« Zachée, descends vite… » – Relecture du chemin de conversion d’un entrepreneur qui embauchait au noir (12 novembre 2008)

Je remets ci-après l’extrait de ma lettre de Pentecôte 2008 qui évoque le chemin fait avec un patron de scierie. J’ai complété ce récit en notant toutes les suites jusqu’à une rencontre de patrons de Dores ce mercredi 12 novembre 2008.

6. Aller ou non célébrer dans une fazenda

6.1 Une situation d’esclavage moderne

Quand nous sommes arrivés à Dores, nous avons été contactés par « Monsieur Jean-Baptiste », connu sous le surnom de « Baba », un « Fazendeiro », propriétaire d’une fazenda et d’une scierie. Il est venu demander à Juarez de célébrer dans la chapelle de sa Fazenda.

Pendant des années, la communauté du lieu se réunissait là, jusqu’à ce qu’un conflit entre le fazendeiro et la communauté chrétienne amène à construire une autre chapelle à 2 km de là et à ne plus célébrer dans la fazenda.

Le conflit avait tenu à une demande de l’évêque qu’il n’y ait plus de chapelle sur un terrain n’appartenant pas à l’Eglise et demandant à ce qu’une donation soit faite du terrain devant notaire pour chaque chapelle du diocèse construite sur un terrain appartenant à quelqu’un d’autre. Le but était de sortir absolument de cette dépendance des « Fazendeiros ». La famille avait alors donné exclusivement le terrain de la chapelle, sans espace autour, sans accès possible autrement qu’en traversant leur terrain privé.

Juarez a travaillé à une réconciliation et, en accord avec la communauté locale, a accepté de célébrer la Sainte Rita, patronne de cette chapelle. Courant octobre 2007, j’ai été contacté par la famille pour célébrer un mariage le 3 novembre. Bien que cette manière de faire soit curieuse, de prévenir 3 semaines avant, j’ai accepté de célébrer ce mariage dans la chapelle de la famille, recevant au mieux la famille. Il était convenu qu’ils m’inviteraient un jour à déjeuner.

En février, je croise Jean-Baptiste sur la piste qui va de cette Fazenda à la communauté et j’ai proposé de marquer une messe le 22 mai, pour la fête de Santa Rita.

Le 1er mai, j’ai célébré la fête de la communauté Saint Joseph de la Montagne Verte, communauté qui est née de la fermeture de la communauté Santa Rita. Ana-Claudia, ministre de la Parole, n’arrivait pas à préparer le témoignage qu’elle avait promis de faire pour le journal paroissial. Après la messe, je l’ai raccompagnée chez elle pour l’aider à faire ce témoignage.

Son mari, est rentré à 21h30 du travail à la scierie qui appartient à Jean-Baptiste. Comme je m’étonnais qu’il travaille un 1er mai, il a expliqué qu’il travaillait presque tout le temps 7j sur 7, commençant à 7h du matin, que là, il était rentré « tôt », mais qu’il pouvait rentrer à 2h du matin s’il y avait un camion à charger. Il conduit un fenwick. Il a expliqué qu’il n’avait jamais de vacances, même si elles lui étaient payées, que seuls 4 des 60 employés étaient déclarés, qu’ils se cachaient quand un inspecteur du travail venait, que la scierie était en train d’être déclarée sous un autre nom et divisée en deux entreprises pour échapper à des lois sociales et à des impôts, et que, quand il vont présenter leur chèque à la banque pour recevoir le salaire, le plus souvent, le compte n’est pas approvisionné. En questionnant autour de moi, tout est confirmé et il m’est aussi dit que ses camions circulent de nuit, pour pouvoir passer la frontière qui passe à Dores entre les deux états du Minas Gerais et de l’Esprit Saint sans payer les taxes.

Je ne savais plus que faire : célébrer ou non, et si je célébrais, que dire ? Je remercie vivement ceux que j’ai consultés et qui m’ont conseillé. Ce sont les personnes qui ont dénoncé la situation qui ont emporté ma décision : ils ne comprenaient pas que j’annule cette messe. J’ai donc décidé d’aller voir Jean-Baptiste, lui remettre une lettre, évoquer cette situation d’injustice pendant la messe sans insister, publier cette lettre dans le journal paroissial en supprimant tout ce qui était nominatif, pour que d’autres personnes, ayant des pratiques similaires à celles de cet homme puissent lire cet appel.

