Le texte du Pape François « La joie de l’Evangile » lu avec des catéchistes (novembre 2013)

Les deux rencontres de catéchistes de novembre m’ont marqué et j’ai pris le temps de mettre par écrit ce qui m’avait touché.

L’organisation des réunions de catéchistes et professeurs

Les réunions de catéchistes et professeurs des écoles catholiques du district (paroisse) ont lieu tous les mois du vendredi 10h au 14h. Une semaine, nous réunissons les catéchistes et professeurs des « fiangonana » (communautés) dépendant des centres de Befeta (7 fiangonana) et Ikalalao (8 fiangonana), la semaine suivante, nous réunissons ceux des fiangonana dépendant des centres d’Isaka (9 fiangonana) et Tomboarivo (9 fiangonana). A chaque fois, ce sont une trentaine de personnes qui se réunissent.

Chaque fiangonana (communauté) regroupe un nombre plus ou moins important de hameaux, jusqu’à 15 et a une église où les gens se retrouvent pour prier le dimanche. Nombre d’entre elles ont aussi une école primaire catholique. Les gens sont en général à moins d’une heure de marche de la fiangonana. Une fois par mois, des personnes des diverses fiangonana « montent » à la « messe de montée » à l’Eglise du centre.

Le vendredi matin, le Père Wilson donne une formation. En novembre, il a aidé les gens à s’approprier le livre du synode du diocèse de Fianarantsoa et les a invités à répondre aux questions du synode avec les gens de leurs communautés.

Le vendredi après-midi est consacré à un temps de méditation par équipes des lectures des 5 dimanches qui suivent. Chaque équipe prépare un des dimanches. Ensuite, chaque équipe proclame les lectures du dimanche qu’elle a préparé, puis un catéchiste ou un professeur prêche devant les autres et ceux qui le souhaitent réagissent, complètent. C’est un moment où je suis souvent émerveillé par la foi des catéchistes, maintenant que je peux comprendre à peu près ce qu’ils disent. Puis nous célébrons la messe.

Le samedi matin, après, la messe, commencent les « rapports des fiangonana et des écoles catholiques » : chaque catéchiste, chaque professeur, présente la vie de sa fiangonana ou de son école pendant le mois écoulé. Le rapport a été préparé avec le « Comité », sorte d’équipe d’animation de la fiangonana. Puis c’est mon tour de partager ce qui m’a touché pendant le mois écoulé, ou de lancer des appels, avant que le Père Wilson ne fasse de même et partage ce qui s’est dit à la rencontre des prêtres du diocèse.

Après le déjeuner, chacun repart dans sa communauté et marche jusqu’à 5h pour rentrer chez lui pour ceux qui viennent des communautés les plus éloignées.

Une bande armée de 300 personnes dans les fiangonana de Tomboarivo le 9 novembre

Lors de la réunion de juin 2013 le catéchiste de la communauté de Seranana avait raconté un règlement de compte survenu dans son village le vendredi 24 mai : un groupe d’une trentaine de personnes était venu venger une personne tuée par une personne de cette communauté. Bilan : 13 morts et 12 blessés dans un tout petit village par arme à feu, armes blanche et en mettant le feu à une maison.

Ce samedi 16 novembre, toutes les communautés de Tomboarivo ont évoqué un règlement de compte qui avait une autre dimension, même s’il n’y a pas eu de morts. Un habitant d’un village dépendant de Tomboarivo était connu depuis longtemps comme voleur de zébus et comme ayant un troupeau de 700 têtes de zébus, dont beaucoup de zébus volés. Cet homme est le frère du président d’une des fiangonana de Tomboarivo. Tout le monde le savait, y compris la gendarmerie, mais, par peur, par corruption sans doute, également par conception de la « fihavanana », l’entente dans la famille, tout le monde se taisait.

