Lancement des théâtres d’Evangile, des « missions, de la sensibilisation par rapport à l’alcool (4 juillet 2011)

Note: Vous trouverez des illustrations en photo et en vidéo de ce courrier et des autres courriers.

Chers amis,

La fête de la Pentecôte, du moins à partir du mardi de Pentecôte, a été marquée par de nouvelles perspectives pour vivre la mission ici.

Vous trouverez aussi, en lisant le bulletin d’information des échos de la deuxième partie de ma mission au service du Prado (sur le blog du Prado de Madagascar. Le fait qu’il y ait quelqu’un avec un temps consacré à ce service permet au Prado de se structurer plus, ce qui n’est pas un but en soi, le but étant que des prêtres puissent se soutenir et s’aider à suivre Jésus Christ de plus près pour que les pauvres le connaissent.

1. Un peuple qui souffre au-delà de l’imaginable et qui s’enfonce dans la pauvreté économique et surtout morale.

A Pâques, j’évoquais les multiples souffrances du peuple de Madagascar sans en dire plus. En voilà des échos plus précis. Depuis le dernier coup d’état en février 2009, pour renverser un président (Marc Ravalomana) qui, comme les précédents, s’enrichissait personnellement au lieu de servir le pays, Madagascar est gouverné par une « Haute Autorité de Transition » présidée par Andry Rajoelina. Il a promis de ne pas se présenter aux prochaines élections présidentielles dont on ne sait quand elles auront lieu mais il a déjà commencé à faire campagne. Les conférences se succèdent pour trouver une issue à la crise, soit nationales, soit à l’étranger sous l’égide de pays africains, sans aboutir à une véritable « transition transparente et inclusive » et tandis que les politiques passent des heures à mettre au point une « feuille de route » et à s’enrichir, le pays plonge au niveau économique et moral. Les commentaires du journal « Lakroa » (prononcez comme le journal « La Croix » en France), le journal catholique de Madagascar, sont bien plus critiques que ce que j’écris ci-dessus.

Quand le PNB de l’ensemble de l’Afrique a augmenté de 4 ou 5 % en un an (source Radio France Internationale, je ne sais plus le chiffre exact), à Madagascar, il a chuté de 1,9 %.

Au moment où je boucle ce courrier, je tombe sur un des derniers numéros du journal « Madagascar Tribune » daté du 27 juin qui titre en première page : « Les malgaches sont plus que pauvres ». En voici quelques extraits : « A Madagascar, la pauvreté touche 76,5% de la population en 2010. Etre pauvre, c’est vivre avec moins de 468 800 Ariary par an, soit 167 € par an, soit 0,46 € par jour et par personne. La déperdition scolaire qui touche les enfants constitue la principale conséquence (et cause, ajout personnel) de cette pauvreté. Le taux d’enfants non scolarisés de 6 à 10 ans a augmenté de 53,3% entre l’année scolaire 2008/2009 et l’année 2009/2010. La réduction de 30% du budget santé due à la suspension des aides internationales a entraîné la fermeture en janvier 2011 de 214 centres de santé (je ne sais dire si c’est au niveau de la région d’Analamanga dont il est question ailleurs dans l’article ou plus largement). Une enquête nutritionnelle réalisée au niveau de trois districts de la région d’Atsimo Andrefana a fait état d’un taux de malnutrition aiguë globale de 7,4%. En se référant à la situation de Vangaindrano, le passage du cyclone Hubert en mars 2010 a détruit les deux-tiers de la production agricole. Les ménages ont ainsi réduit leur consommation de riz à 5,2 jours par semaine (note : dans la région où je suis, la terre produit bien et on ne doit pas observer ces chiffres). Dans le grand sud de Madagascar marqué par la sécheresse, la situation est encore moins favorable : un ménage sur trois gagne moins de 17,8 € par mois (0,6 € par ménage et par jour). » Je ne sais quelle est la source de ce journal qui est plus pessimiste que les chiffres que vous trouverez ci-après, et sachant que les évaluations statistiques sont elles-mêmes peu fiables, mais cela dit quelque chose de la réalite et de son aggravation. Dans le Journal La Croix du 28 juin, le Père Pedro dit : « Aujourd’hui, plus de 80 % de la population malgache vit avec moins d’un dollar par jour (0,69 €) ! »

Le partage des événements dans notre équipe Prado est souvent un moment douloureux et dans ce qui a été évoqué en mars et avril et que je peux partager, il a été question des événements suivants :

–     D’abord, des nouvelles de Delphin, membre de notre équipe soigné de manière aberrante sans respect d’aucune règle d’asepsie à l’hôpital de Fianarantsoa pour une rupture partielle du tendon d’Achille et dont la plaie n’en finissait de s’agrandir en largeur et en profondeur (fin juin, donc 5 mois et demi après la première intervention chirurgicale, et après avoir été à Antananarivo, il revient pas complètement guéri mais en voie de l’être).

–     Dans la paroisse d’un des membres, les habitants d’un village ont décidé l’exécution d’une famille de 9 membres jugés malfaisants. Lors de notre dernière réunion, 7 des 9 membres avaient effectivement été exécutés avec une violence inimaginable.

–     Dans la paroisse d’un autre membre, c’est la police qui a exécuté publiquement et sans jugement des « dahalos » (voleurs) attachés à un poteau au cours d’un match de foot.

–     Il y a aussi une multiplication des « vols d’ossements humains » dans les tombeaux sans que l’on n’en sache vraiment la raison. On parle d’un traffic international. Par moments, ce sont les chinois qui sont incriminés. A d’autres moments, on dit que c’est pour faire des cosmétiques en Europe. « On », ce n’est pas seulement les gens la rue, ce sont les prêtres, les évêques. Je n’arrive pas à croire que des européens utilisent des os humains pour faire des cosmétiques quand les os animaux ont la même structure biologique. L’évêque de Fianarantsoa, Mgr Fulgence Rabemahafaly, s’inquiète de la perte du sens du sacré que traduisent ces vols dans un pays qui accorde une grande importance au respect de la dépouille humaine.

–     Un autre, évoque la situation du séminaire interdiocésain pour les 9 diocèses du tiers sud de Madagascar : le recteur a dû être suspendu pour détournement de fonds très important et le séminaire n’a plus de quoi assurer les dépenses du troisième trimestre (nourriture, salaires des employés, etc.) Il y a 123 Séminaristes. A la rentrée des vacances de Pâques, il a été annoncé que le recteur ne reviendrait pas, mais la raison n’a pas été donnée. Dans la culture malgache, il est quasi-impossible de dire quelque chose de négatif de ou à quelqu’un, même si c’est la réalité ; « toute vérité n’est pas bonne à dire », entend-t-on souvent. Résultat : les séminaristes ne comprennent pas ce qu’il se passe et j’ai été marqué par le trouble de l’un d’entre eux faute d’explication claire. C’est la porte ouverte à toutes les rumeurs.

Dans le district de Befeta qui comprend 4 communes rurales (Befeta, Ikalalao, Isaka et Tomboarivo), 33 fiangonana catholiques (églises où se retrouvent des gens venant de plusieurs hameaux) et qui fait 70 km sur 25 km (environs) et où il y aurait 43 746 habitants (statistiques élaborées par les catéchistes des différentes fiangonana), dans la même période de mars et avril :

–     un père a décapité sa fille ;

–     des « dahalos » ont tué 2 personnes ;

–     un taxi-brousse roulant à 3 km/h a eu un accident ; bilan : 2 ou 3 morts suivant les versions et une dizaine de blessés. Un pont de bois a cédé sous le poids du camion surchargé de sacs de riz et transportant en plus une vingtaine de personnes. Il s’est renversé et les personnes ont été écrasées sous les sacs. C’est le deuxième accident de ce type en quelques mois, le précédent ayant fait 9 blessés.

–     7 personnes sont mortes par overdose d’alcool en un mois pour le seul centre d’Isaka (une des 4 communes rurales de notre paroisse).

Tous ces faits ne sont pas isolés. Ils se multiplient dans tout le pays où il n’y a pas de justice digne de ce nom tellement elle est corrompue. La gendarmerie est officiellement considérée comme le corps d’état le plus corrompu et l’évêque expliquait l’autre jour comment, à l’école, des professeurs se faisaient payer pour donner de bonnes notes.

Une affaire a aussi beaucoup marqué le climat de ce temps de Pâques : on a trouvé, dans la cour de la maison de 2 anciens prêtres ayant quitté le ministère il y a une vingtaine d’année, les ossements de 2 ou 3 victimes. L’enquête a montré qu’il s’agissait d’un réseau et elle a été supendée, selon un évêque, quand les enquêteurs ont vu que le Préfet de région était impliqué. Les rumeurs les plus diverses circulent. Comme l’une des personnes incriminées est responsable d’un orphelinat, on dit que des dizaines d’enfants auraient disparu et que les personnes incriminées auraient reconnu qu’il s’agissait d’un trafic d’organes. Mais comment organiser un trafic d’organes dans un pays qui n’a pas la structure médicale pour prélever des organes et les transplanter ? Comment faire le tri entre le fait réel et la rumeur ?

Dans les dernières réunions des prêtres à Fianarantsoa, il a été question à chaque fois d’élèves du lycée de Fianarantsoa qui en envoutent d’autres et feraient de l’exploitation sexuelle des victimes. Comme ils avaient été mis en prison, sous pression d’une personne riche de Fianarantsoa, le premier ministre serait intervenu auprès du ministre de la justice pour qu’ils soient libérés. Quelqu’un est alors intervenu pour empêcher cette libération.

Ce ne sont que quelques échos parmi bien d’autres.

Pour autant, dans le vécu au quotidien, je ne ressens pas cette violence et suis surtout marqué par la grande gentillesse des gens. Je n’ai jamais éprouvé de sentiment de peur, à part en taxi-brousse ou en moto et en vélo, ou même à pied quand il faut traverser une rivière sur un tronc d’arbre ou que je tombe dans l’obscurité dans un escalier…

Pour ceux qui ne le savent pas, j’ai fait une chute le 6 février en heurtant un talus tête la première à 50 km/h. Après un moment d’inconscience sans doute très bref, quand j’ai repris conscience, le casque n’était plus sur ma tête mais à côté de moi, coupé en deux. Je m’en tire sans fracture mais avec des douleurs cervicales et dorsales qui persistent 5 mois après, sans que je ne souffre le martyre pour autant ! Je ferai un bilan médical lors de mon passage en France.

2. La relation « vazaha (étranger blanc) – malgache », une relation complexe

A Pâques, j’écrivais :

Ce qui m’est vraiment le plus difficile, c’est la complexité pour décrypter ce que l’autre pense, ressent, le mélange d’accueil très fraternel et de blessures liées à l’histoire de la colonisation avec les vingt ans de « pacification » (1895-1913), les évènements de 1947 (les français ont massacré entre 30 000 et 100 000 malgaches suivant les estimations quand Madagascar avait une population de 4,5 Millions d’habitants), les travaux forcés auxquels les français astreignaient les malgaches sous peine de mort pour celui qui s’y soustrayait pour construire les infrastructures du pays (ligne de chemin de fer comme celle qui relie Fianarantsoa à la Côte, axes routiers,…) autant d’événements qui restent très présents dans le cœur des malgaches, sans compter leur souffrance de voir leur pays plonger sans pouvoir mettre tout sur le compte de la colonisation.