Voilà cette lettre telle qu’elle a été transmise à Monsieur Jean-Baptiste. Vous trouverez aussi mon éditorial du mois, le témoignage d’Ana-Claudia.

6.2 Lettre telle qu’elle a été transmise à Jean-Baptiste

Les passages en italiques sont les passages qui ont été supprimés dans le journal et remplacés par des points de suspension.

Il y a déjà des jours que je réfléchis, que je prie, que je demande des conseils à diverses personnes, pour savoir si je viendrai ou non célébrer dans cette fazenda, en ce jour de la fête de Sainte Rita, et, si je venais, sur ce que je pourrais dire.

Monsieur Jean-Baptiste, vous avez pu constater comment nous sommes arrivés à Dores avec une préoccupation principale : aider l’Eglise qui est à Dores à rendre présent le Christ Bon Pasteur qui va à la rencontre de tous, pauvres et riches, participants à l’Eglise ou éloignés, catholiques, d’autres religions ou sans foi, et à aider chacun à aller voir Jésus dans l’Evangile, à vivre de cet Evangile.

Il y a eu des difficultés qui ont fait que la communauté ne s’est plus réunie à Sainte Rita et, avec le Père Juarez, nous avons travaillé à une réconciliation, jusqu’à célébrer de nouveau ici, une ou deux fois par an. Quand vous avez demandé, au dernier moment, que je célèbre le mariage de Christian et Fernande, vous avez fait l’expérience que j’ai facilité tout pour que cela soit possible, comme je fais tout pour que tous puissent avec accès à l’Eglise et aux sacrements. Ainsi, combien de personnes vont recevoir le sacrement du mariage ces jours-ci ![1]

Il y a quelques mois, nous nous sommes croisés sur la piste et vous m’avez parlé de la fête de Sainte Rita. Je n’ai fait aucune difficulté et j’ai marqué immédiatement la date, et je me réjouissais de venir célébrer à Sainte Rita aujourd’hui.

Tout a changé quand il y a eu la mission des jeunes à Monde Nouveau[2] le samedi 26 avril. J’ai visité une famille. Ils m’ont dit qu’ils travaillaient à la scierie. Ils ont parlé des conditions de travail : salaire correct ont-ils dit (2 salaires minimum ce qui reste bas et ne permet pas de se soigner correctement ni d’envoyer ses enfants étudier etc.). Mais, ensuite, ils ont dit que beaucoup n’étaient pas déclarés, qu’il n’y avait pas d’horaire marqué, que ceux qui étaient mensualisés n’avaient pas leurs heures supplémentaires payées, qu’il y a des personnes qui peuvent travailler 7 jours sur 7, le dimanche, les jours fériés, de tôt le matin à tard dans la nuit, sans être avertis avant, bien au-delà de ce qui est légal, et que, souvent, le salaire était payé avec retard. J’ai été abasourdi. Je n’y croyais pas. Je suis passé dans d’autres maisons et j’ai entendu les mêmes réclamations. J’ai aussi entendu que vous étiez en train de changer la structure administrative de la scierie, pour échapper à quelle loi sociale ou impôt ? On dit aussi que les camions de la scierie passent la frontière de nuit, quand le poste fiscal est fermé.[3]

Ce n’est pas de ma responsabilité d’enquêter, mais il y a des choses que j’ai pu constater de mes propres yeux et je m’interrogeais : comment puis-je célébrer ici et donner l’impression que l’Eglise appuie de telles pratiques ?

Je suis d’une famille qui était initialement pauvre, mais mon père a terminé avec de grandes responsabilités. Il a eu la responsabilité certaines fois de fermer des usines pour des raisons économiques. Nous avons passé des heures à partager sur la difficulté d’être patron d’une firme dans la concurrence du marché en se laissant éclairer par l’Evangile dans sa pratique. J’ai aussi reçu de lui un témoignage fort : deux fois, il a préféré démissionné de son poste parce qu’il n’acceptait pas des pratiques qui ne respectaient pas la dignité des ouvriers et qu’il ne voulait pas le faire, même si c’était sur ordre d’un supérieur.

