Introduction… Mourir dans la dignité

« Mourir dans la dignité »…

Une aspiration certainement universelle de l’homme.

Derrière une telle expression, quel contenu, quelles conditions pour « mourir dans la dignité »?

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1.     Un constat: l’émergence de mouvements qui militent pour le droit à une mort dans la dignité et qui s’opposent sur la reconnaissance du droit à l’euthanasie et au suicide délibéré.

Depuis 1980, un mouvement, « l’Association pour le Droit à Mourir dans la Dignité »[1], se développe en France, et d’autres associations équivalentes existent à l’étranger et sont fédérées entre elles dans la « World Federation ‘Right to Die Societies' ». Ces mouvements sont de plus en plus présents dans les médias et dans les débats politiques et législatifs. De plus en plus de personnes s’intéressent à leurs revendications ou y adhèrent.

D’autres, comme l’association J.A.L.M.A.L.V., « Jusqu’A La Mort Accompagner La Vie », la S.F.A.P. (« Société Française d’Accompagnement et de Soins Palliatifs ») l’association Fonction Soignante et Accompagnement, l’association « Vieillir ensemble », etc…, se battent aussi pour une mort dans la dignité mais s’opposent aux associations précédentes, en particulier sur la revendication du droit à l’euthanasie et sur la promotion d’un idéal de mort volontaire par suicide délibéré. Derrière ce refus de la mort volontaire, ce qui est plus fondamentalement en cause, c’est un autre regard sur la dignité de la personne malade, dépendante, handicapée ou âgée, et plus largement sur ce qui fait la dignité de toute personne.

2. L’alternative à l’euthanasie ou au suicide volontaire que propose le mouvement des Hospices anglais:

Dans le livre « En fin de vie », « répondre aux désirs profonds des personnes »[2], à la suite de beaucoup d’autres, je m’élevais avec force contre tout ce qui détruit l’homme et le réduit à un objet de soins dont la parole n’est plus entendue et qui se retrouve bientôt littéralement torturé et coupé de toute relation avec autrui. J’analysais ce qui conduit à l’acharnement thérapeutique et je dénonçais le non-traitement de la douleur encore trop généralisé.

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Sur ces points, mon analyse rejoint celle de mouvements comme l’A.D.M.D. sauf que je ne pense pas que la loi actuelle soit la cause de cet acharnement, ni qu’il soit nécessaire de la changer. En particulier, je montrais que le délit de « non-assistance à personne en danger » ou que « l’obligation de moyens » ne sont pas à comprendre comme une obligation de tout mettre en oeuvre pour assurer la survie biologique et empêcher la mort et qu’ils s’articulent avec un autre principe absolument fondamental et premier : la nécessité d’obtenir le consentement éclairé de la personne malade avant de mettre en oeuvre tel ou tel traitement, et la possibilité pour elle de refuser des soins, même si sa vie s’en trouvait menacée.

Surtout, à partir de l’expérience d’une équipe soignante en gériatrie long-séjour, je présentais une alternative à cette situation s’appuyant sur l’accompagnement des personnes en fin de vie tel qu’il se pratique dans les Hospices anglais comme le « Saint Christopher Hospice ». Cette alternative est basée sur la prise en compte de l’ensemble des besoins de la personne et non pas du seul besoin physiologique en vue d’assurer le maintien de la vie biologique. Une attention toute particulière est portée au besoin de ne pas être réduit en un objet de douleur et l’utilisation adéquate de la morphine, notamment, permet de traiter efficacement la quasi-totalité des douleurs rencontrées, y compris dans les formes de cancer particulièrement douloureux, sans jouer ni sur la durée de vie, ni sur la conscience du malade et sans provoquer de toxicomanie. Sont aussi calmés et dans les mêmes conditions les autres symptômes comme la sensation d’étouffement. Surtout, grâce à l’aide d’une équipe formée et au sein de laquelle il y a une réelle parole, le malade et sa famille sont aidés à vivre cette étape en relation. Tout est mis en oeuvre pour que ce temps ne soit pas seulement un temps qui détruit, mais que ce puisse être aussi un temps de vie, de maturation, avec ses projets, ses joies, tout autant que ses difficultés. L’accompagnement dans la perspective des hospices anglais implique un respect absolu de l’interdit d’euthanasie et tourne radicalement le dos à la promotion d’un idéal de mort volontaire.