Quand je crois qu’un rapport de confiance a pu naître, je découvre que c’est plus complexe. Je garde cette réflexion d’un prêtre français arrivé depuis longtemps à Madagascar : « ici, nous apprenons l’humilité, la patience ». J’aimerais l’apprendre vraiment…

Avant d’évoquer les difficultés, je redis ma joie d’être ici et combien, de manière générale je me sens accueilli, combien je suis touché par les multiples marques d’attention fraternelle, de Wilson et Gervais (vicaire général du diocèse et responsable du Prado de Madagascar) en particulier, et des autres prêtres.

Cependant, une religieuse vazaha disait combien il lui était difficile de voir ses sœurs, par moment, se fermer totalement et l’exclure de tous leurs échanges. Un prêtre vazaha à Madagascar depuis 30 ans disait qu’à un moment, les malgaches de sa communauté de religieux se réunissaient entre eux, sans les « vazaha ». A la réflexion je pense que cela a dû arriver dans les années 1972. Il a rajouté que cette « exclusion » ne caractérise pas seulement la relation « vazaha / malgaches », mais que les prêtres n’hésitaient pas à parler tout un repas en Betsileo (dialecte de Fianarantsoa) à la table de l’évêque précédent qui était Merina (région de Antananarivo) pour qu’il ne comprenne pas.

Si les marques d’attention à mon égard sont multiples et extraordinaires, il arrive que je fasse cette expérience d’être tout d’un coup « mis de côté », du moins, c’est comme ça que je le ressens, et je peux me tromper car il est toujours difficile d’interpréter dans une culture qui n’est pas la sienne. Par exemple, un jour, un prêtre, à table, me pose une question. Je commence à répondre et puis je questionne aussi. Sans doute n’ai-je pas posé la bonne question d’autant que le sujet dont nous parlions était douloureux, et la conversation se poursuit toute en malgache sans qu’on ne me réponde et qu’on ne m’adresse plus la parole.

Le rapport à « la vérité » est aussi difficile pour moi. Au lieu de dire : « je n’irai pas à telle rencontre », tel prêtre peut promettre d’y être et de nous y emmener tout en s’empressant de couper son téléphone et en ne répondant pas quand on l’appelle sous la fenêtre de sa chambre pour dire ensuite qu’il s’est endormi et n’a rien entendu avant de reconnaître « par accident », des jours plus tard, ce qu’il a effectivement fait. Mais, dire « non, je n’ai pas envie d’y aller », n’est pas possible dans la culture malgache.

Les malgaches ont un sens du sacré de la rencontre : alors, si quelqu’un arrive, demande quelque chose, est là, cela devient plus important que tous les programme élaborés par avance. Cette attention à celui qui arrive est belle mais pas toujours facile à vivre, et n’est pas fortement respectueuse des autres qui attendent.

Le plus difficile, c’est cette parole décalée par rapport à la réalité qui fait que l’on n’arrive pas toujours à faire confiance à la parole de l’autre. La parole est décalée aussi parce que les malgaches essayent de dire à l’autre ce qu’ils pensent que l’autre attend qu’on lui dise et non pas ce que eux, malgaches, pensent vraiment. Les mimiques n’ont pas le même sens que pour nous. Ainsi, si un malgache est gêné ou blessé, par exemple parce que vous lui faites des reproches, il va se mettre à vous sourire et vous pouvez penser qu’il se moque de vous, ce qui n’est pas le cas.

Avec Wilson, avec qui nous vivons de merveilleux moments de partage sur la mission, autour de l’Evangile aussi, à la Pentecôte, toutes les difficultés évoquées ci-dessus se sont additionnées, mais cela a débouché sur un merveilleux partage fraternel, de réconciliation vécue dans la prière et en s’entrechoquant les fronts, comme le font des frères malgaches qui se retrouvent.

La situation cette fois-là avait été vraiment difficile, mais je fais sans cesse l’expérience paradoxale que, plus ce que j’ai à vivre est apparemment difficile, plus c’est facile de redire le « oui » au Christ, de ne pas exploser, de trouver le chemin vers la vie. En effet, la difficulté ramène à l’essentiel et la grâce de Dieu fait le reste.

C’est vraiment une richesse que d’apprendre petit à petit à se comprendre dans des cultures différentes et avec cet engagement résolu de l’un et de l’autre à chercher la fraternité vraie qui passe aussi par des moments d’incompréhension et d’explication. C’est aussi la grâce de pouvoir tous les deux chercher cette fraternité en nous appuyant sur l’appel du Christ que nous avons en commun.

3. Retraite de Première Communion (26 au 28 mai) et congrès du F.E.T. (10 au 12 juin) sans Evangile à Ikalalao

3.1 Une manière de vivre la pastorale où la proposition de la lecture de l’Evangile est absente qui me déroute

Si je suis toujours aussi impressionné par la foi des gens, par les chants, par l’engagement des prêtres, religieuses, catéchistes, plus je comprends la langue, plus je suis en difficultés devant la manière de faire où la méditation de l’Evangile est absente, à part pendant la messe ou à travers les nombreux très beaux chants inspirés des psaumes, de l’Evangile ou d’autres textes de la Bible. Le contenu de ce qui est transmis ressemble à ce qui se faisait en France avant le Concile à la différence que l’Eglise à Madagascar n’a pas attendu le Concile pour que les laïcs soient la pierre d’angle de l’Eglise, en dehors de l’unique pierre d’angle qu’est le Christ. A vrai dire, les laïcs en France n’ont pas attendu le Concile pour être aussi pierre d’angle de l’Eglise de France dans de nombreux lieux.

En effet, à Madagascar, ce sont les laïcs qui, sans prêtres, pendant la période de persécution, ont assuré la croissance de l’Eglise malgache à la fin du 19ème siècle, et ce sont eux qui animent les fiangonana que le prêtre visite quand il peut, tous les 2 ou 3 mois. Pour mémoire, l’Eglise de Madagascar est encore une très jeune Eglise et l’on va fêter ses 140 ans à Fianarantsoa, bien des lieux n’ayant pas encore eu de « première évangélisation ».

Il m’est arrivé une fois de m’émerveiller devant la qualité des intentions du missel utilisé par les prêtres pendant le carême et le temps pascal, toutes construites à partir de l’Evangile du jour et de suggérer que l’on propose aux catéchistes d’utiliser ces intentions plutôt que celles du livre qu’ils utilisent. Le ton de la réponse m’a fait ne plus oser faire de proposition. Je touchais du doigt là aussi la complexité de cette relation « vazaha-malgache ».

Le travail en paroisse rurale continuait cependant à me rendre heureux et m’aidait à apprendre la langue, à connaître la vie des gens, à pouvoir accompagner le Prado et aider le Conseil National à soutenir la vie des pradosiens. Cette mission me donnait une vie de prière où la contemplation venait spontanément devant tous ces visages, d’adultes, d’enfants et ces paysages extraordinaires traversés à pied, en vélo. Par ailleurs, il me permettait d’être disponible et depuis mon arrivée, j’ai eu la joie de prêcher diverses récollections. Même si je souffrais de la difficulté de la langue, de l’impossibilité de faire des propositions, j’étais très heureux de cette vie « monastique » au milieu des plus pauvres et avec Wilson avec qui, au-delà des difficultés inévitables, se vit une vraie fraternité.

3.2 La retraite de Première Communion à Ikalalao (27 au 29 mai)

Fin mai, lors de la retraite de Première Communion à Ikalalao, avec Sœur Jeanne d’Arc, il y avait 170 enfants et tout a été animé en grands groupes : succession de conférences, de répétitions de chants ou de danses, de chapelets. A aucun moment il n’y a eu de lecture d’un Evangile, ni de réflexion par groupes alors qu’il y avait un certain nombre de catéchistes.

Le livre de catéchisme que j’ai pu apercevoir, daté des années 1980, est sous forme de questions réponses comme autrefois en France. Le troisième chapitre est sur l’existence des anges et Jésus arrive loin après. A la retraite de Première Communion, quand j’ai questionné, je me suis rendu compte qu’aucun des catéchistes présents, à part le mpiadidy (catéchiste responsable d’un ensemble de fiangonana), n’avait d’Evangile chez lui. Quand les enfants attendaient pour la confession, bien qu’ils soient en silence et respectueux, une catéchiste est venue nerveusement croiser les bras d’un enfant qui ne les croisait pas. Un autre traîne un enfant en lui tirant l’oreille pendant qu’un troisième menace avec un baton, même s’il ne tapera pas.

Cela ne veut pas dire que ces catéchistes n’aiment pas ces enfants, mais c’est la manière dont eux-mêmes ont été formés et ils y mettent tout leur cœur. Mais, pour moi, cela est difficile et je me réjouis de ne pas savoir parler malgache pour ne pas avoir à faire passer les examens de catéchisme avant la Première Communion et avant la confirmation.

Le dimanche matin, alors que l’Eglise de Madagascar n’arrête pas d’alerter sur la déforestation et organise des opérations de plantation d’arbres, le Mpiadidy demande aux enfants de nettoyer la cour devant la mission pour que ça soit propre pour la messe : volée de moineaux immédiate et les 170 enfants vont arracher des branches, des arbustes pour s’en servir de balais… A la Pentecôte, au même endroit, ils seront 250 à se précipiter. Juste derrière l’église, 6 arbres encore sur pied sont gravement entaillés sur deux mètres de haut à hauteur d’homme sans être complètement abattus, même si l’un des sapins qui est très haut a commencé à tomber et reste appuyé sur l’arbre voisin : il ne reste que le centre du tron d’un diamètre de 10 cm quand l’arbre en faisait 50 cm. C’est pour faire du « Kitay » (prononcer kitail), morceaux de bois encore vivant et plein de sève qui forment un merveilleux combustible.

3.3 Le congrès paroissial du F.E.T. (équivalent du Mouvement Eucharistique des Jeunes en France) à Ikalalao lors du week-end de Pentecôte (10 au 12 juin)

Lors du week-end de Pentecôte, j’ai assuré la présence du prêtre au « Congrès annuel du F.E.T.  de la paroisse », Mouvement Eucharistique des Jeunes de Madagascar. Comme à la retraite de Première Communion, même gentillesse extraordinaire des enfants et jeunes, même foi impressionnante, même dévouement des accompagnateurs, mais même animation en grand groupe sans temps d’Evangile, sans travail de groupe, sans appel à la réflexion personnelle, à part la demande que je fais à chaque messe que quelques personnes disent la « Parole de vie » après la proclamation de l’Evangile.

Au congrès Il n’y avait « que » 250 jeunes de 8 à 16 ans, dont certains, à 8 ans, avaient fait 50 km à pied pour venir. Sœur Emilienne était très déçue car, une autre année, il y avait 800 jeunes.

