Dans le dernier courrier, j’évoquais les jeunes rencontrés dans les visites de maison en maison qui demandaient ce que nous allions faire pour les soutenir. Je rendais compte de la réflexion avec les responsables adultes des communautés, du lancement de rencontre de délégués jeunes pour préparer deux événements :
- Une rencontre paroissiale des jeunes le 26 novembre
- Deux « Romaria » sur la paroisse début janvier
La rencontre paroissiale du 26 novembre
La rencontre paroissiale a eu lieu dans la salle de sport de l’école. 60 jeunes sont venus de 6 des 14 communautés avec 60 adultes. Dans les jours qui ont suivi, j’ai appris que le bus que la municipalité avait mis à notre disposition n’était pas passé dans deux communautés, et que 25 jeunes n’avaient pas pu participer pour cette raison.
La journée s’est déroulée dans un climat très simple et très fraternel. Ils ont proclamé et gestué la guérison du paralytique par Pierre et Jean et tous les événements qui suivent : l’annonce que c’est le nom du Seigneur qui l’avait guéri, la comparution devant les responsables religieux, la prière pour annoncer la parole de Dieu avec pleine assurance. Comme je l’imaginais, il n’a pas été possible de « proclamer » des paralysies que les jeunes auraient réussi à faire reculer, contre lesquelles ils auraient réussi à agir. Mais il y a eu un merveilleux échange entre jeunes et adultes, au cours duquel nous avons de nouveau évoqué ces paralysies évoquées tout au long des rencontres de délégués : l’alcool, la difficulté des jeunes à durer dans les études (pas seulement pour des raisons financières), les sectes et la difficulté à durer dans une vie d’Eglise.
Nous avons de nouveau proclamé une part des Actes des apôtres au cours de la célébration eucharistique où j’ai été marqué par la qualité de leur écoute.
Ensuite, ils ont fait un jeu de questions réponses sur la Bible qu’ils avaient préparé, ponctué par des épreuves amusantes dont la dernière, pour départager les deux équipes qui avaient le même nombre de points, consistait à aller chercher la personne la plus âgée qu’ils pourraient trouver. Une équipe a filé en ville et est revenue avec une dame de 89 ans qui riait aux éclats.
Une jeune qui a largement porté la préparation de ce rassemblement est morte une semaine plus tard. Son vélo n’avait pas de freins et elle a déboulé d’un chemin en pente sur la route au moment où une voiture arrivait. C’est une des rares jeunes qui venait de terminer les études et devait se lancer comme professeur à Dores en février.
Un pèlerinage qui se transforme en mission
Les semaines qui ont suivi, à chacune des messes dans les communautés de base, j’ai essayé de convaincre des jeunes de venir participer l’une des deux « Romaria » (pèlerinage) pour « vivre un temps important pour eux ». Il était prévu une « Romaria » traversant toutes les communautés de la moitié nord de la paroisse avec les jeunes de ces communautés du 2 au 4 janvier, et une autre pour la moitié sud du 5 au 7.
Le choix de faire ce pèlerinage dans la paroisse avait quatre objectifs :
– permettre de participer sans rien payer (ce sont les communautés qui assuraient repas et coucher), à des communautés de vivre le partage ;
– permettre à des jeunes de se joindre au fur et à mesure de la marche ;
– rendre visible un travail d’évangélisation des jeunes et y associer les communautés ;
– permettre aux communautés de profiter de l’Evangile annoncé par les jeunes, former l’ensemble de la communauté.
Comme je ne sentais pas de réponse, j’ai changé de manière de parler et, à chaque messe, je faisais lever tous les jeunes de 14 à 25 ans et disais que nous avions besoin de « missionnaires » pour venir faire une mission de trois jours dans plusieurs communautés. Là, immédiatement je sentais un « frémissement ».
Il n’a jamais été possible d’avoir la moindre liste d’inscription. Je pensais que nous serions 30 à 40 pour chacune des deux missions. Les communautés qui avaient la charge d’accueillir les jeunes de leur offrir soit le déjeuner, soit le dîner et coucher s’inquiétaient de savoir comment s’organiser.