L’alternative que propose les Hospices anglais n’est pas une solution miracle. Elle est un combat chaque fois recommencé pour accueillir l’autre tel qu’il est, essayer d’accueillir avec lui la vie qui vient, en mettant tout en oeuvre pour qu’il ne se retrouve pas enfermé dans la douleur, dans la solitude et finalement dans l’horreur. C’est une façon de se battre non pour la survie biologique mais pour l’accueil de la vie sans résoudre la question que me pose la souffrance, celle de l’autre, la mienne, sans l’éliminer en provoquant la mort.

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Pour bien comprendre de quoi je parle dans ce livre, pour ne pas avoir une opinion caricaturale de la position que je défends et, à travers la lecture d’histoires vécues, entrer de l’intérieur dans l’intelligence de cette position, j’invite le lecteur à lire d’abord le livre « En fin de vie ».

3.     Permettre à chacun de se faire son opinion.

Au moment où la réflexion sur la « mort dans la dignité » devient un débat de plus en plus public, notamment, mais pas seulement, grâce à des mouvements comme l’A.D.M.D. et aux autres mouvements cités, et dans la mesure ou ce débat est souvent marqué par la confusion, j’ai pensé qu’il serait intéressant de l’éclairer par une analyse et une présentation des principales positions en présence. Dans la mesure, aussi, où il ne s’agit pas seulement d’un débat d’idées théoriques, mais où l’A.D.M.D. cherche à obtenir une évolution de la législation, il m’a semblé important de proposer ici un dossier de réflexion.

Je ne considérerai pas toutes les positions, mais deux positions particulièrement représentatives et opposées, à savoir celle que défend l’A.D.M.D. et celle de l’Eglise catholique.

Dans cette analyse, je suis clairement situé : je suis radicalement opposé à la revendication et à l’idéalisation de la mort volontaire. Je m’exprime ici à partir de l’expérience acquise comme médecin dans la mise en place de l’accompagnement des mourants, à partir aussi de la participation à diverses associations se situant dans la ligne des hospices anglais et également comme prêtre, en puisant dans la tradition et l’enseignement de l’Eglise catholique. Avant de mettre cet essai sous forme de livre, je l’ai soutenu pour l’obtention de la maîtrise de théologie à la faculté catholique de Lyon.

Cette réflexion est aussi celle de quelqu’un qui souhaite être le plus respectueux possible de la position de l’A.D.M.D. et qui travaille en dialogue avec l’A.D.M.D. depuis plus de 5 ans. D’ailleurs, dans la dernière lettre que m’a envoyée Madame Paula Caucanas-Pisier, alors secrétaire de l’A.D.M.D., un mois avant sa mort par suicide, elle me qualifie de « cher ami et néanmoins adversaire résolu » et me félicite très chaleureusement pour mon livre « En fin de vie », tout en soulignant les divergences qui nous séparent.

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Dans une lettre précédente elle m’écrivait : « Merci de votre texte « Peut-on abréger les souffrances ? »[3]. La charité, le dévouement, la qualité des soins y transparaissent et doivent adoucir bien des peines – mais pas toutes – et ce sont ces dernières qui nous importent aussi, tout particulièrement. »

La réalisation même de ce nouveau livre s’est faite dans ce dialogue.[4] En effet, après avoir informé l’A.D.M.D. de mon intention de faire un mémoire de théologie et en m’étant appuyé pour cela sur tous les documents qu’elle a bien voulu mettre à ma disposition, j’ai tenu à rencontrer des membres du bureau de l’A.D.M.D. avant de donner une forme définitive à ce travail. Je voulais ainsi pouvoir tenir compte de leurs remarques, corriger toute information qui serait erronée et me confronter à la parole de l’A.D.M.D. sur l’analyse que je fais de leurs positions, gardant bien sûr ma liberté d’appréciation et ne les engageant pas dans ce texte.