Quand j’ai questionné, et je l’ai vérifié dans toutes les communautés visitées ensuite, les jeunes se disent du F.E.T., mais aucun ne fait partie de petite équipe et le F.E.T. se réduit à quelques animations avant la messe dans les communautés par la sœur quand elle est là et, quand l’animateur crie « Irak’i Kristy » (envoyé du Christ), à répondre d’un seul cœur d’une manière un peu « martiale » en se levant et en tendant le point en avant « Idreto zahay » (nous voici) ; puis l’animateur enchaîne :

–     « Vonona ve (êtes-vous prêts ?)

+ Mandrakariva (toujours) !

–     Votre Père ?

+ Dieu !

–     Votre mère ?

+ Sainte Marie !

–     Votre frère aîné ?

+ Jésus !

–     Votre mission ?

+ Aimer Dieu, aimer le prochain, aimer le pays !

–     Vos exercices ?

+ Prier, recevoir Jésus, nous offrir pour être apôtres. »

A la messe de Pentecôte, plusieurs d’entre eux devaient franchir une étape (un peu comme les promesses scouts) et je devais recevoir leur engagement. Aussi, le samedi, j’ai du lire le livre du F.E.T., 1er livre en malgache que j’ai essayé de lire en dehors de la Bible que je comprends en connaissant déjà le texte en français. J’ai eu la joie de comprendre à peu près de quoi parlait le manuel du F.E.T. J’ai vu en particulier qu’à chaque étape, comme deuxième ou troisième exigence, le jeune s’engageait à lire l’Evangile. Or aucun des enfants ne l’a, il n’est pas lu lors du congrès et les équipes ne se réunissent pas…

Bien que je m’étais promis de ne plus rien dire ou proposer pour ne pas blesser et parce que rien ne semblait pouvoir être reçu, ou que je ne savais pas m’y prendre pour proposer, le samedi soir, je fais part à Sœur Emilienne de mes questions et suggère qu’une autre année, on divise les 250 jeunes en groupes de 50, eux-mêmes divisés en équipe de 12, et que chaque équipe prépare une proclamation sous forme de théâtre de l’Evangile qu’elle présentera dans le sous-groupe pour que tous puissent s’exprimer, que l’Evangile soit effectivement présent, qu’il y ait un côté ludique et créatif, qu’ils ne passent pas leur temps à écouter ou répéter la parole de l’adulte, qu’on leur demande alors la « Parole de vie » et qu’on les aide à trouver des lumières dans l’Evangile pour leur vie.

Je suggère que les enfants soient appelés à se mettre en équipes de 12 dans les fiangonana en appelant un plus vieux pour les aider et qu’ils se retrouvent toutes les semaines pour faire ce même travail : préparer un Evangile sous forme de théâtre, le présenter aux autres équipes, faire un cahier d’équipe où l’on note la date, le nom de ceux qui sont présents à la rencontre, les « Paroles de vie » et les lumières, les actions menées.

Sœur Emilienne est intéressée et, dès le lendemain, à la fin de la messe d’envoi du congrès, messe de Pentecôte de la communauté d’Ikalalao, elle donne rendez-vous aux enfants pour le congrès qui aura lieu l’an prochain à Befeta et les prévient que chaque équipe devra venir en ayant préparé un théâtre sur l’Evangile.

4. Mardi 14 et mercredi 15 juin :

Tournée à Tomboarivo et première réalisation de théâtre d’Evangile

Le mardi de Pentecôte, rempli de la joie du partage avec Wilson (cf. ci-dessus), nous partons chacun de notre côté en tournée pour deux jours dans les fiangonana de Tomboarivo. La personne qui devait m’accueillir n’est pas là, mais je pense être capable de retrouver le sentier jusqu’à la première fiangonana à une dizaine de kilomètres. Une jeune de 13 ans, à qui je demande le chemin pour vérifier que je ne fais pas fausse route, court chez elle pour prévenir sa famille et me rejoint en courant en insistant pour m’accompagner alors qu’il reste 6 ou 7 km. J’ai refusé, mais j’ai été émerveillé par son attention.

Lors de l’homélie à la messe de la Fiangonana, je demande qui était au congrès ? Personne. Je demande qui est au F.E.T. ? Plus de 50 doigts se lèvent. Je lance le cri « Iraik’i Kristy ! » Tous se lèvent et crient « Idreto zahay ». Je demande s’ils se sont réunis pendant l’année ? Jamais. Alors je leur fait part du projet et demande aux enfants et à quelques adultes de rester après la messe pour expliquer mieux le projet.

Après le repas, comme c’est la fête du « Vokatra » (denier), des enfants et des adolescents dansent et font un hommage au prêtre, aux catéchistes. Quand la fête s’arrête, une dame me dit : « Père, comme vous ne partez pas et que vous couchez là ce soir, il faudrait que vous commenciez tout de suite le travail avec les enfants et elle appelle les enfants à venir me rejoindre. Et voilà 3 équipes qui commencent à s’organiser et à mettre chacune en scène la rencontre de Jésus avec l’aveugle Bartimée. Le résultat est pauvre. Ils ont un mal fou à lire, à parler, ils n’ont jamais fait ça, mais ils sont heureux. Ensuite nous nous retrouvons pour partager la « Parole de vie » et je demande :

Dans votre fiangonana, il y a des « Bartimée », des gens qui se retrouvent exclus au bord de la route ?

–     Non, tout le monde est intégré.

–     Tout le monde va à l’école ?

–     Non (Je ne serais pas étonné si une enquête montrait que 50 % des enfants dans ces villages ne sont pas scolarisés).

–     Tous connaissent la joie de venir à l’Eglise et de pouvoir prier ensemble, connaître Jésus ?

–     Non…

Ensuite, je demande aux adultes qui ne sont par repartis dans les hameaux éloignés s’il y en a qui veulent lire les Actes des Apôtres. A 17h, il y a une vingtaine d’adultes et autant d’enfants qui viennent. Je suis sûr d’avoir déjà lu avec eux le chapitre 1, mais personne ne se souvient de rien… et nous le relisons. Quand l’obscurité est trop forte, je parle de la maladie alcoolique (cf. ci-après).

Le lendemain après-midi, rentrant de la deuxième fiangonana, ayant fait 25 km à pied ce jour, je demande à Joseph Antoine, le Mpiadidy, catéchiste responsable des catéchistes de toutes les fiangonana dépendant du village de Tomboarivo, s’il serait d’accord pour que la retraite de Première Communion qui doit commencer mardi se fasse aussi avec du théâtre. Il est immédiatement enthousiaste et nous continuons à « rêver » en imaginant que, quand je passerai dans les fiangonana, les équipes présenteraient leur cahier et l’une d’entre elles ferait une présentation d’un théâtre d’Evangile pendant la messe. Quand les équipes seraient plus sûres d’elles, elles iraient à plusieurs dans un hameau sans église, allant frapper à la porte des gens et les invitant à un théâtre en plein air, puis les invitant à venir à la prochaine prière ou messe à la fiangonana.

Quand Wilson arrive de sa tournée, Joseph Antoine lui communique son enthousiasme et quand il me rejoint à Isaka, il me demande si je ne peux pas lui préparer les éléments pour qu’il puisse faire la même chose à la retraite des enfants d’Isaka.

Problème : pas d’ordinateur, car je ne pensais pas en avoir besoin ni pouvoir l’utiliser car je devais passer tout le mois hors d’Isaka. Il faut faire un scénario écrit de deux Evangiles pour chacune des 30 équipes (150 enfants à Isaka, 110 à Tomboarivo). On est mercredi soir et la retraite commence jeudi soir… Je passe une partie de la nuit et toute la journée à préparer 8 évangiles différents et des collégiennes viennent faire office de « photocopieuses ».

5. 16 au 19 juin : Retraite de Première Communion à Tomboarivo et Isaka

5.1 Vendredi 17 juin : journée sur l’eucharistie

Jeudi soir, les 120 enfants et 10 adultes sont là, ayant marché jusqu’à 3h pour venir. Le soir, avec Joseph Antoine, nous présentons le projet et 8 catéchistes ou professeurs des écoles acceptent d’animer une équipe. J’alerte sur la manière d’assurer l’ordre en demandant à ce que notre manière de reprendre les enfants manifeste l’amour du Christ pour eux et en évoquant ce qui m’avait attristé à Ikalalao. L’horaire prévu est le suivant :

5h45 La cloche sonne et chacun prie l’angélus

6h00 Gymnastique puis déplacement à la rivière pour faire sa toilette

7h00 prière à l’Eglise puis petit déjeuner

8h00 Mise en 8 équipes dans l’Eglise

8h15 travail de préparation du théâtre

 2 équipes prépareront l’évangile de l’appel des disciples chez St Jean

 2 autres, le lavement des pieds

 2 autres la Cène chez Matthieu

 2 autres : Jésus à Gethsémani.

9h00 Par groupe de deux équipes ayant préparé le même Evangile, les équipes se présentent leur théâtre puis partagent les « Paroles de vie » et cherchent les « lumières » dans le texte pour faire la Première Communion.

9h30 pause

10h00 en grand groupe : présentation des théâtres et réflexion à partir des « Parole de vie » et lumières trouvées par les équipes pendant la messe.

12h00 repas

13h30 reprise en travail en grand groupe, puis chants, puis chapelet, puis prière du soir

18h00 dîner puis coucher

C’était ce qui était programmé…

En fait, le petit déjeuner n’est pas prêt à l’heure. Puis, à 8h30, il n’y a que 4 catéchistes sur 8 de présents, dont un complètement aphone. Nous ne formons que 5 équipes et le Mpiadidy en prend une tandis que je prends le groupe d’adultes. Les catéchistes n’ont jamais fait ça, les enfants non plus et ils ont d’énormes difficultés de lecture. Ils ont douze ans et plus, mais plus de la moitié n’arrive pas à lire et ils ont peur. Alors, je passe d’équipe en équipe pour relancer donner des conseils. Je redemande où sont les 4 autres catéchistes. L’un est arrivé, mais il est ivre et ne peut prendre d’équipe. Il sera ivre pendant toute la retraite.

Mon malgache est « excellent » ce qui fait que mes conseils semblent plus compliquer qu’aider. J’explique qu’il ne suffit pas de lire le texte, qu’il faut faire des gestes. A plusieurs reprises, je décale les horaires et finis par stopper le travail à 10h alors qu’apparemment rien n’est prêt en lançant la récréation et en donnant rendez-vous à tous à 10h30 dans l’Eglise pour la messe. Quand je pense à Isaka où les catéchistes et Wilson n’ont jamais fait ça, je panique et préfère ne plus penser et croire coûte que coûte que quelque chose va en sortir. De toutes manières, il n’y a plus le choix.

La messe commence et vient le moment de la liturgie de la parole. Appel de l’équipe qui devait faire le théâtre sur l’appel des disciples… personne. Deux des catéchistes absents devaient faire ce texte. Puis vient l’équipe d’un jeune professeur de l’école catholique de Tomboarivo, Jean Didier qui doit présenter le lavement des pieds. Et là, surprise : superbe théâtre. Quatre autres équipes suivent pour présenter les deux autres textes. C’est très pauvre, mais on arrive quand même à reconnaître. Après chaque présentation, on partage les « Paroles de vie » et je fais un bout d’homélie avec mon « excellent malgache » et Joseph Antoine reprend l’ensemble avec une passion et une capacité à captiver les enfants extraordinaire. Pendant toute la retraite nous avons formé un duo très heureux de travailler ensemble, totalement sur la même longueur d’ondes.

