Oser croire en Dieu Créateur à l’heure du Big-Bang

Bruno, prêtre et médecin, retranscrit l’itinéraire qu’il faisait avec des jeunes de 4ème pour les aider à comprendre les récits de la Genèse. Il garde le ton familier utilisé pour accrocher les jeunes et à partir duquel il essayait de les ouvrir au Mystère : Dieu qui aujourd’hui nous crée, nous parle, nous appelle. Ce texte pourra aider bien des adultes pour dire un Dieu Créateur.

Article publié par la Revue des laïcs du Prado, « Quelqu’un Parmi Nous, n° 166, mai 2001, sur la Création, p. 8 à 19.

1. Qui croire entre la science et la Bible ? [1]

Un numéro de QPN sur la Création… Mais comment croire en Dieu Créateur en 2001 ?

–     Qui Croire :

*   l’école qui parle de l’évolution, du big bang ?

*   l’Eglise qui parle de Dieu Créateur, d’Adam et Eve ?

–   (…) réponses diverses des jeunes… de celui qui dit que la Bible est dépassée à celui qui la reçoit au pied de la lettre et décrète que la théorie de l’évolution est opposée à la foi.

2. Quel récit de la Bible « dit vrai » sur la Création entre Genèse 1 et Genèse 2-3 ?

2.1 Regard sur le récit de la Création dans Genèse 1 :

Apparaissent successivement : la lumière, le jour et la nuit, la mer et le ciel, les continents, les plantes, les astres, les poissons et les oiseaux, les mammifères et puis… « Dieu dit : faisons l’homme à notre image, (…) homme et femme il les créa ».

2.2 Regard sur le récit de la Création dans Genèse 2 :

La terre est là, nue ; Dieu modèle l’homme, insuffle son souffle, plante un jardin, y place l’homme ; il est question de l’arbre de vie à ne pas toucher ; Dieu donne à l’homme des compagnons, animaux de tous genres… pour qu’il ne reste pas seul. Et l’homme de dire à Dieu : « les mammouths, les singes, les pit-bull et autres boas ou macaques, c’est sympa… mais je me trouve bien seul… ». On assiste alors à la première anesthésie générale ; et l’homme, au réveil, de s’exclamer devant la femme : « tu es l’os de mes os, la chair de ma chair ! »

2.3 Deux récits qui semblent se contredire :

Alors qui croire ? La Bible se contredit à un chapitre de distance : l’ordre d’apparition des créatures n’est pas le même. Comment comprenez-vous ? Réponses embarrassées jusqu’au moment où quelqu’un dit :

–     « C’est un conte ! »

Et rapidement, tous de conclure que c’est inventé, que c’est « faux »… C’est bientôt tout le message de la Bible qui paraît suspect, non crédible, dépassé et sans intérêt pour nous.

Suit une explication que je résume ci-après :

La Genèse n’est pas une description de ce qui s’est passé à l’origine, pas plus que l’Apocalypse ne décrit la fin du monde. Personne n’a jamais été voir l’origine, personne ne peut décrire la vie après la mort, la fin du monde.

La science non plus. Elle émet des hypothèses pour expliquer des phénomènes. Ces hypothèses restent très limitées et sont régulièrement réévaluées. Pour expliquer le mouvement du soleil, on l’a d’abord imaginé qui tourne autour de la terre, puis l’inverse. Aujourd’hui, on sait que le système solaire n’est pas le seul. Mais même la science reste limitée et elle ne dit rien du pourquoi, du sens, ni de l’origine… Et avant le big bang ?

3. Qu’est-ce qui me crée ? Qu’est-ce qui me fait être ?

On pense que le livre de La Genèse a été mis en forme 1000 ans avant Jésus-Christ (970-931 ans avant Jésus Christ), au temps du roi Salomon (peut-être plus tard, pendant le règne du roi Josias (640-609 avant Jésus-Christ). En ce temps-là, des hommes, des femmes, s’interrogent sur le sens de la vie : Qu’est-ce qui me crée ? Qu’est-ce qui me fait vivre ?

