l’accompagnent. Nous avons vécu quelque chose de cette croissance avec Marcelle.

Mais cela ne me fait pas oublier qu’il y a des situations auxquelles nous n’avons pas réussi à faire face. Il est probable que Marcelle a été emportée par une crise d’angoisse qui n’a pu être évitée, prévenue. Il faut d’ailleurs préciser que cet « accident » a eu lieu sur le chemin de chez elle au club d’informatique auquel elle s’était inscrite, alors même qu’elle s’y rendait pour prévenir qu’elle ne pourrait plus y venir parce qu’elle n’arrivait plus à bouger ses doigts pour actionner les touches du clavier.

Dans le chemin avec Marcelle, et c’est vrai du chemin de tout croyant, on note aussi que la foi ne protège pas de l’expérience de la nuit, de l’angoisse, de l’épreuve, de la nécessité de faire un chemin humain en y étant aidé. La foi ne nous met pas sur une autre planète que ceux qui ne sont pas croyants.

J’ai appris depuis longtemps à ne pas me sentir responsable de toutes les morts autour de moi, même brutales, même quand elles touchent des personnes que j’avais la charge de soigner ou d’accompagner. Mais je garde douloureusement le souvenir de la fin de Marcelle, ou du moins, je le garde comme un appel à inventer encore pour rejoindre celui que la maladie ou d’autres situations mettent dans une telle détresse.

Comme appel pour mieux faire face une autre fois, je garde cette question :

–     Comment aurions-nous pu éviter cette fin tragique ? Qu’en aurait-il été si une parole vraie avait été possible avec les neurologues qui la suivaient, si une aide avait été possible avec un service de soins palliatifs ?

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Bien sûr, il n’est pas certain qu’elle était prête à entendre cette parole en vérité et nous sommes aussi amenés en accompagnant à accepter les mécanismes de défense des malades, tout en faisant tout pour favoriser un chemin autre. Sur cette question, on se reportera avec intérêt au travail de Martine Ruznievski.[127] Mais la prise en charge par les soignants en enfermant dans une longue recherche diagnostique fictive et en restant dans la seule perspective de la recherche d’un traitement curatif, sachant qu’il n’y en avait pas, sans parole vraie, sans traitement anxiolytique et antidépresseur adapté et associé à une prise en charge psychologique, explique sans doute pour une part l’issue de cette histoire.

Une telle fin n’est pas pour moi un argument en faveur de l’euthanasie, cette mort « prétendue douce ». C’est plutôt un appel à chercher toujours et encore comment aider le malade et ceux de son entourage à ne pas être submergé par la souffrance qui les atteint et à pouvoir y vivre quelque chose d’une réalisation, d’une humanisation.

9.7 Le chemin avec Claude Dubuc[128]

Septembre 1997 : je suis nommé prêtre en paroisse et au service des jeunes à Vitry-sur-Seine avec René comme responsable. Nous succédions à Claude et son équipe. En arrivant j’avais demandé un service à Claude :

–     « Tu as été 9 ans ici. Tu vas forcément avoir des échos par les gens que tu as connu à Vitry de notre manière de nous situer en arrivant. Je te demande un service : ne pas hésiter à m’appeler et m’alerter sur ce qui aurait été maladroit, non ajusté de ma part. Je te le demande comme frère. »

Il a accepté ce service très simplement et est intervenu plusieurs fois pour m’aider et m’alerter.

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Au moment où Claude quitte Vitry, depuis quelques temps déjà, il est atteint d’une diminution progressive de la force musculaire de ses deux jambes. Il marche encore mais est de plus en plus gêné. Quelques temps après, alors que la paralysie évolue, beaucoup plus lentement dans son cas à lui que pour Françoise, Jean ou Marcelle, il annonce qu’il a une paralysie progressive, mais que son neurologue lui a certifié que ce n’était pas la maladie de Charcot ou Sclérose Latérale Amyotrophique, et que ça ne toucherait que les jambes.

Quant à moi, je savais à quoi m’en tenir. Je me suis absolument tu tant qu’il ne faisait pas signe qu’il souhaitait parler, tant qu’il n’y avait pas d’urgence à prévoir les problèmes de déglutition et de respiration.

Dans le cas précis de Claude où la paralysie a évolué « lentement », de 1996 à 2003[129], cette parole « mensongère » l’a aidé à ne pas se trouver d’emblée devant une réalité trop dure à assumer. On note que le « mensonge » était partiel. Le neurologue avait clairement parlé d’une paralysie progressive des membres pour laquelle il n’y avait pas de traitement. Il avait en même temps dit que ça pouvait évoluer lentement. Il n’avait pas laissé Claude errer avec l’impression que les médecins ne trouvaient pas, ne savaient pas, en multipliant des examens complémentaires inutiles. Il ne lui avait pas fait miroiter des traitements illusoires.

La paralysie va progresser. Claude va s’adapter, équiper sa voiture pour pouvoir la conduire tout en étant handicapé. Comme Jean, il aura du mal à se résoudre à arrêter de conduire et il faudra attendre plusieurs accrochages et même qu’il renverse un jeune en vélo, heureusement sans le blesser, avant qu’il ne renonce.

L’évêque lui a confié un ministère adapté à sa situation : il lui demande de mettre sur pied une formation pour des laïcs à l’accompagnement spirituel. Claude accompagne de nombreuses équipes et personnes. Sa vie donnée aux autres depuis longtemps fait qu’il est très entouré, que des amis sont ingénieux pour l’emmener avec eux en vacances à l’étranger ou chez lui en Bretagne. Claude va parfois au-delà de ses possibilités et ceux et celles qui l’entourent se retrouvent en situation difficile, presque cocasse, s’il n’y avait pas la souffrance que cela représente.

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Ainsi, une fois, il a eu bien du mal à sortir d’un bain à la mer. Une autre fois, avant que sa voiture ne soit équipée pour être conduite par un handicapé, sur l’autoroute, son pied tombe à côté de la pédale. Il lâche le volant pour attraper sa jambe et la remettre sur la pédale. Pas besoin de dire l’angoisse de son passager.

Il vit, comme Françoise ou Jean, et, dans une moindre mesure, comme Marcelle, des alternances de combats quand un palier se franchit, de colères, quand ceux qui l’aident ne réagissent pas comme il l’attendait,[130] de joies aussi profondes mais souffertes, de paix. Ces moments là correspondaient à des consentements donnés à des paliers franchis.

François (avec qui nous avions vécu tout le chemin avec Jean marqué par la S.L.A.[131]) avait été nommé dans une des paroisses de St Maur. Là il rejoignait Pierre, curé de cette paroisse. Après en avoir parlé avec Claude, François et Pierre ont proposé à l’évêque que Claude soit nommé à St Maur et vienne habiter avec eux. Le presbytère était grand, il avait déjà été un peu adapté à la présence d’un prêtre malade : un monte fauteuil avait été installé dans l’escalier. Le diocèse a continué à assurer les équipements pour que Claude puisse y avoir la vie la plus autonome possible.

