Chère Véronique,
Tu es révoltée, indignée, par l’excommunication de la mère de cette fillette violée par son beau-père et tu me demandes ma position de prêtre et médecin de formation. Voilà ce que j’ai dit en fin d’homélie, dimanche :
« Je vais parler d’un autre sujet (que la Transfiguration) avec beaucoup de tristesse. J’ai été questionné sur ce que je pensais de la situation de cette mère et des soignants qui avaient décidé de provoquer l’avortement de cette fillette de 9 ans. Je vais répondre par une question :
– Vous imaginez, Jésus, devant cette mère et cette fillette détruite par un beau-père cassé, la condamner publiquement ?
Comment aurait-il réagi ? Il se serait approché d’elles et aurait pleuré. Il les aurait écoutées. Il se serait tu, parce qu’il n’y a aucun mot devant tant de souffrance. Il n’aurait pas rajouté de la douleur à sa douleur.
Qu’a-t-il fait, dans une situation bien différente, avec la femme adultère que les pharisiens, les religieux de l’époque, le pressaient de condamner ? Il s’est abaissé, il ne l’a pas regardé de haut, il s’est tu. Il a provoqué les religieux de l’époque à accueillir la Parole pour regarder leur propre vie et non pour condamner d’autres. Il l’a aimée, il lui a redonné vie.
Vous le voyez excommuniant ceux qui sont sur la croix avec lui ? Il se tait, il donne sa vie.
Et cette mère et ces soignants ne sont pas dans la position de cette femme adultère ou de ces bandits. Ils sont dans la position de personnes qui, dans une situation extrêmement difficile, ont du prendre une décision douloureuse.
Même pour les principes les plus absolus, il peut arriver que suivre le Christ, vivre de l’Evangile puisse nous amener, dans une situation très complexe, à les transgresser.
Tout en ayant travaillé à fond contre l’euthanasie, il m’est arrivé de mettre dans la pharmacie du service, les produits pour pratiquer une euthanasie au cas où la personne que je soignais venait à étouffer sans que je ne sois capable d’apaiser ses souffrances par un autre moyen (aujourd’hui, je ne le ferais plus car nous avons d’autres moyens – cf. livre « En fin de vie »). Ce jour-là, pour tout faire pour ne pas pratiquer l’euthanasie, j’avais été jusqu’à prendre 4 jours de garde consécutifs pour suivre cette malade. Finalement, j’ai pu l’accompagner jusqu’au bout, sans pratiquer l’euthanasie et en mettant au point un protocole de traitement des personnes en situation d’étouffement. Mais il n’aurait pas été moral de laisser cette personne étouffer « au nom de la défense de valeurs », même les meilleures.
Je prie en premier lieu pour cette fillette et sa sœur handicapée et également abusée depuis des années, si détruites par leur beau-père. Je prie en deuxième lieu pour sa maman, pour les soignants qui ont dû prendre une décision pas facile et qui se comprend. Cette fillette encore non formée était effectivement en danger pour sa propre vie pour accoucher de 2 jumeaux, sans parler de toutes les autres difficultés autres que vitales. Je prie ensuite pour cet homme si défiguré en disant que, probablement, lui-même avait du être victime de quelque chose avant. Beaucoup de pédophiles ont eux-mêmes été violés dans leur enfance. S’il doit être emprisonné, il reste notre frère, un fils de Dieu pour lequel Christ a donné sa vie. Je prie ensuite pour cet évêque, pour l’Eglise, qu’elle se laisse toucher par l’Esprit Saint et ne trahisse pas le Christ. »
Faut-il quitter l’Eglise ?
C’est au contraire le moment de s’y accrocher, mais de parler sans langue de bois, et surtout, de lire l’Evangile chaque jour, de le vivre. C’est ce qu’a fait Saint François d’Assise dans un moment encore pire de l’histoire de l’Eglise.
Je crois à ce double mouvement :
– Lire et vivre à fond l’Evangile, en témoigner, essayer de permettre à d’autres de bouger.
– Ne pas avoir peur de dénoncer, en essayant de le faire dans des termes qui puissent être reçus.
Il n’est pas possible de « suivre vraiment le Christ » en se coupant du Corps qu’il a fondé.
