Lettre à Benoit : Echanges avec des jeunes sur la foi, la pratique du dimanche

1. Une mise en ligne avec l’accord de Benoit et parce qu’il pense que « cet échange en aidera d’autres »…

Depuis quelques temps, je cherchais le moment pour dialoguer avec Benoit, mon neveu, par rapport à la pratique de la messe. L’occasion d’un échange s’est présentée récemment. Comme je demandais à Benoit si je pouvais mettre cet échange sur mon site internet, il a répondu :

Avec plaisir, je pense qu’effectivement je ne suis pas le seul à avoir cette réflexion et que cet échange en aidera d’autres.

J’ai donc relu avec lui tout ce qui est ici en ligne. Son ami Raphaël a aussi donné son accord pour cette mise en ligne.

2. Qui est Benoit et ce qui a provoqué l’échange sur la pratique de la messe du dimanche

Benoit est donc mon neveu. Il a 23 ans. Après un diplôme d’Ingénieur des Travaux Publics à Paris, il fait un master de commerce par alternance à l’ESSEC de Pontoise et est actuellement en stage en entreprise à Bucarest.

De famille croyante et engagée, Benoit a fait nombre de camps mej, mais, depuis quelques temps, il s’éloigne de la pratique dominicale, comme nombre de jeunes et moins jeunes…

Récemment, Benoit a transmis mon adresse email à son ami Raphaël, ami de compétition d’aviron, étudiant en médecine à Paris. Avec 7 autres étudiants et étudiantes de sa faculté, Raphaël a organisé un voyage humanitaire à Fianarantsoa (Madagascar) au profit de l’Association « Les enfants du soleil », association qui aide les enfants de la rue à se réinserrer dans la société.

Recevant un email de Raphaël, je l’ai invité avec ses amis à venir passer 2 jours en brousse pour participer à une mission et ainsi connaître autrement Madagascar et j’ai demandé à Benoit de me présenter son ami. Il a écrit, au milieu de qualificatifs très louangeurs et qui correspondent à ce que j’ai pu apprécier chez Raphaël :

« Niveau catho il est baptisé mais pas pratiquant, ses amis sans doute aussi, mais ils sont très ouverts sur ces questions… »

3. Première réponse en pointant l’expression « non pratiquant »

(…) Croyant, non pratiquant… comme toi ?

Je prie pour que tu ne te laisses pas dérouter par ce qui n’est pas juste dans l’Eglise, comme à (…) [paroisse dans laquelle Benoit a du mal à se retrouver depuis l’arrivée d’une équipe de jeunes prêtres très traditionnels et n’entrant pas dans une vraie collaboration avec les laïcs], et que tu laisses l’appel du Christ résonner pour toi.

Ne laissons pas à ceux qui ne nous paraissent pas vivre l’Evangile comme nous le souhaiterions le monopole de la vie active en Eglise…

Et comment être croyant et se priver de recevoir ensemble le Christ dans sa Parole et dans l’Eucharistie ?

Je viens encore de dévorer les Actes des Apôtres avec les jeunes de Befeta : comme le monde aurait besoin de catholiques engagés, ouverts, passionnés pour la justice et nourris de la parole et des sacrements…

Je prie pour que des jeunes comme Raphaël et toi entendent cela et donnent à l’Eglise son vrai visage et au monde de rencontrer des témoins nourris de la Parole et de l’Eucharistie.

J’arrête là…

Je suis impressionné que tu n’aies pas peur de faire connaître le « vieil oncle » à l’un de tes meilleurs amis…

Très affectueusement.

Bruno

4. Extraits de la réponse de Benoit à cette provocation sur « croyant non pratiquant »

Benoit a rédigé son email en intercallant ses réflexions dans mes propres expressions que j’ai mises en caractères gras et italiques pour distinguer ce qui est expression de Benoit ou de moi.

Croyant, non pratiquant… comme toi ?

Bonne question,… disons que je suis croyant et pratiquant, je ne pratique seulement pas de la même manière et une messe ne me suffit pas. Je crois dans l’Eglise comme peuple des chrétiens, pas comme une institution, des rites, une routine.

Je crois dans les Hommes qui se posent des questions qui sont dans une recherche, quel que soit leur stade de recherche et pas dans des Catholiques ou qui s’affirment comme tels qui s’enferment dans leurs certitudes et ne réfléchissent pas sur le sens de la vie, sur les limites de ce qui les entourent.