Plusieurs années après le début de sa maladie (je n’ai pas gardé trace des dates), Claude avait adressé une sorte de « faire-part » par email à ses amis pour annoncer que, désormais, il serait de manière permanente en fauteuil roulant. Une caricature accompagnait le texte d’annonce : on y voyait une belle jeune femme, les bras encombrés par une pile de livres, debout en attente devant une porte fermée ; à côté d’elle, un homme âgé en fauteuil roulant qui dit à la jeune femme en se proposant pour lui ouvrir la porte : « Vous voulez que je vous aide ? »

Quelque temps après, nouvel email collectif pour annoncer que ses bras commençaient à être atteints et qu’il s’agissait de la S.L.A.. Claude m’a envoyé le même jour, un message qui m’était personnellement destiné me demandant de mes nouvelles, me parlant de son ministère. Je l’ai pris comme un appel.

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J’ai répondu en disant que j’aimerais bien venir parler avec lui, en particulier de sa maladie, que j’avais des éléments qui pourraient l’aider, mais que c’était seulement s’il le souhaitait. Le jour même, il me répondait qu’il attendait justement de pouvoir me questionner au sujet de sa maladie.

Quand je l’ai rencontré, nous avons eu le même type de dialogue qu’avec Françoise, Jean ou Marcelle à une nuance près : dans les complications à prévoir, j’ai expliqué ce qu’était une crise d’angoisse, comment elle pouvait être prévenue et traitée si elle survenait. Je lui ai clairement dit la manière dont Marcelle était décédée.

Claude, visiblement soulagé que j’aborde la question, m’a remercié d’avoir eu le courage de l’évoquer. Il a aussitôt raconté comment son père était mort aussi d’une S.L.A., comment sa mère l’avait trouvé un jour la tête dans le four de la cuisine, tentant de mettre fin à ses jours. Elle lui avait fait promettre de ne pas recommencer. Il avait dépassé ce moment et avait eu une mort au bout d’un parcours très douloureux qui avait profondément impressionné Claude. A plusieurs reprises, Claude évoquera ce combat qu’il aura à mener contre cette « tentation » (le mot est de lui) d’en finir.

Je l’ai invité à prendre contact sans attendre que ce soit le moment d’y entrer avec le service de soins palliatifs du Docteur Salamagne, ce qu’il a effectivement fait.

Dans la suite de notre rencontre, honorant la demande que je lui avais faite, il m’a fait des remarques sur ma manière d’être prêtre, des suggestions pour avancer. Je lui en suis infiniment reconnaissant. Nous avons souvent eu ce type de dialogue, dans lequel il acceptait aussi d’être questionné.

Claude a eu un génie extraordinaire, avec l’aide de l’Association des Paralysés de France, pour utiliser des moyens techniques et sociaux pour palier toutes les limitations qui touchaient chaque jour un peu plus sa vie.

Il y a eu diverses sortes de fauteuils, une pipette dans laquelle il soufflait pour déclencher le téléphone, un bouton qu’il pouvait actionner, qui faisait déplacer une aiguille devant diverses propositions : ouvrir la porte d’entrée, allumer la télévision, changer de chaîne, monter le son, etc. Quand l’aiguille parvenait devant l’opération attendue, il appuyait de nouveau sur le bouton et la porte s’ouvrait, la télévision se mettait en marche… Il y a eu la sono montée sur son fauteuil pour amplifier le son de sa voix quand elle devenait si faible.

Il y a eu des auxiliaires de vie qui ont commencé par passer s’occuper de lui avant qu’il ne bénéficie de cette présence en permanence.

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Ce furent des mois d’intense compagnonnage avec tous ceux qui l’entouraient et passaient le voir, qu’il rencontrait dans le cadre de son ministère qu’il a vécu jusqu’au bout. Ça a été un compagnonnage avec des personnes ne partageant pas sa foi, auquel il a tenu tout au long de sa vie. Là, il l’a vécu dans le cadre de ses activités militantes à l’A.P.F.[132] et dans une association pour une autre mondialisation où tout homme, tout peuple ait sa place.

Ce furent des mois d’intense fraternité avec les prêtres avec qui il vivait : Pierre, François et Aloïs, jeune prêtre roumain nommé sur cette même paroisse.

Il ne faut pas oublier tout le partage avec tous les soignants, avec ses auxiliaires de vie africaines.

A Noël 2001, alors qu’il arrivait encore à utiliser un ordinateur, il avait envoyé ce poème à tous ses amis dans lequel il dit son chemin dans la maladie, sa passion pour la vie. Nous l’avons intitulé : « Choisis la vie en abondance ».

« Choisis la vie en abondance »

  • Une fois de plus, la dernière sans doute,
  • Avant que sans force deviennent mes mains,
  • Je m’adresse à vous sans qu’il m’en coûte,
  • Bien simplement, sans chagrin.
  • Dans notre monde, tel qu’il est fait
  • Rempli de guerre et de violence,
  • Chacun de nous, sans être parfait,
  • Doit faire son choix, dire ce qu’il pense.
  • Certains de nous diront que ce monde va mal,
  • Que nous n’y pouvons rien et que c’est comme ça.
  • Mais d’autres chercheront à combattre le mal
  • A rebâtir la paix, ne baissant pas les bras.
  • La mort rôde partout, inévitable.
  • La tentation serait pour nous d’y consentir,
  • Et de nous replier, devenant incapables,
  • De ne faire autre chose que de tout subir.
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  • Pourquoi ne pas entendre cette voix intérieure
  • Qui nous dit d’espérer contre toute espérance
  • Et de choisir la vie même dans le malheur,
  • Cette vie si fragile et si belle quoi qu’on pense ?
  • Noël nous redit qu’au milieu des ténèbres
  • La lumière nous vient par les yeux d’un enfant.
  • Il nous dit que l’amour est plus fort que la mort
  • Et qu’il est avec nous jusqu’à la fin des temps.
  • Et j’en fais l’expérience, le premier étonné,
  • Plus la mort se rapproche, plus je choisis la vie.
  • Cette vie en abondance, cette vie qui m’est donnée.
  • Toi qui es mon ami, choisis la vie !

Claude Dubuc, Noël 2001

Le titre de ce poème n’est pas de Claude. Je l’ai donné à partir des dernières phrases du poème qui sont une reprise faite par Claude de deux phrases de la Bible.