Dans la rédaction, j’ai clairement distingué ce qui est de l’ordre de la présentation des positions de l’A.D.M.D. telle que cette association les présente elle-même ou qu’on peut les trouver à travers une lecture exhaustive de ses documents, de ce qui est analyse critique.

Ce livre s’adresse donc à un public très large. Il s’adresse aux militants de l’A.D.M.D. qui y trouveront une présentation respectueuse et approfondie de leur mouvement, et aussi une critique radicale des positions défendues. Cette critique n’a pas la prétention de les convaincre. Mais elle ne manquera pas de les intéresser dans leur recherche d’une compréhension de ceux qui s’opposent à leurs positions.

Il s’adresse aussi à tous ceux qui veulent mieux comprendre ce qui est en jeu dans le débat sur le droit à l’euthanasie et au suicide, ou qui, confrontés d’une manière ou d’une autre à l’Association pour le Droit à Mourir dans la Dignité, souhaitent mieux connaître cette association, ainsi que les autres positions défendues comme celle de l’Eglise catholique.

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Il s’adresse aux croyants et aux non-croyants. La présentation de la position de l’Eglise catholique vise à permettre aux catholiques comme aux autres de mieux comprendre le fond de la position d’un des protagonistes du débat et de percevoir ainsi sa visée au delà de la défense de l’interdit d’euthanasie.

Ce livre s’adresse aux professionnels de la santé, aux responsables politiques, ainsi qu’à tout un chacun, malade ou bien portant, inévitablement concerné personnellement et dès aujourd’hui par cette question de la mort dans la dignité.

Cette présentation, tant de la position de l’A.D.M.D. que de celle de l’Eglise catholique, voudrait permettre un débat dans la clarté, la non-confusion des positions en présence, et contribuer à faire mesurer l’importance de l’enjeu d’un tel débat.

4. Urgence d’une réflexion approfondie.

Nous assistons aujourd’hui à la convergence de trois phénomènes distincts allant tous dans le sens du refus d’une vie dépendante. Ce refus de vivre s’exprime tout particulièrement devant la vieillesse dès lors que la personne devient dépendante d’autrui. Il s’exprime aussi devant la dépendance liée aux maladies au stade terminal ou devant le handicap physique et mental.

4.1 Une pression démographique.

Le premier de ces phénomènes est d’ordre démographique.

Voilà ce que nous écrivions au moment de la soutenance de ce mémoire, en 1990 :

« en l’an 2000, dans dix ans, les personnes de plus de 65 ans représenteront 16 % de la population française, là où elles représentent aujourd’hui 14,1 % [5] soit une augmentation prévisible de 13,47 %. Le nombre des personnes de plus de 80 ans a augmenté de 84,8 % en 20 ans, passant de 401 000 en 1962 à 741 000 en 1982. Il devrait atteindre 1 145 000 en 2002, soit une augmentation de 185,6 % sur 40 ans.

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5 % des personnes de plus de 60 ans et 20 % des plus de 80 ans sont « démentes »,[6] qu’il s’agisse de la maladie d’Alzheimer[7] ou d’autres processus. On peut donc estimer à 503 000 le nombre de personnes de plus de 60 ans atteintes par cette maladie en 1982. En l’absence de découverte thérapeutique ou d’autre facteur modifiant la prévalence[8] de cette maladie, elles seront 1 341 700 en 2002.

Le nombre de personnes de plus de 60 ans placées dans des structures d’hébergement collectif était de 475 640 en 1982, 4,7 % des plus de 60 ans et 9,1 % des plus de 75 ans.[9] »

En 2003, au moment où nous éditons notre étude, 13 ans se sont passés. Nous n’avons pas pu toujours trouver les statistiques portant sur les mêmes catégories d’âge : plus de 65 ans, plus de 80 ans. Mais voilà ce que l’on trouve à partir des recensements INSEE disponibles sur son site internet (www.insee.fr) :

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–     De 1990 à 1999, la population française a connu une augmentation de 1,9 millions d’habitants (+ 3,34 %), avec une augmentation de 1,2 millions pour la tranche des 60 ans et plus (+ 10,43 %).

