Donne-nous d’être des bergers plutôt que des aubergistes… Noël avec Dada (25 décembre 2013)

On trouvera d’autres photos de Dada en suivant ce lien

Grandes lignes de ma méditation sur Noël avant les rencontres de ces derniers jours

La fête de Noël de cette année a été particulièrement marquante. En méditant sur les lectures, ce qui m’habitait, et que j’avais préparé pour le partager en homélie avant même les rencontres des derniers jours, ce sont les réflexions suivantes :

–     L’amour de Dieu qui n’a pas voulu rester loin de nous a touché mon cœur. Il a envoyé des prophètes qui n’ont pas été reçus, il a donné sa Loi d’amour que les hommes n’ont pas accueillie, alors il a envoyé son Fils unique. Nos refus, nos trahisons n’ont pas été une raison pour lui de moins nous aimer, mais au contraire de donner sa vie pour nous, de nous aimer encore plus.

–     Sa manière de venir est étonnante : au lieu de descendre de manière magique dans un grand show céleste, arrivant déjà « adulte », il se fait bébé emmailloté dans une mangeoire, incapable de parler, devant apprendre tout, dépendant des hommes, du « oui » de Marie et Joseph, de notre « oui », pour prendre corps en nous et se donner au monde, passant 30 ans « caché » et partageant la vie ordinaire des hommes.

–     Il est tellement semblable à nous, ou plus exactement semblable aux plus pauvres, en naissant dans un pays occupé, dans cette cohorte de gens jetés sur les routes par les caprices de César, que les gens de Bethléem n’ont aucune conscience en rencontrant ces « migrants » salis et fatigués par la route, qu’ils sont en présence de la mère du Sauveur et qu’il n’y a pas de place pour eux à l’auberge.

–     Jésus naît dans le fumier, hors de la ville. Y a-t-il eu un show d’anges dans le ciel, ou les bergers ont-ils été intrigués d’entendre un nouveau-né crier dans la grotte servant d’étable ? En tous cas, ils ont laissé l’Esprit Saint parler dans leur cœur, ils ont écouté, ils se sont déplacés, ils ont vu, ils ont cru et ils ont répondu la nouvelle.

–     Aujourd’hui, il naît encore en s’identifiant au plus pauvre, au plus loin, avec le risque pour nous d’être comme les aubergistes de Bethléem, incapables de le reconnaître, sans pitié pour cette femme sur le point d’accoucher, sans place pour l’accueillir.

–     Aujourd’hui il vient encore à nous et nous appelle à être comme les bergers, ceux qui entendent, se lèvent et vont à sa rencontre, voient, croient, annoncent.

Les personnes présentes à Noël avec nous à Isaka

Dans la suite de l’homélie, j’ai partagé là où j’avais perçu la présence du Christ aujourd’hui à Isaka en racontant les diverses rencontres de ces derniers jours qui m’ont marqué ainsi que ceux qui étaient avec moi :

–     Olivier et Mathilde, coopérants Fidesco arrivés à Fianarantsoa en octobre et venus travailler au service du diocèse pendant deux ans ;

–     Evarista, en 2ème année de séminaire, venu « en mission » pour Noël à Isaka ;

–     Stanislas et Aina, deux jeunes faisant un stage de professeur au collège d’Isaka avant d’entrer au séminaire.

Dimanche 22 décembre 2013 : mission à Ankarimbahoaka

Wilson avait insisté pour que nous renouvelions l’expérience de la mission de Noël dernier. Les chrétiens des 33 « fiangonana » (communautés ayant une chapelle) ont été invités à se réunir pour la prière du dimanche matin, puis à former des équipes et à aller visiter tous les hameaux dépendant de la communauté, à jouer l’Evangile de la Visitation de Marie, à appeler les gens à lancer une « Fiangonana Fototra », là où il n’y en avait pas. Nous appelons « Fiangonana Fototra », ce qui se traduit par « Eglise ou communauté de base », le fait que les chrétiens d’un quartier, d’un hameau, se réunissent chaque jeudi pour prier et partager l’Evangile et essaient de s’entraider y compris avec les protestants ou ceux qui ne croient pas.