Si je parle de ma famille, c’est pour couper court à toute caricature comme cela s’est déjà produit pour moi dans une autre situation où j’ai du parler : « Le prêtre est communiste », « le prêtre est contre les riches », « le prêtre fait de la politique et est partisan », etc.

Dans l’association des prêtres du Prado, nous nous aidons à passer des heures dans l’Evangile pour connaître Jésus, voir comment il fait, agit, parle, aime.

Dans l’Evangile, on voit Jésus se lier de manière préférentielle aux plus pauvres, naissant dans la condition de pauvre dans la crèche, jusqu’à s’identifier à eux : « Chaque fois que vous n’avez pas donné à manger, à boire, que vous n’avez pas partagé, avec l’un de ces plus petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous ne l’avez pas fait. » (Mt 25,45) Mais jamais on ne voit Jésus condamner ou exclure les riches en tant que riches.

Ainsi, il dit à Zachée, collecteur d’impôts (Lc 19,1-10) : « Zachée, descend vite, il me faut aujourd’hui demeurer dans ta maison, dans ta vie, dans ton cœur, dans ta pratique. Dans le même temps, les religieux se scandalisent : « Il a été manger chez un pécheur ! » Et nous connaissons la réaction de Zachée, bouleversé d’accueillir Jésus dans sa maison : « Je vais donner la moitié de mes biens, Seigneur, et je le donne aux pauvres ; et, si j’ai volé quelqu’un, je vais lui rendre 4 fois plus. » Nous savons aussi la conclusion de Jésus : « Aujourd’hui, le salut est entré dans cette maison, parce que cet homme aussi est fils d’Abraham. De fait, le Fils de l’Hommes est venu chercher et sauver ce qui était perdu. »

Ailleurs, Jésus appelle Matthieu, collecteur d’impôts, à devenir apôtre (Mt 9,9). Il entre manger dans la maison de diverses personnes importantes. Il accueille avec beaucoup d’amour l’homme riche qui voulait posséder la vie éternelle, celui-là même qui, finalement, s’est éloigné tout triste parce qu’il n’avait pas réussi à accueillir l’appel de Jésus à ne pas se laisser prendre par les richesses pour le suivre. (Lc 18,18-30)

J’ai prié, j’ai hésité, j’ai consulté. J’ai décidé de venir vous parler en vérité, priant l’Esprit Saint d’ouvrir un chemin dans votre cœur.

Jésus lui-même, n’a pas eu peur de dénoncer les injustices, non pour condamner, juger, mais pour appeler à la conversion. Lui-même avertit les apôtres que, s’ils ont honte de parler, d’annoncer l’Evangile, il aura honte d’eux. (Mc 8,38)

Je ne sais pas si vous avez déjà lu le chapitre 8 du Prophète Amos, mais il vaut la peine, non pour se sentir condamné, mais pour se convertir : « Ecoutez ceci, vous qui vous acharnez sur le pauvre pour anéantir les humbles du pays, vous qui dites : ‘Quand donc la nouvelle lune sera-t-elle finie, que nous puissions vendre du grain, et le sabbat, que nous puissions ouvrir les sacs de blé (manière de dire qu’ils veulent que les gens travaillent les jours fériés, le dimanche), diminuant l’épha, augmentant le sicle, faussant des balances menteuses, achetant des indigents pour de l’argent et un pauvre pour une paire de sandales ? Nous vendrons même la criblure du blé !’  Le Seigneur le jure par l’orgueil de Jacob : Jamais je n’oublierai aucune de leurs actions. »

J’aime beaucoup votre saint patron, Jean-Baptiste : il n’avait pas peur d’appeler à la conversion, à préparer les chemins du Seigneur, rendre droit ses sentiers. Il disait à la multitude qui allait se faire baptiser : « Engeance de vipères, qui vous a montré le moyen d’échapper à la colère qui vient ? Produisez donc des fruits qui témoignent de votre conversion… Déjà même, la hache est prête à attaquer la racine des arbres ; tout arbre donc qui ne produit pas de bon fruit va être coupé et jeté au feu. »” (Luc 3,4-9)

