Le tombeau vide et la difficulté à reconnaître le Ressuscité (Pâques 2011)

N’ayant pas d’accès facile à internet, cet email collectif n’est pas adressé à tout le fichier d’adresses mais mis sur le blog et envoyé à ceux qui envoient de leurs nouvelles que j’apprécie toujours.

Pâques 2011 – Bruno Cadart

Chers amis,

J’aimerais pouvoir écrire avec enthousiasme et sans réserve : « Christ est ressuscité, Alléluia ! »

Mais la joie de Pâques, c’est d’abord la discrétion du tombeau vide, les difficultés des apôtres à reconnaître le Christ, les persécutions qui vont venir bien vite, le monde qui reste complexe habité par ce mystère de mort et résurrection si présent dans les événements évoqués par les disciples d’Emmaüs et dans les événements des ces derniers mois au Japon, dans le monde arabe, ailleurs.

A Madagascar ? Le courrier de Pentecôte qui décrit la tournée à Mahazoarivo et celui de fin novembre qui présente l’arrivée à Befeta, disent bien la vie au quotidien, avec ses joies, ses difficultés aussi.

Récemment, j’ai adressé un email à l’équipe Prado internet, faisant l’écho des difficultés que traverse le pays ou que je peux rencontrer plus directement. Cela ressemble aux dix plaies d’Egypte et ne dit pas la joie des rencontres au quotidien et je vous laisse lire les dépêches sur les sites internet donnant l’actualité à Madagascar ou vous reporter aux deux courriers précédents qui restent totalement actuels.

Ma vie continue à être combat pour arriver à parler, comprendre, heureux d’arriver à m’exprimer mieux que je ne m’y attendais, mais conscient qu’il faudra encore beaucoup de temps pour que je puisse comprendre ce qui se dit, exprimer ce que j’aimerais dire. Je supporte assez bien cette pauvreté, mais je souffre de ne pas pouvoir plus seconder Wilson sur la paroisse et de penser qu’il en souffre plus que je ne voudrais.

Avec cette pauvreté de langue, en invitant les participants à lire la Parole de Dieu et à la commenter, sans pouvoir tout comprendre de ce qu’ils disaient, j’ai animé plusieurs récos : réco des terminales à Ambohimahasoa, des « régents » (séminaristes faisant un stage au milieu de leur séminaire), des prêtres du diocèse de Farafangana, des professeurs des écoles catholiques d’Ambohimahasoa, autant de rencontres où j’ai été heureux et qui m’ont donné de méditer et prier.

Lors de la première semaine de février, suite à la réco des terminales et à d’autres rencontres pendant cette semaine qui m’avaient rendu très heureux, j’avais fait le choix de me détendre en vélo. Quelques uns d’entre vous ont alors reçu un email les prévenant que, le 6 février, j’avais eu un accident sérieux qui tournait bien grâce au casque et à la Providence. Après avoir heurté un talus avec la tête la première à 50 km / heure, perdu connaissance, retrouvé le casque éclaté à côté de moi, je m’en suis sorti sans fracture. Je garde évidemment des douleurs dans le cou et dans le dos, mais je continue à récupérer. J’ai repris le vélo pour aller célébrer les messes dans les diverses communautés, rejoindre la paroisse depuis Ambohimahasoa (la ville la plus proche, 34 km).

La plus grande joie depuis mon arrivée ici, c’est de voir l’équipe Prado se réunir régulièrement et la qualité du partage entre nous, ainsi que la joie des deux prêtres qui ont fondé l’équipe de prêtres « zéro alcool ». Ils ont fêté 7 mois d’abstinence et n’en finissent pas de dire la renaissance que cela leur fait vivre. Deux autres ont rejoint l’équipe.