Le vendredi 9 novembre, des gens venant de l’extrémité ouest de notre diocèse et qui attribuent à cet homme la disparition de nombre de leurs zébus, ont fait une expédition punitive en plein jour. Ils sont passés chez cet homme qui n’était pas là et n’ont pas trouvé les zébus. Ils ont ratissé le territoire des diverses communautés de Tomboarivo. La plupart des gens, voyant les groupes arriver, ont fui dans les champs, hommes, femmes et enfants, se contentant de regarder de loin et de compter les hommes de l’expédition punitive. Il y aurait eu 300 personnes qui ont participé à l’expédition punitive, dont 96 civils armés de fusils, 33 soldats avec des Mas 36 et des kalachinkov qui s’étaient joints au groupe. Ils ont pris entre 300 et 400 zébus dans les parcs près des maisons ou dans les champs, pas forcément ceux qui leurs avaient été volés. Ils ont forcé les portes des maisons, volé le riz qui s’y trouvait, l’argent, la vaisselle, les habits, et, ce qui a marqué les gens, ils ont volé l’aube d’un catéchiste. Ils ont parcouru la plupart des 8 fiangonana de Tomboarivo et le centre de Tomboarivo. Le catéchiste de la fiangonana de Tomboarivo a reçu une « balle perdue » qui est entrée sous sa clavicule sans atteindre aucun organe vital. Il était à notre rencontre avec la balle toujours dans son corps, sans avoir été consulter dans un hôpital.

Un colonel de gendarmerie qui séjournait sur place a négocié la restitution des zébus de sa famille, mais pas des autres…

Toutes les communautés des 3 autres centres ont raconté diverses attaques qui avaient eu lieu dans leurs communauté pendant le mois d’octobre, alors que d’habitude, « seulement » 2 ou 3 catéchistes évoquaient un vol dans leur communauté chaque mois, avec ou sans personnes tuées lors des attaques.

Le catéchiste d’une fiangonana d’Isaka, Jean-Marie Vianney, a raconté qu’on avait trouvé un homme mort près d’une rizière lui appartenant, lui, c’est-à-dire le catéchiste qui parle. L’homme retrouvé mort aurait fait partie d’une équipe de voleurs partie attaquer la maison de ce catéchiste mais il aurait voulu se séparer du groupe et aurait été abattu par les autres voleurs pour qu’il ne parle pas.

On a aussi évoqué des évènements plus « naturels » : 2 adolescents tués par la foudre notamment, une jeune fille de 17 ans, enceinte et morte dans des conditions laissant penser à un suicide ce qui est rarissime ici. Depuis, 2 autres personnes ont été tuées par la foudre dans notre paroisse.

Pendant les 6 jours passés au centre de promotion rurale d’Ikalalao, il y a eu 3 alertes pour attaques, dont une attaque en plein jour par un groupe armé. L’une des alertes nocturnes a été lancée parce que 2 hommes volaient des « patates douces » dans un champ. Ce vol est différent des autres en bandes organisées et traduit la faim qui tenaille les gens.

La difficulté à scolariser les enfants et à avoir des « sessionnistes » au Centre de Promotion rurale d’Ikalalao

Partout, le nombre d’enfants scolarisés chute jusqu’à être divisé par 3 et les professeurs ont du mal à recevoir leur « écolage », participation des familles des enfants pour que les professeurs puissent vivre. La crise politique et sociale, les « valala », criquets pèlerins qui ont envahi Madagascar au début de l’année 2013 et fait chuter de 20 % la production de riz cette année, font que les gens ont faim et n’ont plus les moyens d’envoyer les enfants à l’école.

Nous nous attendions à des difficultés pour que des jeunes entre 14 et 20 ans qui ne sont plus scolarisés viennent participer aux semaines mensuelles de formation au Centre de Promotion Rurale d’Ikalalao (couture, menuiserie, culture, formation humaine et spirituelle), mais cela a dépassé nos craintes : ils n’étaient que 3 le dimanche soir, 7 le lundi, et j’ai pu en convaincre 2 autres de se joindre à nous le mercredi en célébrant dans une communauté. Quand nous demandons aux jeunes, pourquoi les autres ne viennent pas ? La réponse est toujours la même :

– la peur de l’insécurité pour le voyage. Des personnes allant à une réunion et portant leur part de riz avec eux ont été attaquées.