C’est d’abord une reprise d’une phrase du Premier Testament de la Bible dans le livre du Deutéronome, où Dieu, par la voix de Moïse, dit aux hommes :

« Oui, je vous préviens aujourd’hui, en prenant le ciel et la terre comme témoins : je mets devant vous la vie et la bénédiction, la mort et la malédiction. Choisissez donc la vie pour que vous viviez, vous et vos enfants. » (Dt 30,19)

Avec l’expression « vie en abondance », c’est aussi une évocation d’une parole de Jésus particulièrement évocatrice pour moi, au moment de réfléchir sur les demandes d’euthanasie et aux réponses à y apporter :

« Tous ceux qui sont venus avant moi sont des voleurs et des brigands, mais les brebis ne les ont pas écoutés. Je suis la porte : si quelqu’un entre par moi, il sera sauvé, il ira et viendra et trouvera de quoi se nourrir. Le voleur ne se présente que pour voler, pour tuer et pour perdre ; moi, je suis venu pour que les hommes aient la vie et qu’ils l’aient en abondance.[133] Je suis le bon berger : le bon berger se dessaisit de sa vie pour ses brebis. » (Jean 10,8-11)

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Quand je dis que cette parole est évocatrice, tout en invitant à ne pas prendre les paroles de Jésus au pied de la lettre, à ne pas oublier leur caractère polémique, c’est en pensant à ceux qui, parce que c’est leur conviction, proposent un « salut » à des personnes connaissant de grosses difficultés de santé, en les incitant à choisir de mourir sous couvert de « choisir la vie », en appelant « vie » ce qui est « mort », en ne provoquant pas l’entourage des malades à se « dessaisir » de leur vie, c’est-à-dire à donner d’eux-mêmes, pour que les plus fragiles puissent vivre et que la vie de tous en soit enrichie.

Quelques temps après, Claude a offert à tous ses amis un petit livret, dans lequel il relit toute sa vie, ce qui l’a animé. Sur la couverture, il a mis comme titre : « Si tu savais le don… ».

Il s’agit d’une référence à une autre phrase de Jésus dans l’Evangile à une femme de Samarie, une femme ne partageant pas la foi des Juifs. La phrase complète est :

–     « Si tu savais le don de Dieu et qui est celui qui te dit : « Donne-moi à boire », c’est toi qui aurais demandé et il t’aurait donné de l’eau vive. »[134]

Je perçois ce choix d’abord comme une manière de témoigner de sa conviction d’avoir reçu cet appel à la vie, cette force de vivre jusque dans la tempête, d’au-delà de lui. J’y vois aussi le désir qui habitait Claude de partager sur le sens de la vie avec tous, y compris ceux qui ne partageaient pas sa foi dans le respect de leur propre chemin.

A la fin de l’année 2002, je m’invite à déjeuner à St Maur. Claude me fait prévenir à mon arrivée qu’il aura besoin de me rencontrer personnellement. Nous ne disposons que d’un créneau de dix minutes après le repas, bien trop court pour ce type de dialogue, mais nous n’avons pas le choix.

Claude redit la paix qui l’habite et en vient directement au « vif du sujet » :

–     « Le neurologue qui me suit insiste pour que j’accepte qu’on m’opère pour me placer une « gastrotomie »[135], qu’en penses-tu ? »

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–     « Je ne sais pas bien comment te répondre. Je ne sais pas ce que je dirais si j’étais malade. Ce que je sais, c’est que cette sonde va te permettre de continuer à manger, même quand ton corps n’en aura plus la force. Pendant ce temps, la maladie va continuer à évoluer. Tu ne peux déjà presque plus bouger les doigts, et donc plus écrire. Quand tu n’auras plus du tout de voix, comment pourras-tu communiquer ? Jusqu’où faut-il lutter pour empêcher la mort de faire son œuvre ? Je le dis, à partir de ma situation de bien portant, je ne sais pas ce que je dirais autrement, mais, pour moi, je refuserais un tel soin, comme je refuserais absolument toute trachéotomie, demandant par contre à ce qu’angoisse, douleur, sensation d’étouffement, soient bien pris en charge. »

C’est la décision qu’il a effectivement prise. A mes yeux, et en m’appuyant sur l’expérience de ceux qui s’inscrivent dans le courant des « soins palliatifs », cette proposition de gastrotomie était inadaptée et le mettait devant une décision angoissante. Il n’aurait pas dû être mis devant ce choix à faire encore moins se trouver devant un soignant qui insistait pour que Claude adopte cette solution. Le souhait de mettre une gastrotomie entrait dans le schéma d’une médecine qui vise trop exclusivement le seul besoin de survie biologique.

Je note que je n’ai jamais entendu Claude se plaindre d’avoir souffert de la sensation de faim. Il n’a pas eu d’escarres. Je le précise car une justification de la gastrotomie est d’empêcher une dénutrition et la survenue d’escarres.

Quelques semaines après, je repasse déjeuner à Saint Maur. J’arrive au moment où l’auxiliaire de vie, le met dans son fauteuil. Le corps de Claude est totalement inerte, ballotté comme une espèce de poupée de chiffons. Elle l’incline, le redresse, si elle lâchait, il tomberait sans retenue. Claude ne peut plus bouger par lui-même, il ne peut plus lever le doigt et appuyer sur le bouton qui lui permettait de commander la télévision, la porte, etc. Elle l’attache pour qu’il tienne assis.

Là encore, nous n’avons que dix minutes pour nous voir à deux. Claude questionne tout de go :

–     « Comment savoir quand c’est le moment d’entrer en soins palliatifs ? Je ne me sens pas encore mourant. Comment savoir quand on devient mourant ? »

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–     « Dès maintenant, tu aurais ta place en soins palliatifs si tu n’étais pas entouré comme tu l’es.[136] Quand cela est nécessaire, il est possible de rester un long temps dans un service de soins palliatifs. Je ne peux pas te donner de critère absolu. Il me semble que le meilleur critère, c’est de demander à entrer en unité de soins palliatifs le jour où tu ne te sentiras plus en sécurité au presbytère de Saint Maur, où tu craindras d’étouffer. Tu pourrais y entrer dès maintenant. Ce serait même bien. C’est toi qui sais. En même temps, fais attention qu’on ne se rend pas toujours compte pour soi-même et de ne pas attendre trop pour ne pas risquer de te trouver en étouffement sans pouvoir être calmé rapidement. Comment vas-tu, sinon ? »

–     « Je suis en paix. Je suis très bien entouré. De savoir ce que tu viens de me dire me rassure par rapport à une inquiétude que j’avais. J’avais annoncé à Noël 2001 aux amis avec qui j’étais que c’était mon dernier Noël. Je vois que c’est un piège de se donner des délais. Je suis toujours là. On a fêté ça ensemble. Tu sais, je m’aperçois qu’il y a une tentation sournoise qui me guette : il me faut à la fois lutter pour consentir à des pertes, accepter que la maladie fasse en moi son chemin, me préparer à partir, il me faut accepter de ne pas tout tenter pour maintenir la vie biologique, et, tout en même temps, je dois me méfier de ne pas choisir la mort, renoncer à vivre.

      C’est une tentation que de vouloir que ça finisse et éventuellement favoriser les choses. Oui, il me faut à la fois lâcher prise, et tout en même temps choisir la vie. C’est vraiment la tentation de l’homme de choisir la mort plutôt que la vie. »[137]

Comme à chaque fois, même dans ces rencontres très brèves, il trouvait aussi le temps de me demander des nouvelles de mon ministère au service de mes frères prêtres, de me donner des conseils, de partager ses propres questions.