Il a plu tous les jours qui ont précédé et toute la nuit avant le début de la « mission ». Pour me rendre au point de départ du bus qui devait permettre aux jeunes de la moitié nord de la paroisse de rejoindre la communauté Santa Luzia, lieu de lancement de la mission, j’ai du faire 15 km de détour car un pont sur la piste avait été emporté par les flots.
A 7h, 4 jeunes nous attendaient dans le village de « Mundo Novo » (Monde nouveau) Quand le bus est arrivé à la communauté suivante, Saint Sébastien : personne. Saint Jean-Baptiste : un jeune sur les 7 qui s’étaient annoncés. Saint Antoine : 0. Saint Raymond : 6, là où 20 étaient annoncés. A Notre Dame de Lourdes, nous avons été frapper à la porte de 2 autres jeunes qui habitaient sur le bord de la route et qui ont accepté de se lever en vitesse et de venir pour la journée. A Santa Luzia, ce sont 13 jeunes qui se sont retrouvés, accompagnés par Rita, professeur qui porte avec moi le souci des jeunes, et par Sœur « Maria do Socorro » qui vient d’arriver sur Guaçuí et va soutenir la mission sur Dores.
Nous remettons à chaque jeune un livret dans lequel il y a le texte des Actes des Apôtres racontant l’histoire de Paul. Des passages sont résumés en quelques lignes : les chapitres 15 (assemblée de Jérusalem), 19 (début du 3ème voyage missionnaire) et 22 à 28 (arrivée à Jérusalem, prison à Césarée et voyage pour Rome).
Nous commençons par une heure où nous lisons la conversion de Paul jusqu’à sa fuite de Jérusalem pour Tarse. 15 minutes de silence pour regarder Paul avant, pendant et après sa conversion, pour choisir une « parole de vie ». Une dizaine de jeunes et adultes de la communauté participent. 4 jeunes d’origine africaine ont des commentaires impressionnants sur Paul.
Comme elle le fera tout au long de la marche, Maria do Socorro prend sa guitare, fait apprendre des chants gestués sur l’Evangile aux jeunes, des chants avec des paroles fortes que les jeune ont immédiatement adoptés.
Deux jeunes de Santa Luzia n’avaient pas prévu de participer mais ils avaient accepté de venir accueillir le groupe, ouvrir l’Eglise, offrir le petit déjeuner. Au moment où la marche démarre, ils acceptent de rejoindre le groupe « pour la journée ».
Dès que nous nous sommes mis en marche, la pluie a repris. Il y aura telle ou telle éclaircie, mais elle ne nous lâchera pas jusqu’au terme de la mission. La piste qui traverse toute la paroisse vient d’être goudronnée sur tout le tronçon que nous empruntons ce qui nous permet de faire cette mission.
A midi, nous voilà dans la communauté « Nossa Senhora de Lourdes ». La communauté a demandé à une auberge de nous faire le déjeuner pour un prix modique payé par la communauté. Comme je le suggérais, comme manière de remercier pour le prix très bas et ne pas seulement se faire servir, les jeunes se mettent immédiatement à remplacer les employés pour laver la vaisselle.
Après, le déjeuner, les jeunes se mettent en 3 équipes dans les locaux de l’auberge. Une équipe prépare la lecture de la conversion de Paul ; l’autre de l’arrivée de Paul à Antioche et du premier voyage à Chypre et dans le centre de la Turquie ; la troisième prépare la fin du 3ème voyage, de Corinthe jusqu’à l’arrivée à Césarée avec le discours de Paul aux anciens d’Ephèse à Milet. 5 minutes plus tard, deux autres personnes qui sont présentes dans l’auberge, dont deux jeunes, se retrouvent embauchés pour dessiner une carte des voyages de Paul sur un grand tissu.
