Père Bruno Cadart Fianarantsoa, lundi 31 décembre 2012
cadartbruno@gmail.com
Chers parents et amis,
Je suis heureux de saluer chacun de vous très personnellement, même à travers une lettre collective, pour vous présenter mes meilleurs vœux pour l’année qui vient et en espérant que les fêtes de Noël ont été pour vous un moment fort dans la lumière du mystère de ce Dieu venu sur terre pour révéler l’amour du Père aux hommes qui n’ont pas de place pour l’accueillir et qui choisit les plus petits et l’endroit le plus pauvre pour rejoindre tous les hommes.
Cela ne vous surprendra pas, mais j’ai vécu ce Noël, fête de Dieu qui s’incarne dans notre humanité, profondément marqué par ce que je vis ici à Madagascar.
Un pays qui s’enfonce chaque jour plus dans la crise
Je suis d’abord marqué avec mes frères et sœurs malgaches par la crise sans fin qui voit le pays plonger financièrement mais aussi moralement et à tous les niveaux. Je préfère ne rien mettre de concret sous ces mots et vous renvoie à la courageuse lettre des évêques de Madagascar à l’issue de leur réunion annuelle de novembre (voir ce texte sur mon site www.bruno-cadart.com ainsi que d’autres textes, vidéos ou photos illustrant tous les points abordés ci-après). Entre les lignes, elle laisse entre-voir ce plongeon que j’évoque ci-dessus.
Quelques petits faits quand même :
– l’autre jour, je trouve quelqu’un pensant alors à la vie consacrée et auquel on avait confié un terrain d’Eglise pour qu’il puisse le travailler et avoir des revenus qui venaient d’embaucher 3 ou 4 personnes pour labourer son champ pour 2 000 Ariary pour 7 heures de travail, soit 0,67 €, pas de quoi payer à manger la nourriture nécessaire pour une personne pour une journée et encore moins de pouvoir nourrir sa famille.
– On voit des gens fouiller la paille qui reste du riz quand on vient de le décortiquer pour essayer de trouver quelque chose pour manger.
– Je ne décris pas les violences et la barbarie qui se multiplient et n’ont pas de limite. Je pense cependant particulièrement aux 4 prêtres de notre diocèse dont un frère, un neveu, a été tué, voir décapité, pendant ces 2 derniers mois et aux innombrables autres victimes des brigands, de l’armée, de la gendarmerie ou de la police, les nombreux villages brûlés par ces derniers dans le sud, les voleurs massacrés en nombre par les habitants.
10 décembre : Intervention sur la maladie alcoolique à la demande de la fraternité des prêtres du diocèse
Je suis entré dans la fête de Noël très marqué aussi par ce que j’ai vécu le 10 décembre, fête du Prado, 23ème anniversaire de mon engagement dans la chapelle du Prado, autour d’une intervention sur la maladie alcoolique à la demande des responsables de la fraternité des prêtres du diocèse de Fianarantsoa. J’ai présenté un montage en malgache (texte en français sur mon site qui retrace aussi ce qui m’a amené à intervenir ici). Quand j’ai eu fini de parler dans un silence très respectueux, deux prêtres de l’équipe de prêtres zéro alcool ont pris la parole et témoigné de leur parcours. L’un des deux, fondateur de l’équipe zéro alcool, a pris la parole pour témoigner de sa rechute et demander l’aide de tous les prêtres. Le soir, j’étais très profondément heureux et, en présidant la messe qui suivait, j’ai dit que nous venions de vivre quelque chose de la proximité du royaume de Dieu.
Le lendemain, un prêtre qui n’était pas à cette rencontre me dit avoir entendu un prêtre lui dire sa joie devant ce qui s’était partagé ce soir-là, mais aussi sa consternation devant les réactions de certains prêtres. Sur le coup, je n’ai pas compris de quoi il parlait. Mais, dès le repas de midi et tout au long des 2 jours où je suis resté à Fianarantsoa, j’ai pu comprendre douloureusement, pas tant à cause des attaques reçues que des blessures diverses que traduisaient ces réactions qui ont suivi. Bien sûr, ce ne sont pas les réactions de tous, mais ce sont celles qui ont fait le plus de bruit.