Je crois dans ceux qui font vivre leurs valeurs au quotidien, qu’ils soient Catholiques, orthodoxes comme ici en Roumanie, ou boudhistes ou athées, qu’ils soient à Madagascar, en voyage Humanitaire, en train de compter des pneus ou sur un bateau d’aviron, et pas dans des Catholiques ou qui s’affirment comme tels et qui sont capables d’être en totale contradiction avec l’Eucharistie quelques secondes après être sortis de la messe, d’être racistes ou intolérants.

Je prie pour que tu ne te laisses pas dérouter par ce qui n’est pas juste dans l’Eglise, comme à … et que tu laisses l’appel du Christ résonner pour toi. Ne laissons pas à ceux qui ne nous paraissent pas vivre l’Evangile comme nous le souhaiterions le monopole de la vie active en Eglise… Et comment être croyant et se priver de recevoir ensemble le Christ dans sa Parole et dans l’Eucharistie ?

Je suis entièrement d’accord avec cette dernière phrase, mais la messe pour moi consistait à se retrouver pour partager l’eucharistie, dans l’esprit des premiers chrétiens se retrouvant dans les maisons pour partager leur foi et échanger.

Or la messe d’aujourd’hui a perdu cette notion d’échange, aller-retour, partage, elle ne consiste plus qu’en un mouvement du prêtre ou des laïcs vers l’assistance (assistée ?)

Le seul endroit où je retrouve quelque chose qui me correspond c’est dans nos eucharisties de famille, débarrassées de tout le superflu, de certains chants que la plupart récitent sans y réfléchir, par automatisme.

J’ai fini par retrouver quelque chose d’un peu équivalent ici a Bucarest à la messe française, où la notion de communauté, le besoin sans doute de se regrouper permet un réel échange entre les paroissiens à la fin de la messe, alors qu’en France le seul contact avec son voisin se résume à une poignée de main molle sans conviction, sans regard échangé à la paix du Christ, quand celle-ci n’est pas zappée.

J’ai d’ailleurs eu des échanges très intéressants avec des jeunes et moins jeunes ici, où la tendance peut parfois virer intégriste ou pas très loin.

Ils se plaignaient des homélies du curé de la paroisse, (…), les trouvant pas assez spirituelles et/ou priantes, dénigrant la messe des familles car ils ne pouvaient pas se concentrer pour prier, etc.

Je n’ai pas hésité à leur rentrer dedans, leur expliquant que puisqu’ils étaient si priants et spirituels, ils devaient être très avancés dans leur foi et donc être capable de prier seuls, leur rappelant l’esprit initial de la messe comme rassemblement de la communauté, qui s’exprime pleinement a la messe des familles,…

Passée la première surprise, nous avons eu une discussion assez riche, allant de la réaction face a la pauvreté en Roumanie, à leur cheminement spirituel et les autres membres du groupe, assez consensuels jusque là et allant dans le sens des plus virulents, ont soudain fait entendre leur voix.

Je viens encore de dévorer les Actes des Apôtres avec les jeunes en mission. Comme le monde aurait besoin de catholiques engagés, ouverts, passionnés pour la justice et nourris de la parole et des sacrements… Je prie pour que des jeunes comme Raphaël, toi, entendent cela et donne à l’Eglise son vrai visage et au monde de rencontrer des témoins nourris de la Parole et de l’Eucharistie. J’arrête là… Je suis impressionné que tu n’aies pas peur de faire connaître le « vieil oncle » à l’un de tes meilleurs amis

Ce n’est pas une question de honte mais plutôt d’estime. Je suis au contraire très heureux de faire découvrir un homme qui au delà d’être mon oncle a su se rendre assez proche des autres et en qui je me retrouve complètement. Dans votre approche de l’Eucharistie, dans votre lucidité sur l’Eglise comme institution, dans votre compréhension sans jugement.

Plus j’y réfléchis et plus je me dis que les vraies personnes à évangéliser sont également tous les gens qui nous entourent et ont perdu contact avec la vraie foi, qu’ils aillent a la messe tous les dimanches, qu’ils aient complètement rompu les ponts,…

Et Raphaël, même s’il n’est pas une punaise de sacristie, est quelqu’un dont je partage beaucoup de valeurs et qui possède beaucoup d’intelligence humaine, et je pense que découvrir votre vie, votre témoignage, pourra l’aider à évoluer et se poser les bonnes questions.

