Premières impressions en arrivant à Guaçui (1er novembre 2005)

Bonjour,

J’ai prévu de ne pas écrire beaucoup tout en veillant à donner quelques nouvelles de temps en temps. J’essayerai de m’y tenir. J’essayerai de tenir cette quadrature du cercle : comment rester présent à vous tous avec qui j’ai cheminé jusqu’à présent tout en étant pleinement présent ici à Guaçui et en me laissant le temps d’un regard plus intérieur. Je suis toujours preneur de vos nouvelles, même si je ne répondrai pas toujours très vite. Je compte surtout sur votre prière et vous pouvez compter sur la mienne.

Permettez-moi, en même temps que je vous donne mon adresse, de donner quelques flashs sur mes derniers jours à Lyon et du premier jour au Brésil. Je joins aussi le message annonçant mon départ au Brésil pour ceux qui ne l’ont pas eu.

A Lyon, j’ai eu la chance d’accueillir mon évêque, le Père Daniel Labille, qui accompagnait un pèlerinage vocations de notre diocèse. Ils sont partis d’Ivry, passés à La Pierre Qui Vire, Nevers, Taizé, Mazille, et le Prado. J’avais tenu compte de ce passage pour choisir la date de mon départ. J’ai été très heureux de présenter au Père Labille le Prado et de prier avec lui et avec les participants à ce pèlerinage avant de partir.

Lundi, J’ai eu la joie de célébrer la fête de la Toussaint de manière anticipée avec les permanents présents, de recevoir l’Evangile des Béatitudes, bon chemin pour entrer dans la nouvelle mission avec un cœur de pauvre, etc.

A 14h, après avoir reçus de multiples messages d’affection auxquels je n’ai pas toujours pu répondre (je vous prie de m’en excuser), Louis Magnin et Michel Meynet m’ont conduit à l’aéroport de Lyon Saint Exupéry.

Dans l’avion, je découvre le journal du jour « O Globo », première prise de contact avec le Brésil ; voici les titres principaux :

  • Lula, est accusé d’avoir fait financer sa campagne présidentielle par Cuba. Un autre article dit aussi qu’il a atteint son but de maîtriser les dépenses publiques ;
  • Une guerre des chefs de favelas à Rio a fait de nouveaux morts ;
  • La favellisation de Rio progresse ;
  • 17 personnes blessées dont plusieurs de manière graves dans une action de l’association des paysans sans terre dans le Minas Gerais (état voisin du mien)
  • Un haut responsable de la santé publique mort des suites d’une piqûre par un tique ;
  • La visite prochaine du Président Bush est l’occasion de multiples critiques contre lui, en particulier contre son intervention en Irak ;
  • Et bien sûr, des pages sur le foot, sur les « Corinthios » qui sont en tête du championnat.

12h, atterrissage à Vitoria, capitale de l’état do « Espírito Santo », 500 km nord de Rio de Janeiro, état où je suis envoyé. Olimpio, le responsable du Prado du Brésil que je viens soutenir m’y accueille.

Déjeuner au séminaire du diocèse de Cachoeiro de Itapemirim. Il s’agit d’une maison très simple dans un quartier pauvre des environs de Vitoria. Il y a 8 séminaristes en premier cycle et 8 en deuxième cycle. Ils ont une vie communautaire et vont suivre les cours à la faculté catholique de Vitoria. Ils ont aussi une insertion dans le diocèse de Cachoeiro de Itapemirim. Helder, le recteur, m’accueille en m’offrant un volume du bréviaire en brésilien qu’il m’a dédicacé m’invitant à entrer dans leur prière.

Nous prenons une route sinueuse et montagneuse, en mauvais état, traversant quelques agglomérations et surtout de longs passages ruraux avec très peu d’habitations, succession d’élevages de bovins et de chevaux, de plantations de bananes et de caféiers, le tout sous une pluie forte. On passe aussi devant de nombreuses usines de marbre et de granit.

3h30 de route, et nous arrivons à Guaçui ville rurale de 30 000 habitants à 600 m d’altitude au-dessus de laquelle veille une copie du « Cristo Rei » que je vois de ma fenêtre. Il semble qu’il y ait près de 200 km de Vitoria à Guaçui, au fin fond de la montagne, à 40 km du sommet du troisième sommet du Brésil, le « Pico da Bandeira » (Pic du drapeau) qui culmine à près de 3000 m.

Il y a des feuilles avec des phrases bibliques écrites pour accueillir le « Padre Bruno » sur la porte d’entrée extérieure, puis sur la porte de la salle à manger, de ma chambre, et même des toilettes. C’est Luisa-Maria, responsable de la « pastorale vocationnelle », qui les a préparées.

10 minutes pour me raser, et nous concélébrons la « messe d’accueil du Père Bruno ». C’est un plongeon immédiat dans la nouvelle mission.