A 12h… pas de repas prêt ! La viande n’est pas arrivée à temps et le repas est annoncé pour 13h30. Il fait très chaud, il n’y a pas d’ombre, Jean-Didier, anime des jeux. Aucun enfant ne proteste. Comme j’ai du mal à comprendre les ordres que donne Jean-Didier, j’ai vite fait de ne pas arriver à faire les mouvements demandés et de me retrouver au centre avec un gage : danser… à la plus grande joie des enfants.

A 16h, après des interventions du Mpiadidy, c’est le temps du chapelet en montant conclure la prière en haut de la colline où il y à une statue de la vierge. Le spectacle est prenant : file de 120 jeunes et adultes aux habits multicolores qui se détachent au-dessus des herbes hautes sous le coucher de soleil, faisant penser aux pélerinages de Chartres dans les blés ; en contre-bas : l’église ; plus bas, les rizières qui descendent jusqu’au fleuve Matsiatra et ses cascades entre les rochers ; en face : des montagnes ; le tout avec les chants, les prières, le sérieux des enfants qui prient en même temps que leurs sourires.

Réunion d’évaluation : je demande aux catéchistes ce qu’ils pensent de la journée. Ils répondent les uns après les autres, mais je ne comprends rien de leurs réponses… Un professeur qui parle bien français me traduit qu’ils sont enthousiastes de la manière d’animer par petites équipes et avec du théâtre mais qu’ils se critiquent parce qu’ils n’étaient pas là à l’heure. Reprenant le fait qu’un catéchiste ait été ivre toute la journée, je fais mon intervention désormais habituelle sur l’alcool (cf. ci-après).

A 21h, je file à Isaka pour chercher les copies des Evangiles du lendemain que les collégiennes ont dû finir de recopier en 30 exemplaires. Les catéchistes d’Isaka sont encore réunion d’évaluation. Ils sont enthousiastes et tout s’est bien passé, même si les enfants et les catéchistes ont d’abord eu du mal à faire les théâtres d’Evangile.

5.2 Samedi 18 juin : journée du pardon

Il était prévu que je célèbre 25 mariages pendant la messe de la retraite de Première Communion… J’ai demandé à célébrer 2 messes : une pour les mariages, une pour la retraite.

Juste après Pâques, dans cette même église, j’avais célébré 173 baptêmes de bébés, d’enfants et de quelques adultes, au cours de la messe du dimanche. Ils avaient enlevé tous les bancs pour gagner de la place et seuls ceux qui recevaient le baptême, leurs parents, parrains et marraines, ont réussi à entrer. Les autres (3 fois plus de gens dehors que dedans) suivaient et priaient dehors malgré l’absence de toute sono.

Le programme prévu pour cette deuxième journée de retraite était le suivant :

5h45 La cloche sonne et chacun prie l’angélus

6h00 Gymnastique puis déplacement à la rivière pour faire sa toilette

7h00 prière à l’Eglise puis petit déjeuner

8h00 Mise en 5 équipes dans l’Eglise / pendant que Joseph Antoine, le Mpiadidy accueillera les couples pour le mariage et préparera les registres.

 2 équipes prépareront l’évangile de Zachée

 1 autre, la femme adultère

 1 autre, le pharisien et le publicain

 1 autre, le Fils prodigue.

9h00 Présentation des théâtres dans l’Eglise

9h30 pause

10h00 Préparation de la célébration de Première Communion dans la cour pendant que je confesserai les 25 couples qui vont se marier

11h00 Chapelet pendant que je célébrerai la messe de mariage avec le Mpiadidy et que les catéchistes s’occuperont des jeunes.

12h00 repas

13h30 Rédaction d’une « lettre à Jésus » dans laquelle chaque enfant sera invité à écrire une « Parole de vie » et en quelques mots pourquoi il veut faire sa communion ou (et) à dessiner (1/2 n’arrive pas à écrire), confessions des 120 enfants et 10 adultes.

16h00 Messe avec présentation de nouveau des théâtres

18h00 dîner puis coucher

Là encore, la réalisation a été légèrement différente…

Pendant la préparation des théâtres, j’allais d’une équipe à l’autre pour les aider. J’avais suggéré que les pharisiens qui amènent la femme adultère à Jésus viennent avec une pierre à la main qu’ils laisseraient tomber par terre l’un après l’autre après que Jésus ait invité celui qui n’a jamais péché à jeter la première pierre. Quand je passe dans cette équipe, aucun apôtre n’a de pierre à la main, mais, surprise, après que Jésus ait invité celui qui n’a jamais péché à lapider la femme, une pierre vole en direction de la femme : c’est Jésus qui l’a lancée ! Je réexplique, mais mon malgache est vraiment excellent, et, lors de la messe, ce sont tous les pharisiens qui lapident la femme.

A 9h00, le Mpiadidy me dit qu’il a du mal, qu’il n’y a que 4 dossiers de prêts sur 25… A 10h, je confesse les mariés qui sont là. A 10h45, Joseph-Antoine me prévient qu’il n’y arrive pas, que des papiers ne sont pas prêts et que des gens sont partis à pied pour Isaka (10 km) pour voir le Père Wilson et résoudre les problèmes… Nous rattrappons les jeunes qui partaient pour le chapelet et nous décidons de célébrer la messe de la retraite à 11h et de repousser celle des mariages à 16h.

Les théâtres sont super. L’église est comble car les gens venus pour les mariages y participent aussi. Pendant l’Evangile du Fils Prodigue, un jeune coince la tête de son camarade sous son bras et va tuer le veau gras… Quant à Zachée, il se perche quand Jésus arrive. Ils ont compris ce qui est attendu d’eux.

13h30… Le repas n’est pas fini. 14h : j’essaye de demander aux catéchistes de rentrer dans l’église avec l’équipe dont ils ont la charge pour les aider à écrire la lettre. Quand j’arrive, tout le monde est mélangé. Les gens du mariage sont entrés aussi avec plein de bébés et d’enfants en bas âge qui jouent et crie et quand j’essaye de donner des directives, personne ne comprend… On finit par arriver à mettre dehors ceux qui ne sont là pour la retraite et je démarre les confessions que j’arrive à terminer à 15h55… Pendant ce temps, les catéchistes ont animé une répétition de chants, le Mpiadidy est passé par moments, a « corrigé le tir » à ma demande pour l’Evangile de la femme adultère.

A 16h : début de la messe de mariage. Ils ne sont « que » 13 couples mais je découvre que j’ai aussi 5 baptêmes d’enfants et un baptême d’adulte à célébrer… Heureusement, j’ai les flacons d’huile. Les 12 autres mariages sont annoncés pour le lendemain après-midi car les papiers n’ont pas pu être résolus. Finalement, nous les ferons plus tard. Je suis épuisé. Je n’ai pas pu préparer d’homélie ni lire le rituel avant. Il y a des mots du rituel que je prononce mal, et comme je dois les répéter 26 fois, les gens rient avec beaucoup de gentillesse et me corrigent pendant la célébration. Pendant l’homélie, ils m’aident à trouver les mots et Joseph Antoine reprend avec sa manière extraordinaire de s’adresser aux gens. Je profite des signatures pour me reposer discrètement dans le dos des gens qui signent.

A 18h, la messe est finie. Pendant ce temps, les enfants ont répété la messe et été dire le chapelet, mais les gens m’attendent : il n’y a plus de bois pour le feu et la cuisine est en panne. Nous partons à Isaka avec le 4×4. Wilson est toujours aussi heureux. Au retour, à 19h30, nous trouvons les gens en train de manger. Finalement, ils ont réussi à faire cuire le repas avec ce qu’il restait.

Pendant toute la retraite, j’ai demandé à manger avec les gens et à ne pas avoir de repas spécial. Quelle joie d’être là au milieu d’eux, d’autant plus adopté que le théâtre a rapproché les gens des catéchistes et de moi. Il fait froid : si la température monte à 30° dans la journée au soleil, elle chute à 3° au petit matin. Un enfant de 2 ans n’a qu’un sweet-shirt retroussé au-dessus du nombril ; pour le reste, il est nu ; il ne se plaint pas et mange son riz. La nuit étoilée, la lune, le visage des femmes qui font la cuisine éclairé par la lueur du feu, le bruit du fleuve en contre-bas, les chants qui montent ici ou là, l’enfant qui repère que je n’ai pas à boire et qui m’apporte un verre d’eau ayant servi à la cuisson du riz, je me régale… les puces et les moustiques aussi. J’ai même fait la connaissance d’une sous-espèce de puces, plus petite que l’espèce habituelle, qui pond sous la peau ce qui provoque une sorte d’abcès et peut donner de la fièvre. Là, la puce a choisi la plante des pieds ce qui ne simplifie pas la marche quand on a extrait la petite colonie qui avait fait son nid.

La saison sèche a commencé les lueurs des feux de brousse dans la nuit se rajoutent au spectacle. Ce serait féérique s’ils ne signaient l’arrêt de mort de Madagascar. Les gens les font pour nettoyer le terrain et parce que une herbe tendre pousse ensuite. Cela a pour effet de brûler les arbres, de détruire les divers animaux dans le sol et sur le sol, de favoriser l’érosion déjà impressionnante, de tarir toutes les sources qui pourraient y avoir, de faire de Madagascar un caillou, comme c’est déjà le cas à Haïti. Même les arbres qui ne sont pas atteints par les flammes sont rendus malades par les fumées qui deviennent suffocantes quand on arrive au moment où il y a le plus de feus.

Ce samedi soir, la réunion des catéchistes a été l’occasion d’exprimer encore leur immense joie de ce qui a été vécu et je redis le projet pour la suite :

–     constituer des petites équipes dans toutes les fiangonana,

–     préparer des théâtres,

–     faire un cahier d’équipe,

–     jouer pendant les messes,

–     aller faire des missions dans les hameaux et monter un vrai théâtre en plein air en intégrant les cochons du hameau dans le théâtre du Fils Prodigue par exemple, en leur donnant vraiment à manger, etc.

–     aider les gens à réfléchir à partir de l’Evangile à leur vie.

Par exemple : Le fils prodigue s’est retrouvé sans rien, qu’est-ce qui l’a rendu pauvre ? Et nous, qu’est-ce qui nous apauvrit ? le taoka gasy (rhum), le fait de vivre en ne se préoccupant que de l’immédiat et en n’envoyant pas les enfants à l’école, en déforestant, en faisant des feux de brousse, etc. A qui Jésus veut dire par notre intermédiaire : Zachée, descend vite, il me faut aujourd’hui demeurer dans ta maison ? Qui n’est pas encore à l’école, au catéchisme, en équipe F.E.T. ? Etc.

J’espère arriver à mélanger la pédagogie du mej, de l’A.C.E., de la joc avec ses tracts enquêtes : dans ton village, qui va à l’école ? Qui n’y va pas ? Pourquoi ? Que peut-on faire ?