Je repense à Antoine Chevrier qui disait avec des mots de son époque un appel si actuel pour nous tous :
« Il faut instruire les ignorants, évangéliser les pauvres. C’est la mission de Notre Seigneur. C’est la mission de tout prêtre, la nôtre en particulier : c’est notre lot. Aller aux pauvres, parler du Royaume de Dieu aux ouvriers, aux humbles, aux petits, aux délaissés, à tous ceux qui souffrent. Oh ! que ne nous est-il permis d’aller comme Notre Seigneur, comme les apôtres, « dans les lieux publics et les maisons » (Ac 20,20), sur les places, dans les usines, dans les familles, porter la foi, prêcher l’Évangile, catéchiser, faire connaître Notre Seigneur » (Ecrits Spirituels p. 62)
J’avais demandé aux sœurs que l’une d’entre elle se joigne à nous pour qu’ils puissent découvrir ce don possible de leur vie. Maria do Socorro m’a dit qu’une fille a évoqué un feuilleton à la télévision où la sœur apparaissait sévère et qu’elle ne savait pas qu’une sœur pouvait être proche. Alors qu’ils utilisent toujours des « titres » (Juarez m’appelle « Padre Bruno »), un jeune s’est retrouvé tout étonné et gêné de m’avoir appelé « Bruno ». Ils ont aucune occasion de voir le prêtre autrement que quand nous passons célébrer une messe ou faire un topo. Je repensais, tant pour la sœur, que pour Rita aussi qui nous accompagnait, que pour moi, que pour tout catéchiste à cette autre phrase d’Antoine Chevrier à adapter à chacun :
« J’irai au milieu d’eux, je vivrai de leur vie; ces enfants verront de plus près ce qu’est le prêtre et je leur donnerai la foi » (Ecrits Spirituels p. 61)
A 16h, nous repartons pour la communauté « São Raimundo », à 3 km de marche. C’est le village le plus important après Dores, au pied du Pico da Bandeira. Les jeunes partent en petits groupes visiter les familles, inviter à la célébration. La messe a été un peu transformée : proclamation pendant 40 minutes des Actes des Apôtres avec quelques gestuations, puis un temps où j’invite ceux qui le souhaitent à dire ce qui les a touchés en écoutant ce texte. Des jeunes s’expriment, des responsables de la communauté aussi. Parmi d’autres expressions :
– « Ce qui me touche, c’est la réponse d’Ananie : « Me voici, Seigneur », et qu’il accepte d’accueillir Paul qui persécutait les chrétiens »
– « Ce qui me touche, c’est toutes les difficultés qu’a rencontrées Paul. Et rien ne l’arrête. Il repart toujours. »
– « Il engage toutes ses forces pour annoncer Jésus »
Je fais le lien avec le thème d’année : « Jésus nous envoie en mission avec l’Esprit-Saint ». J’invite les catéchistes, les enfants inscrits au catéchisme, leurs parents, à ne pas attendre que les autres viennent s’inscrire, mais à aller visiter les familles qui ont des enfants en âge de caté, à fonder des équipes là où les gens habitent trop loin de l’église. De pouvoir faire cet appel au moment où les jeunes vivent devant eux cette dynamique parle autrement plus fort.
A 21h, après la messe, quatre jeunes demandent à se joindre mais m’appellent à aller voir leurs parents pour obtenir leur accord. Dans l’une des maisons, le père n’est pas là mais il est « chez le voisin ». A l’entrée de la maison, une femme est dans l’ombre et semble pleurer. Le père accepte tout de suite que sa fille vienne. Je lui demande ce qui se passe. Il m’entraîne dans la pièce voisine. Il y a 15 personnes et un homme qui meurt d’un cancer. Nous célébrons le sacrement des malades. Il meurt à minuit. Des jeunes de la marche qui le connaissaient ont fait le choix de rester pour participer à la veillée funèbre qui se prolonge toute la nuit et jusqu’à l’enterrement qui se fait toujours le jour même de la mort où le lendemain.