Ils n’ont pas les mêmes connaissances que nous, mais, quand même, ils savent que, s’ils sont là, c’est parce que leurs parents se sont unis. Ils savent aussi que ce qui les crée, les fait être, c’est bien sûr la Blédine que leur donnait leur maman… encore qu’à l’époque, la Blédine… En poussant plus loin, ils ont conscience que ce qui les crée, les fait tels qu’ils sont, c’est l’amour de leurs parents. Un enfant qui n’est pas aimé, à qui personne ne donne un prénom, ne parle, ne peut pas vraiment grandir, être. Ils ont aussi repéré que, quand un (une) autre leur a dit : « je t’aime », ça les a chamboulés… le cœur à 180, le regard tout autre…

Ces hommes, ces femmes, 1 000 ans avant Jésus-Christ, par leur recherche et, nous le croyons, inspirés par l’Esprit de Dieu, vont plus loin : ils pressentent qu’au delà de cet amour humain et à travers cet amour, un autre Amour les crée, les fait être. Ils ne savent pas bien dire cet Amour, mais ils seront prêts à mourir plutôt que de renoncer à être Juifs, croyants. Alors ils écrivent un poème pour dire le plus réel, le plus fort de leur vie d’hommes.

4. « Au commencement… »

En grec, en hébreu, ce mot ne désigne pas un événement qui s’est passé il y a bien longtemps ; ce mot veut dire : « au fondement », « au plus profond de toi »… Il ne s’agit pas de parler de ce que Dieu a fait il y a bien longtemps, mais d’exprimer ce qu’il réalise aujourd’hui en celui qui s’ouvre à sa Parole.

5. « Dieu dit : que la lumière soit… »

Imaginez que vous êtes des archéologues et que vous venez de trouver un papyrus ou une tablette d’argile avec cette inscription :

« Dieu dit : que la lumière soit, et la lumière fut. »…

Que pouvez-vous conclure sur la pensée des hommes et femmes qui vivaient 1000 ans avant Jésus-Christ ? Quelques réponses des jeunes :

–     ils croient en Dieu…

–     un Dieu unique… ils ont écrit Dieu au singulier…

–     un Dieu qui parle…

–     et l’homme peut entendre sa parole… mais pas avec ses oreilles… Ceux qui entendent des voix se retrouvent vite en psychiatrie…

–     un Dieu qui appelle la lumière pour qu’elle soit…

–   et sa parole est efficace… la lumière fut…

On peut penser que ces hommes étaient bien naïfs, mais c’est un fait historique que des hommes, des femmes, dès 2 000 ans avant Jésus-Christ croient en un Dieu unique alors que la majorité des hommes adorent de multiples divinités. On a retrouvé des traces archéologiques remontant à cette période en Mésopotamie.

Si la Genèse ne parle pas de ce qui s’est passé il y a des millions d’année, mais parle de chacun de nous aujourd’hui, comment entendre ce texte ?

–   N’avez-vous jamais été triste, désespérés ou en colère, ressentant la haine, dans le noir… Et puis, vous prenez le temps de faire silence, de parler à Dieu, de l’écouter dans votre cœur… et c’est comme si vous retrouviez la lumière ?

Etonnante l’attention des jeunes à ce moment-là et régulièrement plusieurs témoignent. Je prenais aussi le temps de témoigner de la lumière reçue en faisant Etude d’Evangile, en priant.

« Dieu dit : que la lumière soit, et la lumière fut. »[2]

6. Regarder Jésus pour m’ouvrir au Dieu Créateur

Mais une question surgit : les auteurs du poème de la Création se trompent-ils ? Est-ce que je me trompe en attribuant à Dieu la lumière ressentie ? N’est-ce pas une illusion, une auto-suggestion ?

Alors nous faisions un détour par Jésus, détour que je brosse à grands traits :

–   C’est un fait historique qu’un homme Jésus a existé, comme César ou Ramsès ont existé.

–   C’est un fait historique que des hommes l’ont suivi, qu’ils l’ont d’abord abandonné avant de donner leur vie pour lui. Des historiens non-croyants en témoignent très tôt.

–   Même si Jésus n’était pas Dieu, l’Evangile, l’appel à aimer à l’infini, ça tient, ça donne sens à nos vies.

–   Mais comment croire que Jésus est Dieu ? Comment croire qu’il est Ressuscité ? Après avoir alerté pour qu’ils ne se fassent pas d’image, j’évoquais les disciples d’Emmaüs et parlais du cœur brûlant, les renvoyant à leur expérience et concluant : ça ne tient pas dans ma tête de croire à la résurrection, de croire en un Dieu Amour, qui aujourd’hui encore me parle, nous parle, nous crée ; mais la science ne me permet pas d’affirmer le contraire (voir ci-après). Ce cœur brûlant, ce Dieu qui touche le cœur de l’homme et le fait vivre, avec d’autres, j’ai foi en lui, il me fait vivre, même si je ne peux le prouver[3]. Je fais confiance à la parole de Jésus qui parle de son Père, à la parole des apôtres qui disent l’avoir rencontré Ressuscité même s’ils ne savent pas le décrire, au témoignage de l’Eglise, de personnes qui disent aussi faire l’expérience de cette rencontre qui transforme leur vie, leur regard.