– l’incapacité à apporter la participation en riz. Pourtant, nous n’arrêtons pas de passer le message suivant :

+ celui qui peut apporter les 12 kapoaka (boite de conserve de lait concentré vide qui sert de mesure) de riz, la kapoaka de haricots parce que cela correspond à ce qu’il mange chez lui, et les 1 200 Ariary (0,40 €) pour les frais du centre, vient avec cette participation. Au centre, et quand la famille a les moyens, une personne mange 2 à 3 kapoaka de riz par jour et les jeunes passent 6 jours au centre.

+ Celui qui mange 1 kapoaka de riz par jour chez lui, vient avec 6. Cet après-midi, une jeune qui était sessionniste l’an dernier, a dit qu’elle ne pouvait plus venir. Ils se partagent 3 kapoaka de riz par jour à 14. Nous l’avons invitée à venir en apportant 1 kapoaka pour la semaine à Ikalalao (soit 2 kapoaka multipliées par 6 jours et divisées par 14 personnes qu’elles auraient mangées chez elle).

Nous avons profité de la tournée de toutes les communautés pour repasser le message et nous espérons que le nombre de sessionnistes va revenir à la « normale » (50).

Après avoir lu et « joué » l’ensemble de l’Evangile de Jean l’an dernier, nous nous sommes lancés dans les Actes des Apôtres. Quelle joie, chaque matin, à la messe de 6h, de regarder les jeunes jouer les Actes des Apôtres, qu’ils avaient préparé la veille, de partager avec eux les richesses de ce texte que je n’en finis pas de découvrir avec les multiples groupes avec qui je le lis et médite depuis des années. Jeudi, nous méditions la guérison du paralytique (Ac 3 et 4) et faisions le lien avec la vie ici, l’appel à se lever, à aider d’autres à se relever, la confiance du Christ en Pierre et Jean, des hommes simples et sans instructions n’ayant pas peur dans un temps de persécution.

Parmi les 3 sessionnistes présents dès le dimanche, il y avait Prisca, venue seule malgré l’insécurité ambiante depuis la fiangonana d’Isada, 2h de marche à l’ouest de Tomboarivo, 7h de marche d’Ikalalao.

L’essoufflement des « Fiangonana Fototra » et le doute qui parfois me prend

Nous avions réussi à lancer de nombreuses « Fiangonana Fototra », communautés de base, gens se retrouvant par hameaux le jeudi soir pour prier et partager l’Evangile du dimanche. Lors du rapport des catéchistes, alors qu’il y a 250 à 300 hameaux dans notre paroisse, je n’ai entendu parler que d’une vingtaine de « Fiangonana Fototra » qui se retrouvaient encore.

Nous demandons aux « Fiangonana Fototra » de faire un cahier dans lequel ils inscrivent leurs rencontres et une « Parole de vie » et de poser ce cahier sur l’autel lors de la prière du dimanche à l’église et lors des messes des tournées des pères, tous les 3 mois. Le plus souvent, il n’y en a aucun. Nous avons essayé d’inciter les « Fiangonana Fototra » à préparer des théâtres d’Evangile avec les enfants. Après un enthousiasme initial, il est bien rare d’arriver et de trouver un théâtre. Quand on parle de l’importance des « Fiangonana Fototra », les gens acquiescent gentiment, mais, même là où le catéchiste et les professeurs habitent, le plus souvent, personne ne se réunit plus.

Dans ce contexte, il m’arrive de douter. Faut-il encore appeler les gens à faire des « Fiangonana Fototra », continuer à parler de ces « Fiangonana Fototra » comme si elles existaient effectivement ? S’il n’y avait pas l’engagement résolu du Père Wilson, l’appel fait par l’évêque dans la Lettre Pastorale de janvier pour que tout le diocèse s’engage dans cette voie, il serait tentant d’arrêter malgré ma profonde conviction qu’il y a là une voie privilégiée pour aider un peuple meurtri à se pénétrer de l’Evangile, à lire quand personne n’a de livre à la maison, à résister à cette spirale qui tire le pays vers le fond.