Les jeunes ont été accueillis dans les familles. Pour la plupart (tous ?), c’est la première fois qu’ils dorment une nuit en dehors de leur maison, qu’ils dorment à plusieurs du même âge ensemble. Il est clair qu’ils ont parlé un moment…
Mercredi matin, prière à l’Eglise avec quelques personnes de la communauté. Nous lisons le début du récit du 2ème voyage missionnaire de Paul (Thessalonique, Athènes, Corinthe dans Actes 17 à 18). Chacun dit la « parole de vie ». Le responsable de la communauté fait le lien entre ce qu’il découvre de Paul et sa mission.
En partant, l’un des jeunes demande si nous pouvons aller prier avec la famille de cet homme. En plus de la vingtaine de personne (famille, amis) qui sont dans la maisonnette, ce sont 20 jeunes qui prient maintenant avec la famille.
En passant devant une autre maison, une autre jeune se joint « pour la journée ». Sa mère souhaitait qu’elle participe, mais elle ne voulait pas. Quand elle a vu passer le groupe et qu’ils sont passés la chercher, elle s’est jointe. Ceux d’hier sont restés avec nous.
« Les gens ne viennent pas, il faut aller les chercher » (Antoine Chevrier, Véritable Disciple, p. 450)
Après 6 km sous la pluie, nous voilà à la communauté Santo Antônio. Il est 9h. Nous proposons un temps de partage par équipes :
– Nous avons écouté Paul nous raconter l’histoire de sa rencontre avec Dieu. Et si nous essayions de raconter « notre histoire ». Comment nous avons reçu la foi ? S’il y a eu des moments forts ? Qu’est-ce que nous aimons plus de Jésus ? Quels doutes ?
Le partage en 3 équipes est étonnant et nous proposons que quelques-uns acceptent de parler en « grand » groupe. 100 % des jeunes évoquent l’alcoolisme dans leur famille comme souffrance forte.
Une moitié témoigne qu’ils n’avaient pas envie de venir, mais que leurs parents, engagés dans la communauté, les ont provoqués, presque « forcés », et qu’ils sont heureux d’être là. L’autre moitié dit venir de familles non croyantes ou d’autres religions. Quelques témoignages ont plus marqué :
– « Je ne vais jamais à l’Eglise. L’autre jour, Noémi, mon copain m’a invité et j’y ai été pour la première fois. Je vous ai entendu parler de la marche, mais il n’était pas question que j’y aille. Hier, il m’a invité et je suis là. » (Roberto)
– « Mon père boit et ne pratique pas. Je ne sais pas où est ma mère. Peu après ma naissance, elle m’a abandonnée sur une fourmilière, c’est ma grand-mère qui nous a élevés avec mon père. Je ne sais pas pourquoi ils m’ont baptisée. Je pense que c’est mon parrain qui a du en avoir le souci. J’ai fait ma communion, ma confirmation, et j’ai eu envie d’être catéchiste. La responsable du « Circuit biblique » a déménagé, je savais lire, j’ai accepté de prendre la suite. Le groupe de jeunes n’avait plus de responsable, j’ai accepté. » (Maria-Aparecida qui confiera bien d’autres galères à la fin de la mission)
– « J’étais dans un chemin très éloigné de ce que propose l’Eglise, très, très éloigné. Ma mère m’avait « obligé » à venir à la messe. La communauté était en crise. Le coordinateur a remis sa démission au cours de la célébration. Le Père Mucio (un de nos prédécesseurs) a demandé si quelqu’un acceptait la charge. Personne n’a accepté. Plusieurs fois, il a demandé : « vous voulez qu’on ferme la communauté ? » Personne ne répondait. Ma mère me questionnait, me donnait des coups de coude : « Tu ne fais rien ? » Et puis, j’ai accepté. Mais j’ai dit que je ne savais pas faire, que je ne pourrai qu’avec l’aide de la communauté. J’ai changé de vie. Plusieurs fois, j’ai envie de laisser tomber. Les visites avec le Père Bruno de maison en maison quand plus personne ne venait m’ont aidé. Aujourd’hui, je suis là, et heureux d’être à cette marche. » (Beto)
Je propose à Rita qui conduit la « voiture balais », de dire son chemin de foi, ce qui fait qu’elle est avec nous, qu’elle a animé avec moi toutes les rencontres des délégués des jeunes : un chemin étonnant aussi, marqué par l’alcool de son premier mari, l’adoption de 3 orphelins en plus de ses 3 enfants.