Dimanche 22, avec Olivier, Mathilde et Evarista, nous sommes allés rejoindre la communauté d’Ankarimbahoaka. En route, nous avons croisé un enfant d’une douzaine d’année, le visage et les jambes couverts de plaies à vif qui nous a hélés pour nous demander de l’argent. Nous étions en voiture et nous ne nous sommes pas arrêtés, mais son visage nous a impressionnés.

A Ankarimbahoaka, l’Eglise était pleine. Après la lecture de l’Evangile, une équipe FET (Mouvement eucharistique des jeunes) d’un petit hameau a joué l’annonce à Joseph dans l’Evangile de Matthieu. Cette équipe était animée par Philippine, 14 ans, qui venait de reprendre les études en 8ème, en espérant pouvoir devenir religieuse. Pendant le repas, son père, « Jean-Marie Vianney », catéchiste, a raconté sa libération de l’alcool il y a 3 ans et comment il avait aidé 7 personnes de sa famille habitant le même hameau que lui à se libérer aussi. Puis les chrétiens de la communauté d’Ankarimbahoaka ont formé 5 équipes pour visiter tous les hameaux dépendant de cette Eglise.

Dans le premier hameau que notre équipe a visité, il n’y avait aucune personne participant à la vie de l’Eglise. Toutes se disaient chrétiennes, catholiques, mais une partie d’entre elles n’avaient pas reçu le baptême. Leur joie à nous accueillir était impressionnante. Ils ont dit que les gens du hameau de Jean-Marie étaient venus quelques fois prier avec eux et qu’ils avaient apprécié. Quelques personnes s’étaient « cachées » dans leur maison pour ne pas avoir à nous rencontrer. J’ai pu dialoguer avec elles au moment où un membre de leur famille m’a invité à entrer pour bénir sa maison. En me voyant, celles qui s’étaient cachées semblaient à la fois surprises et heureuses.

Le 2ème hameau visité a été celui de Jean-Marie Vianney. 2 des 8 personnes ont témoigné de leur libération de l’alcool après avoir reçu le sacrement des malades lors d’une messe célébrée dans la maison de Jean-Marie.

Dans le 3ème hameau, au cours du partage après l’Evangile, j’ai évoqué le partage avec les personnes du hameau de Jean-Marie Vianney. Une dame d’une cinquantaine d’année a dit : « Père, moi aussi, je me suis libérée de l’alcool. J’ai fait partie des personnes (21) qui s’étaient avancées à la fin de la messe clôturant la mission à Tomboarivo au mois d’août. »

Puis nous avons été invités à visiter Jean-Didier, 28 ans, paralysé depuis 4 ans, qui, tout en disant sa souffrance, disait aussi sa joie et concluait, comme Marceline (cf. relecture réunion de catéchistes de novembre) : « ma force vient de Jésus ».

Dans le 4ème hameau, il s’agissait de donner le sacrement des malades et la communion à une dame très âgée, sourde et aveugle. Elle cherchait à retrouver sa boite de tabac pour chiquer et je n’arrivais pas à me faire entendre et à capter son attention. M’appuyant sur la foi de ceux qui demandaient pour elle et qui témoignaient de l’importance que ça avait pour elle jusque là, je lui ai donné le sacrement des malades sans qu’elle semble réaliser ce qui se passait. J’ai hésité à donner la communion, hurlant dans ses oreilles sans qu’elle ne semble comprendre, lui montrant le corps du Christ mais sans qu’elle ne puisse le voir, puis lui mettant l’hostie dans la bouche, et là, elle a exprimé un « amen », clair, fort, limpide, puis elle a prié à voix haute, tandis que tous se taisaient et écoutaient. J’ai commenté devant les gens présents, dont nombre d’enfants, la force de la foi de cette femme, comment quand tout semble lâcher dans ce corps vieilli, ce qui reste, c’est cette foi si forte.