Roberto, un prêtre voisin qui a mon âge est là. Olimpio représente l’évêque qui a téléphoné pour souhaiter la bienvenue et annoncer qu’il passera célébrer avec nous d’ici peu. L’Eglise est pleine bien qu’on soit en semaine et qu’il ne s’agisse pas de la fête de la Toussaint : 400 personnes, avec des hommes, des femmes, des vieux, des jeunes, des enfants.

Le chant d’entrée démarre. Tout le monde rythme en tapant dans ses mains. Juarez, avec qui j’habite, dit quelques mots pour m’accueillir et toute l’assemblée applaudit avec force. Il faut dire qu’il n’y a pas une messe sans qu’on applaudisse au moins l’Evangile, même en semaine.

Olimpio me présente plus : il rappelle que je suis là à la demande de l’évêque du diocèse de Cachoeiro de Itapemirim qui a accepté qu’Olimpio soit responsable du Prado du Brésil et voyage dans tout le pays qui fait 14 fois la taille de la France tout en demandant au Prado d’envoyer un prêtre pour 2 ans. Il fait le signe de croix qui est chanté par toute la communauté.

Une procession démarre. Chacune des 26 communautés de base est représentée par un laïc qui avance avec une banderole et un mot d’accueil écrit dessus pour le « Padre Bruno ». D’autres personnes suivent et me donnent chacune une fleur. Il faut embrasser chacune et dire un mot, m’excuser pour mon brésilien approximatif.

Nouveaux chants gestués pour le kyrie, le Gloria. Procession avec une vingtaine d’enfants pour apporter le livre de la parole de Dieu que tout le monde applaudit. Un jeune de 14 ans chante le psaume. Une chorale et des musiciens lancent les chants, mais c’est toute l’assemblée, hommes et femmes, des premiers jusqu’aux derniers bancs, qui chante avec force et gestue. Un diacre proclame l’Evangile. Juarez fait l’homélie avec une allusion à l’accueil du « Padre Bruno ». La prière eucharistique est rythmée par des refrains après chaque paragraphe. Pour la communion, les prêtres restent assis et des « ministres de la communion », hommes et femmes portant une veste spéciale se chargent de proposer la communion sous les deux espèces.

A la fin des annonces paroissiales, dont un appel appuyé à participer à des groupes de « formation biblique », Olimpio évoque l’évêque de Créteil, l’acte de foi que représente l’envoi d’un prêtre. Il demande un temps de silence pour prier pour l’Eglise de Créteil et plus largement pour l’Eglise de France.

Après, Juarez reprend la parole pour annoncer que, pendant 2 mois, je n’aurai pas d’autre charge que de l’accompagner dans toutes ses activités. Il précise le but : me permettre de découvrir la paroisse, nous permettre surtout de construire ainsi une communion entre nous. Je suis très touché par ce deuxième objectif.

Fin décembre une assemblée paroissiale permettra de réfléchir à ce qui pourra m’être demandé et à ce que ma présence pourra permettre. Il annonce aussi qu’Olimpio va habiter avec nous quelques temps pour permettre cette communion plus forte entre nous 3. Il présente un peu plus la charge d’Olimpio au service des prêtres du Prado du Brésil. C’est en écoutant les annonces que je découvre petit à petit ce qui m’attend.

Un peu plus tard, Juarez m’expliquera que nous aurons deux paroisses à assumer ensemble situées à 30 km l’une de l’autre. Nous habiterons ensemble à Guaçui.

Je peux alors dire deux mots encore pour remercier et je dois rester devant l’autel : nouvelle procession. Cette fois-ci, je dois serrer dans mes bras un par un, tous les membres de l’assemblée qui viennent me souhaiter la bienvenue…

Un excellent repas nous attend. Les fleurs offertes pendant la messe ont été mises dans ma chambre. Pour ceux qui s’inquiètent de savoir si je suis bien installé, la maison paroissiale est simple et confortable en même temps. Je ne manque vraiment de rien. Le plongeon est fait. Je venais avec confiance… Je suis encore moins inquiet. Je m’étais rendu disponible pour quelque mission que ce soit. Je n’aurais pas imaginé me trouver dans un lieu si porteur et avec un frère et même deux aussi demandeurs d’une vie où l’on essaye de s’aider à grandir comme disciples et apôtres à l’école d’Antoine Chevrier. Il faut laisser du temps au temps, mais je ne doute pas que je vais être très heureux ici, comme je l’ai d’ailleurs été dans les autres missions que j’ai reçues jusque là.

Je pense ce soir au récit de tel ou tel de mes frères prêtres en France arrivant dans une paroisse sans être ni désiré ni accueilli et avec très peu de personnes avec qui célébrer. Je prie avec ceux qui célèbrent chaque jour devant des communautés ayant une grande foi, certes, mais sans jeune et se réduisant chaque jour un peu plus.