J’en suis venu à me demander si je devais continuer le projet d’édition d’un livre et d’engagement sur ce problème au service du peuple de Madagascar et de son Eglise.
Le mercredi soir, comme j’étais en plein doute, lors de notre réunion de l’équipe zéro alcool, les prêtres m’ont appelé à tenir. Ils ont témoigné des persécutions dont ils sont l’objet de la part de leur entourage et des prêtres parce qu’ils ne boivent plus. L’un d’eux a dit qu’on lui reprochait de « se séparer de la fraternité des prêtres en choisissant l’abstinence ». Il a ajouté : « Comme si notre communion entre prêtres était basée sur le fait de boire ensemble ! » Et il a continué : « Ce qui vient de se passer me donne encore plus de résolution pour continuer la route du zéro alcool ! »
Ce jour-là, j’étais aussi en train d’échanger par email avec Mgr Benjamin à qui j’ai fait part des réactions reçues et qui lui aussi m’a demandé de continuer et de ne surtout rien changer ni au contenu ni à la forme.
Je confesse que je n’ai jamais été si heureux de quitter Fianarantsoa pour aller en brousse et que ce n’était pas seulement par enthousiasme missionnaire… En arrivant à Befeta, un catéchiste s’est approché de moi et m’a demandé de l’aider. Je ne savais pas qu’il était malade de l’alcool. Le samedi avant Noël, un séminariste venu en mission à Befeta m’a demandé, 2 h après son arrivée chez nous : « Il paraît que tu aides les gens ici par rapport à l’alcool. » « Comment sais-tu ça ? » « Quelqu’un qui vient de me dire cela dehors et ils apprécient. »
En octobre, j’ai dîné avec deux couples de militants d’A.C.O. (Action Catholique Ouvrière) de passage à Fianarantsoa, dont un que j’ai connu à Vitry-sur-Seine. Notre échange a été bref mais ils m’ont poussé à accepter qu’une souscription soit lancée pour trouver les 3 500 € nécessaires pour l’impression de 5000 exemplaires du livre en malgache (voir site). Le premier don est arrivé ce même jour où j’ai été si fortement mis en question. Le livre a été préfacé par Mgr Fulgence, archevêque de Fianarantsoa et qui était Président de la Conférence Episcopale jusqu’à novembre. Gilbert, le prêtre qui a introduit mon intervention puis repris la parole quand j’ai eu fini de parler devant les prêtres du diocèse a souligné combien, dans sa préface, Mgr Fulgence m’encourageait et me confiait une mission dans ce domaine.
Je n’oublie pas la manière dont mon frère Wilson, curé de Befeta, s’est approché de moi ce mercredi pour essayer de me donner des clefs de compréhension des réactions qui faisaient tant de bruit au point d’étouffer la parole de ceux qui avaient apprécié. Je n’oublierai jamais la manière dont il m’a préparé un seau d’eau chaude à mon arrivée en vélo à Befeta le lendemain pour que je puisse prendre une douche et me dire son soutien dans ce moment difficile.
Réunion des catéchistes et institueurs, puis travail au centre de Promotion Rurale d’Ikalalao
La réunion mensuelle des catéchistes et professeurs de l’enseignement catholique animée par Wilson, et pour laquelle nous nous retrouvions à Befeta, a été, comme souvent, un moment de profond partage et d’émerveillement pour moi devant la qualité de leurs méditations de l’Evangile. Wilson a mis la Parole de Dieu en première place et les réunions commencent par un moment où des équipes de catéchistes et d’instituteurs ou professeurs se succèdent pour présenter leur méditation des lectures de l’un des dimanches à venir, puis ils donnent des échos de la vie des petites communautés. Leur joie de fonder des « Fiangonana Fototra », « Communautés de Base » équivalant aux « Cercles Bibliques » qui forment les « Communautés de Base » brésiliennes, qui se réunissent chaque jeudi soir 30 minutes pour prier autour de l’Evangile du dimanche suivant dans tous les hameaux et quartiers (cf. site) et la vitesse avec laquelle se fait cette fondation commencée en octobre, nous dépassent.