Quand je vois ce que produit le mouvement qui a consisté à se couper de l’Eglise et à fonder d’autres Eglises pour « réformer », cela me garde de la tentation quand elle se fait forte. Je suis chaque jour plus effaré de ce qui se passe dans les Eglises « Evangéliques » et, lisant les Actes tous les soirs dans des communautés, je ne vois pas comment nous pourrons vivre du Christ, le signifier, en se coupant de son corps.
Ce peut être l’occasion de claquer la porte, ou de s’attacher au Christ vraiment, de méditer sur son choix fou de s’en remettre à des hommes limités, qui n’ont pas arrêté de le trahir, le renier, lutter pour savoir qui serait le plus grand alors qu’il annonçait la Croix, de vouloir éloigner ceux qui dérangeaient…
Cela veut aussi dire qu’il te choisit, qu’il me choisit avec nos propres limites.
Tiens bon, et accroche-toi au Christ à l’Evangile, à l’Eglise aussi. Chevrier, fondateur du Prado, qui vivait dans une époque difficile et qui n’a pas eu peur d’avoir une attitude et des paroles en contrepoint de ce qu’était « l’Eglise » a écrit ceci dans son livre le « Véritable Disciple » (p. 511) :
Aimer Jésus Christ
« Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole et mon Père l’aimera et nous viendrons en lui et nous ferons en lui notre demeure. Celui qui ne m’aime point ».. (Jn 14,23) « C’est la gloire de mon Père que vous deveniez mes disciples et que vous portiez beaucoup de fruits ». (Jn 15,8) Le disciple de Jésus Christ est un homme qui est rempli de l’esprit de son Maître, qui pense comme son Maître, qui agit comme son Maître, qui le suit en tout et partout. Mais cet esprit de Dieu, peu le reçoivent, peu le comprennent, peu l’admettent dans la pratique. Ceux-là seulement qui sont de Dieu, qui écoutent sa parole et à qui il est donné de la recevoir. Personne ne va au Fils que par le Père.
C’est donc une grande grâce que de recevoir cet esprit que le monde ne peut recevoir. Si nous sommes du monde, si nous pensons comme le monde – idées du monde – nous ne pouvons le recevoir, il faut se dépouiller de soi-même pour le recevoir et le comprendre.
Cet esprit est répandu dans le Saint Evangile. C’est là qu’il est semé comme des fleurs qu’il faut cueillir une à une pour en prendre la plus grande quantité possible.
Notre Seigneur l’avait tout entier, cet esprit ; nous, nous ne pouvons l’avoir qu’en partie; mais au moins tâchons d’en prendre le plus possible, pour en être le plus possible animés et glorifier Jésus Christ et son Père.
Cet Esprit est peu connu, peu goûté, peu compris, même parmi ceux qui devraient le posséder et le comprendre : les habitudes, les usages, les idées qu’on se fait, les raisonnements qu’on fait, les exemples extérieurs, entraînent le monde et les prêtres même à vivre selon l’esprit du monde et non selon l’esprit de Dieu.
De sorte que, si nous voulons agir selon l’esprit de Dieu, il faut lutter beaucoup contre les idées, les usages, les manières des autres, et c’est aussi pour cela que les saints, qui avaient l’esprit de Dieu, ont eu tant à souffrir de la part même de leurs frères.
Mais il ne faut pas s’arrêter à cela, il faut s’appuyer sur Jésus Christ et sa parole ; c’est là le fondement inébranlable et solide sur lequel on peut s’asseoir tranquille : Jésus Christ et l’Eglise.
Appuyé sur ces deux bases, on ne peut que marcher en sûreté, malgré les contrariétés, les combats, les luttes et les persécutions.
Prie pour l’Eglise, donne lui visage d’Evangile. Très fraternellement.
Père Bruno Cadart, mars 2009
Le Père Bruno Cadart est Prêtre fidei donum au Brésil. Il est médecin de formation, auteur de deux livres dans lesquels il défend fortement l’interdit d’euthanasie (En fin de vie / thèse de médecine ; Réflexions sur mourir dans la dignité). Il s’est formé au séminaire du Prado à Lyon et a habité à Lyon de 1999 à 2005 comme Assistant du Responsable des Prêtres du Prado de France. Le Cardinal Barbarin avait offert ses deux livres à la Commission Leonetti qui réfléchissait à la loi Leonetti sur la fin de vie.