7. Scientifique et oser croire des choses que je ne peux me représenter…  oser croire à la résurrection !

–     Quand vous étiez dans le ventre de votre maman, si on avait pu vous interviewer sur le monde qui vous attendait, un monde avec de l’air, de la lumière, la possibilité de se déplacer, d’entrer en relation, même si vous aviez pu parler, qu’auriez-vous pu en dire ?

–     Rien…

–     Quelle image auriez-vous pu en avoir ?

–     Aucune.

–   Et pourtant, ce monde est bien réel. Mieux que ça. Ce monde que vous ne pouviez imaginer, dire avec des mots, vous en viviez déjà : par le cordon ombilical, vous vous nourrissiez de ce monde ; vous étiez déjà sensible aux bruits, aux musiques qui vous parvenaient incompréhensibles. Savez-vous que, quand votre papa mettait la main sur le ventre de votre maman, vous alliez vous blottir contre la main de votre papa et votre rythme cardiaque s’accélérait ? Vous recherchiez déjà l’amour de ce père que vous ne connaissiez pas, que vous ne pouviez imaginer !

(je vous laisse imaginer l’écoute attentive des enfants et des mamans quand ce dialogue se faisait en leur présence)

–   Pour moi, c’est une bonne image pour évoquer ce que nous ressentons, cet amour de Dieu Père que nous ne pouvons pas nous représenter, cette présence de Jésus Ressuscité dont nous ne pouvons pas nous faire d’image, et qui pourtant nous font vivre, après beaucoup d’autres qui nous ont précédés dans la foi. Comme scientifique, je ne peux pas prouver la résurrection dont je ne peux me faire aucun image ; je ne peux prouver Dieu, ni comprendre comment il nous crée ; mais, si je suis sérieux, je ne peux pas exclure ce que je ne peux me représenter.

Nous continuions en évoquant l’amour entre deux êtres humains. Celui qui aime un ou une autre ne pourra jamais être sûr ni prouver que l’autre l’aime, ni que ce qu’il ressent dans son cœur n’est pas une illusion, une autosuggestion. Il y a cependant un moment où il fonde sa vie sur cet amour ressenti et cet amour grandira et le construira dans la mesure où il s’inscrira résolument dans ce « je t’aime » dit à l’autre et entendu de lui, même dans les moments de nuit où il ne ressent rien.

A la fin de sa vie seulement, il pourra dire : « avec mes fragilités, je t’ai aimé, je me suis laissé aimer par toi »… « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime » nous dira Jésus en paroles et en actes sur la croix, mais aussi à notre baptême, dans l’Eucharistie…

8. Dieu dit : « faisons l’homme à notre image… homme et femme il le fit. »

On en venait alors aux versets 26 à 28 de la Genèse :

26Dieu dit : « Faisons l’homme à notre image, selon notre ressemblance, et qu’il soumette les poissons de la mer, les oiseaux du ciel, les bestiaux, toute la terre et toutes les petites bêtes qui remuent sur la terre ! 27 Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa ; mâle et femelle il les créa. 28Dieu les bénit et Dieu leur dit : « Soyez féconds et prolifiques, remplissez la terre et dominez-la.

De nouveau, tels des archéologues, nous cherchions ce que ces hommes et femmes qui vivaient 1 000 ans avant Jésus-Christ, il y a déjà 3 000 ans, avaient compris dans leur cœur, avec leur intelligence, avec l’Esprit Saint, de ce qu’est l’homme :

*    Dieu qui « fait » l’homme, le crée… Dieu qui, aujourd’hui, au fondement, au plus profond de moi, me fait être par sa Parole, me crée…

*    homme et femme à son image, black-blanc-beur, handicapés ou en bonne santé, doués ou non à l’école, riche ou pauvre, jeune ou vieux, à son image, autant aimés de Dieu… Il ya 3 000 ans, des hommes, sous l’inspiration de l’Esprit Saint, nous disent la parole qu’ils reçoivent de Dieu… on est loin de la vivre ! Et dire que l’on prétend que la Bible est dépassée… désuète…

*    homme et femme à l’image de Dieu… ça veut dire que je ne peux être à l’image de Dieu tout seul… sans l’autre…

*    ça veut dire que pour rencontrer Dieu, pour le connaître, il me faut regarder mon frère, me tourner vers lui…

*    dominez la création… ne pas me laisser mener par mon corps, l’argent, les idoles de toutes sortes, la TV, l’ordinateur…