Des « signes de résurrection » dans un contexte marqué par la Passion

Le 26 octobre, quand j’ai été célébrer dans la fiangonana d’Ambatotsara (nom qui se traduit par « Au bon ou beau rocher »), il y avait 5 cahiers de « Fiangonana Fototra » sur l’autel et un cahier d’équipe FET (Mouvement Eucharistique des Jeunes).

Alors que je m’apprêtais à commencer l’homélie, une jeune m’a interrompu en disant qu’il y avait un théâtre. Marie, Sessionniste à Ikalalao, et Simonet, en classe de 2nde à Befeta, avaient fondé une « Fiangonana Fototra » et une équipe FET à Soanintavanana, leur hameau. Les jeunes de cette équipe avaient mis en scène de manière extraordinaire la parabole du figuier que le maître de la vigne voulait couper parce qu’il ne donnait pas de fruit (Luc 13, 1-9). En les regardant jouer, ma compréhension de la parabole a même changé et l’homélie en a été transformée. Il y avait beaucoup de joie dans la communauté malgré ce climat si lourd qui les touchait aussi.

Après la messe, dans le hameau où se trouvait l’église, j’ai été visiter 3 familles dont les maisons avaient été dévalisées par des bandes armées pendant le mois d’octobre au cours de plusieurs attaques successives. L’une d’entre elles n’avait plus de toit : il avait été brûlé par les brigands. Dans l’autre, les voleurs avaient pris les économies de la communauté chrétienne.

Ensuite, nous avons été visiter le hameau de Marie et Simonette. J’ai d’abord eu un long partage avec Marie et sa maman. Marie, 18 ans, aimerait être religieuse. Elle a manifestement une vocation profonde et est très douée, bien que n’ayant pu étudier que jusqu’en 8ème. Mais elle ne peut pas quitter sa maman, veuve, malade, sans famille autre pour la soutenir et ayant encore un garçon de 14 ans à charge. Je l’ai appelée soit à fonder une famille, soit à chercher une vie de laïque consacrée e continuant à vivre dans son hameau. Là, elle demandait aussi de l’aide pour passer le cap actuel. Avec la crise, avec les sauterelles, il n’y avait plus de grains pour semer pour l’année qui vient. Elle m’avait aussi demandé de l’aide pour que son petit frère qui venait de réussir le Brevet de fin d’étude primaire puisse continuer à étudier.

C’est lorsque j’avais célébré le sacrement des malades chez elle que son aîné avait surgi avec un couteau, sous le coup de l’alcool, voulant tuer tout le monde. Des femmes avec nourrisson, des enfants avaient sauté par la fenêtre du premier étage pour s’échapper. J’avais essayé de faire assoir cet homme et fait diversion pour permettre à la cinquantaine de personnes présentes de s’échapper. Une fois que tout le monde avait pu fuir, il avait fini s’engouffrer dans « l’escalier échelle » derrière les gens qui avaient pu s’éloigner et rentrer dans leurs maisons. J’ai alors vu une femme sortir de sous la natte dans l’angle de la pièce. Elle avait soulevé l’angle de la natte et s’était cachée dessous avec son bébé, prenant la place servant normalement à stocker la récolte.

Quelle joie de voir que c’est le petit frère de cet homme violent et voleur qui tenait le rôle du maître de la vigne cherchant du fruit sur le figuier et de le voir continuer à étudier et avoir une équipe FET pour ne pas risquer de suivre les traces de son aîné.

Ensuite, nous avons visité d’autres maisons, dont celle d’une famille de ce hameau qui venait aussi d’être volée. Alors que nous étions en train de prier, une femme dit : « Mon Père, il faut que vous aidiez le maître de cette maison. Il essaie de quitter la maladie de l’alcool, il faut lui donner le sacrement des malades. » L’homme a confirmé qu’avec sa femme, depuis un mois, ils avaient réussi à être abstinent.