Comme chaque mois, cette rencontre était suivie de 5 jours avec les sessionnistes d’Ikalalao (voir site) auprès desquels Wilson m’a délégué. C’est un moment où je vis quelque chose de très proche de ce que pouvait vivre les Père Chevrier avec les « séries de la 1ère Communion dans l’ancienne salle de bal du Prado », moment qui a pris une place forte dans ma vie ici. J’y vis le service des plus pauvres qui ne sont plus scolarisés et qui apprennent à lire pour ceux qui ne savent pas, à coudre, à travailler le bois, à travailler la terre avec des techniques plus adaptées que certaines traditions ancestrales comme la culture sur brûlis si catastrophique. Ils reçoivent une formation « à la vie et à l’amour » et, chaque jour, je prépare un théâtre d’Evangile avec une équipe et dialogue avec eux à partir de cet Evangile à la messe du matin. Cette année, nous lisons et célébrons avec l’Evangile de St Jean.
Comme dirait le Père Chevrier, « à cette oeuvre, s’en est ajoutée une autre ». Dans ce centre, un peu comme cela se passait avec le Père Chevrier qui essayait de former des prêtres pauvres pour les pauvres et des soeurs, il y a deux jeunes en recherche vers la vie religieuse. L’une d’elle, Florentine, dont j’avais repéré le charisme de leader sachant faire réussir les autres, l’amour pour les enfants et la Parole de Dieu, s’est approchée de moi lors de la retraite des premières communions à Isaka en me disant : « J’aurais voulu être sœur, mais ma mère m’a dit que je ne pourrai pas, que j’étais trop pauvre ! » De fait, elle a du arrêter ses études en CM2. Depuis un an, elle lit l’Evangile tous les jours et tient son « Cahier de Paroles de vie » chaque jour, cahier où les jeunes notent un verset du texte qu’ils ont lu et qui leur parle le plus, y ajoutant de temps en temps les lumières qu’elle trouve. Elle a été une des toutes premières à fonder une « Fiangonana Fototra » et à l’animer. Ce mercredi, j’irai la rechercher à Kianjavato où elle termine un mois de stage chez les Sœurs du Prado et où elle les a étonnées par son amour de la Parole de Dieu et des autres.
L’autre, Marie-Georgette, est venue demander à être religieuse sans qu’on ne la connaisse. Elle n’a étudié que jusqu’au Ce 2 et a de grandes difficultés à lire, mais elle avait déjà acheté un Nouveau Testament. Elle vient de nous rejoindre au centre pour discerner et commencer à se former.
Fêtes de Noël
Quant aux fêtes de Noël, le conseil des catéchistes a lancé une grande mission pour toute la paroisse :
– Le dimanche 23, les chrétiens ont été invités à se rassembler dans toutes les Fiangonana (les 36 églises disséminées sur notre territoire paroissial de 65 km de long sur 20 de large) pour la prière du dimanche. Là, ils ont formé des équipes pour aller visiter tous les hameaux de leur « fiangonana » et les maisons isolées en invitant les gens à prier autour de l’Evangile du jour, Evangile de la visitation de Marie à Elisabeth, et à fonder des « Fiangonana Fototra » (groupes de prière du jeudi) là où ce n’était pas encore fait, en les invitant à venir aux célébrations de Noël à la fiangonana puis au centre.
– Le lundi 24 après-midi, et non pas le soir à cause de la peur des voleurs, les chrétiens ont été invités à aller célébrer l’office de la nuit de Noël dans toutes les Fiangonana (les 36 églises de la paroisse). Pendant ces célébrations dans chaque fiangonana, les jeunes ont présenté des théâtres des récits de l’enfance de Jésus, au moins de l’Annonciation, de la visitation et de la nativité de Jésus, parfois l’intégrale de Luc 1 et 2 et du récit des mages chez Matthieu.
– Le jour de Noël, ils ont été invités à se rendre à l’un des 4 centres principaux pour la « messe de montée » (messe où les chrétiens des 8 ou 9 fiangonana dépendant d’une des 4 Eglises centrales se retrouvent une fois mois et pour les fêtes pour célébrer l’eucharistie). Une dizaine de séminaristes nous avaient rejoints.