Pour résumer je préfère être la brebis égarée plutôt que le mouton du troupeau qui suit le derrière précédent sans voir que le troupeau va droit dans le ravin.

Et dans la bible ce n’est pas le mouton du troupeau que le berger va chercher mais celui qui s’est égaré, peut-être parce qu’il se posait trop de questions sur le chemin à prendre où les façons d’avancer les pattes, peut-être parce qu’il regardait vers le ciel à un carrefour…

Voilà une brève réponse pendant ma pause de midi, mais je crois y avoir écrit l’essentiel.

Très affectueusement

Benoit

5. Lettre à Benoît après avoir passé 3 jours avec Raphaël et ses 6 ami(e)s étudiants en médecine

Cher Benoit,

J’ai été très touché que tu indiques à tes amis mon existence et j’ai passé un temps vraiment merveilleux avec eux avec des discussions super dans des paysages superbes. 5 se sont présentés comme non baptisés, et tous comme « athées », tout en rejetant ce qualificatif qu’ils ressentent comme négatif:

« On a des valeurs, on croit qu’il y a quelque chose, on n’a pas besoin de la foi, d’autant que les religions sont source de guerre. On a un idéal et on est prêt à participer à tout, à vous accompagner pour la mission. »

Voilà en substance comment ils se sont présentés le jeudi soir quand nous avons fait connaissance au restaurant avant de partir en brousse.

Il semble qu’ils aient été vraiment très touchés. Je l’avais perçu en vivant ce temps avec eux et l’email que Raphaël a envoyé à sa mère et qu’elle t’a partagé en témoigne. Je souris, car il parle de « fleuves traversés », quand il s’agit d’un petit ruisseau que tu peux voir sur les premières photos quand je précise que les rochers sont très glissants. Cela veut dire en tous cas que ce qu’il a vu ce jour-là lui est apparu comme très grand et il ne s’agissait pas seulement des paysages.

Tu vois, en marchant avec eux, en partageant avec eux, je ressentais encore plus douloureusement le fait que nombre de jeunes, avec plein de raisonnements partant de constatations malheureusement justes, se coupent du Christ et de son corps, aussi imparfait soit-il, rendant impossible pour des jeunes comme Raphaël et ses amis de pouvoir le rencontrer, le recevoir. Quand je dis que les constatations sont « justes », elles sont aussi souvent caricaturales pour mieux justifier une prise de distance par rapport à l’appel du Christ.

Quel était le pourcentage de chances que Raphaël et ses amis puissent passer un temps avec un prêtre, réfléchir, échanger, au-delà des clichés tout faits des médias et de l’opinion ? Comment auraient-ils pu me rencontrer et entendre une parole qui leur a paru grande si je n’étais pas pleinement membre du corps qu’est l’Eglise ? D’où viennent les valeurs que tu aimes en Raphaël ? Quel chrétien engagé et pratiquant vont-ils pouvoir rencontrer maintenant ? Avec qui vont-ils pouvoir un jour recevoir le corps du Christ si l’Esprit les y conduit ?

Alors, vieil oncle racorni et dépassé, mais que tu estimes, qui est touché par ton estime et estime aussi ses neveux et nièces qui comptent beaucoup pour lui, vieil oncle heureux de pouvoir partager avec toi, je reprends quelques unes de tes expressions en réponse à mon questionnement :

Bruno : Croyant, non pratiquant… comme toi ?

Benoit : Bonne question,… disons que je suis croyant et pratiquant, je ne pratique seulement pas de la même manière et une messe ne me suffit pas. Je crois dans l’Eglise comme peuple des chrétiens, pas comme une institution, des rites, une routine.

Que la messe ne suffise pas… c’est évident… mais ça ne la rend pas moins nécessaire et centrale.

L’Eglise peuple de chrétiens et non pas institution, rites et routine…

L’Eglise est bien une « Institution » au sens très noble du terme, Dieu qui choisit de se faire proche, de se faire homme, de naître pauvre pour que tous puissent l’approcher et parce qu’il n’y a pas d’autre chemin que de se fair pauvre pour rencontrer l’autre en vérité, le laisser libre, aimer vraiment. Dieu qui choisit de se faire proche de tous les hommes en appelant un peuple de chrétiens vivants et habités, engagés.