Sur les 5 villages visités, 3 avaient des « Fiangonana Fototra » qui se réunissaient régulièrement et deux avaient une équipe FET. A chaque village, des gens se joignaient à nous pour aller visiter les suivants. Lors du dernier village, nous étions 100 personnes, adultes, jeunes, enfants, bébés portés par leur maman ou leur grand-frère, file multicolore et chantante serpentant en équilibre sur les petits murets séparant les rizières, spectacle féérique avec les diverses nuances de vert des rizières ensoleillées.

L’une des personnes de l’équipe a insisté pour que nous allions visiter son village et le village voisin. Pas besoin de préciser que Mathilde et Olivier, ce jeune couple français, et Evariste, le séminariste venu passer les fêtes de Noël, étaient bouleversés, et que le repas du soir a été animé.

La rencontre de Dada

Au retour, à pied dans Isaka, nous avons croisé ce même garçon défiguré par les plaies. Comme je demandais au « Mpiadidy », catéchiste responsable, qui il était, il a ri simplement en disant qu’il ne fallait pas se préoccuper, que c’était un fou, quelqu’un qui faisait des crises d’épilepsie et qui se blessait. Je n’ai pas su que faire, si ce n’est de le saluer.

Le dimanche soir, alors que nous avions fini de dîner, il est venu quêter au presbytère. Par chance, alors que nous n’avons pas de cuisine et que c’est une dame qui vient nous apporter le repas quand nous sommes là, il y avait un reste du dîner sur lequel il s’est jeté. L’odeur, la saleté, la détresse de cet enfant, étaient impressionnantes. En plus des problèmes d’épilepsie, il avait des séquelles d’hémiplégie gauche et de légers troubles d’équilibre. Nous avons réussi à parler un peu, bien que son malgache dialectal soit un peu compliqué à comprendre pour moi. Comme nous lui demandions son nom, il a répondu : « Dada » – « papa » en malgache. Du fait de sa maladie, du fait des préjugés sur les handicaps en général, particulièrement sur l’épilepsie, il était à la rue, abandonné par ses parents, rejeté par l’ensemble des villageois, y compris par les responsables chrétiens, même s’il obtenait un peu de quoi manger ici ou là.

Le lundi, nous avons été à Tomboarivo où j’ai assuré les confessions. Rentrés à Isaka, nous nous attendions à le voir frapper de nouveau à la porte du presbytère et nous avons mis du riz de côté. Cela n’a pas manqué. Voyant que la porte n’était pas grande ouverte alors que la fenêtre de la pièce où je me tenais l’étais, il a grimpé et est rentré par la fenêtre.

Le mardi soir, il est arrivé pendant le goûter pris avec les 3 séminaristes et le couple de coopérants français juste avant la messe de la nuit de Noël et il a partagé avec nous, nous étonnant par ses réflexions. Comme il nous voyait faire le signe de croix pour la prière avant de manger, il l’a imité avec quelques erreurs, avant de dire que des chrétiens le lui avaient appris. Puis il nous a quittés et nous avons partagé sur cette visite qui nous bousculait, surtout un soir de Noël. Mathilde disait qu’elle aurait aimé lui proposer de le laver, de lui laver son « lamba », couverture dans laquelle il s’enroulait, mais qu’elle n’avait pas osé. Puis la messe de la nuit a commencé, avec une merveilleuse veillée préparée par les gens du village, enchaînement de chants de Noël et de tableaux vivants des récits des deux premiers chapitres de l’Evangile de Luc. Olivier a vu une ombre se glisser : c’était Dada qui était entré et était monté suivre depuis la tribune.