J’en redis l’enjeu : aider les enfants et jeunes à grandir humainement en apprenant à lire, écrire, exprimer un choix personnel, s’exprimer devant d’autres et créer, développer d’autres capacités que ce que propose la formation scolaire actuelle à Madagascar, connaître l’Evangile, savoir le méditer, se laisser travailler par lui, devenir disciples et apôtres jusqu’à transformer la vie ; permettre aux catéchistes de faire le même chemin, de trouver une autre relation aux enfants, appeler les catéchistes à avoir un cahier de « Paroles de vie » dans lesquels ils écriraient aussi bien les paroles de l’Evangile du jour qui les touchent que ce qu’ils ont entendu et vu de l’action de l’Esprit Saint dans le cœur des enfants et jeunes à travers leurs réflexions ou actions (cf. notamment le cahier du responsable d’A.C.E. –  Action Catholique des Enfants ; l’Etude d’Evangile au Prado).

Comme je disais à un catéchiste que cette méthode avait l’avantage de former les enfants, il a immédiatement dit : « Mais elle nous forme nous d’abord ». Si les choses se mettent en place, elle permettra de fait de former les enfants, de former des jeunes qui les accompagnent, de former les catéchistes, de mobiliser et renouveler les petites fiangonana, d’aller à la rencontre de ceux qui n’y viennent pas, et cela se fera sans dépendre d’un apport financier extérieur, avec les richesses des gens et de la Parole de Dieu dans leur cœur.

J’ai de plus en plus la conviction que les gens de Madagascar n’ont pas d’abord besoin d’apports d’argent qui ont des effets secondaires souvent désastreux, mais d’être aidés à reprendre confiance en eux, à trouver dans l’Evangile et dans ce type de méthodes éducatives si chères à Paulo Freire au Brésil un chemin pour se relever.

Pour le moment, c’est de l’ordre du rêve et il y a encore loin du rêve à la réalisation ! Ceci dit, ces jours-ci, la réalité a largement dépassé le rêve, car je ne rêvais pas de pouvoir proposer quelque chose à Befeta et c’est déjà une immense joie que d’avoir une perspective pour évangéliser et évangéliser toute la vie, pas seulement apprendre des définitions de catéchisme, le faire en rendant les enfants acteurs, en leur permettant de grandir humainement en apprenant en même temps à lire, écrire, relire la vie, s’exprimer par le théâtre, en appeler d’autres, dynamiser les communautés.

A un moment, j’ai rêvé de demander l’aide d’une association qui parraine des enfants et assure la prise en charge financière des « écolages », de proposer à ceux d’entre vous qui le souhaitent de nous soutenir financièrement et de rendre les enfants du FET et les professeurs des écoles responsables du suivi des enfants qui auraient ainsi été pris en charge et auraient pu rejoindre l’école. Problème : même les meilleures actions ont des effets qui peuvent ne pas être ceux escomptés. Là, je crains que ceux qui payent l’écolage ne veuillent plus le payer et que l’on casse le travail « d’auto prise en charge » des Eglises africaines. Je crains aussi d’arriver à un résultat qui me coupe des autres prêtres malgaches en me mettant dans la position de celui qui a les moyens de faire quelque chose parce qu’il est vazaha et peut faire venir de l’argent. Cela ne met pas en cause la qualité du travail de l’association évoquée et je me réjouis de cette diversité de charismes mais je renonce à ce chemin pour moi.

Au Brésil, le Président Lula a fait un travail extraordinaire avec le plan d’éradication du travail infantile en donnant une subvention aux familles pauvres qui inscrivent leurs enfants à l’école et dans les centres d’animation de ce programme en dehors des heures d’école.

A 19h30, j’ai eu la curiosité d’aller voir comment les gens étaient installés pour dormir : j’escalade l’échelle qui donne accès par l’extérieur à l’étage au-dessus des salles de classe de l’école catholique. La porte d’accès fait 1m20 de haut pour 0,75 de large. Elle donne sur une première salle de 6 m x 6 m dans laquelle de la paille a été mise. Le toit est en chaume. L’éclairage : des lampes à pétrole suspendue pas très loin du toit de chaume avec de nombreuses toiles d’araignées susceptibles de faire de merveilleuses mèches. J’essaye de compter les têtes : une soixantaine d’enfants garçons et filles, de bébés, allongés les uns sur les autres et des adulte hommes et femmes qui ne peuvent s’étendre et vont dormir assis, faute de place. Un enfant dit : « Mafana ! » (il fait chaud). De fait, c’est irrespirable et il n’y a pas le volume d’air nécessaire par personne. Au bout de cette première pièce, une porte de la même taille que la première donne accès à une deuxième salle identique avec 60 personnes aussi. Quelques jours après, ayant vérifié la taille de la salle, j’ai été surpris de voir combien le plancher bougeait sous mon seul poids et rien ne prouve qu’il ne soit capable deporter un tel poids, mais, pendant la retraite, ça n’a pas lâché. A l’étage au-dessous il y avait deux salles également pleines de gens. On est loin des normes de sécurité de France. Personne ne râle, tous les visages sont rayonnants, souriants. A 20h00 : silence complet… Personne ne chahute. A 20h30, pourtant, chahut local : les gens n’arrivent pas à dormir, alors les cantiques à plusieurs voix avec des parties plus ou moins en canons s’élèvent dans la nuit sans s’interrompre jusqu’à 23h30.

A 3h30, un bébé pleure dans la nuit. Il hurle, ça dure, un autre lui répond. Les gens sortent les uns après les autres pour « aller en récréation » (manière de demander aux chauffeurs des taxi-brousse un « arrêt pipi »). A 4h, tout le monde est debout, toujours aussi souriant.

Je n’ai pas vu la moindre bagarre entre des jeunes, comme je n’en ai jamais vu alors que j’ai en permanence à Befeta, comme à Ikalalao, Isaka ou Tomboarivo, la cour de l’école sous les yeux et vit le plus clair de mon temps entouré d’enfants et émerveillé en les regardant jouer.

5.3 Dimanche 19 juin : Première Communion

L’église est bondée. Beaucoup ont fait 2 ou 3 heures de marche. Comme pour les baptêmes, il y a 3 fois plus de monde dehors que dedans. Nous n’avons pas pris l’Evangile de la fête de la Trinité mais celui de Zachée remarquablement joué par une équipe. Tous ceux de l’extérieur qui le peuvent regardent par la fenêtre. Je me suprend à lever les yeux vers le toit, tellement cela évoque les récits de l’Evangile, mais personne n’essaye d’entrer par là. Est-il besoin de vous dire la joie qui m’habite ? Elle n’a d’égal que celle des enfants, des catéchistes et de leurs parents. Lors de la confirmation, l’évêque, accueillant notre effort pastoral, nous a appelé à garder la proclamation normale des lectures du jour mais à intégrer le théâtre en début d’homélie.

L’après-midi, une partie de la nuit et tout le lundi matin, sprint pour écrire les scénarios des quatre retraites de confirmation (Isaka et Tomboarivo du jeudi 23 au samedi 25, Ikalalao et Befeta du lundi 27 au mercredi 29) qui ont été suivies par la visite pastorale de l’évêque avec confirmation dans chacun des 4 centres du jeudi 30 juin au dimanche 3 juillet.

6. Du lundi 20 au mercredi 22 juin : Tournée dans les fiangonana de Tomboarivo / Le problème de l’alcool

6.1 Lundi 20 juin :

Lundi après-midi, je pars avec Joseph-Antoine et deux porteurs pour nous aider. Là, j’accepte de ne rien porter. La veille au soir, à Isaka, dans le noir, en allant donner un reste de nourriture au catéchiste qui garde la maison paroissiale et dont la chambre jouxte la mienne et donne sur un balcon veranda, j’ai oublié la trappe ouverte donnant sur un escalier qui tient plus de l’échelle que de l’escalier et me suis retrouvé directement au rez-de-chaussée. Rien de cassé, à part la dernière marche de l’escalier qui a cédée sous mon poids, mais les douleurs à l’épaule et au dos ont été bien ravivées.

2h de marche où alternent les traversées de rizières en équilibre sur les murets de terre, les rivières que l’on traverse en passant dans l’eau, ou en faisant de l’équilibre sur des pierres ou en essayent de ne pas tomber du tronc branlant qui enjambe la rivière, parfois assez haut au-dessus ; ailleurs, c’est un sentier que l’on ne voit pas car il est caché par les herbes et où l’on attrape ces graines de Danga (espèce d’herbe) qui piquent si bien, ou encore des chemins pleins de crevasse à cause de l’érosion ou des sentiers escarpés et rocheux qui mènent aux sommets des montagnes. Je ne me lasse pas de ces paysages et nous arrivons au premier village. Les enfants sont venus nous attendre à un kilomètre et nous accueillent en chantant l’hymne des J.M.J en Betsileo qui est une merveilleuse création des séminaristes de Fianarantsoa. Nous entrons dans le village en dansant.

Avec le catéchiste, nous appelons des enfants à préparer un théâtre sur l’Evangile de Zachée. C’est laborieux au départ et quand ils se retirent, rien n’est prêt mais ils demandent à garder le texte. J’ai réussi à convaincre le catéchiste de ne pas me recevoir « comme une autorité », et je ne me suis pas assis à la table préparée pour moi mais par terre avec les gens. Pour le repas, il a accepté d’appeler sa femme et ses enfants pour qu’ils mangent avec nous avant qu’il anime la prière familiale du soir.

6.2 Mardi 21 juin :

A 6h, quinze enfants envahissent la pièce de la maison du catéchiste où nous avons dormis et font le théâtre de Zachée. Remarquable.

A 8h, nous partons pour l’église, mais, auparavant, j’explique aux familles du village du catéchiste qui est à 80 % protestant le projet de théâtre d’Evangile et que leurs enfants pourraient y participer sans craindre que nous cherchions à les attirer à l’Eglise catholique. Si des églises sectaires et prosélytes commencent à fleurir à Madagascar, on est très loin de la situation du Brésil et les deux Eglises traditionnelles protestantes sont en très bonne relation avec l’Eglise catholique, sans prosélytisme mutuel.

Quand nous arrivons à l’église qui est à 1 km, au milieu des champs, à proximité de plusieurs hameaux, j’en visite un, puis un deuxième. Les enfants se mettent à me suivre, à chanter. Nous allons de maison en maison serrer les mains, inviter. Puis je reviens à l’église entouré par le cortège d’enfants qui chantent. Les enfants font leur théâtre. Tout le monde écoute, partage des « Paroles de vie ». Il y avait aussi 2 des 25 mariages de samedi, plus 4 baptêmes et 3 sacrements des malades.

Après le repas, les enfants font une danse et chantent en hommage pour le prêtre, le Mpiadidy, le professeur et le catéchiste.

14h, nous repartons pour 2h de marche dans la montagne et nous arrivons dans le village de Jean-Marcel, le catéchiste qui a été ivre pendant toute la retraite. Je demande à être seul avec lui, sa femme et le Mpiadidy et je fais une intervention que j’ai souvent faite depuis des mois, soit avec des personnes en particulier, soit en homélie, soit l’autre soir, à la réunion des catéchistes à Tomboarivo que je retranscris ci-après :

–     Jésus aime la personne qui est malade de l’alcool, il l’aime d’un amour particulier parce qu’il est venu pour ceux qui souffrent, pour les malades et les pécheurs, et c’est la première chose qui me fait vous parler : vous redire l’amour du Christ, que vous ne désespériez pas de votre situation.