J’ai été impressionné lors du week-end des Rameaux par les « Journées Mondiales de la Jeunesse ». Dans la plupart des paroisses malgaches, ont été organisées une étape des « Journées Mondiales de la Jeunesse ». D’ici quelques semaines, cela se fera au niveau de chaque doyenné, puis 2 jeunes par diocèses iront à Madrid. En septembre, il y aura une rencontre par diocèses. A Isaka, ils étaient 260 à avoir prié ensemble du jeudi soir au lundi matin, suivi des enseignements, dans une ambiance très belle.

Ce qui m’est vraiment le plus difficile, c’est la complexité pour décrypter ce que l’autre pense, ressent, le mélange d’accueil très fraternel et de blessures liées à l’histoire de la colonisation avec les vingt ans de « pacification » (1895-1913) et, surtout, les évènements de 1947 (les français ont massacré entre 30 000 et 100 000 malgaches suivant les estimations quand Madagascar avait une population de 4,5 Millions d’habitants) qui restent très présents dans le cœur des malgaches, sans compter leur souffrance de voir leur pays plonger sans pouvoir mettre tout sur le compte de la colonisation. Quand je crois qu’un rapport de confiance a pu naître, je découvre que c’est plus complexe. Je garde cette réflexion d’un prêtre français ici depuis longtemps : « ici, nous apprenons l’humilité, la patience ». J’aimerais l’apprendre vraiment…

Je termine en partageant un bout d’Etude d’Evangile fait à la dernière rencontre de notre équipe Prado sur l’Evangile de Lazare (Jn 11) et qui m’a aidé à entrer dans cette fête de Pâques. En méditant ce texte, j’ai été touché par :

–     Les marques profondes de l’amitié de Jésus avec cette famille, cette Marie pécheresse.

–     Son désarroi, ses pleurs, devant tant de souffrance.

–     Le fait qu’il n’a pas résolu le problème de Lazare : il l’a réanimé… mais il est « re-mort »… et les pharisiens cherchaient à le faire périr aussi (Jn 12,10)

Ces réactions de Jésus manifestent tout autant son humanité que sa divinité. Profondément humaines et disant une divinité autre que celle que nous pourrions nous imaginer spontanément, elles sont en même temps orientées par une lumière venue d’en-haut. Ainsi, il fait le choix d’aller à Jérusalem alors que les responsables religieux cherchaient à le faire mourir, nous disent les apôtres. Il ne va pas tout de suite à guérir Lazare. Pour lui, et il le disait déjà dans l’évangile de la samaritaine, dans celui de l’aveugle-né, que nous avons lu pendant ce carême, la fatigue, les divisions entre les hommes, la maladie, la mort, qu’il n’explique pas, ne sont pas occasion de se désespérer, mais elles doivent « servir pour la gloire de Dieu », être le lieu où il révèle l’amour du Père.

Dans cet Evangile, je retiens d’abord cette parole de Marthe à sa sœur Marie, qu’elle est revenue chercher à la maison :

–     « Le Maître est là, il t’appelle »… dans ce monde marqué par la mort et par toutes les difficultés si présentes ici.

Et puis cette parole de Jésus :

–     « Enlevez cette pierre »… Enlevez le boulet, faites-vous proches de ceux qui souffrent, et je pense à ces hommes qui luttent à la centrale, à ceux qui essayent de renverser des régimes oppressants, sans savoir ce qui suivra. Ne vous laissez pas avoir par les simplismes de l’extrême droite en France ou ces retours grégaires ici, devant l’absence d’état fiable.

Et ce cri de Jésus adressé à chacun de nous :

–     « Lazare, sors ! », sors du tombeau, sors de ce qui est mort en toi !

–     « déliez-le »… « Laisse-toi être délié et engage-toi dans une relation qui délie », mais qui ne peut prendre d’autre chemin que celui que Jésus a choisi, en s’abaissant, en acceptant toute une impuissance, en se faisant proche, en se donnant, en se tournant vers le Père dont il ne doute pas qu’il l’exaucera… quand, à vue humaine, il est difficile de croire que Lazare va revenir à la vie.

Soyez sûrs de ma prière comme je compte sur la votre. Très fraternellement

Bruno

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