Ce que j’aime dans ce passage, c’est l’attitude des foules : au lieu de se scandaliser à cause de la parole forte de Jean-Baptiste, ils questionnent : « Que devons-nous faire ? » Et Jean-Baptiste de donner une réponse adaptée à chacun, réponse bien concrète et exigeante et qui va à l’envers de leur pratique : A ceux qui ont deux tuniques, qui ont de quoi manger, Jean-Baptiste dit : « Partage avec celui qui n’a rien » ; aux collecteurs d’impôts : « ne prélève pas de taxe au-delà de ce qui est prescrit » ; aux soldats : « ne maltraite personne, ne fais pas d’accusation fausse, et contente toi de ta solde », dans cette situation, « ne va pas voler le bien des gens en profitant de la force de tes armes ». (Lc 3,10-14)

Nous connaissons aussi sa parole très concrète et personnelle dirigée à Hérode qui prenait la femme de son frère, et aussi des conséquences de cette parole. Mais Jean a préféré perdre la vie plutôt que renoncer à la mission reçue : appeler tous à rendre droit les chemins pour accueillir l’Agneau de Dieu, le Messie. (Mt 14,1-12)

Ce jour où je vous écris, nous avons la lecture des paroles de Paul aux anciens d’Ephèse à Milet dans les Actes des Apôtres 20,17-27. C’est tout ce passage qui me parle très fort, et plus particulièrement ces paroles : « Je n’ai rien négligé de ce qui pouvait vous être utile ; au contraire, j’ai prêché, je vous ai instruits, en public comme en privé ; mon témoignage appelait et les Juifs, et les Grecs, à se convertir à Dieu et à croire en Notre Seigneur Jésus. »

Monsieur Jean-Baptiste, vous avez fait l’expérience de ce qui anime le Père Juarez, de ce qui m’anime : manifester l’amour du Christ à tous, provoquer chacun à accueillir la parole de l’Evangile, vivre des mêmes sentiments que Jésus. Je prie pour n’avoir pas d’autre sentiment dans mon cœur que ceux du Christ regardant l’homme riche : il l’aima. Je prie pour vous, que vous trouviez un chemin pour que cette parole donne du fruit dans votre vie et que vous ne vous éloigniez pas tout triste. Priez pour moi, que je me laisse toujours plus conduire par l’Esprit Saint et que je sois un vrai prêtre de Jésus-Christ.

Père Bruno

6.3 Accueil de la lettre

Le vendredi 16 mai, j’ai été porter la lettre à Baba à sa scierie. Il n’était pas là. Finalement, nous nous sommes retrouvés à la maison paroissiale. Il a lu la lettre devant moi, a pleuré et a immédiatement dit :

–     « Je vous remercie infiniment. Je ne réalisais pas. Vous êtes un prêtre différent. Vous vous intéressez à la vie des gens. Vous m’avez respecté, vous me parlez avec infiniment de respect. Je ne me rendais pas compte. Je ne croyais pas provoquer de préjudice. Ils étaient payés par le fond de garantie de chômage et je complétais. Ils ne perdaient rien. Les heures supplémentaires étaient payées, à l’exception des chauffeurs qui gagnent deux salaires et qui ont de longs moments où ils sont moteur arrêté. »

Il a aussi essayé de minimiser les faits, mais j’étais très bien informé. Par exemple, je lui ai dit que, quand les ouvriers allaient chercher leur salaire à la banque, à la fin du mois, très souvent, il n’y avait pas d’argent déposé et ils ne le touchaient qu’avec un mois de retard.

–     « C’est vrai… »

Le partage a été étonnant. Je l’ai provoqué à lancer une rencontre d’entrepreneurs pour réfléchir à la lumière de l’Evangile, sans penser qu’il le ferait.

Une semaine après, tous avaient un emploi déclaré, les horaires avaient été profondément modifiés, les salaires étaient payés au moment juste, le dialogue social transformé, ce que j’ai pu vérifier à chaque fois que j’ai rencontré des ouvriers de la scierie.

La lettre a été publiée dans le journal paroissial et a beaucoup marqué tous les ouvriers. J’en ai souvent eu des échos.