Je sais qu’il faudra du temps pour rencontrer réellement les personnes très accueillantes mais mettant plus de temps à échanger personnellement. Il me faudra le temps d’améliorer mon portugais, d’entrer plus en profondeur dans la compréhension des brésiliens. Déjà, je suis heureux de comprendre assez bien et de pouvoir faire des homélies en dialoguant avec l’assemblée et sans papier.

Les quelques échanges avec Juarez me donnent une grande confiance. Il a 34 ans, est ordonné depuis 4 ans, est très en recherche pour vivre un ministère à la suite du Christ et se réjouit beaucoup de mon arrivée, a un désir d’une vie communautaire réelle. Il entre en première formation pour le Prado. Il est entré au séminaire après des études de droit pour servir « plus profondément » les hommes, dit-il. Déjà, nous disons l’office du matin et du soir ensemble, et, pour le moment nous célébrons une à trois fois l’eucharistie ensemble, même en semaine. Il dit sa joie des « communautés de base » qui existent sur la paroisse : 26 sur la ville de Guaçui. J’ai commencé à en visiter quelques-unes, c’est vraiment très intéressant.

Nous réfléchissons aussi beaucoup tous les deux pour voir comment trouver le silence nécessaire dans ce tourbillon de la vie ecclésiale au Brésil, pour prendre le temps du cahier de vie, de l’étude d’Evangile. Quand je parle de tourbillon, je célèbre jusqu’à 3 à 4 messes par jour et il n’est pas possible de sortir dans la rue sans être reconnu et abordé partout. La maison paroissiale est elle-même un lieu où les gens n’arrêtent pas de passer, comme Guy, trisomique qui vient nous dire bonjour plusieurs fois par jour.

Je me prépare à écouter beaucoup, à chercher à accueillir. J’ai conscience de plonger dans un monde à la fois très différent et en même temps si proche. Ce n’est pas rien de faire l’expérience que c’est la même eucharistie que nous célébrons ici et en France, que nous sommes vraiment une famille ici et là-bas.

En attendant que j’arrive à me connecter à Internet, je continue cette lettre…

Depuis la messe d’accueil, j’ai pu voir que ce sont toutes les célébrations qui sont aussi festives.

Samedi 6, j’ai été célébrer dans une communauté de base dans un quartier pauvre. La messe a eu lieu dans un garage de l’un des membres. Il y avait 40 personnes, des bébés venant de naître ou encore dans le ventre de leur mère aux personnes âgées. Des chants avec des paroles très liées à la vie, à l’appel à se mettre debout, des paroles de foi forte. Tout avait été préparé et animé par les gens. Cette communauté de base s’est créée il y a 3 ans. Elle se débrouille par elle-même pour prier, lire l’Evangile, réfléchir sur la manière d’améliorer la vie des habitants du quartier et on vient y célébrer une fois par mois.

Dimanche 7, nous fêtions la Toussaint. A la messe des familles, j’ai fait l’homélie en dialoguant avec les enfants. Première question : C’est quoi être saint ? Un enfant de 7 ans lève le doigt et répond avec assurance : « C’est tout vivre en relation avec Jésus ». Je n’avais plus rien à ajouter. C’est ce que nous aimerions vivre ici, c’est tout le mal que je souhaite à chacun de vous.

Ce mercredi 9, 40 minutes de pistes boueuses (il pleut plusieurs fois par jour en ce moment) en voiture dans des montagnes avec très peu d’habitations et nous arrivons dans une communauté de base en pleine campagne. 20 jeunes de 17 à 22 ans nous y attendent pour recevoir le sacrement de réconciliation et l’eucharistie, étape dans leur préparation à la confirmation. Je leur propose de confesser en premier ce qu’ils aiment de Jésus. Je reste émerveillé de leur foi.

Mon adresse est donc :

Padre Bruno Cadart

Praça da Matriz, 30

29 560 000 Centro Guaçui – ES

Brasil

Tel: 00 55 28 3553 1467

Pour le moment, je suis limité pour aller sur Internet car la prise est dans la chambre de Juarez. Je n’arrive pas à configurer outlook pour envoyer mes emails et profiter de mes listes d’adresses, ce qui explique le temps que je mets à vous écrire. Le décalage horaire actuel est de 3h en moins au Brésil par rapport à la France. Quand il est 20h en France, il est 15h au Brésil.

Le prochain message collectif sera pour Noël.

J’ai vraiment senti dans ces jours précédant ce départ combien je suis lié à nombre d’entre vous, combien nous nous portons les uns les autres dans nos missions propres. Je compte sur votre prière et vous pouvez compter sur la mienne.

Très fraternellement

Bruno

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