La sœur raconte sa passion pour la catéchèse : quand elle avait 10 ans, elle allait réunir sans en parler à personne des enfants et leur faisait le catéchisme à partir de ce qu’elle avait reçu elle-même dans la rencontre précédente.
Je dis quelques mots et évoque à partir de mon histoire des repères qui m’avaient aidé à leur âge pour une vie affective.
Une maman est avec nous. Elle est venue ouvrir l’Eglise pour nous accueillir. Elle accepte de dire quelque chose de son chemin :
– Ma famille est dans une secte. Toutes les maisons voisines sont habitées par des non catholiques. Mon mari ne partageait pas ma foi et me critiquait. C’était dur de venir et de durer comme catholique, mais pour moi, c’est important. Maintenant, mon mari est trésorier de la communauté.
Le fils de cette femme a 12 ans. A la dernière célébration, il a demandé à m’aider pour la messe. J’avais senti qu’il y avait une vie intérieure forte. Je lui demande s’il aurait envie de dire quelque chose de son histoire de foi. Il prend alors la parole devant tous les autres, parle avec autorité de la joie qu’il a à venir, de la joie qu’il a à servir la messe, alors que tous ceux qui l’entourent ne partagent pas sa foi.
Après le déjeuner pris dans une maisonnette et offert par la communauté, les jeunes se répartissent dans les trois communautés distantes de 2 km : Saint Antoine, Saint Jean-Baptiste, Saint Sébastien.
Dans chaque maison, ils questionnent la famille sur sa vie, les enfants, les joies, les peines. Ils lisent le texte de la conversion de Paul, proposent de dire une « parole de vie », disent la leur, demandent si les gens ont des intentions de prière, disent le Notre Père, passent de pièce en pièce avec de l’eau que nous avons bénie avant de partir. Ils vont au hasard, y compris dans les maisons de personnes évangéliques ou non croyantes, en général bien accueillis. Chaque jour, ils ont proclamé le texte de la conversion de Paul jusqu’à 10 fois.
Un groupe a été chargé de visiter les 10 familles qui ne veulent plus venir depuis 6 mois à cause de la bagarre avec armes, et de les inviter à venir célébrer. Je vais aussi visiter João, le père de Adilson, ministre de la parole qui était venu nous demander de l’aide quand l’incident était survenu (voir courrier précédent). João semblait sur le point de pouvoir venir participer de nouveau à la vie de la communauté de base. Il n’est pas chez lui mais dans un champ de café « à côté ». Un fils de 10 ans accepte de me conduire auprès de son père pour que je puisse faire le point, de nouveau l’inviter à venir participer à la messe, le charger d’appeler ses frères. En cours de chemin, y compris un moment en passant au milieu d’un champ de maïs, on croise telle ou telle personne. C’est l’occasion de s’arrêter, d’appeler à venir rejoindre les jeunes le soir.
Ce seront 45 minutes d’ascension sur un chemin boueux escarpé sous une pluie battante. Quand João me voit arriver, il fond en larmes, très touché par le fait que j’ai pris la peine de monter dans la boue et il promet de venir. Il insiste pour me raccompagner et redescendre avec moi. Il a même accepté de faire une photo d’une poignée de main entre nous où il fait cette promesse. Je rejoins le groupe à l’église Saint Jean-Baptiste.
Un moment après, Adilson, vient me prévenir que son père est déchiré. Il avait accepté d’inviter ses frères à venir. Ils l’ont prévenu qu’ils ne lui parleraient plus s’il y allait. Je vais voir João et l’appelle à ne surtout pas venir à cause de la promesse faite, mais, s’il décide de venir, à le faire par réponse à l’appel du Christ. Le soir, il n’est pas là, ni personne de cette famille. Cela fait maintenant plus de six mois que cette haine grandit. Le soir, la petite église est bien loin d’être pleine alors que ces trois communautés si proches les unes des autres (2 km entre chacune) ont été largement visitées, que la messe est annoncée depuis longtemps.