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Le 29 juin 2003, après avoir fêté les 60 ans de Michel à Bois l’Abbé, j’ai 15 minutes pour m’arrêter à Saint Maur. Exceptionnellement, j’ai pris un taxi pour pouvoir le rencontrer et être à l’heure au train pour Lyon où j’ai une session à animer.

Quand j’entre, Claude est attaché sur son fauteuil. L’auxiliaire de vie est auprès de lui et s’apprête à le coucher. J’entends vaguement dans un souffle Claude qui me dit, sans me dire bonjour :

–     « Je n’ai plus de voix. »

–     « C’est vrai, mais j’ai compris ce que tu viens de me dire. »

Dans ma manière de répondre, j’ai eu le souci de ne pas nier la réalité qu’il ressentait, sachant que les consolations par le déni de la réalité sont pires que tout et perçues comme une manière de l’entourage de refuser d’entendre la souffrance de l’autre, la réalité qui le touche. Dans le même temps, la répartie cherchait à aider Claude à regarder ce qui était encore donné.

Mais c’est vrai que, pour la suite de la rencontre, j’ai du placer mon oreille en face de sa bouche pour arriver à comprendre. Plusieurs fois, j’ai du le faire répéter.

–     « Je suis heureux d’être là. J’ai vraiment tout mon temps. Un taxi m’attend en bas et me prend dans un quart d’heure pour me mettre au train. Mais j’ai vraiment tout mon temps pour être avec toi. »

J’avais pris le soin de m’asseoir avant de prendre ainsi la parole. Cela transforme le ressenti qu’a le malade de la relation. Des psychologues ont fait des tests et constaté que si le visiteur s’assied, le malade a l’impression que le visiteur passe deux fois plus de temps que s’il était resté debout.

L’expression « j’ai tout mon temps », tout en disant la limite pour qu’il sache qu’une fois de plus il nous faudrait aller directement à l’essentiel, n’était pas un mensonge mais induisait une qualité de relation.

Avant d’entrer dans la pièce, j’avais branché l’alarme de ma montre pour ne plus avoir à me préoccuper du temps et être vraiment avec Claude sans m’inquiéter du train qu’il fallait absolument que je réussisse à avoir.

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Ce sont des petits trucs qui transformeraient beaucoup les relations entre humains si nous apprenions à être totalement présents au moment présent, à celui qui est là maintenant, sans porter le poids de ce qui nous a soucié avant, sans nous inquiéter de ce qui va suivre.

–     « J’entre demain en soins palliatifs. (A mon sens, Claude avait trop attendu).[138] Je suis content de te voir car il y a des choses qui m’inquiètent. Ce qui m’inquiète le plus, c’est de savoir s’ils auront un chariot élévateur pour me soulever, une baignoire adaptée ? Tu sais, ce n’est pas facile de partir de chez soi. »

–     « Ils ont tout le matériel nécessaire, tu verras, tu seras très bien entouré. »

–     « Me voilà rassuré. »

Et de fait, son visage était très paisible. Ce qui devient une montagne pour celui qui est en fin de vie est parfois une préoccupation extrêmement simple, sur laquelle se focalise toute l’angoisse et que l’on peut aider à dépasser.

–     « Tu es toujours en paix ? »

–     « Tu ne peux pas savoir à quel point ! »

–     « D’où te vient cette paix ? »

–     « Si tu savais le don de Dieu… »

Nous n’avons rien ajouté au sujet de cette paix. Son visage était rayonnant. Nous nous sommes dit explicitement « à-dieu », merci. Je lui ai confié des demandes, des projets me concernant et concernant d’autres.

Ceux qui l’ont visité régulièrement à domicile à Saint Maur, puis à l’unité de soins palliatifs, disent que ce n’était pas le même homme en soins palliatifs. Selon eux, il était beaucoup plus détendu. Cela confirme mon impression qu’il avait trop attendu pour faire le passage et être sécurisé par une équipe médicalisée.

Il est décédé le samedi 19 juillet à l’Unité de Soins Palliatifs des Docteur Sebag Lanoé et Michèle Salamagne à Villejuif.

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Avec son accord, il avait été mis en sommeil léger les 48 dernières heures. En effet, sa respiration était très difficile et c’est le moyen qui a été choisi pour pallier cette situation très inconfortable sans que rien ne soit fait en vue de provoquer la mort.

Les obsèques ont été célébrées à Saint Maur. Des amis ont lu son message de Noël ainsi qu’un autre texte écrit par lui et qui exprimait sa recherche de sens. On le trouvera ci-après. Il y avait, dans cette célébration toute la souffrance de perdre un ami, toute la souffrance de ces multiples renoncements qu’il avait du vivre, mais toute la joie soufferte qui était née là, indicible, mais très réelle.

J’ai apprécié qu’on ne lise pas ce texte si souvent repris lors des obsèques : « La mort n’est rien » de Canon Henry Scott Holland[139] qui veut exprimer l’espérance que la vie continue, l’affection aussi, mais qui, à un niveau humain, est très court sur la réalité de séparation qui est vécue et n’aide pas au deuil. Il me semble aussi court pour dire la résurrection dont nous ne pouvons pas nous faire d’image. Ce n’est pas en niant la réalité de la mort et de la séparation que nous pourrons trouver la juste manière de vivre maintenant quand nous sommes en pleine santé, au moment de notre mort ou de celle de proche. Ça n’aide pas plus à ouvrir à la perspective de la résurrection pour les chrétiens.

Depuis les obsèques de Claude, les témoignages affluent à Saint Maur de tous ceux qui veulent dire combien il les a fait grandir en humanité, dans toute sa vie avant la maladie, mais aussi au cœur de cette maladie, tout ce qu’ils ont pu recevoir et donner en marchant avec lui.

Poème : Je t’ai cherché

  • Je t’ai cherché, Seigneur, au sommet des montagnes
  • Au creux des sources vives et des vallons fleuris.
  • Je t’ai encore cherché face à la mer immense.
  • J’ai deviné la trace d’un Amour créateur.
  • Je t’ai cherché, Seigneur, dans le cœur de mes frères
  • Qui peinaient et luttaient en chantant leur espoir,
  • Qui duraient dans l’action pour un monde meilleur.
  • J’ai deviné le souffle de l’Esprit dans leur cœur.
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  • Je t’ai cherché, Seigneur, tout au long des partages
  • Dans ces révisions de vie bien souvent balbutiante
  • Quand jaillissait parfois une parole forte,
  • J’ai deviné l’écho du Verbe, Jésus Christ.
  • Je t’ai cherché au cours de ma pauvre prière,
  • Encombrée de soucis et de distractions.
  • Je t’ai aussi cherché dans le pain et le vin partagés
  • Et dans tous ceux qui chantent leur espérance.
  • Je t’ai cherché partout sans vraiment te trouver,
  • Sans refermer les mains sur une présence sûre,
  • Affronté à mes doutes et à mes illusions.
  • Je te cherche toujours, mais Toi, tu m’as trouvé !