Le dimanche 23, je suis donc parti à pied avec un séminariste, avec le vélo et tout le lourd chargement de prêtre nomade, pour rejoindre la communauté où je devais célébrer et vivre la mission à 10 km de Befeta. Je n’y étais encore jamais allé. Les indications inadaptées d’un jeune rencontré en route, nous ont amené à prendre le « raccourci » pour piétons, sentier impraticable passant par les sommets montagneux avec des marches liées à l’érosion d’environs 1 mètre de haut à franchir avec le vélo… excellente préparation à la lecture de l’Evangile où il est dit que Marie partit en hâte pour un pays « be tendrombohitra » (avec beaucoup de montagnes) pour visiter Elisabeth. A l’arrivée, nous avons trouvé une Eglise pleine comme vous pouvez les voir sur les photos sur mon site internet, un catéchiste particulièrement dynamique et habité, un théâtre d’Evangile superbe, un accueil extraordinaire. Une fois la messe finie, ils ont constitué 4 équipes de « missionnaires ». De 13h à 18h, avec un groupe d’accompagnants grossissant de village en village, nous avons visité un quart des villages et hameaux de cette fiangonana et béni toutes les maisons dans des paysages superbes. Le dynamisme des hameaux ayant déjà constitué des « Fiangonana Fototra », l’accueil des autres hameaux parfois très pauvres, et pas seulement financièrement, la joie de tous, m’ont évidemment traversé, comme cela avait traversé le cœur des deux prêtres du Prado de France venus me visiter en octobre (cf. site) ou les étudiants en médecine non croyants passés en septembre (cf. site). Au passage, j’ai donné le sacrement des malades à 3 personnes dont un jeune atteint d’une maladie importante mais n’ayant toujours pas consulté depuis plusieurs mois (trop cher).
Le jour de Noël, l’Eglise d’Ikalalao où j’étais, comme les 3 autres églises principales de la paroisse, était comble et résonnant de ces cantiques superbes et chantés à tue-tête. En repartant en vélo, j’ai doublé les foules en habit de fête qui repartaient d’Ikalalao puis croisé les foules qui remontaient de Befeta et fait les 60 km en vélo pour rentrer à Fianarantsoa sur ces pistes défoncées qui traversent des paysages somptueux, encouragés par les innombrables « Bonjour Monpouêra » tout au long du chemin où il est impossible de ne pas être touché par l’affection des gens de tous âges pour les prêtres, avec une mentions spéciale pour la manière des enfants de nous hêler et d’arriver en courant dès qu’ils nous aperçoivent sur la piste.
J’ai aussi vu des gens ivres morts ou bien émêchés tout au long de la piste, un corps tombant d’un talus de 3 mètres qui surplombant la piste et aterrissant sur l’angle du caniveau en béton à cet endroit, heureusement sur le postérieur. C’est une personne qui avait trop bu et qui, heureusement, a pu se relever.
Session sur « l’attrait pour Jésus-Christ » avec les Sœurs du Prado de Madagascar
Le lendemain matin, je suis parti en taxi-brousse pour Tananarive animer une session sur « l’attrait pour Jésus-Christ » en malgache, ou quelque chose qui essayait de s’en approcher, pour les Sœurs du Prado ayant fait des vœux depuis moins de 5 ans. Elles sont 11 sœurs « jeunes professes » pour un groupe d’une quarantaine de sœurs du Prado de Madagascar qui se sont fondées elles-mêmes il y a 25 ans… C’est une autre image de la vie religieuse que celle qu’on trouve en France, je veux dire plus jeune et attirante pour les jeunes, mais pas plus belle, car la fidélité de celles qui ont donné leur vie en France et qui maintenant sont âgées est tout aussi belle, et elle a permis des germes dans nombres de pays d’Afrique en particulier. Ça a été un moment de profonde communion avec elles. D’avoir du préparer cette session m’avait aussi préparé à cette fête de Noël.
Des perspectives au niveau du doyenné et du diocèse
Cette année a été aussi marquée par le changement du prêtre d’Ambohimahasoa, ville principale de notre doyenné : Roland Arthur arrive d’une paroisse où il a déjà fondé depuis plusieurs années des groupes du type des « Fiangonana Fototra » que nous lançons à Befeta. Nous entrons aussi dans la préparation d’un synode diocésain et j’espère que ce sera l’occasion de faire avancer ce type de pastorale pour l’ensemble du diocèse. J’espère aussi que ça permettra de reprendre l’appel lancé par rapport à l’alcool.