Le lendemain matin, 6 jeunes de cette communauté se joignent à nous. Tous ceux qui s’étaient joints « pour une journée » sont restés. Nous sommes maintenant 26. Nous prenons une heure de partage sur le testament de Paul à Milet. Chacun dit sa « parole de vie ». Parmi bien d’autres, celles-ci reprises avec force par les jeunes :
– « Maintenant, prisonnier de l’Esprit, me voici en route pour Jérusalem ; je ne sais pas quel y sera mon sort, mais en tout cas, l’Esprit Saint me l’atteste de ville en ville, chaînes et détresses m’y attendent. Je n’attache d’ailleurs vraiment aucun prix à ma propre vie ; mon but, c’est de mener à bien ma course et le service que le Seigneur Jésus m’a confié : rendre témoignage à l’Evangile de la grâce de Dieu.” (Actes 20,22-24)
– « Je vous l’ai toujours montré, c’est en peinant de la sorte qu’il faut venir en aide aux faibles et se souvenir de ces mots que le Seigneur Jésus lui–même a prononcés : Il y a plus de bonheur à donner qu’à recevoir. » (Actes 20,35)
– « Alors il nous a répondu : « Qu’avez–vous à pleurer et à me briser le coeur ? Je suis prêt, moi, non seulement à être lié mais à mourir à Jérusalem pour le nom du Seigneur Jésus. » Comme il ne se laissait pas convaincre, nous n’avons pas insisté. « Que la volonté du Seigneur soit faite ! » disions–nous.” (Actes 21,13-14)
Je risque deux mots sur l’expression de Paul qui n’attache aucun prix à sa propre vie et les appelle à ne pas se tromper sur le sens de ces paroles. A ces jeunes dont la vie n’est pas respectée, je parle de la vie affective, du caractère sacré, précieux de chacune de nos vies. J’exprime mon étonnement devant le nombre de filles de 13 ans qui « aiment » des adultes de 20 à 30 ans. J’évoque les situations d’inceste.
Sur la route, 2 autres se joignent encore. Il pleut sans interruption tout au long des 12 km de route montagneuse avec vue sur un ravin et des cascades magnifiques.
A midi, nous sommes reçus à l’école pour le déjeuner. Nous sommes au village « Mundo novo » (monde nouveau), 3ème village en importance de la paroisse, qui vit d’une scierie qui emploie 80 personnes. Dans ce village, tout petit malgré tout, il y a 8 églises différentes : catholique, adventistes, deux Eglises baptistes concurrentes, Assemblée de Dieu, Pentecôtistes, Eglise Universelle, Spiritisme.
5 minutes après notre arrivée Noémi revient avec 6 jeunes de ce village qui se joignent au groupe. Il était venu « obligé » par sa sœur et sa mère, et Rita nous dit qu’à l’école, il est perçu comme incapable et renfermé. Il ne parlait presque pas le premier jour. Ce sont maintenant 32 jeunes qui participent à cette « mission ».
Après le déjeuner, nous leur proposons un temps pour faire des projets pour l’année qui vient. Nous leur faisons part de notre préoccupation pour les jeunes de la deuxième moitié de la paroisse. En effet, il pleut tellement depuis plusieurs jours que nous venons d’être prévenus par la mairie que la marche qui devait commencer le lendemain matin avec les jeunes des communautés de l’autre moitié de la paroisse ne sera pas possible. Là-bas, les pistes ne sont pas goudronnées. Le bus qui doit recueillir tous les jeunes de communauté en communauté ne pourra pas passer, la voiture qui porte le matériel non plus.
