En Amérique latine, difficultés du dialogue entre l’Église catholique et les nouveaux mouvements religieux

Arrivé en novembre 2005 dans une paroisse rurale du Brésil (état de l’Espírito Santo), ayant un vécu très positif du dialogue avec les Eglises protestantes en France, j’ai découvert une réalité plus complexe avec les Eglises évangéliques pentecôtistes au Brésil.

Dès mon arrivée, des membres d’une communauté de base (Santa Isabel) m’appellent à l’aide pour résister au prosélytisme de l’Eglise « Assembleia de Deus » qui a attiré en son sein une bonne partie de la communauté, à commencer par la responsable précédente, et, tout récemment, le mari de la responsable actuelle. Ils avaient aussi essayé de s’approprier le bâtiment Eglise de la communauté.

A l’émission « Le Jour du Seigneur », diffusée en France au moment de la venue de Benoît XVI au Brésil, Marcelo, mari de Sandra, responsable de la communauté Santa Isabel témoignera : « J’ai été à l’Eglise ‘Assemblée de Dieu’. Là, on me disait que ma femme, mes enfants, le prêtre de l’Eglise catholique étaient des démons. Là, j’ai pris conscience que ce n’était pas possible, et je suis revenu dans la communauté ». Et Sandra ajoutera : « Nous nous étions mariés à l’Eglise catholique, et, tout d’un coup, nous ne pouvions plus dialoguer, nous ne pouvions plus prier ensemble. J’ai beaucoup souffert. »

Positivement, cela m’a obligé à visiter beaucoup les familles, à les connaître, les soutenir, puis à lancer une lecture des Actes des Apôtres dans toutes les communautés après la messe mensuelle, pour les aider à trouver par eux-mêmes les fondements de leur foi catholique, à voir comment Jésus a fondé une Eglise qu’il voulait une, à voir comment le don du Saint Esprit n’était pas le fruit d’une émotion artificiellement provoquée, comment Marie était présente dans cette Eglise naissante.

Dans cette communauté Santa Isabel, où les membres d’une même famille se trouvaient divisés et ne se parlaient plus, j’ai réussi à gagner la confiance de la responsable de l’Assemblée de Dieu, à être invité à manger chez elle, mais, alors que je l’avais prévenue longtemps avant, cette responsable de l’Assemblée de Dieu n’a pas accepté de venir participer non pas à la messe de départ, mais au repas fraternel qui suivait la messe.

En 2007, Keyni est arrivé comme jeune pasteur de l’Eglise Baptiste rénovée. Passionné, dévoué, il s’est mis à proposer ses services dans les écoles de Dores, proposant une réflexion sur la morale, l’alcool, la drogue, et continuant toujours par un temps de prière en disant aux enfants ce qu’ils devaient penser, ressentir, puis demandant à ceux qui « avaient fait l’expérience de Jésus » de lever le doigt, distribuant des Bibles, des revues ». Il organisait en dehors de l’école de multiples activités sportives ou ludiques pour les enfants avec remise de prix au cours du Culte suivant. Des parents ont alerté et j’ai pris contact avec les directeurs d’école en demandant à ce que ce prosélytisme à l’école cesse. Le Pasteur Keyni qui avait très peu de fidèles, s’est fait présent à toutes les veillées à la chapelle mortuaire, visitant de manière répétée et très prosélytes les familles après. Une fois, une famille catholique avait demandé un temps de prière au ministre de la Parole catholique. Le Pasteur Keyni est passé, a proposé de prier, puis a accéléré les choses pour que l’enterrement ait lieu avant l’arrivée du ministre de la Parole catholique.

Que faire, comment réagir à la manière du Christ ? J’ai décidé d’aller sonner chez le Pasteur Keyni pour faire sa connaissance. Je lui ai alors fait part de ce qui posait problème à la communauté catholique et il a confirmé l’exactitude de tout ce qui précède, tout en disant combien « le prosélytisme était un péché dans la Bible ». Après avoir fait part de notre souffrance, je l’ai invité avec sa femme et sa fille à venir déjeuner, « que nous puissions nous connaître et être signe ensemble de l’amour du Christ ».

Il a été surpris par cette proposition et le repas a été un moment très fraternel où j’ai eu à cœur de lui permettre de raconter son itinéraire, sa vocation, pour l’accueillir à partir du don de Dieu en lui et non pas à partir des difficultés de relation. A la fin du repas, je l’ai invité à venir prêcher un mois plus tard dans notre Eglise pour ouvrir la semaine de prière pour l’unité des chrétiens. La communauté du dimanche l’a reçu avec beaucoup d’attention et lui pleurait d’émotion. Le dimanche suivant, des jeunes sont venus de Vitoria et utilisaient cet évènement pour convaincre individuellement les catholiques de venir participer au culte évangélique : « Notre pasteur a été chez vous, venez donc prier chez nous », le tout avec un prosélytisme que m’a largement décrit un pharmacien, démarché par les baptistes, et qui avait été séminariste jésuite. Dans le journal paroissial suivant, nous avons publié le témoignage de ce pharmacien et alerté les catholiques contre ces pratiques. J’ai remis le journal en main propre au Pasteur Keyni en lui disant combien cette pratique compliquait les relations entre Eglises et je lui ai redit combien je serais heureux, un jour, d’être invité moi aussi à pouvoir venir prier avec eux.

En 4 ans, alors que nous avons écrit tous les ans à tous les pasteurs pour les inviter sans jamais recevoir la moindre réponse, alors que j’ai été visiter personnellement plusieurs d’entre eux pour tenter d’ouvrir le dialogue, je n’ai jamais eu aucune invitation et le travail systématique de destruction de communautés de bases a continué avec la même force.

La place manque pour donner encore plus d’éléments à la fois pour illustrer l’action profondément destructrice de ces Eglises et l’impossibilité, là où j’étais, d’un dialogue.

Très attaché au dialogue œcuménique, portant positivement en moi nombre des interpellations de Luther, je n’aurais jamais pensé, 4 ans plus tôt, écrire un témoignage aussi pessimiste. Je reçois de cette expérience un appel à demander l’Esprit Saint pour aimer toujours mieux, être inventif pour ouvrir des chemins, mais pas en laissant des pratiques casser des hommes et le tissu social, et ce, pas seulement dans un souci religieux.

Père Bruno Cadart, le 1er mars 2010

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