Par la suite, Simonette et Marie ont insisté pour que je reste à dormir chez eux. J’ai promis de venir participer à la « Fiangonana Fototra » le jeudi lendemain de Noël et de rester dormir. Depuis, toutes les deux m’ont demandé d’arriver dès le matin et de faire une mission avec leur équipe d’enfants FET.

Le visage de Marceline, le paradoxe de Madagascar et le « compagnon » de Magali

Parmi de multiples autres visages rencontrés, cette année le mystère de Noël aura le visage de Marceline. Jeudi 14 novembre, après la messe dans une communauté, les gens m’ont demandé de rendre visite à Marceline, membre du MDMK (équipes « Vie Chrétienne » ou Cvx). 60 ans alors qu’elle en paraît 80. Elle était assise devant sa maison et n’avait pas pu aller à l’église. Depuis 2 mois, elle souffrait d’une maladie bulleuse que je n’ai pu identifier. Son corps était une immense plaie vivante couverte de mouches, sans accès aux soins. Et pourtant, tout en disant sa souffrance, son inquiétude, son visage défiguré était habité par un immense sourire et c’est elle qui remontait le moral de ceux qui venaient la visiter, disant : « C’est Dieu qui me donne cette force et cette joie ».

Impuissant devant le visage défiguré de Marceline, il était difficile de ne pas penser à la Passion du Christ, à la Passion du peuple de Madagascar. Mais, devant ce regard, cette foi, cette force intérieure, il m’était difficile de ne pas me sentir petit et dans la position de celui qui reçoit, celui qui a le « privilège » d’être dans un de ces endroits « hors de la ville », hors des auberges où il n’y a pas de place pour lui, où le Christ continue de naître, mourir crucifié et ressusciter.

Je sais que ces mots ont quelque chose de révoltant surtout pour celui qui les lit sans être là, et je ressens aussi en moi-même cette révolte : comment n’avoir rien d’autre à donner, à partager et même à recevoir, qu’une prière, une présence, devant cette femme nécessitant des soins ? Comment oser parler de joie quand la situation est si douloureuse ?

Si je peux essayer d’apporter quelque chose de plus « efficace » avec ceux qui sont malades de l’alcool, devant cette marée de souffrance, devant tous ces gens qui viennent quêter, demander de quoi manger, je ne peux rien, sinon être là.

Dans ce visage de Marceline, je me retrouvais aussi devant ce que j’appellerai le « paradoxe de Madagascar ».

J’ai eu la chance et la grande joie d’accueillir un neveu, quatre nièces et deux de leurs amis, pendant 3 semaines à Madagascar en août. Ils ont passé 5 jours dans la paroisse de Befeta. Ils ont vu les gens démunis de tout, ils ont parcouru les pistes défoncées, les ponts aux planches volées. Ils ont entendu le « Mpiadidy », catéchiste responsable du centre de Befeta, raconter le vol de tous ses zébus par une bande armée pendant la nuit précédente, dire aussi son absence de haine et sa confiance en Dieu. Ils ont su que le catéchiste de la fiangonana qui avait reçu la centaine de jeunes « missionnaires » du vendredi 16 au dimanche 18 août était mort d’hémorragie digestive dans la nuit de ce même dimanche, peut-être conséquence de la bilharziose dans cette région où elle atteint de nombreuses personnes. Il avait 33 ans et deux enfants en bas âge. Deux nièces m’ont accompagné dans une famille où j’ai célébré le mariage d’une femme de 35 ans à quelques jours de sa mort.