–     De 1982 à 1999, la population des 74 ans et plus est passée de 6,53 % à 7,70 % de la population totale soit une augmentation très significative de 18 % en 17 ans.

–     La population des 60 ans et plus est passée de 18,46 % à 21,32 % de la population totale, soit une augmentation en valeur relative de 15,49 %.

–     La population des plus de 80 ans qui était passée de 401 000 en 1962 à 741 000 en 1982, a atteint 1 968 752 en 1999 : elle a été multipliée par 5 en 40 ans, par 2,66 en 17 ans.

En 1999, 4,7 % des plus de 60 ans sont en institution soit 711 000 personnes. 19,2 % des 2 340 000 personnes de plus de 80 ans et 36 % des 502 000 personnes de plus de 90 ans sont en institution.[10]

–     Le vieillissement de la population n’est pas un phénomène propre à la France dont la situation est comparable à celle de l’ensemble de l’union européenne : 21,3 % de la population française a 60 ans et plus quand 21,4 % sont dans cette situation pour l’ensemble de la population européenne.

Population des 60 ans et plus de la France métropolitaine en valeur absolue :

1982 1990 1999
60 à 74 ans 6 484 238 7 261 014 7 973 216
Plus de 74 ans 3 547 774 4 038 359 4 504 911
Total des plus de 60 ans 10 032 012 11 299 373 12 478 127
Total Population

Métropole Française

54 327 963 56 625 026 58 520 688

Population des 60 ans et plus de la France métropolitaine en valeur relative à la population totale :

1982 1990 1999
60 à 74 ans 11,93 % 12,82 % 13,62 %
Plus de 74 ans 6,53 % 7,13 % 7,70 %
Total des plus de 60 ans 18,46 % 19,95 % 21,32 %
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Répartition des plus de 60 ans par classes d’âge en France en 1999 :

60 à 64 ans : ………………………. 2 726 000

65 à 69 ans :……………………….. 2 758 000

70 à 74 ans :……………………….. 2 489 000

75 à 79 ans :……………………….. 2 166 000

80 à 84 ans :………………………….. 915 000

85 à 89 ans :………………………….. 922 000

90 ans et plus :………………………. 502 000

Ensemble 60 ans et plus :…… 12 478 000

Ensemble 75 ans ou plus :……. 4 505 000

Ensemble 80 ans ou plus :……. 2 339 000

Sur le site de l’association « France Alzheimer »[11], on obtient les informations suivantes : Le principal déterminant de la maladie est l’âge : on note une personne atteinte sur 1000 avant 65 ans, une sur 20 après 65 ans, de l’ordre de une sur six après 85 ans et six sur dix après 100 ans. La probabilité d’être atteint de la maladie d’Alzheimer augmente donc avec l’âge, mais cela ne signifie pas que l’âge avancé suffit à lui seul à déclencher la maladie et il faut souligner que la majorité des personnes de plus de 80 ans conservent leurs facultés mentales. Les études récentes ont montré que les atteintes vasculaires, également liées à l’âge, sont souvent associées au développement de la maladie d’Alzheimer. Cette liaison de la maladie d’Alzheimer avec l’âge, alors que la durée de vie continue de progresser, laisse présager un fort accroissement du nombre de personnes souffrant de la maladie d’Alzheimer.

Nous sommes donc devant une question majeure pour notre société et toute réflexion sur « mourir dans la dignité » ne peut ignorer cette donnée.

Si la maladie ou la vieillesse ne se réduisent pas à une souffrance, une charge pour la personne concernée et son entourage, elles sont aussi vécues comme telles.

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Outre le poids moral qu’une telle situation représente, la société se trouve confrontée à une charge financière très importante, d’autant plus importante que l’âge de la retraite a été nettement abaissé ces dernières années. Cette situation exerce une pression dans le sens d’une mise en question de la possibilité pour des personnes âgées de vivre, surtout quand elles ne sont plus lucides ou très dépendantes.