Mercredi matin, jour de Noël, j’étais parti me préparer à célébrer devant la crèche, dans l’Eglise. A mon retour, j’ai trouvé Dada assis à la table, nous attendant. Nous avons pris le petit déjeuner avec lui. Mathilde lui donnait à manger. Petit à petit, son visage triste et fermé s’est ouvert et a été traversé d’un sourire, de regards extraordinaires pour Mathilde. Olivier et Mathilde assistés d’Evarista pour la traduction, ont entrepris de le laver, de laver ses vêtements. Ils se sont aperçus qu’il avait sa couverture, et, sous cette couverture un T-shirt en piteux état, mais rien d’autre, il était nu. Il s’est plaint d’avoir mal dormi dans la cour de l’église et nous avons réalisé qu’un soir de Noël, nous avions laissé un enfant même pas « emmailloté » et sans même une étable, dormir dehors à notre porte. Quand Mathilde a commencé à vouloir le laver, il était affolé par l’eau. Personne n’a du lui permettre de se laver depuis des années. Petit à petit, il a goûté à la joie d’être propre, d’avoir une « maman » qui prenait soin de lui. Repu, propre, il s’endormait sur place et Mathilde l’a couché, non sans mal, dans un lit. Il avait peur et n’était pas habitué. Elle a veillé sur lui pendant tout le début de la messe, nous rejoignant au moment de la prière eucharistique tandis qu’il dormait profondément.

L’homélie a consisté à partager les lumières méditées avant Noël puis à faire le récit ci-dessus, mettant en valeur là où il m’avait été donné de voir des bergers se déplacer pour voir Jésus et annoncer la Bonne Nouvelle (les missionnaires visitant les hameaux, l’équipe FET et sa responsable, Jean-Marie Vianney, Jean Didier, ceux qui avaient quitté la maladie de l’alcool, cette vieille femme sourde et aveugle et accueillant le Christ,…) et comment nous étions aussi comme les aubergistes de Bethléem, incapables de voir le Christ présent au milieu de nous aujourd’hui, en particulier sous les traits de Dada.

Au fur et à mesure du récit, j’ai invité ceux qui n’avaient pas participé à la mission ou qui n’avaient pas fondé de « Fiangonana Fototra » ou d’équipe FET de hameau, où qui étaient encore dans l’alcool, à oser se joindre aux « bergers » qui s’étaient déjà mis en route.

J’avais dit au séminariste d’essayer de voir s’il arrivait à dialoguer avec Dada et s’il aurait souhaité recevoir le baptême et la communion au cours de la messe, lui donnant d’intégrer la communauté et comptant sur cette capacité étonnante des personnes ayant un handicap de comprendre Dieu, de l’accueillir et de l’annoncer. Mais Dada dormait. J’ai cependant partagé avec la communauté ce souhait.

A midi, Olivier et Mathilde ont été le réveiller, et il a partagé notre repas. Il était au centre du partage, heureux, nous étonnant par ses réparties. Nous ne pouvions espérer une plus belle fête de Noël. Il a eu des besoins naturels, et Olivier et Mathilde ont découvert qu’il ne savait pas s’accroupir et se soulageait debout, comme les vaches, se salissant de nouveau.

Olivier, Mathilde et les séminaristes sont rentrés à Fianarantsoa. Dada a passé une partie de l’après-midi à dormir puis est parti se promener dans le village. Edmond, 31 ans, en recherche de vocation, professeur au collège d’Isaka, est venu partager, bousculé par l’homélie et le récit de toutes ces rencontres. A 18h, Dada nous a rejoints. Il a voulu finir le riz dans la gamelle du chat et Edmond lui a demandé d’attendre l’heure du repas. Alors il a voulu monter se coucher, mais nous lui avons demandé d’attendre le repas qui n’allait pas tarder et l’avons assuré qu’il pourrait passer la nuit dans un lit ensuite.

Mr Edmond a entrepris de lui expliquer le baptême et Dada a dit son désir de le recevoir. Il a essayé de lui apprendre le Notre Père. Des enfants s’étaient massés devant la fenêtre et regardaient, interloqués de voir celui qui était considéré comme « le fou du village », être à la table du presbytère et partager avec nous.

Il se trouve qu’en malgache, le verbe se met en premier et le sujet arrive en dernier. Le début du Notre Père s’est bien passé, puis Edmond est arrivé à la phrase « que ton règne vienne » (« vienne le règne de toi », en malgache).