Au moment de me remercier pour ce séjour à Madagascar, ils m’ont offert chacun une photo au dos de laquelle ils ont dit ce qu’ils avaient reçu. S’ils parlent de cette souffrance omniprésente dans la vie des malgaches, ils témoignent en premier de la joie qui les a marqués et qu’ils ont reçue des malgaches. Parmi d’autres expressions de ce groupe de jeunes, je vous partage celle de Magali :

« La joie et le sourire des personnes que nous avons croisées sur le chemin ont été pour moi particulièrement marquants. Et j’ai fait ma rentrée à Bourges avec cet étrange sourire intérieur qui s’est sans doute glissé dans nos bagages à mon insu (Note : le compagnon n’était pas désagréable, je suis prête à l’héberger chez moi aussi longtemps qu’il le souhaitera !).

J’ai été également très sensible à la foi des Malgaches, à son expression vivante et joyeuse, ainsi qu’aux différents témoignages. La densité du programme spirituel annoncé me faisait, il est vrai, un peu peur au départ, mais j’ai été contente de vivre ces moments. J’aurais même supporté volontiers quelques heures de messes supplémentaires, sous un soleil de plomb et en malgache dans le texte de préférence ! Même pas peur, pourvu qu’on puisse chanter et danser pour le Seigneur ! »

Dans son exhortation apostolique « La joie d’évangéliser », Pape François parle de cette joie trouvée paradoxalement chez les plus démunis. (EG 7)

Quelle présence, quelle parole ?

« Même pas peur… », Magali utilise cette expression par rapport aux nombreuses prières, aux messes durant jusqu’à 3 heures et plus. Je la garde aussi pour rendre compte de ce que je peux ressentir.

Si les plaies de Marceline, la litanie des multiples « plaies de Madagascar » qui a habité nos rencontres de catéchistes ou visites dans les fiangonana, le sentiment d’impuissance devant ce gouffre de souffrances sans fond et qui empire jour après jour, sont prégnantes, me laissent sans voix, cela ne dit pas tout de ce que je ressens : il y a bien ce « compagnon » dont parle Magali, cette joie intérieure que je reçois des malgaches.

Paradoxalement, malgré le « tableau apocalyptique » qui précède, je n’ai jamais éprouvé un sentiment de peur, d’insécurité dans ma vie à Befeta, toujours aussi émerveillé par tous les enfants et adultes qui nous hèlent quand ils nous voient passer avec une grande affection : « Bonjour Monpouêêêre ».

Si j’avais réussi à suivre assez bien tout ce qui s’était dit pendant la rencontre des catéchistes et avait été aidé pendant les repas par Wilson qui complétait ce que je n’avais pas compris, si je commence à pouvoir m’exprimer de mieux en mieux, c’était dur de prendre la parole quand est venu mon tour après cette longue litanie.

J’ai d’abord évoqué justement cette impossibilité de parler après avoir entendu un tel récit. J’ai ensuite pris la parole à partir de l’Evangile de ce dimanche (Luc 21, 5-19), l’annonce de multiples souffrances, mais aussi de persécutions, l’appel à ne pas s’affoler, à y voir même une occasion de témoigner, la promesse de la force de l’Esprit Saint pour parler dans les persécutions, l’appel à persévérer. J’ai repris aussi l’Evangile de la fête du Christ Roi (Luc 23, 35-43) que nous venions de méditer et l’appel à contempler le Christ en croix, mais aussi Marie et Jean, dont ne parle pas Luc, mais dont Jean nous dit qu’ils ne s’étaient pas enfuis dans ce temps de souffrance sans nom.

J’ai risqué quelques mots sur le fait que le premier scandale, en tous cas la source de ce qui atteignait si profondément les gens de Tomboarivo, ce n’était pas la venue de cette bande armée, mais la présence de cet homme qui volait de multiples zébus sans que personne ne réagisse, que ces situations de non droit, d’injustice, ne peuvent qu’être source de guerre. Je l’ai fait en disant combien je ne savais pas quel autre chemin aurait été possible pour les gens habitant à Tomboarivo dans ce contexte, du fait de la peur, de leur impuissance devant cet homme et ce système mafieux.