Dans ce peuple de Madagascar si blessé, je ressens si fort que Jésus n’avait pas d’autre chemin possible que de choisir cette pauvreté, cette vulnérabilité pour offrir son amour, et, en regardant aussi bien ce qui se vit en France que ce que je vois de l’Eglise ici, je ressens si fort le besoin que des jeunes entendent cet appel du Christ à le rendre présent dans le monde et pas en se mettant en dehors de l’Eglise.

C’est Jésus qui a l’initiative et pas seulement l’homme qui se demande ce qui lui suffit ou non, ce dont il a besoin ou non.

C’est lui qui révèle cet amour fou du Père pour tout homme et qui a la folie pour se révéler de s’en remettre à des hommes comme Judas qui le trahit, comme Pierre qui le renie et surtout, plus incompréhensible, qui dort. Je n’oublie pas le choix de Paul qui tuait les chrétiens, comme s’il choisissait les meurtriers des Moines de Tibhirine aujourd’hui. Je viens de regarder plusieurs fois ce film qui me bouleverse toujours autant.

Et il a bien « institué » l’Eglise et l’Eucharistie qui est au centre de sa vie, et il nous a bien appelés à vivre et à pratiquer tout ce qu’il a lui-même vécu : « Faites ceci en mémoire de moi »… Et il s’agit bien de faire en mémoire de lui, pas seulement en se souvenant de lui qui serait mort aujourd’hui, mais en vivant cela en communion avec lui qui vit aujourd’hui de manière indissociable :

– le service du lavement des pieds, de l’amour donné et engagé jusqu’au don de sa vie et j’ai bien senti que tes copains étaient très questionnés par ma vie ici, pauvre au milieu des pauvres [quoi que je ne me suis jamais senti si riche].

– l’Eucharistie célébrée en fidélité à « l’ordre » du Christ, source de toute notre vie et sans laquelle nous vivons sur nos forces et qui, si « elle ne suffit pas », est absolument essentielle à une vie chrétienne à la suite du Christ quelle que soit la tête du prêtre qui la célèbre, ce qui n’empêche pas de chercher quelqu’un dont on se sente plus proche que ceux de (…) par exemple. Et il y a besoin de trouver une communauté où l’on se sente bien, où se vit un partage, comme ce que vous aviez au mej (Mouvement Eucharistique des Jeunes), tout en ne s’y enfermant pas et en se recevant aussi du Christ dans des assemblées plus anonymes.

– l’annonce explicite pour que des gens comme tes copains puissent aussi connaître un jour cette joie d’être aimés par Dieu, appelés par lui, invités à non seulement être super généreux et sympas comme ils le sont, mais à connaître Celui qui est la source, Celui qui explique que Raphaël écrive à sa mère : « Son oncle est un mec génial c’est un ancien médecin qui a fait plein de trucs exceptionnels dans sa vie je te raconterai. » J’espère qu’il pourra un jour raconter à sa mère qu’à la source de « plein de trucs exceptionnels que j’ai dans ma vie », selon ses mots, il y a un truc, enfin quelqu’un, le Christ, d’où jaillissent des « fleuves d’eau vive » plus réels que celui dont il parle à sa mère et qu’il peut y avoir accès lui aussi, qu’il pourra d’autant plus y avoir accès que son copain Benoit en vivra aussi pleinement, « et pas seulement dans la vie », y compris en Eglise.

Tout au long de l’Evangile, nous voyons Jésus non seulement agir, donner sa vie, mais prendre le temps d’un lien étroit avec son Père, participer aussi aux prières de son peuple à la synagogue. Nous le voyons instituer l’eucharistie point de départ et d’arrivée de toute notre vie.

Si tu as envie de nourrir ta recherche, prends le temps de lire les Actes des Apôtres en reprochant le plus possible les moments qui paraissent magiques de notre vie ordinaire. Le mot « ange » signifie « messager ». Tu as été un « ange » qui a conduit Raphaël et ses copains à faire une expérience qui les marquera longtemps, quelque soit la suite qu’ils lui donneront. J’espère avoir été aussi quelque chose de ce messager du Christ pour eux.