Pas débordé et en forme
Vous voyez qu’entre la paroisse de Befeta, le service des prêtres et des sœurs du Prado à Madagascar, mais aussi en perspective au Mozambique[1] et l’engagement par rapport à la maladie alcoolique, je ne m’embête pas…
J’ai cependant de longs moments de détente, prière, méditation, remise en forme, lors des kilomètres à pied ou en vélo, ou en taxi-brousse. Je termine le mois de décembre avec 2 253 km de vélo sur les pistes défoncées et accidentées avec bagages, 350 pour le seul mois de décembre. Autant dire que la forme physique, morale et spirituelle est bonne, et que je suis profondément heureux ici, même si c’est une joie qui rejoint celle expérimentée dans les soins palliatifs : une « joie soufferte ».
Dieu qui n’a pas peur de naître dans nos fragilités et qui nous appelle à faire des fragilités rencontrées chez nos frères un appel à aimer encore plus
Paradoxalement, le moment douloureux que je viens de vivre au milieu de mes frères prêtres m’a fait entrer profondément et avec joie dans la fête de Noël.
D’abord, je n’oublie pas l’accueil favorable d’un certain nombre et leurs encouragements. Mais, surtout, en percevant des fragilités dans les réactions provoquées par mon intervention, j’ai été renvoyé très fortement à mes propres fragilités et à la contemplation que j’évoque ci-dessus de ce Dieu qui aime l’homme et n’a pas peur de naître dans le fumier de la crèche, dans le fumier de mon cœur, de nos cœurs, et qui fait confiance à des hommes blessés et fragiles pour se dire, et ne cesse de vouloir les tirer vers le haut. Pour lui, les rejets de l’homme, son péché, ses limites, ses défauts, ne sont pas une occasion de découragement, d’abandon, d’amour blessé ou diminué. C’est au contraire l’occasion d’aimer encore plus, de se donner totalement jusqu’à la croix. Je le reçois comme un profond cadeau pour moi-même que de me découvrir chaque jour plus aimé de cette manière là, et comme un appel à ne pas avoir peur de témoigner de ce même amour. Cela m’aide beaucoup à trouver sens à une présence ici quand on a l’impression que tout plonge et qu’il n’y a pas d’espoir d’amélioration à vue humaine, qu’on se demande quand tout explosera. Je n’avais jamais senti si fort cette imbrication entre le mystère de la crèche et de la croix.
Cette année, le conseil du Prado de Madagascar nous a invités à faire Etude d’Evangile sur les Actes des Apôtres. Le 1er décembre, nous n’étions que 5 prêtres du Prado de la région (15 l’an dernier) à avoir réussi à nous libérer pour fêter en avance l’anniversaire de l’achat de la salle de bal du Prado par le Père Chevrier chez les sœurs du Prado à Kianjavato. Des jeunes ont mis en scène la guérison du paralytique et, après un temps de partage des lumières de chacun, j’ai partagé en malgache un lien entre ce texte et la spiritualité du Prado, et en méditant sur Dieu qui naît non seulement à Bethléem, mais dans le cœur de la communauté chrétienne naissante comme il veut prendre chair aujourd’hui dans nos cœurs.