Il a commencé  à dire « Vienne… », et Dada ne lui a pas laissé pas le temps de compléter la phrase, enchainant bien fort : « …le repas ». Eclat de rire moqueur des enfants à la fenêtre, occasion de réfléchir avec eux.

Mr Edmond a témoigné de combien les handicapés étaient considérés comme des non-humains et comment l’accueil vécu au presbytère, l’homélie, avait touché profondément les gens. J’ai essayé de le provoquer à réfléchir avec les chrétiens sur la suite à donner. Vue l’incapacité de Dada d’assumer ses besoins naturels dans une maison, après avoir essayé de lui apprendre l’usage des cabinets, j’ai partagé sa chambre pour veiller au grain pendant la nuit. Peine perdue : au matin, le lit était trempé, Dada avait retrouvé son odeur nauséabonde. Le matin, au petit déjeuner, il ramassait le moindre grain de riz qui tombait et a terminé en léchant son assiette. Il fallait que « rien ne se perde ».

Edmond est repassé. Je pensais qu’il venait discuter de vocation, mais il venait demander que je lui donne de l’argent pour manger, disant n’avoir plus rien, bien qu’il soit professeur de la paroisse. Combien sont venus demander une aide ces derniers jours, sans qu’il ne soit possible, ni souhaitable dans un certain nombre de cas, de répondre.

Si Dada a dormi dans un lit au presbytère le soir de Noël, comme nous changeons sans cesse de village et de lieu de domicile, il a du repartir à la rue le lendemain, quand je suis parti à Befeta visiter une « Fiangonana Fototra », célébrer l’eucharistie sur la place du hameau, dormir chez les gens. Il s’agit de la « Fiangonana Fototra » fondée par Marie Ndrasana dont j’ai parlé dans un courrier précédent.

Que faire pour Dada ? Il y aurait l’hypothèse d’emmener Dada à Fianarantsoa dans un orphelinat. Pour le moment, je préfère provoquer les chrétiens d’Isaka à réfléchir ensemble comment accueillir Dada, comment permettre au plus pauvre de se trouver au centre de la communauté jusqu’à recevoir aussi les sacrements. Ça ne sera pas simple. Le matin, avant que je ne parte pour Befeta, il a demandé à aller se coucher dans le lit… mais j’avais déjà lavé le matelas, le drap, la couverture et ne voulait pas le laisser salir un autre lit. Il est sorti et s’est allongé les fesses à l’air au pied de la croix de la mission, en plein soleil… Finalement, j’ai trouvé une natte et il a dormi par terre dans la pièce d’accueil.

Visite de la « Fiangonana Fototra » de Soanitavanana

Le dimanche 22 octobre (voir texte « Le paradoxe de Madagascar, relecture des rencontre des catéchistes de novembre »), en visitant le hameau de Simonet et Marie qui venait de jouer l’Evangile du jour, j’avais promis de revenir, participer à la prière de la « Fiangonana Fototra », célébrer la messe sur la place du hameau et dormir chez eux. Quelques jours avant ma venue fixée au jeudi 26 décembre, Marie m’a dit que ce n’était pas possible de célébrer la messe parce qu’ils n’avaient pas réussi à trouver quelqu’un qui ait une table et une nappe pour faire l’autel. Finalement, j’ai célébré en ce lendemain de Noël, tout le monde étant assis sur les nattes qui avaient été dépliées dehors. L’équipe FET a fait un théâtre d’Evangile et tout le monde était là, y compris une famille qui s’était coupée des autres, y compris une dizaine de protestants qui participent habituellement à la prière de la « Fiangonana Fototra ». Au cours de la messe, une personne atteinte depuis peu d’une hémiplégie, un enfant couvert de pustules sans avoir vu de médecin, 2 personnes souhaitant se libérer de l’alcool et quelques autres qui se sont jointes, ont reçu le sacrement des malades.

J’avais insisté pour être reçu comme quelqu’un de la famille, sans repas spécial, sans poulet donné traditionnellement à l’hôte de passage tandis que les autres n’en mangent pas, et j’avais demandé à ce que femmes et enfants participent au repas, ce qui est la coutume dans la famille, mais pas quand on accueille un hôte.