*   (…) A chacun de poursuivre cette réflexion dans laquelle les jeunes m’ont étonné bien des fois

9. Et comment comprendre le deuxième poème de la Création ? (Gn 2 et 3)

Emerveillés par cet amour qu’ils sentaient en eux, par cet amour qu’ils pressentaient recevoir d’un autre, du Dieu Tout Autre, nos ancêtres faisaient comme nous l’expérience du mal, de leur difficulté à aimer vraiment. Et c’est un deuxième poème, écrit et reçu comme inspiré par Dieu parlant à leur cœur d’homme et à leur intelligence. Ils regardent ce qui conduit à se couper du bonheur, à se couper du Créateur et ils en décrivent les mécanismes pour mieux s’en protéger.

Quand nos aînés veulent rendre compte du mal, de ce qui divise les hommes entre eux, l’homme en lui-même et le coupe de l’amour, un peu comme les réalisateurs de l’émission de TV du « bébête show », ils cherchent un animal pour représenter cette expérience bien réelle de l’homme. Ils choisissent le serpent. A votre avis, pourquoi ont-ils choisi le serpent ?

–     il n’avance pas droit, il louvoie

–     il ne se tient pas debout, il agit par en-dessous

–     son sifflement, c’est comme les paroles qu’on dit à mi-voix sur les autres ou quand on prépare un mauvais coup

–     sa morsure est brûlante

–   il hypnotise sa proie… etc.

Ensuite, nous regardions comment l’homme se laissait prendre par le mal (représenté par le serpent) en lui :

–     au début, il reçoit toute la création comme un don et sait qu’il y a un arbre de la connaissance sur lequel il ne peut mettre la main ; cet arbre est symbolique, une manière de dire que l’homme n’est pas tout puissant et ne peut connaître en vérité sans les autres, sans le Tout Autre

–   ensuite, il ne voit plus que l’arbre interdit… comme celui qui a fait un choix de vie, et, tout d’un coup, ne voit plus tout ce qui est donné, mais tout ce à quoi il a renoncé, ou celui qui a choisi d’aimer quelqu’un et ne voit tout d’un coup plus que ses limites.

Dans la suite, les hommes qui vivaient il y a 3 000 ans décrivent l’incapacité de l’homme à assumer ses actes, à dire « je », à se situer dans une relation d’amour avec ses frères et avec Dieu quand il se laisse prendre par le mal (voir dialogue dans Genèse 3,8-13) et ils perçoivent la condition humaine faite de joies, mais aussi de souffrances (le travail, l’enfantement) comme une punition de Dieu. C’est leur manière de comprendre. Ne serait-ce qu’en se faisant homme, mais aussi dans sa manière de réagir, de vivre, Jésus apportera un tout autre éclairage.

10. Prier et s’ouvrir au Dieu Créateur et Père…

Au terme de ce parcours, j’invitais chacun à écrire une prière. La Bible fourmille de paroles de croyants se remettant devant Dieu qui les crée, provocation pour chacun à s’inscrire dans cette ouverture au Dieu Créateur, un Dieu qui se propose de nous créer aujourd’hui, au plus profond de nous-mêmes, d’être notre « commencement », notre source… mais aussi notre chemin et notre destination ultime. En voici quelques-unes :

« SEIGNEUR, notre Père c’est toi ; c’est nous l’argile, c’est toi qui nous façonnes, tous nous sommes l’ouvrage de ta main. » (Isaïe 64,7)

« Que tout se fasse pour moi selon ta Parole » (Luc 1,38)

« Que ton règne vienne… que ta volonté soit faite »

« Ils ont échangé la vérité de Dieu contre le mensonge, adoré et servi la créature au lieu du Créateur qui est béni éternellement. Amen. » (lettre de Paul aux Romains 1,25)

« Aussi, si quelqu’un est en Christ, il est une nouvelle créature. Le monde ancien est passé, voici qu’une réalité nouvelle est là. » (2ème lettre de Paul aux  Corintiens 5,17)

Bruno

[1] Pour alléger le texte, je passerai sans transition de la description des étapes de notre itinéraire à la retranscription des dialogues en style direct avec les jeunes.

[2] Gn 1,3

[3] Il y a une très belle méditation de Jean-Paul II en langage simple dans sa dernière lettre de fin du Jubilé (« Novo Millennario ineunte », titre qui reprend les premiers mots de sa lettre et signifient : au commencement du nouveau millénaire. Il avait aussi eu une très belle méditation dans sa lettre aux jeunes pour les JMJ 1997 à Paris.

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