Le 22 mai, j’ai célébré la messe de la Sainte Rita dans la Fazenda en présence de toute la famille de Baba, mais aussi de nombreux ouvriers. J’ai fait des allusions directes mais tranquilles et j’ai su par l’employée de maison que Baba n’arrêtait pas de parler avec ses proches de cette lettre et de combien il l’avait appréciée.

Au mois d’août, j’ai célébré la messe des 90 ans de Dona Cleia, mère de Baba. De nouveau, il a évoqué la lettre et dit qu’il n’avait pas oublié l’idée d’inviter d’autres entrepreneurs à réfléchir, qu’il le ferait après les élections municipales du 5 octobre et après une opération des coronaires.

Au mois de septembre, il est passé pour demander de « bénir un chapeau de cow boy ». Il a expliqué que, dix ans auparavant, il avait fait le vœu de ne plus porter de chapeau tant qu’il n’aurait pas remis de l’ordre dans sa vie, qu’il avait été en pèlerinage à cheval à Aparecida, qu’il avait remis de l’ordre dans sa vie et avait acheté un chapeau. Il a été étonné d’être pris de crises de pleurs à Aparecida, sans doute en relation avec tout ce qu’il avait laissé être transformé dans sa vie.

6.4 La rencontre du mercredi 12 novembre 2008

Le samedi 1er novembre, je suis passé chez Baba prendre des nouvelles après l’opération. Il m’annonce qu’il est en train de contacter 40 entrepreneurs à Dores et à Guaçui et qu’il compte faire la réunion mercredi 12 novembre. Il pense qu’un certain nombre viendront, mais ils sont très étonnés par la proposition et plusieurs ont peur de venir.

Mercredi 12, Baba est là avec 6 autres patrons :

  • Jorge, directeur de la laiterie de Dores, très grosse entreprise fondée à Dores et ayant de multiples ramifications à Vitoria et ailleurs.
  • Guido, le principal marchand de café très impliqué dans des achats de votes et dont je sais qu’il avait parlé très violemment contre moi pendant la campagne électorale. Guido est le mari de Sebastiana impliquée dans des achats massifs de vote. Sa belle fille qui travaille à la banque a fait savoir qu’elle avait retiré 30 000 Reais en coupures de 50 Reais une semaine avant les élections et nous savons que nombre de personnes ont accepté de recevoir de l’argent. Elle jure que tout cela est diffamation, mais, dans la même phrase elle dit : « pour les ligatures de trompe (qu’elle avait d’abord niées), c’était vrai. Mais le reste, c’est faux. »
  • Menelik, père de la nouvelle Préfète, patron d’un gros commerce de matériel de construction, très impliqué aussi dans les achats de votes, et que je ne savais pas être chrétien ;
  • José, vendeur d’engrais ;
  • Dercio, fazendeiro possédant des milliers d’hectares à Dores et dans le nord du Minas Gerais ;
  • Valeria, qui possède une dizaine de gros postes d’essence dans le Minas Gerais et l’Espirito Santo ;
  • Baba (Jean-Baptiste), patron de la scierie.

C’est Baba qui a ouvert la réunion en faisant une véritable confession publique de conversion, expliquant comment il en était venu à avoir 60 personnes travaillant sans être déclarés et 7 jours sur 7, « à la demande des ouvriers » qui gagnaient ainsi plus d’argent. Il a longuement évoqué la lettre, comment il s’était senti aimé, respecté, comment il avait réalisé ce qu’il faisait et avait entrepris une révolution dans son entreprise. Il a dit ne pas avoir encore réussi à normaliser les horaires des chauffeurs de camions.

Nous avons lu la lettre « Zachée, descends vite » dans la version telle qu’elle avait été publiée dans le journal, sans les paragraphes traitant de la situation de la scierie. Ensuite, nous avons fait un tour de table pour savoir s’ils seraient intéressés pour qu’une équipe se réunisse régulièrement, tous les 3 mois, pour partager sur comment laisser l’Evangile questionner notre pratique professionnelle.

Ils étaient sous le choc. Baba a dit qu’il avait contacté beaucoup de monde et que nombre d’entre eux avaient eu peur.