4.2 Une plainte diffuse.

Le deuxième phénomène, qui est en partie la conséquence du précédent, c’est l’émergence d’une plainte non structurée venant de personnes vivant dans une souffrance très importante. Cette plainte est celle de personnes qui sont elles-mêmes seules, malades ou handicapées, du fait de la vieillesse ou de pathologies diverses. Elle est aussi celle de personnes ayant eu à charge des membres de leur famille dépendantes du fait de la maladie ou de la vieillesse. C’est encore la plainte de personnes ayant vu leurs proches mourir dans des conditions encore trop souvent caractérisées par une absence d’aide extérieure et un traitement aberrant, inefficace ou carrément inexistant de la douleur, quand celle-ci n’était pas provoquée par des soins inadaptés, ressentis comme étant de l’acharnement[12]. Pour ces personnes, la souffrance a été vécue sous le seul mode de l’horreur, de l’insupportable, de ce qui écrase et anéantit l’homme, et elles en viennent à ne percevoir la maladie, la vieillesse, que comme une déchéance que l’on devrait pouvoir éviter. Même si elles ne vont pas jusqu’à demander pour elles-mêmes ou leur proche le suicide délibéré ou l’euthanasie, notamment lorsqu’elles sont croyantes, elles ne peuvent voir autre chose dans de telles situations que l’évidence de l’horreur.

Parmi les repères objectifs de cette souffrance, et sans avoir d’éléments pour distinguer les différentes causes de suicide, suicide pathologique lié à une dépression ou suicide délibéré par idéal, il est intéressant de considérer le taux de suicide des personnes âgées.[13] On sait que le suicide des personnes âgées de 75 ans à 84 ans est trois fois plus élevé que celui des personnes de 25 à 34 ans.

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Celui des plus de 85 ans est 4,4 fois plus élevé. Le suicide des hommes est, en général, près de trois fois supérieur à celui des femmes ; à 75-84 ans, il lui est quatre fois supérieur. Le taux officiel de suicide de l’année 1987 est de 106,9 pour 100 000 pour les hommes de 75 à 84 ans ; de 144,2 pour les hommes de plus de 85 ans ; le taux moyen toutes classes d’âge confondues étant de 31,7 pour 100 000. En ce qui concerne les femmes, ces taux sont de 29,5 (75-84 ans), 27,2 (plus de 85 ans) pour un taux moyen de 12,5. Au total, ce sont 3681 personnes de plus de 65 ans qui ont mis fin à leurs jours en 1987 pour un nombre total de suicide de 12 161 cette année là. En matière de suicide, on estime en général que les taux officiels sont très sous-évalués et que les taux réels seraient égaux à deux fois les taux officiels[14]. Comme élément de comparaison, on rappelle que le nombre de morts par accidents de la route était de 9 443 cette même année.

4.3 Un discours structuré refusant, pour soi, une vie marquée par la dépendance et le handicap.

Le troisième phénomène est la naissance de l’association déjà mentionnée plus haut, l’A.D.M.D., Association pour le Droit à Mourir dans la Dignité, qui revendique, outre un traitement correct de la douleur et la possibilité de refuser de devenir objet d’acharnement thérapeutique, le droit à l’euthanasie et surtout au suicide délibéré, pour la personne qui le demande pour elle-même. Ici, ce qui est demandé c’est à la fois le droit de se tuer et la possibilité de le faire avec des moyens sûrs et non-douloureux, de pouvoir se procurer les médicaments nécessaires et d’être assisté au besoin par des soignants. Cette association présente un idéal de la mort digne qui passe par un refus « de la déchéance de la maladie et de la vieillesse » et défend l’évidence du droit pour soi à l’euthanasie et surtout au suicide délibéré. D’autres « associations soeurs » existent de par le monde. Ces associations viennent de tenir leur huitième congrès mondial à Maastricht, du 7 au 10 juin 1990. Fondée en avril 1980, l’A.D.M.D. compte 18 000 adhérents environ. Elle vient de déposer un projet de loi[15] qui va dans ce sens et fait signer une pétition qui aurait déjà recueilli 100 000 signatures en décembre 1989.[16]

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Cette convergence entre une pression économique et démographique, une plainte assez massive dans la société d’aujourd’hui et un discours structuré et militant, appelle une réflexion approfondie et urgente. Cette réflexion est d’autant plus nécessaire que des projets de loi viennent d’être déposés et que l’activité de l’A.D.M.D. se développe. Quelque soit l’opinion que l’on aura en définitive, une étude approfondie d’un tel sujet donnera des éléments de réflexion.

