Le récent Synode des évêques sur la Parole de Dieu (2 2008) nous a appelés à « Prendre et manger » la Parole de Dieu, comme nous sommes appelés à « prendre et manger le corps et le sang du Christ »[1].
L’Eglise d’Amérique Latine a connu un fort renouveau dans les années 80 avec la fondation des communautés de bases, elles-mêmes « communautés de Cercles Bibliques », qui permettaient aux plus pauvres de se nourrir de la Parole de Dieu. Malheureusement, ce dynamisme s’est bien étiolé.
Prêtre dans une paroisse rurale au Brésil pendant 4 ans (2006-2009)[2], fidei donum du diocèse de Créteil France pour le diocèse de Cachoeiro de Itapemirim et de l’Association des Prêtres du Prado du Brésil, avec d’autres prêtres brésiliens s’intéressant au Prado, nous avons cherché à redonner du souffle à la lecture méditative de la Parole de Dieu dans les communautés.
Nous avons essayé de convaincre chacun qu’il était capable de partager la Parole de Dieu. Nous avons commencé par inviter les gens à s’exprimer après la proclamation de l’Evangile en disant la « Parole de Vie », la phrase qui les a plus touchés dans l’Evangile du jour. Nous arrivions avant la messe pour les aider à lire l’Evangile ou le lire plusieurs fois pour ceux qui ne savaient pas lire (30% des personnes dans cette paroisse rurale).
Nous avons invité ceux qui le voulaient à rester après la messe mensuelle pour lire un ou deux chapitres de la Bible (Actes des Apôtres en 2008 et 2009, Evangile de Jean commencé en 2010), laissant un temps de silence après chaque passage lu, et provoquant les personnes à partager les « Paroles de Vie » et comment cela parlait pour eux. Cela les a beaucoup marqué et à transformer leur vie. En 2009, c’est une moyenne de 235 personnes qui ont participé de communauté en communauté dans cette paroisse de 6 800 habitants.
A partir de ce travail de formation à l’expression à partir de la Parole de Dieu méditée, nous avons fait des « Cercles Bibliques » notre priorité absolue. Chaque mardi (en général), les personnes d’une même rue (en ville), d’un même hameau, se retrouvent pour partager en priant une page d’Evangile. Pour aider à la prise de conscience de l’importance de ces « Cercles Bibliques », nous avons invité tous les groupes, en s’inspirant de ce que nous lisions dans les Actes des Apôtres à rédiger les « Actes des Apôtres de Dores do Rio Preto » (nom du village). Nous avons été dépassés par la richesse de ce qui est venu et chaque Cercle Biblique a reçu un exemplaire imprimé. Les 71 groupes avaient répondu à cet appel. Au moment de mon envoi à Madagascar, sans m’en parler, les animateurs des Groupes Bibliques ont repris l’idée et ont écrit les « Lettres des apôtres de Dores au Père Bruno » pour dire ce qui avait changé dans leur vie à partir de ce travail de lecture de la Parole de Dieu.[3] Ci-après, des extraits de ces deux « livres ».
Témoignage d’Alicia, fille de 11 ans : Mon « carnet de Paroles de Vie »
Père Bruno,
J’écris pour parler un peu des lumières de l’Esprit Saint dans ma vie.
Je suis encore une enfant, mais ma vie a été transformée depuis que j’ai commencé à écrire chaque jour dans un carnet le verset de l’Evangile du jour qui me touche le plus, la « Parole de Vie ».
J’ai traversé bien des choses : la séparation de mes parents. Mais, à travers l’Evangile, j’ai trouvé la force pour dépasser cette épreuve et vivre et je te remercie d’avoir aidé ma maman à traverser tout cela.
Je suis catéchiste. Aujourd’hui, j’aide ma communauté, bien que je n’aie que onze ans. Je suis très heureuse, parce que j’ai aidé ma maman qui était entrée dans une Eglise sectaire à revenir dans l’Eglise catholique et qu’elle est devenue responsable de la liturgie. Je l’aide aussi.
Aujourd’hui, elle est une autre personne, bien plus heureuse, en effet, nous prions et lisons l’Evangile chaque jour, et, dans tout ce que nous faisons, nous demandons à l’Esprit Saint de nous guider.
Et maintenant, nous prions le Saint Esprit pour toi, Bruno, que tu sois illuminé dans ton chemin à Madagascar, que tu puisses aider beaucoup d’autres familles. Tu vas laisser beaucoup de regrets, parce que tu as marqué ici, au Brésil.
Je te demande d’accepter en souvenir mon premier carnet de « Paroles de Vie », dans lequel depuis deux ans, j’ai copié chaque jour un verset d’Evangile, que tu puisses le montrer à d’autres enfants, qu’ils puissent faire la même chose.