Claude Dubuc

10. Pour poursuivre la réflexion sur l’enjeu du respect de l’interdit d’euthanasie

Il était important, au-delà de toute la réflexion théorique, de partager un peu longuement ces quatre itinéraires de personnes affrontées à des situations paraissant sans issue, pour permettre à ceux qui se trouvent affrontés à des maladies comme la Sclérose Latérale Amyotrophique, que ce soit dans leur chair, dans l’accompagnement d’un proche, d’un patient, en se faisant aider par des équipes compétentes, de sortir de la seule perspective de l’horreur, de cette impression d’être devant un obstacle absolument insurmontable et susceptible de tout détruire, y compris l’humain en nous. Je souhaite qu’au-delà du choc, chacun puisse entendre qu’il n’y a pas que la souffrance, qu’il y a aussi de la vie en abondance à accueillir, vivre et donner.

J’espère que ces témoignages aideront les neurologues qui portent cette lourde responsabilité d’annoncer de tels diagnostics et d’aider ensuite les malades sur leur chemin.

Ces récits permettent de ne pas cacher toutes les pierres sur le chemin, mais de partager ce qui a permis d’avancer jour après jour.

Il se trouve que ceux que j’ai accompagnés étaient croyants, ce qui ne les a pas protégés de la rudesse du chemin, de l’expérience aussi du doute radical.

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D’autres, qui ne partagent pas notre foi, font de tels chemins de croissance en humanité dans l’ouverture à cette vie reçue dans la fragilité, dans le fait de se laisser toucher chacun par le visage de l’autre qui souffre, de ne pas fuir cette relation, de ne pas la résoudre en éliminant le mal par le choix de la mort, par l’élimination de la personne malade.

Ce qui m’a marqué en soins palliatifs, c’est la vérité à laquelle sont conduits ceux qui accompagnent, même entre eux, et la liberté qui nous habitait pour partager entre soignants de toute conviction sans sujet tabou, dans le respect du chemin de chacun, n’hésitant pas à aller jusqu’au partage de ce qui faisait sens pour chacun.

Je ne doute pas que ceux qui ne partagent pas la foi de Françoise, Jean, Marcelle ou Claude, à partir de leur propre conviction religieuse ou philosophique, sauront entendre dans les paroles de ces personnes même exprimées dans le langage des chrétiens, des paroles d’humains qui pourront les aider à élaborer leur propre réponse sur le sens de la vie, de la vie donnée et reçue, de la vie même menacée et fragilisée.

Je rêve d’une laïcité vécue, non dans la négation de la différence, dans le renvoi de la question du sens à la seule sphère de la vie privée, mais dans le dialogue respectueux et enrichissant de personnes qui s’accueillent avec toutes leurs richesses et différences.

Je ne peux qu’inviter ceux qui souhaiteraient poursuivre cette réflexion sur l’enjeu de « l’interdit d’euthanasie » à se reporter à mon autre livre, publication faite à partir de ma maîtrise de théologie, et dont le titre est : « Réflexion sur mourir dans la dignité »[140]

Si ce deuxième livre cherche quel dialogue est possible entre une association comme « l’Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité » et l’Eglise catholique sur le concept de dignité et sur la question de l’euthanasie, là encore, le lecteur qui ne partage pas la foi des chrétiens pourra trouver des éléments pour lui-même.

[1]      Patrick Verspieren Face à celui qui meurt. Euthanasie, acharnement thérapeutique, accompagnement, collection Temps et Contretemps, Desclée de Brower, 1984, p. 138.

[2]      o.p. cit. p.143. Cette définition est d’ailleurs celle des juristes. Elle commence à être acceptée par les moralistes. Cf « Déclaration sur l’Euthanasie » de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi. Documentation Catholique, 20 Juillet 1980 p.697-700.

[3]      Voir chapitre 3 § 10.2 tout l’exposé sur le cas particulier du choix d’une « sédation réversible », c’est-à-dire d’un sommeil réversible provoqué dans des situations de souffrances non contrôlées autrement.

[4]      Cicely Saunders, Mary Baines, La vie aidant la mort, thérapeutiques antalgiques et soins palliatifs en phase terminale, Medsi p. 2.

[5]      Blandine Beth, L’accompagnement des malades en milieu hospitalier, Doin, 1985 p.86.

[6]      Dr Khawaja, communication au séminaire sur l’accompagnement des mourants qui s’est réuni en 1985 et 1986 dans le service du Professeur Zittoun à l’Hotel Dieu – Maison médicale Jeanne Garnier, 110, avenue Emile Zola, 75015 Paris, (00 33) (0)1 45 75 41 77.

[7]      Renée Sebag Lanoë, « Mourir Accompagné », DDB, 1986, p.214.

[8]    Russel A. Ward, « Age and acceptace of Euthanasie », Journal of Gerontology, 1980,35,421-431

– T.L.Brink, « Geriatric Psychothérapy », Human Sciences Press New York-London, 1979,p.74 et 82.

[9]      Renée Sebag Lanoë, « Mourir Accompagné », DDB, 1986, p.210.

[10]    Extrait de l’intervention faite le 18 Avril 85, salle Médicis au Sénat, à l’invitation de l’association des journalistes catholiques sur le thème « Peut-on abréger les souffrances ? » publiée par le journal Laennec n°2 décembre 1985, reprise dans la Revue de Gériatrie, tome 11, n° 2 fév.86, B. Cadart, A. Sachet, A. Boiffin, M.G. Freyssenet, tribune libre : « Peut-on abréger les souffrances ? »

[11]    cf. chapitre 3, § 10.2 sur les conditions pour provoquer un sommeil réversible sans chercher à provoquer la mort.

[12]    Cf. Annexe 3.

[13]    Avec la publication de très nombreux livres et articles, ces trois dernières années, déjà cités plus haut. Cette remarque faite en 1986 est toujours valable en 2003 : les traitements antalgiques devraient être largement connus, et, pourtant, trop de gens continuent à mourir dans des douleurs inacceptables, douleurs non traitées, douleurs provoquées. La solution à ce problème est-elle de se battre pour le droit à l’euthanasie ou de se battre pour un traitement correct de la douleur en toute situation et pas seulement en fin de vie ?

[14]    Nous avons évoqué plus haut les progrès faits depuis à Ivry. En 2003, il reste cependant des situations de traitement de la douleur aberrants et de soins inadaptés.

[15]    En 2003, à Ivry, la situation s’est améliorée mais il reste encore bien du travail à faire.