–     « C’est la première fois que l’Eglise nous invite de la sorte. D’habitude, les prêtres font des sermons à l’Eglise pour monter les ouvriers contre nous. »

–     « On n’est pas riche, on a du mal à boucler ».

J’ai repris ce que me partageait Baba en me situant de leur côté, de par ma famille, de par le salaire de prêtre qui est élevé au Brésil et rappelé les énormes différences de salaire au Brésil. J’ai provoqué Baba a redire le prix mensuel qu’il paye pour la scolarité en secondaire d’une de ses 4 enfants : 1 600 Reais (4 salaires minimum) et tous ont convenu qu’un salaire minimum ne permettait pas de vivre et d’élever ses enfants.

J’ai aussi dit que j’étais « entrepreneur », dans la mesure où la paroisse embauchait 2 personnes (secrétaire et femme de ménage) et que nous les payions avec un salaire minimum, que je ne pouvais pas être tranquille avec cela mais que je n’avais pas moyen de changer ce fait : cela dépendait de plus large et la paroisse a du mal chaque mois à boucler son budget de par la faiblesse du denier de l’Eglise (même s’il a nettement augmenté).

Guido a parlé de l’impossibilité de gagner de l’argent en vendant le café. Si je paye normalement ceux qui font la cueillette, si je les déclare tous, je peux fermer. La vente du café ne paye pas les engrais que j’ai répandus. Il est réputé pour mettre massivement des engrais, y compris sur les zones de source d’eau et sans que les ouvriers ne soient protégés. Il a été condamné pour avoir pollué une source alimentant une école. J’en ai profité pour suggérer que des « patrons chrétiens » réfléchissent à lancer de l’agriculture biologique en évoquant le prix de vente différent, le respect des hommes et de la nature. J’ai essayé de les intéresser à se retrouver à la pointe du lancement d’une « marque déposée de café biologique et à cueillette sélective[4] qui s’engage aussi à respecter les conditions de travail » en évoquant la joie qu’ils auraient à faire un tel travail de pointe plutôt qu’à essayer de gagner beaucoup d’argent en sachant pertinemment qu’ils le font sans pouvoir respecter les droits des travailleurs et en détruisant la nature.

Il y a eu des partages sur les choses qui pouvaient changer facilement et sans surcoût, comme la sécurité. Il n’y a pas eu de prise de conscience sur ce sujet et j’ai donné des exemples tout simples comme le ramassage des ordures qui se fait avec un tracteur, l’employé montant sur le timon de la remorque et passe son temps à monter et descendre entre le tracteur et la remorque quand il serait possible de bricoler une plate forme à l’arrière de la remorque.

Nous avons évoqué les textes de la Bible cités dans la « lettre à Zachée », et d’abord le texte de Zachée. J’ai souligné qu’il n’était pas dit que Zachée volait et insisté sur la nécessité ressentie par Jésus d’aller demeurer dans la maison, dans la vie de Zachée. Peut-on lancer un groupe des personnes qui acceptent que Jésus leur dise : « Descends vite, il me faut aujourd’hui demeurer dans ta maison, dans ta vie, dans ta pratique ? » et se partager tous les changements que cet accueil peut provoquer.

J’ai évoqué aussi le texte du riche et du pauvre Lazare, le riche qui réalise trop tard qu’il n’avait pas vu le pauvre à sa porte.

On s’est donné comme objectif d’essayer de faire une liste des « conseils que Jean-Baptiste » pourrait nous donner à partir des conseils concrets qu’il donne à chaque catégorie de personnes qui viennent le voir en notant aussi bien ce que nous pouvons effectivement transformer facilement, que ce qui semble ne pas pouvoir être modifié.

D’eux-mêmes, ils ont immédiatement évoqué le fait que la majorité de leurs employées de maison ne sont pas déclarées, n’ont pas d’heures supplémentaires payées.

Ils ont promis d’en inviter d’autres et ont semblé très heureux. Nous avons pris date pour le mercredi 11 mars. Ils marquent la réunion sur leurs heures de travail, en après-midi.

Le prochain numéro du journal paroissial va se faire l’écho de cette rencontre.