–     Je dis mon engagement depuis 25 ans dans une association de non buveurs et explique pourquoi.

–     J’explique que l’alcoolisme est bien sûr pour une part un péché, mais aussi et souvent d’abord une maladie.

–     Suit une explication de ce qu’est la maladie alcoolique, sur le mécanisme de la dépendance, sur les gens malades avant même leur naissance, sur la difficulté de s’en sortir et sur le seul chemin que constitue le choix de l’abstinence et la nécessité de se faire aider, de constituer des équipes.

–     Je raconte l’itinéraire d’Elielton, responsable de communauté de base et ministre de la Parole à Dores (cf. blog).

–     Je parle de « l’équipe de prêtres zéro alcool » qui s’est fondée le 7 septembre 2010. Ils sont maintenant 5 en lien avec l’équipe. Le 5ème, prêtre ordonné il y a moins d’un an, nous a rejoint début juin. Je raconte ce qu’ils disent de comment ils ont commencé à boire, des conséquences pour eux, de la difficulté pour arrêter au début, des pressions qu’ils reçoivent de leur famille, d’autres prêtres pour qu’ils boivent un peu quand même, parce que « quelqu’un qui ne boit pas, il va être plus malade que quelqu’un qui boit » (sic).

–     Je parle de l’équipe qui a commencé à se fonder à Isaka avec un catéchiste et sa femme, tous les deux malades de l’alcool, accompagnés par Prosper, le catéchiste qui loge dans le presbytère d’Isaka, suite aux homélies dans toutes les fiangonana après la mort de Mme Adeline et les 6 autres morts en un mois à Isaka. A chaque fois, je demandais : combien faudra-t-il de morts pour que nous nous réveillons, que nous ouvrions nos yeux, nos oreilles, nos cœurs ? Qui accepte de se lever et de devenir prophète, de devenir non buveur même en n’étant pas malade pour en aider d’autres ?

–     Je parle des visites que Prosper fait toutes les semaines à la famille de Mme Adeline. Nous avons commencé ensemble juste après Pâques pour essayer d’aider quelques membres à décider de quitter l’alcool. Pour le moment, le résultat visible c’est un lien très fraternel avec eux et le fait que les aînés des 7 enfants ont semble-t-il entendu l’appel à ce que la mort de leur maman puisse conduire à la vie pour d’autres. Ils disent avoir décidé de ne jamais boire, ont pris le chemin de l’église, ont démarré un cahier de « Paroles de vie » avec le Nouveau Testament, le cahier et les stylos que nous leurs avons offerts. Par contre tout le reste de la famille qui avait dit vouloir arrêter de boire lors de notre première visite continue à boire et, lors de la dernière tentative de visite, le dimanche 26 juin, jour de la fête nationale, j’ai rebroussé chemin quand j’ai rencontré plusieurs membres de la famille déjà très émêchés, ce qui ne permettait pas un partage.

–     J’alerte sur la manière d’aider en rejetant tout ce qui est parole forte, humiliante, qui provoque plus d’angoisse pour celui qui est malade et le fait boire encore plus ; j’appelle à une pédagogie du « relèvement » quand l’autre est tombé, « relève-toi, tu vas y arriver, nous sommes avec toi, cela fait partie du chemin que de tomber »

–     Comme pour la pastorale de la sobriété au Brésil, j’appelle à prier communautairement, à lire l’Evangile. Pour les prêtres, je dis que de lutter « CONTRE » l’alcool, c’est nécessaire, mais ce qui peut beaucoup aider c’est de se battre « POUR » s’attacher à Jésus Christ et je les invite à rejoindre une association spirituelle pour les soutenir, disant aussi que, quand l’envie est trop forte, copier de l’Evangile, faire Etude d’Evangile, dire un chapelet, c’est un moyen pour trouver la force de résister et penser à autre chose. Un des deux fondateurs de l’équipe de prêtres « zéro alcool » a rejoint notre équipe Prado où était déjà son vicaire. Depuis, ils font Etude d’Evangile ensemble tous les matins.

–     Je parle beaucoup, car quand je pose des questions pour que la personne devant moi puisse dire sa vie, je ne comprends pas les réponses… Par contre, je regarde les mimiques pour voir si ça touche juste et lui permet de dire aussi comment cela ressemble à sa vie.

–     Je l’alerte par rapport à sa charge de catéchiste et prend l’image du chauffeur de bus. On a beau aimé beaucoup un chauffeur de bus qui est malade de l’alcool, on ne lui confie pas de bus à conduire.

–     Je lui propose de demander à des gens de l’aider, de se réunir toutes les semaines, de faire un calendrier où il note les jours où il a réussi à ne pas boire. Quand je lui demande quand est-ce qu’il boit : tous les jours ? lors des fêtes ? Il répond que c’est lors des fêtes, mais qu’il peut passer dix jours sans boire. Juste après, sa femme m’expliquera que c’est tous les jours depuis l’âge de 14 ans et que, quand il est vraiment ivre, il se promène nu dans le village.

–     Je lui demande s’il accepte que l’on aborde directement la question pendant la messe (comme je le fais dans toutes les communautés, sauf que là, ça prendra une autre coloration à cause de lui) et s’il accepte de recevoir le sacrement des malades, ce qu’il accepte.

–     Je lui propose de nous montrer son calendrier quand nous passons et de surtout ne pas avoir peur de dire : « j’ai bu », que s’il « nous ment », c’est à lui qu’il se ment et cela l’empêchera de s’en sortir.

Pendant la nuit, à 3h, un homme appelle dans la nuit : « Mon Père, mon père ! » C’est un jeune qui est ivre.

6.3 Mercredi 22 juin :

Pendant que je confesse, le Mpiadidy aide des enfants à préparer le théâtre de l’Evangile de Zachée qu’ils jouent pendant la messe avant que je ne leur demande les « Paroles de vie » ce qu’ils font très bien puis je leur demande les « lumières » dans cet évangile pour être chrétien. Ils n’y arrivent pas encore alors je dis celles que j’ai trouvées :

–     Être chrétien, c’est vouloir voir Jésus.

–     Avant que nous cherchions à le voir, lui nous cherche et veut entrer dans notre maison, dans notre cœur, dans notre vie.

–     Pour le recevoir, le rencontrer, il faut accepter de descendre vite, de s’abaisser, de se faire serviteur, comme Jésus lors du lavement des pieds, de se reconnaître petit.

–     Si les pharisiens ne comprennent pas, Jésus lui n’a pas peur d’entrer dans la maison des publicains et des pécheurs. Il est venu pour les malades et les pécheurs.

–     Quand on a rencontré Jésus en vérité, alors la vie change : on partage avec les autres, comme vous qui faites aujourd’hui la « fête du Vokatra » (denier de l’Eglise) pour partager pour que l’Evangile soit annoncé.

–     Aujourd’hui, il y a plein de maisons dans lesquelles le Christ veut entrer et il a besoin de nous pour dire à chacun : « Descend vite, Jésus veut demeurer dans ton cœur ».

En m’appuyant sur le texte de Zachée, la deuxième partie de l’homélie, comme la veille, est un appel fait aux enfants (et aux adultes pour les aider), à fonder des équipes F.E.T. (Mej) et à vivre la dynamique présentée ci-dessus et que nous avions commencé à leur faire vivre en leur faisant préparer et jouer l’Evangile de Zachée.

Ensuite, devant la communauté, en faisant le lien avec Jésus et Zachée, j’ai repris tous les éléments ci-dessus sur l’alcool en disant que Jean-Marcel avait accepté que je parle publiquement. J’ai demandé si la communauté était prête à l’aider. Une femme a longuement pris la parole sans que je ne comprenne rien. Joseph Antoine me dira ensuite qu’elle a engagé la communauté à soutenir le chemin de Jean-Marcel. A chaque fois, et encore plus dans ce cas, j’alerte la communauté sur la difficulté du chemin et à ne pas juger Jean-Marcel s’il n’y arrive pas, ou s’il a des rechutes.

Déjeuner, nouvelles danses des jeunes, cadeaux pour alléger le sac (5 kgs de riz plus des bananes que nous avons partagées pendant le repas), nous repartons pour rentrer à Tomboarivo puis Isaka. Là j’ai pu porter le sac de 20 kgs pendant 2 heures avant de demander de l’aide.

Comme nous sommes dans une des rares zones où le téléphone fonctionne, il sonne : Wilson qui prend des nouvelles. Nous nous localisons mutuellement. Il est sur le sentier de crête de l’autre côté de la vallée, à 5 km à vol d’oiseau. Nous pouvons nous apercevoir. 2h plus tard nos sentiers convergent à un col. Il reste 1h30 de marche pendant lesquelles nous partageons sur la retraite de Première Communion qui vient d’avoir lieu, la tournée dans les fiangonana de Tomboarivo ; nous mettons au point le programme pour celles de confirmation.

A 17h, quand nous arrivons, sans avoir mangé ni bu pendant ces 3h30 de marche. Alors que la nuit approche, les porteurs qui nous ont aidés s’apprêtent à repartir pour 3h30 dans la nuit et toujours sans manger ni boire. La moitié a accepté de rester dormir à Tomboarivo et la femme du professeur leur a préparé un repas avec le riz qui nous avait été offert. Wilson est resté pour recevoir les couples qui demandaient le mariage et n’avaient pas bouclé leurs dossiers. De mon côté, j’ai été finir de préparer les textes pour la retraite qui commençe le lendemain.

7. Retraite de confirmation à Isaka et Tomboarivo (jeudi 23 juin au samedi 25 juin)

Cette fois-ci, Wilson est à Tomboarivo et je suis à Isaka. Sœur Emilienne et Sœur Jeanne d’Arc ont fini le chapitre de leur congrégation et nous ont rejoints. 4 séminaristes en vacances sont aussi avec nous ce qui nous vaudra de profonds partages avec eux. Ils sont très intéressés par la manière de travailler et nous ont beaucoup aidés à animer. Ce sont les mêmes Mpiadidy et catéchistes qui ont accompagné la retraite de Première Communion qui vont accompagner celle de la confirmation. Ils connaissent déjà la méthode ce qui facilite. La retraite est plus courte : elle commence le jeudi en fin d’après-midi et se termine le samedi à midi. Le vendredi, théâtres avec les textes suivants :

–     Marie, Elisabeth et l’Esprit Saint

  • L’Annonciation (équipe 1)
  • La Visitation (équipe 2)

Comme il n’y a que deux rôles, les autres membres de l’équipe mettent en scène la vie à Nazareth et dans le village d’Elisabeth. Quand le théâtre commence, 3 filles pilent le riz. L’une d’entre elle a été emprunter un bébé à la femme d’un catéchiste et l’a dans le dos. A Befeta, ils ont fait avec des « lamba » (tissus) et en mettant un chapeau une silouhette qui rassemble à un bébé dans le dos. Des garçons font les menuisiers, d’autres manient la bêche. Marie est assise devant l’autel et surveille les casseroles.