[16]    Il n’avait tellement pas sa place que depuis, il a été retiré du marché

[17]    J.M. Hunt, T.D. Stollar, D.W. Littlejohns, R.G. Twycross and D.W. Vere, « Patients with protracted pain: A survey conducted at the London Hospital » J.Med. Ethics. 3,61, 1978.

[18]    P. Verspieren o.p. cit. p. 23.

[19]    Louise CHAUCHARD o.p. cit. p.131.

[20]    voir chapitre 3.

[21]    Lorsque l’on essaye de décaper la plaie ou que le pansement est particulièrement source de douleur par lui même, on mettra une dose augmentée de morphine et on espacera davantage la prise suivante. On pourra associer un traitement de fond sous forme de morphine à libération prolongée auquel on rajoute une inter dose de morphine à libération immédiate avant le pansement en rapport avec le reste du traitement réparti sur 24 h.

[22]    Depuis, le FORTAL® a été retiré du marché. Mais il existe toujours des produits antalgiques qui sont des antagonistes de la morphine. Il existe suffisamment d’autres produits disponibles pour ne plus utiliser ces produits.

[23]    Ce traitement était déjà insuffisant par rapport à la douleur à traiter. Mais c’était mieux que rien ! Il fallait passer à la morphine et non pas arrêter tout traitement.

[24]    On trouvera en Annexe n° 2 une réflexion de Pascale Fouassier sur l’attitude à avoir devant les escarres des personnes en fin de vie.

[25]    Madeleine Riffaud, »les linges de la nuit », Presses Pocket, 1976, p. 75.

[26]    Pr Léon Schwartzenberg, « Requiem pour la vie », le Pré aux Clercs, p. 215.

[27]    o.p. cit. p. 213 et 184.

[28]    On n’oublie pas qu’il publie son livre « Requiem pour la vie » au début des années 1980, à un moment où les traitements contre la douleur n’étaient pas aussi connus qu’aujourd’hui.

[29]    Cette remarque se base sur plusieurs passages de son livre « Requiem pour la vie » notamment :

–      p. 15 : Le médecin traite la douleur chronique d’un malade cancéreux avec du PALFIUM® qui, du fait de sa courte durée d’action, n’a pas sa place dans le traitement des douleurs chroniques. Le malade, qui était un ami, n’ayant pas sa douleur apaisée et s’étant fait assainer « la » vérité, s’adressera à un autre médecin.

–      p. 95 : Le médecin prescrit des calmants « si besoin » et utilise des injections intra-musculaires le soir alors qu’un traitement efficace des douleurs chroniques repose sur la prévention régulière de la douleur sans attendre que les symptômes apparaissent. D’autre part il vaut mieux privilégier la voie orale.

–      p. 157 : Le médecin prescrit des antalgiques « toutes les 6 ou 4 h à un malade. Ce malade souffrant trop malgré la dose prescrite, une dose mal répartie et insuffisante, redemande l’euthanasie. Au lieu d’adapter la dose, le médecin accède à la demande du malade et provoque sa mort.

–      p. 231 : Le médecin provoque la mort d’un diplomate parce que malgré une dose de 300 mg de morphine par jour, la douleur persiste. La douleur persistante signifiait que la dose était insuffisante et aurait dû être augmentée. A St Christopher les médecins utilisent, lorsqu’elles sont nécessaires, des doses supérieures à 6×160 mg soit supérieures à 960 mg/24 h. Nous avons utilisé une dose de 6×200 mg pour le Père Joseph.

[30]    o.p. cit. p. 215.

[31]    o.p. cit. p. 179 et suivantes.

[32]    o.p. cit. p. 173 à 178.

[33]    o.p. cit. p. 176.

[34]    Patrick Verspieren, « Sur la pente de l’euthanasie », Etudes, janvier 1984. Le lecteur n’oubliera pas que, si je me suis replongé dans la thèse et ma maîtrise, et que je les ai proposées sur internet, avant que les Editions Ressources ne demandent à les éditer, c’est suite à la demande d’une religieuse fréquemment confrontée à des célébrations d’obsèques de personnes ayant été euthanasiées. Elle souhaitait être éclairée par rapport au trouble que ça générait en elle, mais aussi pour un certain nombre de famille n’ayant pas souhaité cette issue.

[35]    Chapitre 1, § 1.2

[36]    Gilbert Brunet, « Ce qui change à l’étranger », bulletin n°19, février 1986 de l’A.D.M.D..

[37]    Odette Thibault, « Requiem pour la vie », bulletin n°19, février 1986 de l’A.D.M.D.

[38]    o.p. cit. p. 263.

[39]    Pour ne pas semer de confusion sur les antalgiques, il serait plus opportun d’écrire : « analgésiques mis à doses mortelles dans le but justement de provoquer la mort ». Mais un analgésique n’est pas mortel en lui même, pas plus que la digitaline…

[40]    Arthur Koestler, « Préface au guide de nos amis anglais », Brochure de présentation de l’A.D.M.D. p. 75

[41]    Cf. Histoire de Monsieur Bonnet, chapitre 1, § 3.2

[42]    3 000,00 € / mois en long séjour pour ceux qui payent plein tarif.

[43]    Christiane Jomain, Mourir dans la tendresse, Le Centurion, p. 62 – 63.

[44]    Ce produit n’est plus utilisé en 2003

[45]    Bruno Cadart, Réflexions sur mourir dans la dignité, Editions Ressources, Laval, Québec, novembre 2003.

       Dans la présentation de ce livre, j’alerte le lecteur sur le fait que l’étude qui est publiée aujourd’hui porte sur des textes de l’A.D.M.D. antérieurs à 1990, il y a donc déjà 13 ans. On ne l’oubliera pas en lisant tout ce qui concerne l’A.D.M.D., sachant que la position de l’A.D.M.D. n’a pas changé fondamentalement. On pourra se reporter au site de l’A.D.M.D. : http://perso.club-internet.fr/admd/ pour avoir une présentation de l’A.D.M.D. par elle-même et plus actuelle.

[46]    Brochure d’information de l’A.D.M.D., déjà citée.

[47]    « Parrain, mandataires et amis », bulletin n° 18, octobre 1985 de l’A.D.M.D., p. 12 et 13.

[48]    Paul Chauvet, « Du droit de vivre et de mourir dans la dignité. Plaidoyer pour le droit à mourir dans la dignité », brochure de l’A.D.M.D. déjà citée p 27 à 36.

[49]    Monique Badaroux, « Qui adhère à l’A.D.M.D. ? », Brochure de l’A.D.M.D. déjà citée p 37.

[50]    Article 2 des statuts de l’A.D.M.D..

[51]    Léon Schwartzenberg, o.p. cit. p. 263.

[52]    Dominique Laplane, « Le bonheur est-il pour les imbéciles ? », Fayard, 1979, p.143.