Cette méditation a éclairé ma relecture des réactions qui ont suivi l’exposé sur la maladie alcoolique et j’aurais aimé dire à mes frères prêtres de Fianarantsoa combien j’espère que l’Esprit Saint mettra en nous les sentiments qui habitent des acteurs de ce texte (Ac 3,1 – 4,31 mais aussi Ac 5) :
– les sentiments de Pierre et Jean, capables de voir l’homme blessé par l’alcool ou autre chose et ne passant pas à distance de lui, croyant profondément que le Christ est vivant, continue de parler et d’agir et disant à cet homme : « Je n’ai ni or ni argent, mais ce que j’ai, je te le donne : au nom de Jésus le Nazoréen, lève-toi et marche ! » ;
– les sentiments du paralytique, se découvrant aimé malgré ses blessures, prenant la main tendue par Pierre et croyant à sa parole au point de se mettre debout puis de bondir de joie et de devenir signe pour d’autres ; j’aimerais tant moi-même me laisser rejoindre dans mes propres faiblesses et oser croire qu’il est possible de se relever ; j’aimerais voir Madagascar et nos pays occidentaux accueillir aussi cette parole, et l’Eglise la redire toujours mieux à notre monde si blessé ;
– les sentiments de Pierre et Jean devant les religieux qui les menacent et leurs demandent de se taire et qui préfèrent « obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes » avec une force qui étonne ces derniers, « voyant en eux des hommes sans instruction et quelconques, mais reconnaissant des compagnons de Jésus » ; on les voit aussi proclamer la Parole de Dieu à peine sortis miraculeusement de prison et « tout heureux d’avoir souffert pour le nom du Christ » (Ac 5) ;
– les sentiments de Gamaliel (dans Ac 5), ne connaissant pas Jésus, membre du groupe des religieux qui s’acharnent contre les apôtres, et capable de se lever et d’aller à contre-courant de l’opinion du groupe en les appelant à chercher ce qui est juste.
Inversement qu’il ne nous soit pas donné de vivre l’expérience d’Ananie et Safira que leur mensonge a tué.
Unis à vous tous en France et ailleurs
Bien que loin de la France, je me sens très proche de chacun de vous et vous porte chaque jour dans la prière et sais pouvoir compter sur la votre, si importante pour moi ou sur votre amitié pour vous qui ne partagez pas notre foi. Internet est un véritable miracle et ma préparation de Noël a aussi été marquée par le partage avec nombre d’entre vous et plus particulièrement avec des personnes ayant beaucoup compté dans ma vie :
– mon oncle et parrain, qui se prépare dans la paix à rejoindre la maison du Père et pour qui j’ai célébré avec les jeunes du centre d’Ikalalao et avec les Sœurs du Prado ;
– Jean-François, le prêtre qui m’a accompagné dans mes premiers pas en vue du ministère de prêtre en m’appelant « à ne pas avoir peur de ne rien préférer à l’amour de Dieu », en précisant que ce chemin est à vivre aussi bien dans le mariage que dans le ministère de prêtre ; il a envoyé des emails annonçant qu’il entrait en chambre stérile pour lutter contre une aplasie médullaire sévère, et témoignant de la paix qui n’exclue pas le moments de tempête qui lui vient de Dieu ;
– la prière du soir par skype interposé avec deux autres prêtres du Prado hospitalisés dans la même clinique, le soir où j’étais si questionné à Fianarantsoa : Gérard, qui est aussi fidei donum à Madagascar ; Jean, qui m’avait précédé comme assistant du Prado de France et était venu me rendre visite lors de ma deuxième année de ministère quand je connaissais un moment d’épuisement. Il m’avait appelé à faire Etude d’Evangile sur les « combats et les souffrances de Paul » et aidé de manière déterminante à ce moment-là ;
– bien sûr, tous les échanges par skype avec mes parents, frères et sœurs, neveu et nièces…
– la révision de vie mensuelle avec mon « équipe Prado internet » avec Bernard en Algérie et Jacques en Bolivie, qui s’est justement tenue ce même mercredi où j’étais dans la tempête ;
– tous les échanges avec mes responsables au Prado qui se préparent à vivre l’assemblée qui a lieu tous les 6 ans et qui doit élire le nouveau conseil ; le thème : « Annoncer aux pauvres la richesse de Jésus-Christ »… je la confie à votre prière pour ceux d’entre vous qui êtes croyants.
En énumérant, je prends le risque que certains se sentent oubliés… Vous ne l’êtes pas ! Que nous ayons échangé ou non par email ou par skype, ou dans le silence des cœurs voir de la prière, sachez que votre présence compte pour moi et je vous adresse mes meilleurs vœux pour l’année qui vient dans la lumière de Noël lié si fort à la croix qui ouvre au mystère de la résurrection.
Père Bruno Cadart
[1] Je viens de recevoir une invitation pour aller donner une retraite aux prêtres d’une région apostolique sur suggestion du Père Emilio, jésuite brésilien originaire de la paroisse de Dores do Rio Preto où j’étais au Brésil (sans date encore fixée).