Pour la Visitation, quand Marie arrive, ils font tout le rituel de salutation des malgaches avant de démarrer le texte de l’Evangile et d’entonner et danser le magnificat.

–     Jésus et l’Esprit Saint

  • Le baptême des foules par Jean Baptiste, celui de Jésus et la tentation au désert (équipe 3). Le démon a un superbe masque avec des cornes fait dans un carton d’emballage. Le hasard a fait que l’on peut lire sur le carton : « handle with care ». De fait, le démon est à manier avec précaution !
  • Jésus à la synagogue (équipe 4)

–     Les apôtres et l’Esprit Saint :

  • L’ascension (équipe 1) (Ac 1)
  • La Pentecôte (équipe 2) (Ac 2)

Pendant que les apôtres et Marie prient devant l’autel et chantent un hymne demandant à l’Esprit Saint de descendre. Tout d’un coup, des jeunes font un roulement de tambour, d’autres tout en s’approchant pour se placer derrière les apôtres avec une bougie allumée font le bruit du vent. Les apôtres vont alors dans l’assemblée annoncer que Christ est ressuscité et qu’ils l’ont vu. Une jeune de l’équipe restée dans l’assemblée se lève et interpelle la foule : comment se fait-il que nous les entendions tous dans notre langue ? Un jeune, aussi resté dans la foule, se lève à son tour et s’adresse à la foule en se moquant des apôtres : « Ils sont plein de vin doux ». Le jeune qui tient le rôle de Pierre, qui avait un mal fou à lire mais a réussi, fait son homélie (très raccourcie) : Nous ne sommes pas ivres. C’est ce que le prophète Joël avait annoncé (une voix off lit le texte de Joël pour aider Pierre). Ce Jésus que vous avez crucifié, Dieu l’a ressuscité et nous en sommes témoins. Les deux jeunes dans l’assemblée se lèvent de nouveau, « le cœur bouleversé » et demandent : que nous faut-il faire ? Et, Pierre les invite à se convertir, à recevoir le baptême, à ne pas vivre selon l’esprit du monde. Alors les jeunes s’avancent et reçoivent le baptême.

C’est extraordinaire l’attention des jeunes, leur manière de partager les paroles de vie, d’écouter l’homélie qui suit. Ils ont joué à 10h, dans un temps d’assemblée, puis de nouveau à la messe du soir. Le samedi, seules les deux équipes qui doivent jouer l’ascension et la Pentecôte pendant la confirmation ont joué de nouveau.

Je dois cette idée de théâtre de l’Evangile à Geneviève Delarue qui faisait cela à la Cité du Bois l’Abbé à Champigny avec les jeunes qui étaient le plus en difficultés pour les aider à comprendre les textes, à écouter, à grandir. Elle nous avait fait jouer l’intégrale des chapitres 17 à 19 du 1er livre des Rois au Frat de Jambville des 4èmes –   3èmes. Avec son mari, elle est membre fondatrice des « couples diaconaux » du Prado, diacres permanents et leurs femmes qui s’aident à vivre de la spiritualité du Père Chevrier.

Lors de la messe du soir, pendant la prière universelle spontanée où des jeunes ont pris la parole, ce qui aurait été inimaginable avant ce travail de théâtre, un professeur prie pour Bahona Martine, élève de 5ème au C.E.G. d’Isaka, habitant dans le dernier village visité, celui du catéchiste Jean-Marcel. Martine avait 16 ans et était collègue des confirmants et membre de la communauté chrétienne. Le professeur annonce qu’elle vient d’être tuée par balle ce jour par un jeune de 16 ans d’un autre village qui avait bu et ne supportait pas qu’elle refuse ses avances.

8. Fête nationale malgache, 51ème anniversaire de l’indépendance

Le samedi, un match de basket sur le terrain de la mission catholique oppose les femmes des gendarmes aux femmes des civils. Une course de vélo se dispute d’Isaka à Sahave, le village à côté duquel j’ai eu mon accident. Je me suis abstenu de m’aligner…

Le dimanche, toutes les écoles défilent et je me retrouve à la tribune officielle avec le maire, le chef des gendarmes, les responsables des écoles, des services de santé, les représentants des religions (protestants et catholiques) et je dois faire un « Kabary », discours très codifié. Après avoir dit ma joie d’être là, je dis combien je ne peux pas oublier l’histoire de Madagascar, notamment les événements de 1947 et tous les autres méfaits de la colonisation et je demande pardon, ce qui est suivi d’applaudissements nourris. Puis je dis la joie de pouvoir me retrouver avec les personnes de tous horizons et que, chaque fois que nous célébrons, nous prions pour et avec nos frères protestants ou non chrétiens.

La fête nationale à Isaka est un moment très sympa et très bon enfant. Il y a des remises de prix très modiques : 3 000 Ariary à l’un (1 €). Je suis chargé de la remise d’un ballon de basket à l’équipe des femmes de gendarme qui a gagné le match.

Entre le samedi et le dimanche après-midi et soir, j’ai le temps d’amorcer la rédaction de ce courrier. J’ai besoin de remettre par écrit tous ces événements qui se bousculent en peu de temps. Le rythme de ce mois est un peu fou, encore plus pour Wilson qui doit faire plein d’entretiens de mariages, boucler la préparation de la visite pastorale de l’évêque, aller chercher le riz récolté dans les fiangonana, etc.

Rassurez-vous, ce n’est pas mon rythme de vie habituel où j’avais une messe par jour à célébrer, des heures disponibles pour travailler la langue malgache en traduisant de l’Evangile, en faisant un dictionnaire électronique. D’ailleurs, même dans cette période agitée, quand nous sommes en tournée, nous nous couchons avec le soleil (ou presque : il fait nuit noire à 18h et je suis couché à 20h, souvent avant) et nous nous levons avec le soleil à 6h. Cela fait de bonnes plages de repos. Les heures de marche sont aussi un temps reposant, à part pour les jambes.

9. Retraites de confirmation à Befeta et Ikalalao (27 au 29 juin)

La retraite à Befeta se passe de la même manière, avec la même succession de gags : là, pas assez de casseroles car elles ont été prêtées à une autre fiangonana et ne sont pas revenues. Le repas prévu à 18h sera prêt à 21h30. Les jeunes ne râlent pas et chantent des cantiques à l’église en attendant le repas. J’ai cependant été rassuré : les malgaches ne sont pas des « extra-terrestres » et, quand ils ont marché 3 heures pour venir et qu’ils n’ont rien mangé depuis neuf ou dix heures, il y en a quand même une qui a fait un malaise hypoglycémique. Le lendemain matin, même difficulté et nous démarrons les théâtres sans que les jeunes n’aient déjeuné. Au fur et à mesure qu’il y a eu du riz prêt, les équipes ont été déjeuner. Comme à Isaka, la moitié des professeurs et catéchistes qui ont promis d’être là le lendemain ne sont pas là.

A Befeta, ils sont 223 confirmants (42 adultes et 181 jeunes) et j’ai dû confessuer pendant 4h, de 12h à 16h, m’arrêtant quelques instants pour manger un peu. A Ikalalao, Wilson se retrouve avec un groupe de 383 confirmants… Partout la même joie des jeunes et des catéchistes.

10. Confirmation et visite pastorale Jeudi 30 juin à Isaka, vendredi 1er juillet à Tomboarivo, samedi 2 à Ikalalao et dimanche 3 à Befeta.

Les deux premiers jours, c’est Gervais qui remplace l’évêque, d’abord à Isaka puis à Tomboarivo. Les deux jours suivants, à Ikalalao puis Befeta, c’est l’évêque qui est là.

Bien des choses me déroutent du fait de nos cultures différentes, et c’est une chance que de devoir être dérouté et, petit à petit, d’apprendre à comprendre, aimer, de prendre plus conscience aussi en écho les richesses de la tradition de l’Eglise de France, de ses fragilités aussi.

Dans ce qui me déroute, il y a la place donnée aux prêtres, à l’évêque, et aussi ce souci de l’apparence qui marque la culture malgache. Par exemple, parce que l’évêque doit venir, il faut repeindre avant le presbytère et les églises. Dans le même temps, rien n’est entretenu, il y a des fuites dans le toit et il pleut dans deux des presbytères, mais ça ne se voit pas, alors tant pis si la maison est en train de se dégrader gravement.

Ce qui m’a fait le plus mal, c’est de voir comment la peinture a été faite : il y en a partout. Ça a dégouliné sur le sol, les tables, les bancs. Par contre, là où il devait y en avoir, il y a d’énormes trous. C’est de travail de dernière minute, à la va vite et qui ne tiendra pas. C’est aussi comme cela que se font les réparations de la nationale 7, seul axe routier qui dessert toute la moitié sud de Madagascar. Avec Wilson, voyant cela, nous nous sommes dit : « Mampalahelo isika » (ça nous fait mal).

Le contenu des homélies où l’Evangile est peu présent et où une place importante consiste à faire réciter aux jeunes les commandements ou les dons de l’Esprit Saint me déroute aussi. Je rêve que nos deux traditions se fécondent mutuellement, que nous apprenions des malgaches cette attention à une connaissance du catéchisme, que la méditation de l’Evangile devienne le centre de la vie chrétienne malgache, de la prédication, du catéchisme, de la vie des chrétiens et des mouvements.

Les célébrations sont très longues mais, pris par la qualité de la prière, des chants, je n’ai pas vu le temps passer à Befeta où cela a duré 6h mais où j’ai été si heureux de prier avec Wilson, avec l’évêque avec cette foule rassemblée, ces jeunes avec qui nous venions de vivre la retraite et qui ont fait une présentation théâtrale extraordinaire de l’Ascension et de la Pentecôte au-delà de tout ce que je pouvais attendre. (accès vidéo)

A Befeta, à la différence des 3 autres centres, au moment de la retraite, j’avais pensé à n’appeler pour cette équipe que ceux qui habitaient à Befeta pour qu’ils puissent répéter après la retraite. La beauté des célébrations en général, de celle de Befeta en particulier, n’a pas grand chose à envier, dans un style différent, à la liturgie de Pâques à Zagorsk avec les moines orthodoxe.

Comment la célébration peut-elle durer 6h ? Il y a d’abord le Kabary (discours) d’accueil et le rapport sur la vie de la paroisse. Il s’agit d’une succession de statistiques (combien d’habitants, de chrétiens, de catholiques, d’écoles privées et publiques, etc.) et d’échos des actions pastorales qui me déroute un peu, mais l’évêque fait de sa réponse un temps de catéchèse. Par exemple, en pointant la différence entre le nombre de catholiques et ceux qui participent aux célébrations, il appelle à savoir aller à la rencontre de ceux qui ne viennent pas.

Après cette première heure, vient la liturgie de la parole. Là, nous avons aussi eu la présentation par les jeunes des Actes des Apôtres. Ensuite, c’est l’homélie qui peut durer jusqu’à une heure.