[53]    Robert William Higgins, « Tenter une parole sur la mort », Entretien avec Emmanuel Hirsch, in « Partir », « L’accompagnement des mourants », Cerf, Paris 1986. L’Association « FONCTION Soignante et Accompagnement » a été fondée à la suite du congrès de l’ ADMD (Association pour le Droit à Mourir dans la Dignité) à Nice en septembre 1984 pour proposer une alternative à ce mouvement d’opinion en faveur de l’euthanasie. L’Association « Fonction Soignante et Accompagnement » s’est donnée pour but de susciter la réflexion et la recherche sur l’accompagnement des mourants.

[54]    Stéphane est maintenant décédée.

[55]    Paul Chauvet, déjà cité p. 35 et Paula Caucanas Pisier, « Choisir sa vie, choisir sa mort »,brochure de l’A.D.M.D. déjà citée p. 70.

[56]    Paula Caucanas Pisier, déjà citée p. 70.

[57]    Gilbert Brunet, « La mort digne et la loi », bulletin n°19, Février 86, de l’A.D.M.D..

[58]    Cette femme atteinte d’un cancer du poumon et qui avait demandé l’euthanasie (chapitre 5, § 3.2)

[59]    Association « Combat pour les vieux jours », 127 rue Notre Dame des Champs, 75006 Paris, 43 26 80 30

[60]    Emmanuel Goldenberg, « Le travail en équipe, une alternative à l’euthanasie », Laennec n° 1, octobre 1985.

[61]    Charles JEAN-LOUIS, Une confession – le poids d’une solitude, p. 39-41

[62]    On se reportera à d’autres travaux pour une actualisation sur le point de la législation en 2003 en France et dans d’autres pays. Le temps dont nous disposons ne nous permet pas cette mise à jour qui ne change pas le fond de notre argumentation.

[63]    W.T.Reich, Encyclopedia of Bioethics, The Free Press, New York, Collier Mac Millan, Londres, 1978, p 282. Depuis, malheureusement, la situation a évolué et quelques pays ont admis l’euthanasie tout en l’encadrant par diverses règles.

[64]    o.p. cit. p. 154-155.

[65]    Gilbert Brunet, « Ce qui change à l’étranger », déjà cité.

[66]    Cf. François de Clozets, La dernière liberté, Fayard, Paris 2001, p. 24

[67]    Le Nouveau Code de Déontologie Médicale de 1995 confirme cette opposition claire. Voir annexe 4 de notre livre.

[68]    Déclaration sur l’euthanasie du Conseil National de l’Ordre des médecins, à propos de l’article 20 du Code de Déontologie, adoptée le 5 juillet 1985.

[69]    o.p. cit. p. 155.

[70]    d’après le cours d’éthique fondamentale de Xavier Thévenot, Institut Catholique de Paris, 1985-86.

[71]    Lancet, « In cancer, honesty is here to stay », Lancet ii. 245, 1980.

[72]    o.p. cit. p.12

[73]    Chapitre 1, § 1.2

[74]    propos d’un médecin généraliste à la conférence débat « Face à celui qui meurt » organisée à Caen, le 10 décembre 1985.

[75]    Renée Sebag Lanoë, o.p. cit. p.173

[76]    Pascale Fouassier signale qu’elle a rencontré des patients atteints de la maladie de Korsakoff et ne présentant pas de douleur morale particulière et que cette souffrance n’est pas systématique chez ces malades.

[77]    Patrick Verspieren, o.p. cit. p.162.

[78]    Sonde qui permet le passage d’aliments directement vers l’estomac en traversant la paroi abdominale. On utilise aussi la sonde gastrique que l’on introduit par le nez.

[79]    Ce risque d’être pris dans une relation par trop fusionnelle appelait toute une aide à apporter à la mère de Vincent. Ce que retranscris Vincent des interventions des soignants pour aider sa mère à ne pas être enfermée dans ce risque laisse penser que cette aide à été bien pauvre et maladroite. Mais, une fois de plus, il ne faut pas oublier que nous n’avons que la version de Vincent, ce qu’il a perçu à travers sa mère.

[80]    Vincent Humbert, « Je vous demande le droit de mourir », Propos recueillis et texte élaboré par Frédéric Veille, Michel Lafon, Paris 2003

[81]    o.p. cit. p. 45

[82]    o.p. cit p. 43-44

[83]    Cf. tout le chapitre 4 de ce livre.

[84]    o.p. cit. p. 139-143

[85]    Cf. parmi de multiples autres références possibles p. 178 et suivantes

[86]    o.p. cit. p. 184

[87]    o.p. cit. p. 148

[88]    Le Monde, 26 septembre 2003, p. 16

[89]    Cf. Annexe 4

[90]    qui ont été écrits avant que je n’ai connaissance de l’histoire de Vincent.

[91]    Comme le cas de Vincent Humbert que j’ai ajouté ci-dessus au moment où je termine la relecture de ce livre

[92]    On pourra se reporter aussi à la description que je fais d’une émission de télévision sur l’euthanasie à laquelle le Père Verspieren avait été invité, tandis qu’une malade de Lyon, intervenait à l’écran. Voir Bruno Cadart, « Réflexions sur mourir dans la dignité », Editions Ressources, Laval, Québec, novembre 2003, p. 84

[93]    Voir § 9.6 de ce même chapitre 5.

[94]    François Mitterrand dans la préface du livre de Marie de Hennezel, La mort Intime, Ceux qui vont mourir nous apprennent à vivre, Pocket 10102, Robert Laffont, Paris 1995, p. 10

[95]    Jean-Dominique Bauly, « Le scaphandre et le papillon », Robert Laffont, 1977. Cf. Chapitre 7 de notre livre § 1.3.

[96]    Cf. Chapitre 1, § 3

[97]    Evangile de Jean 11,4

[98]    Du fait de la paralysie progressive des muscles de la déglutition, les aliments sont inhalés dans les poumons au lieu d’être déglutis dans l’œsophage.

[99]    Les expressions sont exactes et correspondent à la cassette, même si j’ai amélioré l’expression orale et supprimé des baffouillements. J’avais bien plus de mal à m’exprimer qu’elle. J’ai supprimé des éléments quand des personnes étaient nommées par respect pour elles.

[100]   Chaque fois que Françoise parle de sa communauté, de ses sœurs, chacun pourra transposer par rapport à la famille des malades atteints d’une maladie importante.

[101]   Il s’agit de la retranscription de notre dialogue. Il y aurait bien sûr des nuances à apporter. La personnalité de Françoise a permis ce dialogue sans détour. Un tel dialogue n’est pas toujours réalisable. Mais quelle que soit la personnalité du malade, il laisse transparaître les repères qui nous guident pour une parole avec les malades et il ne faut pas trop vite considérer une telle parole comme impossible. Ce qui est sûr, c’est que, chaque fois que c’est possible, il est mieux d’avoir plus de temps pour le faire. Dans tous les cas, c’est important de prévoir comment le malade pourra reparler ensuite, questionner. C’est toute la place ici de Geneviève, l’amie de Françoise. Il faut autant s’inquiéter d’informer que de permettre à la personne de reparler, de questionner, d’être aidée à élaborer du sens pour elle, à ouvrir des perspectives et à ne pas se trouver seulement devant un mur.