Après le repas, est venue l’heure de dormir et j’avais insisté pour être avec la famille et pas seul dans une pièce. Nous étions une dizaine au premier étage de la maison de Marie. Après la prière des Complies animée par Simonet et Marie, Marie a attribué à chacun sa place sur la natte. Avec la venue de la nuit, les murs et la natte étaient couvertes de puces, cafards, punaises, fourmis, mouches, moustiques, sans oublier les rats qui ont travaillé toute la nuit. Chacun se grattait à qui mieux-mieux et, au bout d’un moment, ne pouvant dormir, ils ont demandé à ce que je montre les photos sur l’ordinateur que j’avais sur moi. Contraste étonnant dans cette maison très pauvre, sans aucun meuble, que d’être tous en trains de regarder les photos et le film de la mission d’août. Quand il n’y a plus eu de batterie, ils se sont mis à chanter des cantiques jusqu’à ce que le sommeil soit plus fort que le désagrément provoqué par nos compagnons. Il était déjà 2h du matin. C’était eux qui commentaient la présence de nos compagnons et je n’avais pas apporté d’insecticide de peur de les vexer. Comme je le leur disais, ils m’ont dit que j’aurais mieux fait de l’apporter et que c’était comme ça chaque nuit. Les enfants qui étaient à côté de moi, instinctivement dans leur sommeil, se sont approchés, blottis contre moi. A part le désagrément difficile à supporter de ces multiples bestioles courant sur tout mon corps, piquant, grattant, quelle joie d’être là avec les plus pauvres, même pas sur la paille, pour reprendre une expression du Père Chevrier.

Le lendemain, Marie et Simonet m’ont dit combien cette visite avait été source de réconciliations dans le village. Marie se pose la question d’être laïque consacrée restant à habiter dans le village et Simonet est aspirante chez les Sœurs de St Paul parce qu’elle « veut donner sa vie aux pauvres ».

Le partage avec les séminaristes et les jeunes en recherche de vocation

Tout au long de ces jours, divers jeunes ayant peu étudié sont venus dire un désir d’être prêtre ou religieuses. J’ai fini par proposer un temps de récollection du jeudi 2 au dimanche 5 janvier au presbytère d’Isaka. Ils sont une petite dizaine à s’être annoncés. Pour plusieurs, il n’y a pas de perspective d’entrée dans une congrégation religieuse à vue humaine, mais j’aimerais au moins leur permettre que l’appel qu’ils ont reçu soit entendu et qu’ils puissent chercher comment y répondre, en fondant une famille ou comme laïc(que) consacré(e). J’espère aussi permettre à l’une ou l’autre de suivre le chemin de Florentine qui a rejoint les Sœurs du Prado pour une première étape alors qu’elle n’a étudié que jusqu’en 6ème.

Au moment de partir, les séminaristes ont dit à quel point ils étaient bouleversés par leur passage ici, par les « Fiangonana Fototra », les théâtres d’Evangile, la mission, les témoignages des gens rencontrés, et évidemment par le partage avec Dada.

Je n’imaginais pas me retrouver un jour dans une situation si proche de celle dans laquelle le Père Chevrier a vécu.

Il y a aussi des expressions du Pape François que l’on trouve dans de nombreux discours et qui sont reprises dans son Exhortation Apostolique « La joie de l’Evangile », qui résonnent avec une force impressionnante ici, comme l’appel à sortir, l’appel à toucher les plaies du Christ, à porter l’odeur des brebis, sa manière de faire résonner le cri des pauvres.

Je demande à Dieu, pour moi, pour nous, de faire de nous des bergers qui entendent, qui se lèvent et se déplacent, qui voient et croient, qui répandent la Bonne Nouvelle, plutôt que des aubergistes empêchant le pauvre d’entrer parce qu’il n’y pas de place pour lui et ne percevant pas la présence étonnante du Christ.

Père Bruno Cadart, 25 décembre 2013

P.S. : On pourra voir des photos sur ma page facebook : https://www.facebook.com/bruno.cadart.7

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