A Befeta, l’évêque a commencé par repartir des Actes des Apôtres mis en théâtre par les jeunes, puis il a rappelé l’histoire de l’Eglise malgache avec l’arrivée des missionnaires français, en particulier du Père Finaz et il a fait le lien avec ma présence ici ; il a mis en valeur la place des catéchistes laïcs comme Pierre Ratsimba à Fianarantsoa en voie de béatification. Puis il a évoqué des figures de saints à partir de ceux dont les statues sont présentes dans le chœur de l’église de Befeta, Marie, Saint François Xavier, avant d’évoquer Dominique Savio, mort à l’âge des jeunes confirmands.

Et là, moment d’émotion : après avoir retracé la vie de Marie Goretti sainte morte assassinée par un jeune de son village qui voulait qu’elle se donne à lui et que l’on a fêtée mercredi, l’évêque fait un lien direct avec Martine, jeune évoquée ci-dessus, ayant participé aux JMJ à Isaka, morte aussi assassinée après avoir résisté à plusieurs tentatives de son meurtrier. Les parents de Martine étaient à la confirmation à Tomboarivo, d’une dignité impressionnante. Et l’évêque appelle les jeunes à ne pas avoir peur d’être martyrs, de témoigner.

Vient la confirmation, 1h pour les 383 confirmands à Ikalalao. Ce sont ensuite les avis qui peuvent durer 20 minutes et sont un temps de catéchèse fait par le Mpiadidy (responsable laïc d’un ensemble de communautés). Au total, en 4 jours, l’évêque a confirmé 1011 jeunes et adultes sur notre seule paroisse. La confirmation est proposée tous les deux ans dans les paroisses rurales.

La première quête est aussi transformée en temps de catéchèse par Mgr Fulgence : il est très sensible aux gens qui viennent de loin et restent dehors, alors, pour les aider à entrer dans l’église, à venir « en pèlerinage » jusqu’à l’autel, selon ses mots, il a demandé à ce que la quête ne soit faite qu’au pied de l’autel et que l’on n’aille pas dehors pour que ça aille plus vite. A Befeta, il s’en est suivi une procession qui a duré sans doute 30 minutes.

Suit la procession des offrandes, puis la liturgie eucharistique, la deuxième quête, les Kabary (discours de remerciements), la remise de diplômes aux couples jubilaires (l’évêque dialogue avec chacun d’eux), la procession d’offrande de riz, argent, animaux (dinde, bélier) pour l’évêque ou le vicaire général pendant que l’on danse, la bénédiction des confirmants, l’évêque se déplaçant dans l’église, la bénédiction finale. A cela, il faut rajouter la danse du gloire à Dieu, celle de la Parole de Dieu, celle du remerciement.

Depuis les JMJ à Ambohimahasoa, je me suis lancé dans les danses Betsileo que les jeunes, les prêtres, les religieuses font sur des chants religieux, notamment sur l’hymne des JMJ écrit en Betsileo par les séminaristes de Fianarantsoa. Je voulais ainsi exprimer un « je vous aime » que je ne sais pas bien dire par la parole. Le résultat a été très au-delà de ce que j’imaginais. Cela a été droit au cœur des mes frères et sœurs betsileo. Quelle joie lors des retraites de communion, de confirmation, lors de la procession de remerciement à la fin de chacune des confirmations de danser avec Wilson, avec Gervais. (accès vidéo)

Au terme de ce mois riche, démarrant par ce temps « d’explication fraternelle » avec Wilson, vivre ensemble ces célébrations a été un vrai cadeau. Si j’arrive à mettre des vidéos en ligne (le théâtre des jeunes, la danse avec Wilson), vous pourrez être rassurés sur ma santé et ma joie d’être là où je me sens privilégié même si la croix est omni-présente, surtout dans la vie des gens.

Ce mois de juin aura été un vrai temps de Pâques et Pentecôte, avec un petit décalage horaire… et sans oublier les souffrances, chaque jour plus fortes, à Befeta comme dans l’ensemble de Madagascar.

A Ikalalao, le ministre de la culture a profité de ce rassemblement d’Eglise pour s’inviter sans prévenir, sinon la veille au soir. Il a organisé une manifestation à Ikalalao, est arrivé avec une suite de 20 personnes au moment où l’évêque allait commencer son homélie avec journalistes, photographes envahissant jusqu’au chœur (peu de journalistes car les moyens sont limités), et est reparti avant la fin de la messe animer sa manifestation et profitant de la foule présente qu’il n’aurait jamais réussi à rassembler et essayant d’inviter l’évêque à ce rassemblement. L’évêque est resté très distant et ne s’y est pas rendu, n’adressant que la parole minimale pour ne pas être grossier aux arrivants. L’objectif pour le ministre était de se montrer aux croyants rassemblés en nombre, de pouvoir organiser une manifestation avec beaucoup de monde et pouvoir apparaître ainsi très entouré à la télévision, dans les journaux et d’essayer de donner l’impression que l’évêque l’appuie.

Après la célébration, suit le repas, pendant lequel reprend une série de discours, chacun se présentant et présentant ses doléances. A Ikalalao, l’un demandait à l’évêque de l’argent pour mettre une cloche à son église, un autre pour des bancs, un troisième une école, un autre un toit, un autre une aide pour entretenir le centre de formation rurale. C’est difficile de voir comment les gens ont un rapport à l’évêque du type du rapport aux politiques : une attente de « cadeaux » pour eux, mais rien ne se dit de projets missionnaires, d’une conscience d’Eglise ensemble, que l’argent ne vient pas de l’évêque qui serait riche, mais des chrétiens qui partagent ce qu’ils ont et font des projets correspondant à leurs besoins et possibilités.

Est-ce une nécessité pour cette communauté pauvre et divisée (cas de la communauté qui demande la cloche) que d’acheter une cloche qui coûtera plusieurs millions d’Ariary et ne s’entendra pas dans les hameaux éloignés ? J’aime la réflexion d’Antoine Chevrier qu’il fait en parlant du prêtre et que j’adapte en parlant de la communauté chrétienne et en mettant en italique les mots que j’ai mis pour remplacer l’expression « le prêtre » du Père Chevrier :

–     « La plus belle cloche d’une église, c’est la communauté chrétienne. Le plus beau meuble d’une église, c’est la communauté chrétienne. Mettez une communauté chrétienne sainte qui se nourrit et vit l’Evangile dans une église de bois, ouverte à tous les vents, elle attirera et convertira plus de monde dans son église de bois qu’une autre communauté chrétienne dans une église d’or. C’est la communauté chrétienne sainte qui se nourrit et vit l’Evangile qui donne la vie ; ce ne sont ni les pierres, ni les calices, ni les ornements, ni les lustres, ni les beaux autels, ni les belles chaires qui convertissent; elles attirent pour la curiosité, elles ne convertissent pas, ni ne guérissent. Et aujourd’hui, cependant, on travaille beaucoup plus à faire de belles églises, de belles cures, qu’à faire des saints. C’est qu’il est plus facile de faire une belle église que de faire un saint. Et on ne pourra jamais remplacer la sainteté par les plus belles choses extérieures. » (Livre du Père Chevrier le Véritable Disciple p. 297).

17h15, le repas prend fin.

11. Programme pour les mois qui viennent

Je vous mets ci après mon programme en espérant pouvoir retrouver nombre d’entre vous qui prendrez contact, en veillant aussi à ne pas exégérer sur le rythme en France pour pouvoir revenir pas trop fatigué à Fianarantsoa.

  • 4 au 10 juillet : rencontre des prêtres à Fianarantsoa, 3 jours, puis 8 jours de pastorale dans la paroisse de Befeta et dans la paroisse voisine
  • 18 au 22 : préparation des retraites à prêcher
  • 23 au 25 : animation de la retraite des prêtres en Première Formation au Prado à Antsirabe
  • 25 au 29 : rencontre nationale du Prado à Antsirabe
  • 29 et 30 : voyage pour Diego (pointe nord de Madagascar)
  • 31 : ordination de Gildain pour le diocèse de Diego, prêtre formé au séminaire de Limonest
  • 2 au 7 août : animation de la retraite des prêtres du diocèse d’Ambanja à Diego
  • 8 aôut : avion pour la France
  • 8 au 20 août : en famille en Dordogne
  • 21 au 26 : retraite des prêtres du Prado de France à Limonest
  • 26 août au 2 septembre : à Limonest, bilan médical et rencontres des amis de la région.
  • 2 au 19 septembre : en région parisienne, liens avec mon diocèse, rencontres des amis de la région
  • 20 : retour à Madagascar.

12. Des paroles qui m’habitent

Des retraites de Première Communion et de confirmation, restent diverses paroles qui m’habitent :

–     D’abord ce « Zachée, descends vite, il me faut aujourd’hui demeurer dans ta maison ». Il y a très longtemps que cette phrase me touche et a marqué nombre de rencontres fortes (cf. livre En fin de vie). Là, je la reçois comme lumière pour la rencontre de l’autre d’une autre culture, combien chacun dans la rencontre est appelé à se simplifier, à s’abaisser réciproquement, pour que la rencontre puisse avoir lieu, que l’autre puisse habiter un peu en moi, au-delà, pour que le Christ puisse entrer et rendre cette rencontre mutuelle source de vie. Même si Zachée a donné largement de ses richesses, j’entends dans cet appel à « descendre » une invitation à ne pas arriver avec plein de moyens, y compris financiers, si je souhaite que la rencontre puisse être vraie et permettre aussi bien à moi qui arrive à Madagascar qu’à ceux qui me reçoivent, de pouvoir grandir mutuellement. Je pense que cela rejoint l’appel du Père Chevrier à commencer toute « œuvre » à la crèche.

–     Ensuite, ces phrases du Christ au Mont des Oliviers, à l’ascension : « Vous allez recevoir une force, celle du Saint Esprit, et vous serez mes témoins, à Jérusalem, en Judée, en Samarie et sur toute l’étendue de la terre ». Elle éclaire ce mystère de la foi parvenue jusqu’à nous du 3ème millénaire, mais aussi jusqu’en France, jusqu’à Madagascar. Elle éclaire cette force qui a animé les jeunes et les catéchistes pendant ces retraites et nous donne une direction pour la suite. Elle indique la force qu’il faut chercher à transmettre pour que la dynamique de spirale vers le fond à Madagascar puisse s’inverser.

–     Et encore cette invitation de Pierre à ceux qui, bouleversés en entendant que ce Jésus qu’ils ont crucifié, Dieu l’a ressuscité et les apôtres en sont témoins, demandent : « Que nous faut-il faire ? » : « Convertissez-vous : que chacun de vous reçoive le baptême au nom de Jésus Christ pour le pardon de ses péchés, et vous recevrez le don du Saint Esprit. Car c’est à vous qu’est destinée la promesse, et à vos enfants ainsi qu’à tous ceux qui sont au loin, aussi nombreux que le Seigneur notre Dieu les appellera. (…) Sauvez-vous, de cette génération dévoyée. » c’est-à-dire, ne vivez pas selon l’esprit du monde, mais selon l’Evangile pour que tous se sachent aimés de Dieu, que les forces de mort si présente partout, à Madagascar en particulier, ne l’emportent pas.

En vous espérant en forme, je vous redis mon amitié, mon affection et ma prière.

Bruno Cadart, le 4 juillet 2011

 

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