[102]   Médecin, amie de Françoise qui l’accompagnera tout au long de sa maladie.

[103]   Dans ce film, la maladie apparaît sous l’angle exclusif de la douleur, de la souffrance extrême dans laquelle aucun sens n’est possible et où le malade est réduit à un objet de torture.

[104] Là, je fais tout un développement avec le schéma donné dans le chapitre sur l’expérience des hospices pour Françoise expliquer les antalgiques, les anxiolytiques, leur effet dépresseur respiratoire et la manière de les utiliser correctement sans jamais viser la mort.

[105]   On pourra revenir au paragraphe sur la sédation réversible que l’on utilise aujourd’hui dans des situations limites sans chercher à provoquer la mort : chapitre 3, § 10.2

[106]   Mme Batéot, voir plus haut.

[107]   Centre de formation animé par les jésuites à Paris. Patrick Verspieren y a aidé de nombreux soignants à découvrir les soins palliatifs et une réflexion de bioéthique. J’ai eu la chance de faire partie de ceux-là.

[108]   Même s’il existe des moyens de détecter la douleur chez le malade qui ne s’exprime plus.

[109]   Le temps de faire les manœuvres pour aider le malade à éliminer l’aliment inhalé dans les poumons et d’injecter un anxiolytique.

[110]   Suit un exposé technique valable en 1990. Pour l’exposé technique, voir au chapitre sur l’expérience des hospices et se reporter aux livres et articles sortis sur la question de l’étouffement.

[111]   Fait d’injecter un ensemble de médicaments, d’où le nom de coktail, dans le but de provoquer la mort. « Lytique » : la lyse d’une cellule, c’est la mort d’une cellule.

[112]   En 2003, on peut espérer que ce type de situation ne se rencontre plus.

[113]   Cf. Léon Schwartzenberg, Requiem pour la vie, Le pré aux clercs, p. 231 et notre analyse au début de ce chapitre sur l’euthanasie.

[114]   Cf. Histoire du Père Joseph et de la collaboration avec son médecin traitant.

[115]   Là je lui raconte l’histoire du Père Joseph telle qu’elle est plus haut.

[116]   Un plan gouvernemental avait accordé des droits fiscaux particuliers à quelques quartiers de France très défavorisés pour essayer de casser leur situation de ghetto. L’ensemble constitué par la cité du Bois l’Abbé, celle des Mordacs et celle du Docteur Bring, était l’une des 30 zones franches en France

[117]   Pour laisser à Jean le temps d’accéder progressivement au diagnostic si difficile à assumer d’un coup alors que les signes qu’il ressent sont encore discrets par rapport à ce qui l’attend.

[118]   Reconstruction anarchique du foie secondaire à une destruction des cellules hépatiques. C’est une complication de la maladie alcoolique mais aussi des hépatites (virales, médicamenteuses, autres). Le sang a alors bien du mal à circuler dans le filtre qu’est le foie. La pression monte en amont. Les veines oesophagiennes se dilatent jusqu’à éclater et entraîner des hémorragies massives pouvant entraîner la mort très rapidement.

[119]   Matthieu 25,31-40

[120]   Pour accompagner Marcelle au mieux, je prenais des notes précises de ce que nous nous étions partagé en veillant à être au plus près de ses expressions après chaque rencontre ou lettre ou téléphone.

[121]   Jean 21,18

[122]   On retrouve là la mise en œuvre des repères de Murray Parkes pour aider un malade à parler de ses peurs.

[123]   Sans transition, et sans sembler consciente qu’elle contredit la réponse qui précède immédiatement, elle donne à voir qu’en fait ses jambes sont déjà bien atteintes.

[124]   Voir le Livre de Job dans la Bible. Il s’agit d’un poème qui présente un homme assailli par les malheurs, d’abord matériels, puis touchant ses proches, puis sa propre vie. Le livre met en scène les paroles de ses proches qui discourent sur sa souffrance, lui font la morale ou qui disent que cette maladie est une punition de Dieu. L’auteur de ce compte met dans la bouche de Job, la figure du croyant modèle, des paroles de révolte très forte, jusqu’à maudire les genoux qui l’ont accueilli à sa naissance, jusqu’à crier contre Dieu avant de réfuter tous les discours expliquant sa détresse et de redire sa confiance en Dieu.

[125]   Citation d’une lettre de l’apôtre Paul aux habitants de Corinthe (2 Co 12,9)

[126]   Jean 14,1-14 :

[127]   Martine Ruznievski, Face à la maladie grave, Dunod.

[128]   Dans la mesure où j’intègre deux poèmes qu’il a écrits, je laisse apparaître son nom de famille. Sauf pour lui, pour Pascale Schipman et pour André Redouin, et avec l’accord de leurs familles, tous les autres noms de personnes malades qui apparaissent dans ce livre sont transformés pour respecter les personnes dont il s’agit.

[129]   Au lieu de la classique évolution en deux à cinq ans vers une paralysie totale. La moitié seulement des personnes atteintes de S.L.A. vivent plus de trois ans après les premiers signes cliniques. Des sites internet assurent informations et liens entre les malades.

[130]   Cela arrivait surtout dans les moments où un pallier se franchissait. Comme tout malade, il lui fallait des destinataires pour la colère générée par sa souffrance.

[131]   Sclérose Latérale Amyotrophique ou maladie de Charcot

[132]   A.P.F. : Association des Paralysés de France ; www.apf.asso.fr

[133]   C’est aussi la phrase que nous avions choisi de mettre sur l’image offerte le jour de notre ordination diaconale.

[134]   Jean 4,10

[135]   Sonde qui permet de nourrir en passant à travers la paroi abdominale et permet de nourrir même quand la déglutition n’est plus possible du fait de la paralysie des muscles de la cavité buccale.

[136]   Il a dépassé le « moment raisonnable » pour entrer en soins palliatifs. J’essaye de le lui faire entendre sans vouloir non plus dramatiser sa situation ou lui forcer la main.

[137]   Sur cette « tentation » de choisir la mort plutôt que la vie (il ne s’agit pas là de s’acharner dans une survie biologique), on lira avec intérêt la lettre de cette personne paralysée à Vincent Humbert dans son livre : « Je vous demande le droit de mourir », Michel Lafon, Paris 2003, p. 139-143.

[138]   Comme pour Françoise, pour Jean, ou pour Marcelle, il avait du mal à apprécier « où il en était dans le temps par rapport à sa maladie ». Le risque d’une détresse respiratoire était majeur dans l’état où il était ; heureusement, rien ne s’était produit.

[139]   Cf. La mort, Textes non bibliques pour les funérailles, Les éditions de l’Atelier, Paris 1994, p. 85.

[140]   Bruno Cadart, Réflexion sur mourir dans la dignité, Editions Ressources, Laval, Québec, novembre 2003.

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