Avec Wilson, nous les avons appelés à ne pas se laisser prendre par le découragement ou par la tentation d’entrer dans cette spirale de violence, et nous avons relancé les appels à se réunir en « Fiangonana Fototra », à entrer dans la démarche du synode diocésain, à fonder des équipes FET (Mouvement Eucharistique des Jeunes) dans les hameaux, à venir au Centre de Promotion Rurale pour les jeunes qui n’étudiaient plus, même en n’apportant qu’une « kapoaka » de riz. Pour ma part, je l’ai fait en racontant la visite dans la Fiangonana de Marie et Simonet pour donner envie à d’autres de prendre le même chemin (note : depuis nombre de « Fiangonana Fototra » ont redémarré et nous nous attendons à voir les sessionnistes revenir nombreux après la tournée des communautés que nous venons de faire).

Un catéchiste et un professeur sont arrivés en ayant manifestement trop bu malgré tout le travail d’information, de sensibilisation fait dans la paroisse. J’ai provoqué Jean-Marie Vianney, catéchiste, à témoigner de son chemin de libération depuis 3 ans, de la joie des 7 autres membres de sa famille qui ont aussi quitté l’alcool depuis plus ou moins longtemps, 4 d’entre eux ayant pris ce chemin après avoir reçu le sacrement des malades en juin.

La situation politique au 17 novembre 2013

Au moment où j’écris ce texte (17 novembre 2013), le premier tour des élections présidentielles vient d’avoir lieu le 25 octobre. S’il n’y a pas d’espoir de trouver un président exempt de corruption et de tous les maux qui accablent Madagascar, c’est l’espoir de sortir de 4 ans de « transition » faisant suite à un coup d’état ayant renversé un président ayant aussi largement fait souffrir son peuple.

Positivement, parmi les 33 candidats au premier tour, le candidat de la mouvance principale n’étant pas au pouvoir est arrivé en tête, signe que les élections ont quelque chose de « transparent et crédible » pour reprendre les termes officiels des discours politiques.

Il y a bien sûr eu de nombreuses imperfections : de nombreuses personnes n’étaient pas inscrites sur les listes électorales par exemple. On peut aussi s’inquiéter de l’évolution des résultats provisoires : le dépouillement a duré environs 3 semaines. Au départ, le candidat d’une mouvance d’opposition avait 28 % des voix. En fin de compte, quand tous les bulletins ont été dépouillés, il n’en avait plus que 21 %. Biens sûr, il peut arriver que les bulletins dépouillés en dernier soient venus de régions plus favorables au candidat du pouvoir en place… Il peut aussi arriver que ceux qui comptaient aient réussi à faire baisser petit à petit le score de celui qui commençait à apparaître comme le favori du deuxième tour. Le deuxième tour aura lieu le 20 décembre, et cela sera aussi le premier tour d’élection des députés.

Quelles que soient les limites de ces élections et de ceux qui seront élus, espérons que le pays sortira petit à petit de ce moment de chaos politique.

Fêter Noël

Nous nous apprêtons à fêter Noël et c’est bien dans ce monde meurtri que Jésus est venu naître, qu’il vient encore aujourd’hui et attend que nous le laissions naître en nous à la suite de Marie.

J’aime cette parole du Pape François dans sa dernière exhortation sur « la Joie de l’Evangile » :

« J’invite chaque chrétien, en quelque lieu et situation où il se trouve, à renouveler aujourd’hui même sa rencontre personnelle avec Jésus Christ ou, au moins, à prendre la décision de se laisser rencontrer par lui, de le chercher chaque jour sans cesse. Il n’y a pas de motif pour lequel quelqu’un puisse penser que cette invitation n’est pas pour lui, parce que « personne n’est exclus de la joie que nous apporte le Seigneur ». Celui qui risque, le Seigneur ne le déçoit pas, et quand quelqu’un fait un petit pas vers Jésus, il découvre que celui-ci attendait déjà sa venue à bras ouverts. » (EG n° 3)

Que Noël soit un temps fort dans ce sens pour chacun de vous.

Bruno Cadart

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