Dans la mise en commun, chaque équipe propose de refaire des missions pendant l’année et d’aller les faire dans les communautés qui n’ont pas pu être visitées. Ils programment aussi une nouvelle journée paroissiale des jeunes en fin d’année. La moitié disent aussi être décidés à participer de « l’école de théologie biblique », école d’étude d’Evangile à la manière d’Antoine Chevrier qui doit démarrer en février avec une rencontre par mois aussi bien à São Raimundo (partie nord de la paroisse) que à Dores (partie sud). Nous allons faire étude d’Evangile sur qui est Jésus, qu’est-ce qui m’est dit de l’Eglise, d’une vie de disciple en lisant Saint Luc 2 chapitres par 2 chapitres. Je les encourage à essayer de faire équipe avec des personnes illettrées de leur entourage pour qu’elles puissent aussi participer de ce travail.
Ensuite, nous leur proposons un moment de silence pour écrire chacun personnellement, une lettre à Jésus », lui dire ce qui nous a marqué dans la marche, ce que nous aimons de lui, ce que nous voulons vivre après la marche. Ils sont prévenus qu’il y aura possibilité pour ceux qui le souhaitent de lire leur lettre à voix haute.
Les uns après les autres, les jeunes tiennent à ce que je lise leur lettre pour moi-même. Une fille évoque sa vie sexuelle avec un adulte et je l’invite à ne surtout pas lire, mais, dans le partage, j’annonce qu’il est possible de rencontrer Maria do Socorro, Rita ou moi-même pour partager un moment, recevoir éventuellement le sacrement de réconciliation.
4 jeunes vont passer en racontant des vies très très blessées, des histoires de maltraitance forte. C’est la première fois qu’ils peuvent en parler. Je leur suggère de réunir d’autres qui aimeraient reparler de cela à plusieurs et d’inviter soit la sœur, soit moi-même. Je découvre que ceux qui viennent participer à cette marche sont, à quelques exceptions près, les plus pauvres, mais aussi qu’ils ont une force impressionnante pour accueillir la parole de Dieu, faire le lien avec leur vie.
A 14h, Noemi organise 8 équipes qui vont visiter toutes les maisons du village. A 18h, rayonnant, il sera le dernier à revenir de mission, ayant été « bénir la maison de ses parents », mais aussi toutes les maisons voisines, à 4 km de là.
A l’Eglise, la responsable de la communauté de base demande si ce serait possible de prévoir un jour la première communion d’Isaac, 20 ans, handicapé mental. Elle évoque la première communion d’un autre adulte que j’avais provoquée quelques mois avant et la joie de cette personne chaque fois qu’elle reçoit le Christ.
J’essaye d’expliquer à Isaac qu’il allait pouvoir préparer sa communion, qu’il pourrait la faire d’ici quelques temps… Mais j’ai vite vu que je ne pouvais pas lui expliquer la question du « temps » pour se préparer. Il participe à toutes les célébrations. Aussi, avec la responsable de la communauté, nous lui proposons de faire sa première communion aujourd’hui. Dès qu’il a eu communié avec beaucoup de recueillement, le voilà qui part en courant et saute au cou de cette femme en laissant éclater sa joie.
Il y a des moments, en voyant ces jeunes se donner à fond dans la mission, en entendant Noémi prendre la parole avec beaucoup de force au cours de la messe pour inviter les autres jeunes à se joindre à eux, en voyant Isaac recevoir le Christ, en voyant cette communauté qui était si divisée il y a quelques mois réconciliée par l’arrivée de Lucimar, nouvelle coordinatrice, ancienne directrice et fondatrice de l’école du village, femme de foi profonde et artisan de paix, où les mots de Jésus prennent une saveur insoupçonnée :
“A l’instant même, il exulta sous l’action de l’Esprit Saint et dit : « Je te loue, Père, Seigneur du ciel et de la terre, d’avoir caché cela aux sages et aux intelligents et de l’avoir révélé aux tout petits. Oui, Père, c’est ainsi que tu en as disposé dans ta bienveillance.” (Luc 10,21)
Bruno Cadart,
Dores do Rio Preto, le 5 janvier 2007