5. « Mourir dans la dignité… »   Oui! Mais quelle dignité?

Au nom de ce même concept de la « dignité de l’homme », l’Eglise défend l’interdit de l’euthanasie et du suicide délibéré. Pourtant, un certain nombre de croyants sont membres de l’A.D.M.D. Certains estiment clairement que cette adhésion n’est pas contraire à leur foi. D’autres s’interrogent ou se retirent après un certain temps d’adhésion.

–     Comment comprendre cette opposition entre l’Eglise et l’A.D.M.D. alors que les deux positions se fondent sur la défense et la promotion de la dignité de l’homme ?

–     Qu’est-ce que la dignité ? Y a-t-il une définition ou des définitions de la dignité ?

–     Le désaccord est-il le fait d’une simple incompréhension mutuelle par méconnaissance ?

–     Le différent porte-t-il seulement sur la possibilité de se donner la mort ou non, sur une interprétation du « Tu ne tueras pas » ou est-il plus profond ?

–     Qu’est-ce qui se joue de l’identité de l’homme et de celle de Dieu dans un tel choix ?

Dans ce livre, je m’intéresserai à la demande exprimée par l’A.D.M.D. :

–     Quelle est-elle exactement en dehors de toutes les caricatures qui en ont été faites ?

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–     Au delà du droit revendiqué, quelle est la conception de l’homme de l’A.D.M.D., sa conception de la dignité ?

J’aurai à cœur de prendre du recul par rapport au problème posé et de ne pas réfléchir seulement à l’homme malade. Je travaillerai à identifier le courant philosophique dans lequel s’inscrit le combat de l’A.D.M.D. et je l’étudierai pour éclairer la conception de l’homme dont il s’agit dans cette revendication « d’une mort dans la dignité ».

Pour identifier la position de l’A.D.M.D., j’ai étudié l’ensemble des revues que cette association a pu mettre à ma disposition. Cette étude repose donc sur la lecture exhaustive des numéros 11 à 34 du bulletin d’information de l’A.D.M.D., ce qui couvre la période de juillet 1983 à décembre 1989.[17] Elle repose aussi sur la lecture de sa brochure de présentation ainsi que sur celle du « guide d’autodélivrance » qu’elle a édité.

Je présenterai ensuite ce que l’Eglise catholique dit de la dignité de l’homme quand elle s’adresse à tous les hommes, comme elle l’a fait dans la constitution « Gaudium et spes » lors du Concile Vatican II. Je m’intéresserai au discours théologique, discours sur Dieu, et à son soubassement anthropologique, c’est-à-dire à la conception de l’homme qui est sous-jacente.

Je comparerai au niveau anthropologique les conceptions de la dignité de l’Eglise et de l’A.D.M.D. et, à travers cette confrontation, c’est le concept de « dignité » que je chercherai à éclairer.

Tout au long de ce livre, j’aurai une double approche philosophique et théologique. Pour autant, je veillerai à utiliser un langage simple pour que ce livre soit accessible à tous.

Devant chaque question rencontrée, il sera important de bien avoir à l’esprit que ce qui est en jeu, c’est d’une part l’image que l’homme a de lui-même, et c’est d’autre part celle qu’il a de Dieu. Bien sûr, je ne pourrai pas approfondir toutes les questions rencontrées et qui ont ce double versant philosophique et théologique, mais, ici ou là, je pointerai ces questions sans les traiter pour autant.