Je ne cache pas que ce chemin avec Baba me marque. Nous sommes vraiment devenus « amis ».

De retrouver ceux qui m’ont menacé, injurié dans les salons de Dores pendant les élections du fait du travail fait pour dénoncer les achats de votes, de les voir s’interroger et accepter de venir, dire qu’ils se sentaient « aimés », m’a aussi touché.

Je me demandais comment redémarrer un travail dans 4 ans contre la corruption. Si quelque chose doit naître, ce sera sans doute à partir de cette équipe, en lançant une réflexion en amont pour éliminer ces pratiques qui tuent tout.

Dans le courrier sur les élections, j’évoquais les menaces que j’avais reçues et la difficulté à mesurer le risque réel dans la situation particulière de Dores qui me semble moins violente que d’autres régions du Brésil, même s’il y a eu un mort aux élections d’il y a 8 ans.

Ce même mercredi 12 novembre, j’ai reçu Edinho, candidat afro-américain malheureux à l’élection de préfet. Il certifie n’avoir absolument commis aucun crime électoral, n’avoir acheté personne. Je le crois volontiers, d’autant plus qu’il n’a pas les possibilités financières de l’autre liste et je n’ai jamais entendu parler de chose le concernant quand j’ai largement vu les pratiques de l’autre liste. Il m’a expliqué qu’un repris de justice était venu lui dire qu’il avait été contacté pour le tuer pour le prix de 20 000,00 Reais mais qu’il n’avait pas accepté car il avait été aidé dans la vie par le frère d’Edinho qui est Pasteur. Cet homme a accepté de témoigner devant la police et la plainte a été enregistrée. Ce n’est pas une rumeur : j’ai eu cette plainte dans les mains.

Dimanche 16 novembre 2008

Lors de la messe du dimanche soir à l’Eglise Matriz, j’ai évoqué comme une grande joie la rencontre des patrons qui avait eu lieu mercredi et le souhait que d’autres nous rejoignent. J’ai fait le lien avec l’Evangile des talents, la joie qu’ont eu des patrons à regarder ensemble, à la lumière de l’Evangile, ce qu’ils font des talents qu’ils ont reçus.

A la sortie, 3 d’entre eux qui n’avaient pas pu venir, sont venu demander des renseignements, dire leur intérêt. Un des 7 qui, jusque là ne participait à rien en Eglise, est venu dire sa joie et insister pour que les autres se joignent au groupe. Une nouvelle rencontre improvisée a eu lieu sur la place de l’Eglise.

Ma question actuelle :

Qu’existe-t-il au Brésil qui me permette d’inscrire cette équipe dans un mouvement plus large ?

[1]      Beaucoup de gens ne sont pas mariés à cause du prix, tant à l’Eglise qu’à la mairie. Nous avons lancé une opération d’appel à se marier en célébrant gratuitement ce qui s’inscrit dans notre action pour promouvoir le denier de l’Eglise et pour arrêter avec toutes les taxes de sacrements. Nous faisons aussi une demande de dispense de mariage civil ce qui permet un mariage gratuit dans la messe mensuelle de la communauté.

[2]      Il s’agit d’un village plus important où nombre des habitants sont ouvriers de la scierie de Jean-Baptiste ; je transforme quelques détails pour qu’il ne puisse pas savoir qui m’a informé.

[3]      Ce paragraphe n’apparaît pas dans la publication de la lettre dans le journal, mais le contenu est repris dans l’éditorial dans l’introduction de la publication de la lettre où nous nous adressons à ceux qui ne respectent pas les droits des travailleurs.

[4] Il s’agit de produire du café de qualité en ne cueillant les grains que quand ils sont réellement mûrs ce qui oblige à passer 4 fois sur le même pied de café. Les grains de café d’une même branche ne mûrissent pas tous en même temps. L’habitude est de cueillir tous les grains au même moment en s’aidant d’une machine qui fait tomber aussi bien les grains mûrs et ceux qui sont encore verts. Quelques producteurs isolés ont lancé la « cueillette sélective ». Au lieu de faire de grandes quantités de café, ils misent sur la qualité et vendent nettement plus cher et sans détruire la nature, ni ceux qui répandent les agrotoxiques sans protections.

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