Alicia, communauté Sainte Anne
« Nous sommes Paul qui vient vous porter l’Evangile ! »
Le Groupe Biblique qui réunissait les familles habitant à proximité de l’église Sainte Lucie avait arrêté de se réunir. Je venais de déménager et d’arriver là et j’ai décidé de relancer ce groupe, en particulier à cause de Osineia et José Paulo, parce qu’ils avaient deux enfants qui n’étaient pas baptisés. Osinéia, la maman, n’était pas baptisée non plus et tous les deux n’étaient pas mariés. Ce sont des personnes complexées, pauvres[4] et qui pensaient qu’il n’y avait pas de place pour des personnes comme elles à l’Eglise. En plus, José Paulo est borgne ce qui le défigure complètement.
Nous avons commencé par aller nous réunir dans leur maison, une maison pauvre. Ils nous ont accueillis avec beaucoup d’amour. Quand nous avons commencé à les fréquenter par le Groupe Biblique, nous avons senti la grandeur de leur foi. Jusque là, comme ils ne venaient pas à l’Eglise, nous pensions qu’ils n’avaient pas la foi. Mais ce n’était pas vrai. J’ai été très touchée par leur respect pour Dieu, dans leur manière de parler, dans leur respect entre eux. Je leur ai dit mon souhait de les voir entrer dans la file de communion.
J’ai déjà aidé Pauli et Marina qui cohabitaient depuis très longtemps à se marier à l’Eglise et à faire la communion et la confirmation. Et je m’étais sentie si heureuse de les voir recevoir Christ. J’ai communiqué à Osinéia et à José Paulo cette joie. Je leur ai dit combien nous ressentions leur absence lors des célébrations et des messes de la communauté, et qu’ils ne viennent pas recevoir le Christ. Quand j’ai parlé, cela a touché leur cœur. Ils ont commencé à participer à toutes les célébrations, aux messes mensuelles, et, ce samedi 8 août 2009, Osinéia a reçu le baptême, tous les deux se sont mariés et ont communié, et ils ont baptisé leurs deux enfants. Maintenant, ils reçoivent Christ dans la communion.
J’ai aussi relancé le Groupe Biblique parce que j’en sentais le manque : nous ne pouvions plus nous réunir tous les mardis pour partager la Parole de Dieu avec les voisins. Et, pour moi, le Groupe Biblique est un lieu essentiel de catéchèse pour mes enfants. Maintenant, ils ont la chance de découvrir le Christ au milieu de nous. Ils aident à lire le texte, participent à la réflexion, disent une « Parole de Vie ».
Lors de la première rencontre que nous avons faite chez Osinéia et José Paulo, Marco Antônio, mon fils qui a dix ans, en commentant la Parole de Dieu du jour, s’est exclamé : « Nous sommes Paul qui vient vous porter l’Evangile ! »
En relisant ce que nous vivons dans le Groupe Biblique, je pense aussi à Paul quand il a vu en songe un macédonien qui l’appelait : « Viens à notre secours ! » ; et Paul de dire : « Après cette vision, nous avons cherché immédiatement à partir pour la Macédoine, en effet, nous étions convaincus que Dieu venait de nous appeler pour y annoncer la Bonne Nouvelle. » C’est ce que j’ai ressenti dans cette situation.
Bruno Cadart (texte demandé par une revue et non publié, mars 2010)
[1] Message du synode sur la Parole de Dieu dans la vie et dans la mission de l’Eglise (Septembre 2008).
[2] Je suis depuis mars 2010 à Madagascar pour un service dans le diocèse de Fianarantsoa et au service de l’Association des Prêtres du Prado pour appuyer les prêtres diocésains malgaches qui souhaitent vivre de la spiritualité du Père Chevrier.
[3] Si vous souhaitez en savoir plus sur ce travail de la Parole de Dieu vous pouvez écrire à bruno_cadart@yahoo.com.br
[4] Famille pauvre d’origine africaine. Si l’esclavage a disparu, nombre de ses familles se sentent inférieures ou sont maintenues dans une situation proche de l’esclavage ou carrément d’esclavage. Sur la paroisse, je viens de découvrir que 3 familles sont en situation d’esclavage de fait, non déclarées, avec un salaire de misère, et des horaires impressionnants. Quelqu’un est venu me demander conseil et devrait alerter la justice. Quand elles osent venir à l’église, elles restent au fond. Il y a d’autres familles « afroaméricaines » très bien intégrées dans la société. Certaines Eglises évangéliques s’appuient fortement sur cette situation, comme l’Eglise « Assemblée de Dieu » qui se présente comme « l’Eglise des pauvres » par opposition à « l’Eglise catholique » qu’ils présentent comme l’Eglise des riches.