Prends le temps de méditer en particulier Ac 2, 42 – 4, 31. J’aime énormément ce passage avec le portrait de la communauté idéale (qui ne l’a jamais été, cf. Ac 5, 1-11 ; 6, 1-7 ; etc.) et le récit de la rencontre de Pierre et Jean avec le paralytique et de ce qui a suivi. Demandes toi, à la lumière de ces versets, ce que c’est que d’être un « vrai chrétien pratiquant »…

Dans la guérison du paralytique, puis le discours de Pierre, puis la capacité à résister à ceux qui veulent les faire taire, avant la prière en communauté, il y a toute une catéchèse d’une vie de chrétien complète.

Méfie-toi de toutes les réflexions faciles à partir des caricatures et des contre témoignages. Cela risque d’être une manière de ne plus entendre l’appel et de ne plus répondre. Méfie-toi des «persécutions» d’aujourd’hui qui ne sont pas violentes, du moins, pas en France, mais qui sont beaucoup plus efficaces car on ne les voit même pas et on finit par se fondre dans le paysage, obéir aux hommes plutôt qu’à Dieu (Ac 4, 19), et, sans même s’en rendre compte, mettre Jésus hors de sa vie.

Bien sûr qu’il y a des chrétiens enfermés dans des certitudes et qui ne semblent pas en recherche, encore qu’il faut prendre garde à ne pas s’enfermer dans ses propres certitudes sur l’autre. Tu ne sais pas ce qui se passe dans son cœur. Cela ne me fait en aucun cas justifier tous les actes des courants intégristes, mais je ne peux prendre prétexte de ces actes pour ne pas suivre le Christ et me couper de son corps qui est l’Eglise.

Aujourd’hui, les enfermements dans des certitudes ne sont pas forcément dans le fait d’être croyant mais risquent bien d’être dans tous les arguments répétés par tous pour éviter d’entendre l’appel du Christ qui n’en finit d’appeler comme dans l’Evangile d’aujourd’hui, fête de la St Matthieu : « Toi, viens, suis-moi ! »

Aujourd’hui, les gens ne sont plus chrétiens par routine ou par mimétisme social. Pour être chrétien dans un monde qui n’a de cesse que d’éliminer la foi, cela devient de plus en plus un chemin de « martyr » (témoin en grec), don de l’Esprit Saint pour qui veut bien s’y ouvrir.

Si je souffre d’être si loin du Christ et de pouvoir être en totale contradiction avec l’Eucharistie une minute après la messe, voir pendant, car mes pensées ne sont pas plus celles du Christ que celles de Pierre (Mt 16, 23), je n’ai jamais vu que d’aller à la messe ou de lire l’Evangile me rendait pire que de ne pas le faire… bien au contraire.

Si je suis scandalisé justement par ce mal en moi, je suis chaque jour plus émerveillé de l’appel du Christ malgré ma faiblesse et je me réjouis de pouvoir aussi me laisser rejoindre par le Christ dans le sacrement de réconciliation au-delà de toutes mes questions et de toutes les caricatures que l’on peut faire de ce sacrement.

Au temps de François d’Assise, l’Eglise, à commencer par le Pape, vivait de très fortes contradictions… François n’en a pas tiré un argument pour quitter l’Eglise mais pour vivre l’Evangile radicalement.

Au XIXème, en pleine Révolution Industrielle, dans une Eglise liée à la bourgeoisie qui exploitait le prolétariat, avec nombre de prêtres s’éloignant des plus pauvres, Antoine Chevrier et bien d’autres avec lui, ont fait le choix de passer du temps dans l’Evangile, de se nourrir de l’eucharistie et de se lier aux pauvres.

Tant mieux quand on peut avoir des messes à domicile, mais elles ne suffisent pas. A Lyon, il y a un groupe de chrétiens qui a essayé de retrouver le style des Actes des Apôtres et qui était devenu incapable de célébrer avec d’autres. Ils étaient venus en Haute-Loire avec moi, quand j’étais séminaristes et ils avaient commencé par refuser d’aller à la messe à Riotord avec les gens parce qu’ils ne les connaissaient pas, parce que c’était froid… Comme j’ai insisté, ils ont fini par venir.

Méfie-toi de tous les arguments « faciles », « simplistes » (sans vouloir être blessant), et toutes les oppositions qui arrêtent la réflexion. La messe sera nourrissante si je n’y viens pas en consommateur, si j’y apporte la vie du monde, si je suis engagé dans cette vie auprès des plus pauvres et de tous, si je prie aussi personnellement, si j’approfondis toujours plus la communion avec tous les hommes, y compris ceux dont je me sens loin.