Ensuite je réfléchirai au dialogue possible et je proposerai quelques pistes pastorales pour l’Eglise, n’ayant pas à proposer de l’extérieur sa conduite à l’A.D.M.D.

  1. [1]D.M.D., Association pour le Droit à Mourir dans la Dignité, 50, rue de Chabrol, 75010 Paris, Tel : 01 48 00 04 92 ou 01 48 00 04 16 ; Fax : 01 48 00 05 72 ; www.admd.net
  2. [2] Bruno Cadart, En fin de vie, « Répondre aux désirs profonds des personnes », Le Centurion, collection infirmières d’aujourd’hui, Paris, 1988. Bruno Cadart, chapitre « Les exclus du soir », dans le livre de Alain de Sédouy, De quoi souffrez-vous Docteur ? Voyage à l’intérieur de la médecine française, Olivier Orban, Paris 1989.
  3. [3] Intervention faite dans les locaux du Sénat, le 18 avril 1985, à l’invitation de l’Association des journalistes catholiques et publiée dans le Journal Laennec n°2, décembre 1985, ainsi que dans la Revue de Gériatrie, n°2, T 11, février 1986.
  4. [4] On se reportera à la note ci-dessus sur ce « dialogue ». J’ai gardé le texte de mon mémoire tel que je l’ai soutenu et me suis contenté de faire état du courrier de Monsieur Jacques POHIER.
  5. [5] Source: Ministère des Affaires Sociales, SESI Bureau ST7 et INSEE.
  6. [6] Docteur Marie-Pierre HERVY, « Le point sur les recherches épidémiologiques », Revue France Alzheimer Contact n° 11, juin 1989.
  7. [7] La maladie d’Alzheimer est ainsi appelée parce qu’elle a été décrite en 1906 par le médecin allemand Alzheimer à la suite de l’examen clinique de patients jeunes – moins de 40 ans – qui présentaient les signes d’une détérioration mentale progressive, atteignant tout d’abord la mémoire, puis le comportement, enfin toutes les fonctions cognitives, aboutissant au bout d’un nombre variable d’années à un état de dépendance totale. L’examen après la mort de ces malades jeunes faisait apparaître une destruction partielle, mais généralisée, des centres cérébraux. Une évolution analogue, couramment observée chez des sujets âgés – 65 ans et plus – était généralement attribuée, jusqu’à une époque récente, à des phénomènes vasculaires, et qualifiée « démence sénile ». Les progrès de la neurologie ont montré que, dans 80 % des cas, cette évolution correspondait en fait à une dégénérescence cérébrale, de tous points semblable à celle que le Docteur ALZHEIMER avait décrite, dès le début du siècle, sur des sujets jeunes. Aussi ne distingue-t-on plus dans le vocabulaire la démence sénile de la maladie d’ALZHEIMER.
  8. [8] Nombre de personnes atteintes par la maladie à un moment donné pour une population considérée.
  9. [9] Economie et Statistique n° 175, mars 1985.
  10. [10] Recensement de la population 1999, La France continue de vieillir, INSEE Première N° 746 – Novembre 2000
  11. [11] francealzheimer.com
  12. [12] Les histoires publiées par l’A.D.M.D. comme « Nous n’avons pas pu sauver sa mort », Bulletin de l’A.D.M.D. n° 33, septembre 1989, p. 21 à 27, sont malheureusement loin d’être exceptionnelles et elles sont toujours aussi actuelles.
  13. [13] Josiane ANDRIAN, « Un suicide rarement évoqué: celui de la personne âgée », Revue « Vieillir ensemble » n° 23, décembre 1989, p. 6 à 22.
  14. [14] François-Xavier de VIVIE, « Un fait social », Revue Historia, Numéro spécial « Le dossier du suicide », n° 388 bis, 1979.
  15. [15] Projet déposé au Sénat par les sénateurs socialistes le vendredi 19 janvier 1990, cf. Le Monde, 20 janvier 1990.
  16. [16] Henri CAILLAVET, éditorial, Bulletin de l’A.D.M.D. n° 34, décembre 1989, p. 3 et 4.
  17. [17] Exception faite du numéro 13 épuisé.
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