Un du groupe disait, je crois que c’est Raphaël : « Je n’en ai pas besoin »…

Es-tu prêt, toi, à réfléchir pas seulement à partir de tes « besoins » tels que tu peux les voir, mais à partir du « besoin du Christ », de son projet de révéler l’amour du Père à tout homme, d’associer les hommes à ce projet d’amour ?

Quand je regarde la France, mais aussi Madagascar, ou bien d’autres pays, comment ne pas entendre cette soif que le monde ne ressent souvent même plus de chercher la communion avec le Père et avec tous les hommes ?

Aujourd’hui, si j’ai vraiment été très heureux du partage avec tes copains, paradoxalement, j’ai souffert immensément en sentant combien la possibilité de se découvrir aimé et appelé par le Christ rencontré en Eglise était difficile pour tes copains et pour toute ta génération. La mienne aussi… Nous étions 2 sur 1 200 en première année à nous retrouver à la communauté chrétienne de la fac…

Je prie pour que, en t’appuyant sur ce que tu as reçu au Mej et en famille, tu ne sois ni la brebis qui suit aveuglement vers le ravin, ni la brebis égarée qui se laisse prendre par des raisonnements pour ne pas se laisser trouver, mais que tu te laisses toucher par l’appel du Christ pour que tes copains le connaissent et que, à la suite de Paul sur la route de Damas, tu puisses dire :

– Qui es-tu Seigneur ?

Le croyant, y compris le prêtre, ce n’est pas celui qui sait, mais celui qui garde vivante cette question et la laisse cheminer en Eglise, en s’engageant auprès des autres, en priant, en se nourrissant de la parole et des sacrements.

Je passe des heures à faire étude d’Evangile en gardant très vive cette question :

– « Qui es-tu Seigneur ? » (Ac 9, 5)

Et à demander à l’Esprit de donner chair à cette réponse du Christ dans ma vie :

– « Je suis Jésus que tu persécutes (que tu rejettes). Mais relève-toi, entre dans la ville, et on te dira ce que tu dois faire. »

Tout prêtre que je suis, je sais que je rejette aussi Jésus de ma vie et que c’est le lot de tout chrétien.

Les malgaches traduisent la deuxième partie de la phrase en l’attribuant à Paul :

– « Que dois-je faire ? »

J’aime articuler les deux traductions,

– à la fois entendre que Jésus a quelque chose à me dire, un chemin à m’indiquer, que recevoir son chemin d’un Autre, quand il est Christ, ce n’est pas une aliénation de ma liberté mais bien le contraire.

– dire quelque chose de ma disponibilité avec la traduction malgache : « Que dois-je faire ? », autre manière de reprendre les paroles de Samuel : « Parle, Seigneur, ton serviteur écoute ! »

Je prie pour que tu puisses prendre pour toi cette phrase du Seigneur à Annanie, que tu n’aies pas peur d’être, comme Paul instrument du Christ et de devenir apôtre pour le monde :

– « Va car cet homme est un instrument que je me suis choisi pour répondre de mon nom devant les nations païennes, les rois et les Israélites. 16Je lui montrerai moi-même en effet tout ce qu’il lui faudra souffrir pour mon nom. »

Voilà, excuse-moi d’avoir été long. Je ne peux que t’inviter à lire le livre que j’ai écrit. Il est long… mais il y a des passages que l’on peut survoler et il y a 30 récits qui se lisent facilement.

Il peut aussi t’aider à voir comment on peut se laisser berner par les réflexions toutes faites qui habitent notre monde, comme celles si fortes qui cherche à imposer l’euthanasie comme une évidence au nom de la compassion. Si tu a la patience de lire, tu verras que cette compassion et cette évidence sont fausses. Tu trouveras aussi un chapitre où je risque des mots sur ma foi à travers le récit d’accompagnements d’un prêtre et d’une femme athée.

Tes amis risquent de lire ce livre et cela te permettrait de dialoguer avec eux. Il se peut que ça t’aide aussi à être ce chercheur que tu veux être en vérité.

Encore merci de m’avoir envoyé tes amis et sois sûr de ma très profonde affection et de ma prière, en attendant que tu viennes partager ici à ton tour, quand ça sera possible.

Bruno

Ce contenu a été publié dans Dialogue foi. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire