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A travers ce qui s’est vécu avec Monsieur Bonnet[1] la question de l’abstention thérapeutique s’est posée avec beaucoup de force.
- A-t-on le droit de s’abstenir de soins à visée curative ?
- Comment décider ?
Au-delà, l’équipe se demandait si les médecins soignaient encore et s’interrogeait sur le sens des soins.[2]
La validité de la réflexion que nous avons faite en 1986 a été confirmée par divers textes législatifs ou réglementaires (cf. annexe n° 4). Ce que nous défendions dès 1984 et qui était alors contesté autour de nous a maintenant valeur de loi.
Le lecteur gagnera à aller lire l’annexe n° 4 avant de poursuivre la lecture de notre argumentation faite avant 1986, avant la promulgation de tous ces textes.
On se reportera en particulier aux articles 37 et 38 du Nouveau Code de Déontologie Médicale 1995, à la loi du 6 mai 1995 instituant la Charte du Patient Hospitalisé, à la loi du 4 mars 2002 concernant les droits des malades en matière d’information et de consentement aux soins, de possibilité pour lui de se faire représenter par un 1/3 en cas d’inconscience.
Nous avons gardé notre argumentation telle que nous l’avions élaborée en 1986.
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1. Les soins, fruits d’une décision
La médecine est devenue active. Certains gestes peuvent avoir des effets positifs, comme la guérison éventuelle, mais aussi des effets négatifs. Le geste médical est parfois agressif, source de traumatismes, de souffrances ou d’inconfort. Il peut exiger ou créer de grands changements dans le mode de vie de la personne.
Ainsi, pour Monsieur Bonnet, le passage en réanimation et dialyse pouvait entraîner, dans un premier temps, la coupure avec sa femme et sa famille ce qui ne serait pas le cas s’il restait dans le service, puis l’astreinte à des séances de dialyse répétées sans qu’il puisse retourner à son domicile, ce qui apparaissait très important pour lui et aurait certainement justifié le recours à des traitements assez lourds s’ils avaient pu permettre ce retour à domicile.
Les services de long-séjour se caractérisent par le fait que la guérison y est rare et que le résultat à escompter se réduit bien souvent à un supplément de survie, de durée de vie, au détriment d’une qualité de vie de plus en plus entamée par des séquelles et des mutilations importantes : amputations, sondes gastriques, mains attachées pour que la personne n’arrache pas les « tuyaux ». Cela conduit rapidement à une rupture de toute relation avec la personne qui, très vite, subit l’action thérapeutique de l’équipe soignante et devient un « objet de soins ».
Les soignants se trouvent, d’autre part, devant des choix à faire alors même que les résultats thérapeutiques attendus sont rarement connus avec certitude. Dans le cas présent, nous ne savions pas si un traitement en service spécialisé aurait pu lui donner une chance de survivre, ni le risque qu’il avait de se retrouver astreint à des séances de dialyse répétées.
Devant cette incertitude, certains adoptent une attitude systématique :
On peut craindre de passer à côté d’une possibilité de survie pour la personne. Comment savoir à l’avance ? Mais cette crainte légitime peut conduire à une attitude qui ne répond pas aux besoins du malade. Ainsi ce chirurgien qui, récemment, disait en salle de garde : « Jusque là, j’hésitais avant d’opérer une personne à risque. Mais on ne sait jamais, certains survivent alors qu’aucun espoir raisonnable ne pouvait exister. Aussi, maintenant, je suis agressif et j’opère systématiquement ». De fait, il s’apprêtait à opérer une dame de 78 ans, porteuse d’un cancer de l’estomac et du rectum. « C’est cela, ou elle va mourir sous morphine », a-t-il ajouté.
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Quelques temps après, lors d’une nouvelle discussion sur le sujet, son collègue a expliqué que « si on écoutait le malade, c’était au détriment de la technique ».
En cardiologie et dans les autres disciplines, les enseignants donnent des règles pour aider le futur médecin à faire face à l’urgence. Ainsi :
« Toute personne atteinte d’un infarctus sera placée en réanimation ». Cette règle à visée pédagogique peut avoir un effet négatif sur certains étudiants qui ne réalisent plus qu’une décision est à prendre et qu’ils sont devant un choix.
D’autres adoptent une attitude inverse et baissent les bras dès qu’ils se trouvent devant une personne âgée. Tout est expliqué par l’âge : les malaises, la fièvre, la fatigue, la confusion, la dépression etc. Cet abandon, ce refus de soins peut avoir des conséquences dramatiques, alors qu’une action simple et adaptée aurait permis à la personne de ne pas devenir dépendante, de ne pas être placée en institution, ou, si elle y était déjà, de garder, voire de conquérir, une certaine autonomie.
Entre ces deux extrêmes, il y a place pour une autre attitude : celle qui consiste à percevoir les soins comme le fruit d’une décision visant à répondre au mieux aux besoins du malade.
La science médicale n’est pas une instance impersonnelle et absolue qui impose aux soignants une attitude déterminée devant des symptômes ou une pathologie donnés. Elle est un outil, une connaissance que les soignants vont utiliser pour répondre aux besoins de la personne.
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2. Prendre en compte tous les besoins
Soigner
C’est répondre aux divers besoins de la personne, être attentif à tout son vécu et ne pas seulement prendre en compte le besoin de survie biologique.
En effet, les besoins du malade sont divers, pluriels. Dans les écoles d’infirmières, on insiste sur la nécessité d’une approche globale de la personne, d’une satisfaction de l’ensemble de ses besoins. Cela n’est pas pris en compte dans les études médicales et transparaît assez peu dans l’attitude des médecins : eux privilégient la satisfaction du besoin du « maintien de la vie », de la survie, au détriment de celle des autres besoins.
Il existe de nombreuses classifications des besoins des personnes soignées. Je me réfèrerai, pour ma part, à la très classique pyramide de Maslow.
2.1 La pyramide des besoins » de Maslow.[3]
A. BESOINS DE BASE
- Maintien de la vie
- Besoins physiologiques : respiration, alimentation, élimination, maintien de la température, repos et sommeil, activité musculaire et psychique, contact corporel, vie sexuelle.
- Sécurité
- Besoin de protection physique et psychologique, de stabilité familiale et professionnelle.
- Propriété et maîtrise
- Sur les choses, les événements. Besoin de pouvoir sur l’extérieur, d’avoir des lieux, des choses à soi.
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- Affectivité et appartenance
- Etre accepté tel que l’on est; recevoir et donner amour et tendresse; avoir des amis; créer et entretenir un réseau de communications satisfaisantes pour les partenaires.
- Estime de la part des autres
- Etre reconnu comme ayant de la valeur.
B. BESOINS DE DEVELOPPEMENT
- Estime de soi-même
- Sentiment d’être utile et d’avoir de la valeur, point de départ de l’acceptation de soi, du développement de l’indépendance.
- Besoin de se réaliser
- Accroître son potentiel, ses connaissances, développer ses valeurs, « faire du neuf », créer de la beauté, avoir une vie intérieure, une vie spirituelle.
Selon Maslow, la non-satisfaction des besoins de base engendre souffrance, anxiété, régression, repli sur soi, pouvant se traduire en maladie somatique ou psychique. Leur satisfaction permet l’émergence des besoins de développement, qui sont plus de l’ordre de la recherche de la réalisation de soi-même, comme être libre, que du comblement des manques.
Dans le langage que nous proposons, les besoins de base sont essentiellement d’ordre somatique ou psychique; les besoins de développement d’ordre spirituel. Mais il est très important de ne pas retomber ici dans un nouveau dualisme et de ne pas séparer ces deux niveaux de besoins.
2.2 Un vécu de pertes multiples :
Dans le cas de personnes très âgées, placées en institution, et plus particulièrement, de celles qui sont gravement malades, cette classification du besoin doit être affinée : on peut partiellement rendre compte du vécu de la personne âgée comme étant marqué par une série de pertes qu’évoque le Docteur Renée Sebag-Lanoë[4] :
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« Perte des capacités motrices qui restreint l’espace. Perte des facultés mentales qui entrave la communication. Perte de la vue et de l’ouïe qui aggrave l’isolement. Perte du contrôle sphinctérien qui signe irrémédiablement la déchéance. Perte de l’autonomie de vie qui supprime la liberté. Perte de la cohérence du langage, voire du langage tout court, qui raréfie la relation à autrui. Perte de l’identité propre, qu’organise si bien la vie collective. Perte des proches et des relations affectives qui donnent leur prix à la vie. Perte d’un passé qui s’estompe. perte d’un futur qui se rétrécit inexorablement dans « l’ici et le maintenant ». Perte des intérêts anciens et des petits désirs qui annonce la perte du désir de vivre. Perte de la santé que remplacent les maladies. Perte du narcissisme que sapent impitoyablement les déficits successifs. Perte du corps-plaisir qu’envahit la douleur…! ».
Cette analyse des pertes se situe du point de vue de la structuration psychique de la personne. Elle ne prétend pas tout analyser. Il faudrait aussi tenir compte d’une analyse complémentaire que propose Marie-Geneviève Freyssenet[5] :
« Ces personnes sont d’un autre âge. L’histoire du siècle écoulé a grandement contribué à la disparition des cultures dont elles étaient issues. Beaucoup de choses auraient pu, et pourraient encore être transmises.
Or, voir sa culture disparaître, c’est déjà une grande perte, mais ne pouvoir la sentir vivante au moins dans ses souvenirs et dans leur transmission, c’est une perte plus grande encore, et être exclu de la constitution de la culture du présent, en ce qui très précisément vous concerne personnellement, la vieillesse, le mourir, à la fin du vingtième siècle, c’est plus qu’une perte, c’est être mis hors humanité, parce que l’acquisition, et l’appartenance à une culture sont liées au statut même de sujet[6]. »
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La personne âgée doit donc faire un certain travail de deuil, de dessaisissement et va avoir des besoins spécifiques ou, du moins, des besoins communs à toute personne humaine mais qui vont s’exprimer chez elle de manière particulière.
Si cette personne est atteinte d’une maladie terminale, ou voit sa mort proche de par son grand âge, elle va avoir un certain nombre de réactions psychologiques qu’Elizabeth Kubler Ross a systématisées en stades désormais très connus :
2.3 Les stades rencontrés par le malade en fin de vie selon Elisabeth Kûbler-Ross :
- Le choc et l’incrédulité
- au moment de l’annonce de la maladie inguérissable.
- La dénégation
- qui n’est jamais totale et varie en durée et en intensité selon les personnes. La personne qui sait qu’elle est porteuse d’une maladie grave nie la réalité, dit que ce n’est rien et qu’elle va guérir.
- La colère et le rage
- qui s’exprime sous des formes multiples, contre ceux qui sont encore capable de vivre et d’agir, contre les soignants qui ne sont pas capables de soigner, voire contre Dieu ou contre soi-même.
- La dépression,
- le malade n’ayant plus goût à rien.
- Le marchandage,
- le plus souvent avec Dieu, pour tenter de retarder l’échéance.
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- L’acceptation finale,
Selon Elizabeth Kubler-Ross, quels qu’aient été le degré de maladie où les mécanismes par lesquels ils ont assumé leur état, tous ses malades ont conservé une forme d’espoir jusqu’au dernier moment et il est important que les soignants s’en souviennent et sachent ne pas fermer toute possibilité d’espérer sans pour autant mentir.
Elle a fait ce travail pour des personnes jeunes atteintes brutalement d’une maladie grave. Chez la personne âgée, ces stades ne se retrouvent pas toujours dans un ordre établi, immuable et peuvent alterner.
Encore que, dans le cas de Monsieur Bonnet, les phases de dénégation, de dépression, de colère, étaient nettes et alternaient au cours d’une même journée. On retrouve des réactions proches au moment du placement en institution, qui est vécu comme une condamnation, une mort.
Si Kubler Ross présente l’évolution possible de certains grands malades sous un angle particulier, celui du travail de dessaisissement, il serait dangereux de réduire le vécu du sujet à cela.
2.4 « les peurs » :
Murray Parkes insiste sur une autre dimension essentielle: la peur, ou plutôt, les peurs et l’angoisse.
Je me permets d’attirer l’attention du lecteur sur cet apport de Murray Parkes sur les peurs. Il m’a beaucoup aidé à accompagner des malades en fin de vie.
« Les peurs peuvent être multiples. On risque de les réduire à la peur de mourir, et de projeter sur le malade notre propre peur. Mais notre propre peur de la mort reste, quand nous sommes en relativement bonne santé, en quelque sorte abstraite ; les peurs du malade sont suscitées par ce qu’il vit de concret, ce qu’il ressent dans son propre corps : les symptômes qui s’aggravent, la maîtrise qui diminue, la fatigue et la douleur qui augmentent… »
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Voici ce que dit M. Parkes[7] :
« Lorsqu’un individu est atteint d’une maladie qui peut s’avérer mortelle, il est trop simple de s’imaginer que nous comprenons son anxiété, et de décourager une communication plus poussée à propos des sujets qui le dépriment. Le malade peut dire : « j’ai peur de mourir » et il se peut que nous nous empressions de répondre : « oui, bien sûr », et que nous fassions dévier la conversation sur des sujets plus gais. Or le malade peut craindre beaucoup de choses et une réponse plus appropriée serait : « vous en avez peur ? », « eh bien dîtes-moi ce que vous voulez dire ? ». Encouragé de la sorte, le patient parlera de ses peurs et l’on s’apercevra que certaines sont sans fondement. Nombreux sont ceux qui pensent que la mort est une lente désintégration. Ils peuvent avoir besoin qu’on les rassure en leur disant que le moment où l’on meurt d’un cancer est presque toujours paisible.
D’autres envisagent la mort comme une ultime perte de contrôle et ont besoin qu’on les assure qu’ils ne deviendront pas une charge pour les autres.
D’autres encore ont peur de ce que deviendront leurs proches après leur mort et arrivés à un certain moment (pas trop tôt toutefois), ils peuvent avoir besoin qu’on leur assure que leur femme, leurs enfants, et tous ceux qui dépendent d’eux, peuvent s’assumer eux-mêmes. Mais quelle que soit la circonstance, le point principal est de manifester son intérêt et d’écouter ce que le patient a à dire. Le moindre retrait de notre part sera identifié par le malade comme la confirmation de ses peurs et comme l’indice lui prouvant qu’il ne peut espérer aucune aide de notre part. »
Parkes énumère ensuite différentes formes de peurs : séparation de l’entourage et abandon, peur de ne pas pouvoir achever une tâche, peur de la mort comme une punition. Et ce psychiatre conclut :
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« Ces quelques exemples rendent à peine compte de la complexité des problèmes que nous rencontrons dans notre pratique quotidienne avec des personnes qui sont proches du terme de leur vie : mais il n’est pas nécessaire pour autant d’avoir une attitude pessimiste. Lorsque la peur est sans fondement, il nous faut apporter de la réassurance, quand elle est réaliste, nous devons être prêts à aider le malade à affronter les pertes qui sont imminentes et à exprimer le chagrin propre à chaque deuil. En montrant notre désir de partager le chagrin du malade nous l’aidons à l’accepter. Ainsi nous aidons doucement le patient à passer d’une position d’évitement à une position d’acceptation. »
2.5 utiliser au mieux le temps qui reste
Les travaux d’Elizabeth Kubler Ross et de Murray Parkes nous amènent donc à insister sur des besoins vécus de façon particulière par la personne en institution et notamment celle atteinte d’une maladie grave :
- Outre le soulagement de la douleur, la personne a besoin d’être aidée pour accepter ses pertes et ses peurs, pour ne pas désespérer du sens de sa vie, ne pas perdre l’estime de soi. Il est très important pour elle qu’elle existe aux yeux de quelqu’un et puisse recevoir de lui estime et affection.
- La personne a un besoin de relation avec ses proches qui, eux-mêmes, ont besoin d’être aidés pour vivre cette étape.
- Comme nous l’avons noté plus haut, ce qui est prioritaire, ce qui est impératif pour nous soignants, c’est d’aider les patients et leur famille à utiliser au mieux le temps qu’il leur reste. Nous devons essayer d’ouvrir la voie à la communication entre eux, avec eux.
3. Des besoins non compatibles
Lorsque l’on veut soigner, répondre aux besoins de la personne, ce qui fait problème, outre la difficulté de la relation, c’est qu’il n’est pas toujours possible de répondre à l’ensemble de ses besoins.
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Ainsi, la satisfaction du besoin physiologique chez Monsieur Bonnet passait nécessairement par un transfert en réanimation. Par contre la satisfaction du besoin de relation avec sa femme et ses enfants était mise en cause par ce transfert.
Il y a concurrence ; un choix est donc à faire entre des valeurs différentes, certaines compatibles, et d’autres non. Parfois l’on peut privilégier de façon momentanée les besoins physiologiques au détriment des autres besoins, en espérant qu’une fois le cap passé, la personne pourra voir l’ensemble de ses besoins satisfaits.
Il y a donc un gain à attendre, mais aussi un prix momentané à payer. Dans le cas de Monsieur Bonnet, le gain à attendre nous a paru trop faible et aléatoire par rapport au prix à payer et à la possibilité de satisfaire le besoin primordial de vivre jusqu’à sa mort dans un milieu aussi peu technique que possible, entouré de sa femme, de sa famille et d’une équipe soignante attentive à cette dimension des soins, en ayant la garantie que sa douleur serait traitée. Les médecins avaient la conviction que, connaissant Monsieur Bonnet, ils pourraient l’entourer et maintenir une relation avec lui et entre lui et sa famille, ce que d’ailleurs l’expérience a confirmé. Ils craignaient (était-ce à tort ?) que ce patient âgé soit ressenti comme peu gratifiant par une équipe de soins intensifs (en supposant qu’il ait été accepté dans un tel service) et qu’il soit délaissé au plan relationnel.
4. Ce qui conduit à l’acharnement thérapeutique.
Nous avons montré plus haut comment l’acharnement pouvait être la conséquence d’une absence de choix de la part des soignants. Mais il nous faut pousser l’analyse plus loin, car la très grande majorité des médecins font effectivement des choix et cherchent à se mettre au service des personnes qu’ils soignent.
Et pourtant, même si la douleur est traitée, même si un souci de relation existe dans l’équipe soignante, c’est un fait que la médicalisation de la grande vieillesse (et des personnes en fin de vie en général), telle qu’elle est pratiquée, rend la mort du vieillard de plus en plus difficile, pour ne pas dire intolérable.
Les soins couramment pratiqués pour les vieillards en fin de vie, sont très mal vécus par le malade lui-même, qui doit être attaché pour ne pas arracher les « tuyaux », par les familles qui se révoltent ou adhèrent à des associations, comme l’A.D.M.D. (nous y reviendrons plus loin), par les infirmiers et les soignants.
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Il nous faut essayer de comprendre cette attitude assez répandue chez les médecins. Pour se faire, je voudrais analyser l’opinion exprimée par écrit par le Professeur Henri Péquignot[8] parce qu’elle reflète l’opinion dominante des gériatres.[9] Elle a d’ailleurs été publiée comme « Conclusion sur la mort et le mourir » dans la revue Gérontologie. Cette revue publiait quatre interventions faites, à Nice, au Congrès de la Société Française de Gérontologie, sur le thème de l’accompagnement de la personne âgée en fin de vie. J’ai été content de trouver un texte écrit parce qu’il me permet un travail d’analyse précis de cette opinion diffuse. Il ne s’agit pas ici de mettre en cause une personne qui m’a fait l’honneur de présenter ce travail dans la rubrique bibliographique de la revue Gérontologie, tout en précisant qu’il ne se reconnaissait pas dans l’analyse que j’ai faite de sa position. Le lecteur pourra se faire sa propre opinion en allant au texte lui-même, présenté dans son intégralité ou presque, mon commentaire apparaissant clairement.
A l’instar des autres personnes s’occupant de l’accompagnement des personnes en fin de vie, l’auteur insiste sur la nécessité absolue, et dans tous les cas, d’un traitement de la douleur, en regrettant que ce ne soit pas le cas habituellement :
« Qu’un sujet soit mourant ou non, que ses chances de survie soient très faibles, ou qu’il ait de grosses chances de guérir, ceci peut à la rigueur influer sur certaines décisions thérapeutiques, mais certainement pas sur les conduites thérapeutiques qui donnent au malade un meilleur confort pendant le temps le plus long possible. Il est malheureux que la question soit encore discutée, comme si les solutions techniques étaient celles du XIXème siècle où le choix était entre les stupéfiants majeurs qui abrégeaient la vie du malade et l’absence de sédation des symptômes gênants ».
En s’appuyant notamment sur les travaux de Kubler Ross, il insiste sur la nécessité d’une relation vraie :
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« Ces problèmes ne peuvent être résolus que dans une relation psychologique correcte entre les médecins, toute l’équipe soignante, le malade et son entourage. Longtemps l’opium et le mensonge, puis la qualité technique d’une réanimation spectaculaire ont caché la nécessité d’une relation où le médecin et les soignants acceptent d’écouter le malade, de répondre à ses questions sans lui mentir (ce qui ne signifie pas lui assener un cours théorique sur la maladie dont il est atteint) et lui faire comprendre que rien à aucun moment ne viendra rompre ce contact et qu’on sera toujours à sa disposition ».
L’auteur souligne aussi la nécessité d’une formation à cette relation, une formation qui pourtant n’existe ni à l’hôpital ni en faculté :
« Cette présence auprès des malades qui se voient mourir lorsqu’ils sont conscients et psychiquement intacts, ce qui d’ailleurs ne représente guère plus de la moitié des mourants, implique de la part du médecin et des soignants une certaine préparation psychologique et une certaine maîtrise de leur attitude vis à vis de la mort. Madame le Docteur Kübler Ross a eu le mérite de renouveler le sujet en s’intéressant particulièrement à cet aspect du rôle du médecin et a bien montré que cette présence ne s’improvise pas. Elle a fait d’intéressantes expériences d’enseignement des médecins et infirmières sur ce sujet aux Etats-Unis ».
On remarque que dans le même temps où l’auteur insiste sur la nécessité d’une relation, il limite la portée de cette exigence en la réservant aux malades qui « se voient mourir lorsqu’ils sont conscients et psychiquement intacts ». L’auteur ajoute que cela ne représente guère plus de la moitié des mourants. Ce chiffre est pour le moins surprenant, mais je ne sais pas ce que l’auteur appelle « malades psychiquement intacts ».
Ce faisant, l’auteur résout le problème de la relation à celui qui meurt dans près de la moitié des cas en discréditant à la base toute possibilité de parole de ces personnes. Se retrouvant dans la situation difficile par excellence, qui est celle du face à face avec celui qui souffre, celui qui va mourir, le soignant, comme tout être humain, est tenté de fuir cette relation. Comment entendre l’autre dont la finitude nous fait peur, surtout lorsqu’il remet en question les soins que, pourtant, nous lui prodiguons dans un but généreux et en nous y investissant personnellement ?
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Nous sommes tentés de n’écouter la personne que lorsqu’elle nous confirme dans le bien fondé de notre action ou, au moins, qu’elle se tait et ne la remet pas en cause. Si elle exprime des questions, des peurs, des contestations, elle sera jugée déraisonnable, ou bien, les soignants risquent de ne se préoccuper de vouloir l’écouter que lorsqu’elle ne s’exprime plus, qu’elle est inconsciente, en s’interrogeant alors sur la compréhension qu’elle a des soins qu’ils lui font.
Qu’en est-il de la parole des familles ? L’auteur y consacre huit lignes :
« La perception de ces techniques est souvent mal supportée par la famille et les visiteurs. Mais le médecin n’a pas besoin d’être un lecteur assidu de l’Ancien Testament pour ne pas confondre l’avis de Job et celui des amis de Job. Il sait que la suppression de ces appareils, c’est la déshydratation, l’asphyxie, ce sont les escarres et que ceci est infiniment plus désagréable que tous les « tuyaux » qu’il a installés. »
La parole des familles est totalement discréditée, sans aucun appel possible.
Ce discrédit se base sur la conviction qui transparaît à travers le propos de l’auteur, qu’il y a d’un côté le médecin qui sait ce qui est bon pour le malade, et de l’autre, la famille qui ne comprend pas le bien fondé de la technique employée et s’oppose au bien-être du malade.
Il n’est d’ailleurs pas rare de voir des soignants augmenter la souffrance des familles en leur exprimant directement et parfois assez brutalement cette conviction:
« Vous refusez donc qu’on tente de soigner votre mère »…[10]
Maintenant qu’il a éliminé tout questionnement extérieur, l’auteur peut présenter cette technique qui donne au malade le meilleur confort possible:
« En fait, aujourd’hui la mise au point de techniques de soins a profondément changé tout cela : les malades graves peuvent être l’objet d’une réanimation correcte :
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on leur évite des escarres en évitant toute pression continue sur la surface cutanée, on les empêche de s’étouffer même s’ils sont dans le coma et ont perdu le réflexe de la toux en les mettant en position déclive, en aspirant leurs sécrétions pharyngées ou laryngo-bronchiques, en évitant les fausses routes alimentaires, en les nourrissant par sonde gastrique ou perfusions veineuses. Les antibiotiques triomphent des surinfections, les anticoagulants suppriment l’angoisse des embolies pulmonaires, l’oxygène, l’asphyxie…
Cet ensemble de mesures permet de donner à doses suffisantes les neuroleptiques nécessaires pour venir à bout de la plupart des douleurs sans supprimer la conscience, tout en maintenant de façon correcte le fonctionnement physiologique, les constantes biologiques en évitant les cercles vicieux d’aggravation. Or cette technique qui donne au malade le meilleur confort possible lui donne aussi, si les lésions qu’il présente permettent la guérison, les meilleures chances de survie. Son « risque » est évidemment d’améliorer le pronostic. Nous pensons que ce risque peut être accepté d’un coeur léger ! Ajoutons que le médecin a d’autant plus tendance à ne pas abandonner qu’il a plus de doute sur la valeur de ses propres pronostics et qu’il a conscience qu’on ne reproche jamais l’acharnement thérapeutique qu’après la mort, car à ce moment-là, il paraît évident que cette mort était inévitable. Les prophéties postérieures à l’événement sont toujours les plus sûres ».
Des objections sont possibles. A aucun moment l’auteur ne parle de satisfaire d’autres besoins que les besoins physiologiques du maintien de la vie, hormis le besoin de confort mais les moyens proposés sont inadaptés aux personnes en fin de vie comme nous le verrons ci-après. Ce qui compte c’est le bon fonctionnement physiologique, les constantes biologiques, la survie.
L’auteur se présente là comme un défenseur de la vie qui lutte de toutes ses forces contre la mort.
Patrick Verspieren, analysant cette façon de se situer des médecins, écrit[11] :
« Ce faisant, le médecin risque de n’accorder aucune importance à un acte, pourtant essentiel, de la vie : l’acte de mourir.
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Or, l’acte de mourir peut être pour certains hommes – pourquoi le refuser à priori ? – le geste le plus signifiant de leur vie, la dernière parole et la plus pleine de sens adressée à d’autres. Enfermer le malade dans une enceinte hospitalière contre son gré et celui de sa famille, le séparer de ses proches, « médicaliser sa mort », c’est en certains cas lui refuser une dernière consolation et, bien plus que cela, lui refuser la possibilité de prononcer la dernière parole qu’il avait à dire, celle que toute sa vie avait préparée. (Sous le terme de parole, nous mettons évidemment bien plus que le contenu des mots que peut prononcer l’agonisant.) En tels cas, qui ne sont, il est vrai, peut-être pas très fréquents, combien apparaît dérisoire le désir médical de prolonger la vie de quelques instants ou de quelques jours ! Que signifie la prolongation de la vie biologique si elle est obtenue au prix d’une atteinte grave à la liberté de quelqu’un ? »
Et Patrick Verspieren ajoute cette remarque particulièrement adaptée à ce qui se vit en gériatrie long séjour :
« Le caractère dérisoire de tels soins est encore plus marqué lorsque ces efforts sont déployés sur un homme que, jusque là, la société avait abandonné à sa misère et à sa solitude et que l’on renverra, au mieux, à une vie encore plus misérable et solitaire vu les séquelles qui marqueront sa survie. »[12]
Il me semble qu’en long séjour cette lutte peut être comprise comme une façon d’expier ou de dénier cette situation d’abandon de fait des vieillards, situation que l’on ne veut ou ne peut pas voir parce qu’elle appelle de notre part une action, un engagement, une remise en question de notre pratique et du système, et devant laquelle, comme soignant, nous nous sentons impuissants, coupables et qui nous fait peur.
Dans le texte que nous analysons ici, les autres besoins énumérés par Maslow n’ont aucune place : le malade est un objet de soins, de réanimation, mais il n’existe pas comme sujet. Il n’est question ni de consentement de la personne, ni de réalisation de ses désirs et la technique parait si infaillible (« les antibiotiques triomphent des surinfections, les anticoagulants suppriment l’angoisse des embolies, l’oxygène, l’asphyxie… ») qu’on finit par se demander si la mort existe encore.
Dans cette « Conclusion sur la mort et le mourir », on cherche à percevoir comment le malade est une personne en relation avec les autres ; comment elle est prise en compte à l’intérieur de ses relations ; comment son entourage lui-même est aidé, écouté et associé par l’équipe soignante à sa démarche…
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Mais ce n’est pas tout. Si les constantes biologiques fonctionnent, si la réanimation est techniquement correcte, qu’en est-il du vécu du malade ? Est-ce vraiment une mort ou une survie sans souffrance ? Est-ce vraiment cette technique qui donne au malade le meilleur confort possible ?
Dans ce que dit l’auteur, il faut noter positivement la place de la technique qui peut être utilisée et est effectivement susceptible de répondre aux besoins du malade. On ne soulignera jamais assez, et c’est l’intérêt de cette insistance du Professeur Péquignot, la stérilité, pour ne pas dire l’aberration, de l’opposition souvent faite entre traitement de la douleur (traitement de confort) et soins techniques.
Mais l’auteur ne dit pas seulement que la technique « peut être » au service du confort de la personne, il précise : « cette technique donne au malade le meilleur confort possible » ; et plus loin, il dit que souvent un traitement de la douleur n’est efficace que s’il est ambitieux :
« Une dimension supplémentaire du problème est que, dans beaucoup de cas, le traitement des douleurs ou de tout autre symptôme n’est efficace que s’il est ambitieux. On ne soulage par exemple de la gêne d’un épanchement ascitique ou pleurétique néoplasique, d’une métastase osseuse douloureuse que par une chimiothérapie bien adaptée et non par de purs traitements symptomatiques. Là encore le « risque » est d’augmenter la durée de vie du malade. A la limite on rejoint les problèmes de l’hémodialyse rénale et de tout traitement indéfiniment continué. »[13]
On note au passage que les traitements valorisés, ceux qui sont dits « ambitieux », sont les traitements techniques.
Or l’expérience de Saint Christopher Hospice et des personnes qui échangent régulièrement au séminaire sur « fonction soignante et accompagnement »[14], l’expérience du service depuis trois ans, (confirmée par le travail du Docteur Sachet depuis vingt ans en 2003) amènent à contester radicalement le bien fondé des affirmations précédentes.
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En gériatrie, et tout particulièrement en gériatrie long séjour, on peut même dire qu’une technique agressive est très rarement la solution qui permet aux soignants de répondre aux besoins de la personne, de supprimer sa douleur physique, son angoisse ou sa sensation d’étouffement, de l’aider à exister aux yeux d’autrui et à ne pas désespérer du sens de sa vie. Par contre ces traitements dits ambitieux sont fréquemment, par eux-mêmes, source d’une souffrance physique et morale supplémentaire très importante.
Dans cette analyse d’un texte significatif d’une manière de se situer des médecins, nous relevons aussi la difficulté pour le médecin, et au delà pour l’équipe soignante, d’abandonner un traitement curatif.
Cicely Saunders et Mary Baines, qui soulignent la nécessité de décisions à prendre pour que le malade reçoive une thérapeutique appropriée[15], pensent que la décision de cesser tout traitement curatif devient moins difficile pour les médecins « lorsqu’ils se rendent compte qu’une stratégie thérapeutique efficace peut naître de soins dits palliatifs et terminaux, et que ceux-ci ne constituent pas une voie sans retour. Les moyens palliatifs (…) permettent parfois un retour satisfaisant à la vie active ou une reprise du traitement curatif. »
Et elles poursuivent : « L’efficacité des soins palliatifs peut non seulement améliorer la qualité du temps qui reste à vivre, mais aussi, parfois, le prolonger considérablement ».[16]
Le propos de cette analyse était d’essayer de comprendre ce qui peut amener le médecin à pratiquer ce que l’on appelle l’excès de soins ou l’acharnement. Ce qui est en cause, on l’a vu, ce n’est pas la compétence, la qualité humaine, ou la bonne volonté du Professeur Péquignot qui sont largement reconnues.
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Il faut plutôt rechercher l’explication de ce phénomène dans la conception que les soignants ont de leur rôle et aussi, bien entendu, dans leurs limites humaines qui se révèlent face à la souffrance, face à la mort.
Ce que je regrette dans cet article c’est, qu’au lieu d’ouvrir la question du face à face avec celui qui meurt sans en gommer la difficulté, il est autojustification de nos limites de soignants et il ferme tout dialogue, toute possibilité de progresser dans la pratique.
Mais si l’on précise bien qu’être au service de la vie du malade, c’est lui permettre de satisfaire l’ensemble de ses besoins, et lorsque ces besoins ne sont plus tous compatibles, lui permettre de satisfaire ceux qu’il estime les plus fondamentaux pour lui, ou s’il ne peut plus s’exprimer, ceux que ses proches et l’ensemble de l’équipe soignante auront perçus comme tels, alors les mots que reprend le Professeur Péquignot prennent toute leur force :
« Comme l’a récemment rappelé G. Canguilhem, cette relation psychologique n’est possible que si le malade est assuré que son médecin est au service de sa vie et de sa seule vie. On imagine mal les relations d’un malade grave et d’un médecin se proclamant partisan d’abréger l’existence des sujets trop gravement atteints. La liberté du malade et la liberté du médecin sont dans cette situation garantes l’une de l’autre. »
5. Essai de définition de l’acharnement thérapeutique.
Ce terme est en général utilisé dans un climat très passionnel. Si on écoute les médecins, la question est souvent posée de la façon suivante : « Les sondes gastriques », par exemple, « sont-elles de l’acharnement thérapeutique ? » Les adversaires l’expriment, eux, sous forme d’affirmation absolue : « Les sondes gastriques sont de l’acharnement. »
Selon ces expressions, il semble que l’acharnement qualifie un geste technique précis, encore qu’il faille relativiser en fonction des situations. Ainsi, si certains perçoivent la sonde gastrique comme étant de l’acharnement chez le vieillard, ces mêmes personnes reconnaîtront sa place dans le traitement momentané d’une personne jeune, comateuse, dont on attend qu’elle puisse retrouver l’ensemble de ses capacités physiques et intellectuelles.
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Si l’on pousse l’analyse, on s’aperçoit que l’acharnement thérapeutique rend compte surtout de ce que ressentent le malade, sa famille, ou son entourage.
Ce qui va donc être perçu comme acharnement, c’est le non respect de la volonté du malade, la prise en compte exclusive du besoin physiologique du maintien de la vie, l’absence de dialogue parce que, d’emblée, les soignants auront disqualifié la parole du malade et de son entourage.
Quant au concept d’excès de soins, il laisse supposer que les soignants peuvent « trop soigner ». En fait, il vaudrait mieux parler d’inadéquation de soins, ou de soins inappropriés, qui ne répondent pas, dans une situation donnée, à l’attente de la personne.
Si, par ce qui précède, j’exclus, a priori, une réflexion consistant à codifier les gestes qui seraient ou non, par eux-mêmes, de l’acharnement, j’insiste, au contraire, sur la nécessité de réfléchir de façon générale à l’intérêt de tel ou tel geste technique en fonction de certaines situations types (comme « de la place de la sonde gastrique en gériatrie long séjour »). L’échange sur les avantages et les inconvénients de ces techniques permet alors une décision éclairée dans une situation particulière.
6. Nécessité de la prise en compte du consentement aux soins pour une bonne compréhension du concept « d’obligation de moyens. »
L’obligation de moyens est souvent comprise par les soignants et le public comme l’obligation, pour les soignants, de mettre en oeuvre tous les moyens possibles pour permettre la survie de la personne. Ainsi certains écrivent :
« Pour chaque malade, le médecin se doit de ne négliger aucun moyen qu’il juge en son âme et conscience susceptible de prolonger, fût-ce d’une seconde, la vie de celui qui s’est confié à lui. Il n’y a dans cette règle aucune ambiguïté ».[17]
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C’est oublier que l’obligation de moyens ne concerne pas des moyens à prendre devant une pathologie donnée, mais la relation, le contrat[18] qui lie deux personnes, deux libertés[19] : le malade et le médecin. Elle ne dispense pas de recevoir le consentement du malade chaque fois que cela est possible.
Dans le privé, le malade choisit librement son médecin et le médecin peut récuser le malade, sauf en situation dangereuse. Le malade a une demande tant diagnostique que thérapeutique. Le médecin a le devoir de proposer les explorations et les traitements possibles, mais il doit obtenir le consentement explicite ou implicite du malade pour les mettre en oeuvre. Il doit prendre en compte l’ensemble des besoins de la personne, et si, face à une pathologie donnée, le malade privilégie la qualité de vie et l’autonomie à la survie avec les séquelles ou les contraintes occasionnées par les traitements, l’obligation de moyens concerne l’obligation de proposer au malade les moyens disponibles, mais en aucun cas leur mise en oeuvre si le malade les refuse.
A l’hôpital, il n’y a pas de libre choix du médecin et, selon H.Mac Aleese, il n’y a pas non plus de « contrat » entre le médecin et le malade. Néanmoins, selon cet auteur, l’obligation d’informer le malade et de recueillir son consentement reste une obligation pour le médecin et fait partie des devoirs imposés par l’humanisme médical.[20]
L’obligation de moyens « oblige » le médecin mais non le malade. Le médecin est tenu de respecter la liberté du malade sinon, il se met en situation illégale.[21]
Si les soignants et la société avaient une conception plus claire et plus exacte de « l’obligation de moyens », de « la non assistance à personne en danger« , une partie très importante de l’argumentation de l’A.D.M.D. s’effondrerait et leur secrétaire Mme Paula Caucanas Pisier[22] ne pourrait semer la confusion en opposant la loi actuelle aux besoins des mourants et en faisant la cause de la souffrance des personnes en fin de vie :
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« Pour vivre au mieux les dernières années de notre vie, il nous est indispensable d’être rassurés – dans la mesure du possible – sur la façon dont elle se terminera. Actuellement ce n’est pas le cas. Une législation restrictive enlève même au mourant la possibilité de faire respecter ses dernières volontés »(…). « La loi actuelle exige qu’on les punisse pour non assistance à personne en danger. (« les »: ceux qui respectent le non consentement aux soins du malade, et pour répondre à son désir profond, acceptent de ne pas mettre en oeuvre un traitement à visée curative vitale) ».
Et Gilbert Brunet[23] ne pourrait pas écrire que « l’euthanasie passive (abstention thérapeutique faite dans les conditions décrites ci-dessus) constitue une non assistance à personne en péril relevant de l’article 63 du code pénal ».
De nouveau, j’invite le lecteur a s’être reporté aux dispositions légales et réglementaires apparues en France depuis 1986 et mises en Annexe 4 et qui confirment le bien fondé de notre argumentation avant de poursuivre la lecture, en particulier aux articles 37 et 38 du Nouveau Code de Déontologie 1995 et la loi du 4 mars 2002.
Parler de liberté renvoie le médecin à sa responsabilité : a-t-il bien donné tous les éléments au malade ?
Il est certes des situations où le malade manifestement n’est pas libre de sa décision, où ce qu’il exprime ne correspond pas à son désir profond. Le médecin, s’il est responsable, est alors amené, avec la plus grande prudence, à ne pas suivre l’avis exprimé par le malade.
Il est cependant dommage que cette situation particulière soit trop souvent comprise comme une donnée générale et que le repère fondamental de la liberté du malade soit si fréquemment refusé.
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7. Répondre au désir profond de la personne.
Répondre au désir profond de la personne, qu’est-ce à dire ?
La question de l’existence même d’un désir précis de la personne est elle-même en suspens. Je ne puis définir ici clairement ce concept, mais je continue à l’utiliser parce qu’il a l’avantage de laisser la question ouverte.
Il fait place à la liberté et à la responsabilité du malade, à la liberté et à la responsabilité du médecin.
Il s’oppose à la conception étroite et dangereuse que peuvent avoir les soignants de leur rôle : prolonger la vie, empêcher de mourir, faire tout ce qui est possible, à condition que ce ne soit pas trop douloureux, même si la personne, en dehors de toute dépression, refuse ces soins et est prête à mourir.
Il n’est pas nécessaire de « décider de l’incurabilité » pour accepter de s’abstenir, il s’agit de répondre au désir profond de la personne. Ce qui est nécessaire par contre, avant d’intervenir, c’est le consentement de la personne.
Parler de réponse au désir profond de la personne, c’est aussi souligner la responsabilité du médecin qui, surtout en phase aiguë, aura à discerner si ce qu’exprime la personne correspond à sa volonté, ou est le fruit d’une peur, d’une panique passagère, de son extrême difficulté à vivre un moment pénible de son existence, alors qu’une fois le cap passé, on peut s’attendre à la voir exprimer sa reconnaissance envers ceux qui l’ont soignée, et retrouver sa joie de vivre.[24]
« Ce serait pour le soignant manquer à son sens de la responsabilité, que de prendre au mot un malade. Il s’agit au contraire d’engager avec lui une négociation, de l’aider à dépasser des peurs irraisonnées, d’essayer parfois de lui redonner des raisons d’espérer et de vivre ».[25]
En gériatrie long séjour, on sera fréquemment amené à respecter le refus de soins exprimé par le malade. Lorsque le malade ne peut pas s’exprimer, on devra considérer l’ensemble de ses besoins.
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Dans les deux cas, on sera amené à accepter qu’une personne puisse ne plus vouloir vivre coûte que coûte et que d’autres besoins soient privilégiés. En particulier, dans le strict respect du cadre éthique et juridique, on aura à être très attentif à son besoin de pouvoir vivre jusqu’à sa mort dans des conditions qui lui permettent de s’accomplir comme personne, d’être vivante en relation avec autrui jusqu’à son dernier souffle.
8. Le malade est-il capable de décider ?
Le malade est-il capable d’exprimer son « désir profond » ? Est-il capable de décider ?
En 1950, la position de Louis Portes, premier président de l’Ordre National des Médecins, était nette[26] :
« Le consentement éclairé du malade n’est en fait qu’une notion mythique (…), le patient, à aucun moment, ne connaissant, au sens exact du terme, vraiment sa misère, ne peut vraiment consentir ni à ce qui lui est affirmé, ni à ce qui lui est proposé, si du moins nous donnons à ce mot de consentement sa signification habituelle d’acquiescement averti, raisonné, lucide et libre ».[27]
Comment ce médecin en vient-il à cette conclusion ? En fait, il essaye de faire une analyse psychologique de l’attitude du malade, selon les différents stades de la maladie et de l’acte médical. L’auteur décrit trois moments principaux : l’irruption de la maladie qui va décider celui qui était auparavant bien-portant à faire appel à un médecin ; la première rencontre avec le médecin et l’établissement du diagnostic ; le temps, plus ou moins long, d’adaptation de la thérapeutique.
Or, selon Ce médecin, à aucun moment le malade n’est « un adulte conscient et libre ».[28]
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Au plan émotif, le patient ne peut éprouver que de l’angoisse ou une confiance éperdue envers son thérapeute ; son intelligence est amoindrie, et ne peut parvenir à une connaissance claire et distincte de la maladie; sa volonté « qui au plein de la maladie, se manifeste d’ailleurs assez peu, est plus aveugle que lucide, plus déterminée que libre »[29]
Finalement, le malade ne peut exercer qu’un seul acte de liberté, le choix de son médecin même si se mêlent à cette décision bien des éléments aléatoires : « c’est la seule parcelle de liberté dont il puisse vraiment disposer »[30]
Une fois ce choix effectué, dès la première rencontre, ou bien s’opère un mouvement de recul chez le patient, et le médecin ne pourra vraiment soigner, ou bien, au contraire, « un processus de confiance s’ébranle chez le patient ». Alors peut vraiment s’effectuer l’acte médical. Car « tout acte médical normal n’est, ne peut être, ne doit être qu’une confiance qui rejoint librement une conscience »[31]
Au médecin d’exercer son art avec conscience ; au malade de s’en remettre à son thérapeute avec confiance, confiance passive, confiance faite d’abandon de soi-même et de toute décision entre les mains d’un autre.
« Face au patient, inerte et passif, le médecin n’a en aucune manière le sentiment d’avoir affaire à un être libre, à un égal, à un pair, qu’il puisse instruire véritablement. Tout patient est et doit être pour lui comme un enfant à apprivoiser, non certes à tromper -un enfant à consoler, non pas à abuser- un enfant à sauver, ou simplement à guérir à travers l’inconnu des péripéties ».[32]
Le patient, un enfant. Remarquons que ce médecin ne dit pas seulement : « La plupart des patients se comportent en enfants », mais : « tout patient est et doit être pour lui comme un enfant ». Qu’il ne faut pas abuser ; peut-être, mais encore faut-il « dorer la vérité », et le plus souvent dire d’une voix presque distraite un « ce n’est pas grave » ou un « ce n’est pas grand chose » qui comble très suffisamment la pâle curiosité du malade ».[33]
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Au médecin donc de prendre toutes les décisions au nom et à la place du malade, pour son bien : ce qui est la définition même de l’attitude paternaliste : au malade, non pas même de donner un consentement qui n’aurait pas grand sens, mais de s’abandonner entre les mains de cet être bienveillant.
Une telle perspective éthique – exprimée brutalement mais avec franchise – suscite aujourd’hui, j’espère, un certain nombre de réserves. Mais il me semble qu’elle était généralement acceptée dans les années 1930-1950. Un des meilleurs livres de déontologie médicale de l’époque celui de G. Payen[34], parle très longuement des devoirs du médecin, mais jamais du consentement du malade.
A une exception près qui n’est pas mineure, celle de la chirurgie ». (…)
Cette position insiste aussi sur l’implication affective du patient et s’oppose à l’attitude de démission, parfois observée chez certains médecins, qui, laissant les patients ou leur famille porter seuls des décisions très lourdes, fuient leurs responsabilités et plongent les malades et leur famille dans une angoisse insupportable.
Louis Portes s’exprimait en janvier 1950, mais sa position a été rééditée plusieurs fois, jusqu’en 1964 au moins, et il me semble qu’elle marque encore profondément les soignants, et c’est pourquoi je l’ai reprise ici.
Depuis le Conseil National de l’Ordre des Médecins insiste sur le nécessaire respect de l’Article 7 du code de déontologie dont l’intitulé est le suivant :
« La volonté du malade doit toujours être respectée dans toute la mesure du possible.
« Lorsque le malade est hors d’état d’exprimer sa volonté ses proches doivent, sauf urgence ou impossibilité, être prévenus et informés. »
Le premier paragraphe du commentaire du code de déontologie édité par le Conseil de l’Ordre en 1987 est net[35] :
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« Le malade a le droit de se soumettre ou de ne pas se soumettre aux examens et à la thérapeutique qui lui sont proposés (et non pas imposés). Ce consentement du malade est une exigence déontologique fondamentale.
La médecine ne saurait être autoritaire. Elle respecte la liberté des individus. »
On trouve ensuite une discussion sur l’application de ce principe fondamental dans divers cas particuliers dans laquelle est relevée la fréquente difficulté d’obtenir un consentement « libre et éclairé », un consentement qui, souvent, est « plus affectif qu’éclairé ».
Le commentaire précise qu’il ne s’agit, pour autant, ni d’un « abandon inconditionnel », ni d’un « blanc seing », mais « d’une confiance dont le médecin ne peut guère se passer ».
9. Le malade mental peut-il consentir ?
9.1 « Ici, on doit se taire… »
Quand on considère ce que Louis Portes disait du malade en général, ou ce que le Professeur Péquignot écrit en 1985, on comprend que la difficulté soit encore plus grande pour parler de la liberté et du consentement des malades en gériatrie long séjour: ils n’ont pas le choix de leur médecin, n’ont choisi ni d’être hospitalisés ni le lieu, ils dépendent totalement de l’institution et, s’ils sont déments, ils sont d’emblée considérés comme irresponsables.
Une dame de 89 ans, parfaitement lucide, récemment placée en long séjour, me disait :
« Ici, on doit se taire, on ne doit rien désirer. Ils nous donnent des cachets, on ne sait pas ce que c’est mais on doit les prendre ».
Jusque là elle gérait l’ensemble de ses affaires et notamment tout ce qui concernait sa santé.
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Avant toute démarche de soins dans un tel univers, une prise de conscience de la totale dépendance des personnes âgées en institution est nécessaire aux soignants pour que leur action aille dans le sens d’une possibilité pour le malade de recouvrer une partie au moins de ses responsabilités et puisse notamment consentir aux soins.
Pour les malades déments ou mutiques, l’expérience montre qu’ils peuvent accéder à une certaine expression, à un certain consentement et à une information. L’histoire de Madame Bustio, totalement prostrée et mutique et qui s’était remise à parler, l’histoire de Madame Godot qui répondait par des mouvements d’épaule et bien d’autres encore sont particulièrement démonstratives. On pourra aussi se reporter à l’histoire de Madame Deshormes.
S’il est difficile de traduire un regard, une parole incompréhensible, si une fois ce regard interprété il faut se demander s’il exprime ou non le désir profond de la personne, il n’en reste pas moins vrai qu’une relation suivie avec la personne peut lui permettre de participer à la décision, de consentir ou non aux soins, même si elle est démente ou prostrée.
Si la personne ne peut exprimer son désir, la parole adressée lui permettra au moins d’être associée à la décision qui a été prise, même si, en apparence, elle ne comprend rien. Nul ne peut jamais être sûr de ce que l’autre comprend ou non et l’expérience montre que si l’on sait être attentif, les surprises ne manquent pas.
« La capacité à consentir n’est ni de 0 %, ni de 100 % et le consentement, loin d’être une expression ponctuelle de volonté, s’inscrit dans une relation thérapeutique qui se déploie dans le temps ».[36]
« Dès lors, le rôle des soignants est de savoir tolérer l’enfant en leurs malades, leur incapacité à un moment donné à consentir. Il s’agit de comprendre une réalité afin de la transformer. Il ne s’agit pas, par contre, de majorer la régression du malade ou de la nier. »[37]
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Si le consentement n’est pas un acte isolé mais une négociation[38], ceci entraîne des conséquences pour l’agir thérapeutique : Responsabiliser le patient par l’élaboration même du contenu avec lui. Dans la mesure où il est enfant, ne pas l’empêcher d’évoluer, ne pas se culpabiliser. Quand il est très loin de l’idéal de responsabilité, il peut enseigner l’humilité à celui qui pense pouvoir l’accompagner.
Dans le cas de personnes ne pouvant réellement exprimer leur désir, comme ce fût le cas pour Monsieur Bonnet, c’est aux soignants et aux proches ensemble, que va revenir la décision d’utiliser ou non tel traitement, en ayant le souci de répondre au mieux à ses besoins, en fonction de sa situation, de ce que l’on perçoit de son désir profond, et de susciter, autant que faire se peut, son consentement et sa participation à la décision.
On risque toujours de considérer trop vite que le malade est incapable de faire connaître, d’une manière ou d’une autre, sa volonté ! Même si une expression claire, verbale, est devenue impossible, des proches connaissant le malade, son histoire, ses convictions, son échelle de valeurs, peuvent relier toute cette connaissance aux signaux émis par le patient.
En long séjour, les proches sont à la fois la famille et les soignants, tous les soignants, de l’agent hospitalier au médecin.
Souvent, cette expression d’une volonté peut se faire sur une certaine durée et se vérifier dans le temps. Pour Monsieur Bonnet, un transfert en réanimation restait possible au moins les premiers jours, et le temps passé sur son lit a été très important pour vérifier le bien fondé de la décision prise.
Il faut aussi souligner que l’expression n’est pas d’abord verbale et intelligible, et qu’une personne s’exprime par son silence, son regard, ses gestes, ses lapsus, voir des expressions qui paraissent inappropriées, notamment chez les personnes atteintes de maladie d’Alzheimer (Marie Bonnet : « Où est Lucien ? », « La maison s’écroule »…). Ainsi, la qualité de la relation entre Marie et Lucien exprimait plus de choses que de longs discours.
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Cette connaissance de la personne, cette écoute des signaux qu’elle émet, peut permettre de percevoir avec une relative certitude la volonté profonde de la personne et de la respecter. Ce qui est insécurisant c’est le caractère toujours relatif de cette certitude.
Cette écoute, cette parole adressée vont non seulement permettre de percevoir les signaux émis par la personne mais ils peuvent aussi lui permettre de se remettre à communiquer et de pouvoir à nouveau clairement consentir aux soins. Ainsi l’histoire de Monsieur Le Marrec :
9.2 Histoire de Monsieur Le Marrec :
70 ans, il entre dans le service le 3 avril 1985, après un itinéraire compliqué, ce qui est assez fréquent. Célibataire, à la retraite depuis février 1978, il présente, dès l’automne 1981, d’importants désordres mentaux et un problème d’éthylisme qui nécessiteront trois consultations en psychiatrie au cours de l’été 1982. Il est finalement hospitalisé en psychiatrie le 2 mars 1983, puis immédiatement transféré dans un autre hôpital, à la suite d’une blessure survenue dans des circonstances peu claires (accident, suicide, autre cause ?). Il sort le 3 juin pour aller en maison de post-cure, puis il est placé le 29 juin 1983 dans un hôpital de long séjour, à 20 km de Paris, c’est-à-dire loin du quartier où il habitait, ce qui est le cas de 80 % des parisiens placés en long séjour. A l’intérieur de cet hôpital, le 29 juillet 1983, il est changé de service pour « mauvaise conduite » puis il est finalement renvoyé chez lui le 29 août 1983.
Il retombe alors dans l’éthylisme. Après un court passage dans un service de médecine, consécutif à un accident vasculaire cérébral qui le laisse hémiplégique, il est à nouveau hospitalisé en long séjour dans la proche banlieue de Paris le 11 septembre 1983. Quelques temps après, il est transféré dans un service de rééducation dans lequel il fait peu de progrès.
En janvier 1984, il fait une crise d’épilepsie et son état s’aggrave. Le 20 mars 1984 il devient mutique. Il est changé de service le 3 avril 1984 et entre à la 1ère Unité après être passé dans 6 hôpitaux et 8 services différents en un an, le tout entrecoupé d’un séjour de 15 jours chez lui.
Cet itinéraire illustre la difficulté à prendre en charge certaines personnes ou l’inadéquation des moyens proposés pour les aider, notamment lorsqu’elles sont alcooliques. Elles sont alors rejetées de service en service et finissent par être totalement anéanties.
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Monsieur Le Marrec arrive en situation d’urgence. Il est prostré et mutique, ne parvient pas à boire car il fait de très nombreuses fausses routes. La communication est apparemment inexistante. L’équipe ne le connaît pas et pose alors une sonde gastrique.
Son frère, qui a mal supporté ses troubles psychiatriques et son éthylisme, demande avec beaucoup de véhémence à ce qu’on « abrège ses souffrances ». Comme à chaque fois que cette situation se présente, l’équipe précise son rôle, ses objectifs, les moyens dont elle dispose et elle invite la famille à être présente, à l’aider à répondre aux besoins de Monsieur Le Marrec et, en particulier, à veiller à ce qu’il n’ait pas mal. La relation avec la famille de Monsieur Le Marrec sera un échec et ils ne viendront jamais plus lui rendre visite.
Comme pour les malades déjà cités, les médecins passent tous les jours lui tenir la main, lui parler. Au début, aucune réaction perceptible ne peut laisser penser qu’il a conscience de cette présence. Puis, petit à petit, il ouvre les yeux. Au bout de 10 jours, il esquisse un sourire de plus en plus franc chaque jour. Après un mois et demi, sentant de façon confuse quelque chose de différent en lui, un soignant lui dit, mi-affirmatif, mi-interrogatif : « Mais vous pouvez parler… » et la réponse ne s’est pas faite attendre : « Oui ! ». Une réponse claire. C’est son premier mot depuis le 20 mars, soit depuis deux mois.
Le 29 mai, il arrache sa sonde gastrique en disant : « je veux manger… » et il se remet à manger normalement. Il demande aussi à marcher de nouveau, mais la rétraction musculaire survenue entre temps rend illusoire toute rééducation.
Il semble heureux, accueille les soignants avec un large sourire et vit ainsi jusqu’au 15 août 1984 date à laquelle il meurt brutalement à la suite d’une fausse route.
Cet homme, qui présentait de gros troubles psychiatriques, dont le consentement était totalement nul à son arrivée, qui avait eu un itinéraire très difficile jusque là, étant partout rejeté, a pu retrouver goût à la vie et participer aux décisions le concernant (ablation de la sonde, demande de rééducation…) grâce à la relation et à la parole adressée par les soignants.
Les soignants doivent donc accepter qu’à un moment donné, une personne ne puisse consentir. Ils doivent alors se mettre à l’écoute des signaux qu’elle émet et prendre en compte l’ensemble de ses besoins pour essayer d’y répondre au mieux.
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Leur action tend alors à permettre à la personne de pouvoir recouvrer, autant que possible, une certaine responsabilité et une capacité à exister comme sujet et non comme objet. Cette capacité à exister comme sujet dépend pour une large part, mais pas seulement, du regard que les soignants et la société portent sur ceux qui sortent de la norme, de la parole qui leur est adressée et de l’accueil qui leur est fait.
10. Le malade peut-il refuser des soins « vitaux » ?
Si l’on accepte que le malade a une part de liberté jamais totale, ni jamais nulle, a-t-il le droit pour autant de refuser des soins vitaux ?
A propos d’interventions chirurgicales, G. Payen écrivait[39] :
« Nous supposons, avec l’opinion commune, qu’un malade n’est pas tenu, pour sauver sa vie, d’employer des moyens extraordinaires ou très pénibles.
Dès lors, il garde, le plus souvent, toute liberté d’accepter ou de ne pas accepter une mutilation importante ou une opération dangereuse qui risque d’amener la mort ou peut échouer, ou, si le succès est assuré et durable, entraîne pour toujours, comme la suppression d’un membre, de très sérieuses incommodités, ou tout simplement cause à l’intéressé une extrême répugnance, justement assimilable à une extraordinaire difficulté. »
Et Patrick Verspieren poursuit, en se basant sur le travail de James E. Childress[40] :
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« D’une manière générale, les sociétés occidentales reconnaissent la valeur attachée au fait qu’une personne responsable mène sa vie et recherche son bonheur selon ses propres critères, et le droit de cette personne de faire de tels choix, tant qu’elle ne sort pas du cadre fixé par la loi et les consensus éthiques unanimement reconnus. Cette valeur c’est celle de la liberté ; ce droit c’est la liberté elle-même (ou du moins le premier niveau de la liberté).
S’opposer à cette libre disposition de lui-même par le sujet, c’est le traiter soit en délinquant, soit en irresponsable. Et c’est une grave atteinte à sa liberté que de porter sur lui à tort de tels jugements.
Le malade peut donc choisir de refuser un traitement qui pourrait lui permettre de survivre s’il juge que c’est au prix d’inconvénients, qui lui paraissent insupportables, qui lui paraissent insupportables à lui.
Le magistère de l’Eglise Catholique va dans le même sens. Dès 1957, le Pape Pie XII affirmait que le « médecin n’a pas à l’égard du patient de droit séparé ou indépendant; en général il ne peut agir que si le patient l’y autorise explicitement ou implicitement (directement ou indirectement) »[41].
Ceci a été repris par une récente déclaration de la Congrégation Romaine[42] qui mettait en garde contre une interprétation abusive du devoir d’assistance à personne en danger, et précisait au sujet des traitements destinés aux grands malades : « les décisions appartiendront à la conscience du malade ou des personnes qualifiées pour parler en son nom, ainsi qu’à celle du médecin ». L’ordre dans lequel sont cités les agents de la décision est significatif. »
On l’aura vu en se reportant aux nouveaux textes législatifs en Annexe n° 4 de ce livre, dans la législation française, ce droit à consentir ou non aux soins même vitaux proposés est clairement inscrit.
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11. Qui décide ?
Une fois pleinement affirmé le principe de la liberté du malade, se pose la question du mode d’exercice de cette liberté et de sa mise en oeuvre. Et ceci est tout particulièrement vrai en gériatrie long séjour.
Dans le cas où la personne peut consentir, au moins partiellement, et qu’elle peut être informée des données du choix, sa volonté doit être respectée. Le rôle du médecin, sa responsabilité, est alors, avec l’aide de la famille et de l’ensemble de l’équipe soignante, de vérifier que le choix exprimé par le malade n’est pas la conséquence d’une incompréhension de la situation, d’une peur irraisonnée de quelque chose d’étranger pour lui – un traitement qu’il ne connaît pas – et que ce choix correspond effectivement à son désir profond.
Dans le cas de Monsieur Bonnet, la décision ne lui a pas été remise dans les mains et il n’y a pas eu d’information permettant de parler de consentement aux soins. La décision a été prise à partir d’une connaissance de sa personne (connaissance facilitée en long séjour où les personnes sont hospitalisées pour une longue période) par les médecins, par sa famille largement consultée. D’autre part le temps passé à l’écouter a été très important pour pouvoir éventuellement remettre en cause la décision, à partir de ce qu’il exprimait ou, au contraire, la confirmer : Il reste que l’on ne peut jamais être sûr de respecter le désir de la personne et que cela reste une tension, une quête.
Quant à l’équipe soignante elle est habituellement consultée et cela nous semble très important. En effet, la connaissance du malade qu’ont l’aide soignante ou l’infirmière n’est pas la même que celle du médecin. La compréhension qu’a le malade de ces personnes n’est pas la même non plus et il exprimera des choses différentes à chacun des intervenants.[43]
D’autre part, les aides soignantes, les infirmières ne seront pas sensibles aux mêmes valeurs et si l’on veut prendre une « bonne décision », dans le sens du « désir profond » de la personne, il est important de considérer un maximum d’informations, de faire droit au plus de valeurs possibles.[44]
La réflexion en équipe est importante aussi pour que l’attitude adoptée soit pleinement mise en oeuvre par tous. Chacun à sa place comprend alors le sens de ce qu’il fait et devient acteur.
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Tous les membres de l’équipe participent au processus de décision, mais en dernier ressort il est capital qu’une seule personne décide, prenne la responsabilité et que l’ensemble de l’équipe aille dans le sens de ce qui a été décidé.
Il faudrait fonder une telle affirmation et plus largement réfléchir à ce qu’est une bonne décision, aux repères à se donner, aux critères d’évaluation. Ne pouvant traiter toutes les questions je m’appuie là sur les conclusions d’une session que j’avais suivie sur « la décision ».
On ne peut parler de liberté du malade sans parler de responsabilité des soignants. Mais la responsabilité de la décision ne peut être prise par vote. Il est important qu’une personne prenne la décision (le médecin) encore faut-il que le décideur sache écouter, entendre les arguments des autres membres de l’équipe, de la famille et être attentif à d’autres besoins que celui du maintien de la vie.
Il faut veiller à ce que tous les membres se sentent libres de s’exprimer, ce qui n’est pas évident dans un système français où le poids de la hiérarchie, quelle que soit la qualité du supérieur, est particulièrement lourd et où il est urgent de contribuer à faire évoluer les mentalités.
Dans notre expérience, il a fallu un an et demi pour que les aides soignants puissent réellement commencer à s’exprimer et participer au processus de décision de faire ou non tel ou tel soin. En retour, cela a modifié considérablement leur liberté d’expression et le contenu même de leurs interventions au cours des réunions.
Ici où là, on oppose la responsabilité du malade à la responsabilité des soignants, en particulier à celle du médecin, comme le Professeur Portes qui insistait sur la responsabilité du médecin en présentant pour cela le malade comme irresponsable : « à aucun moment le malade n’est un adulte conscient et libre ».
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D’autres, comme l’A.D.M.D dans sa « déclaration de volonté de mourir dans la dignité », souhaitent que le malade puisse être reconnu responsable en déchargeant les médecins de leur responsabilité :
« (…) j’adjure ma famille, les médecins et infirmiers me traitant, et tous autres de respecter ces volontés. Je décharge de toute responsabilité ceux qui le feront et je les en remercie ».
Ailleurs, ce sont les médecins qui démissionnent de leur responsabilité et font porter au malade, à sa famille, aux autres membres de l’équipe soignante tout le poids de la décision, provoquant chez eux une souffrance inacceptable.
Permettre à d’autres de participer au processus de décision ne doit pas être confondu avec le fait de leur remettre la décision dans les mains et de démissionner de sa propre responsabilité.
La liberté implique la responsabilité, et c’est dans la mesure ou autrui devient plus responsable que je peux aussi le devenir.[45]
Il est vain et dangereux d’établir la responsabilité des uns sur l’irresponsabilité des autres.
12. Une décision fondée sur la connaissance et la reconnaissance du malade comme personne.
12.1 Reconnaître celui qui est diminué comme une personne
Nous avons vu que la relation entre un médecin et un malade, l’acte de soigner, sont, en théorie, sous-tendus par la reconnaissance mutuelle de l’autre comme personne libre et responsable.
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Or, en long séjour, les choses ne sont pas si claires. Il n’est pas sûr que le « vieillard grabataire et dément » soit reconnu comme une personne à part entière. Un certain nombre d’indices laissent penser le contraire.
Ainsi à Ivry, une expression est parfois utilisée pour parler des pensionnaires, « Homo Ivryensis », qui met l’accent sur la différence entre le pensionnaire et nous, et, par peur de sa vieillesse, de sa maladie, elle tendrait à nous laisser penser qu’ils ne sont plus hommes et femmes au même titre que nous, qu’ils ne sont plus de la même espèce.
On retrouve cette conception rapportée par le Docteur Cipriani dans sa thèse faite en 1971 à la 1ère Unité et intitulée : « Animation et Humanisation. Problèmes posés par la transformation de l’hospice ». Le Docteur Cipriani avait essayé d’introduire la notion « d‘animation« .
Pour se faire elle avait lancé dans le service des réunions d’équipe et avait diffusé le livre de Madame Petit-Lievois, relatif à l’animation dans les institutions pour personnes âgées[46]. Elle a constaté que ce livre ne « passait pas » et lors d’une réunion quelqu’un a dit : « l’animation à l’hospice, mais vous voulez rire ! Mais vous ne savez pas ce qu’est l’hospice. Venez vivre à l’hospice et vous ne direz plus de choses pareilles… » L’auteur a alors demandé pourquoi et la réponse a été : « Parce que le vieillard d’hospice est différent ».[47]
Cela se passait en 1971. Un chemin important a été fait depuis par l’équipe soignante. Mais ce chemin n’est pas achevé et tout le monde ne l’a pas suivi. Combien de fois entend-t-on tel ou tel visiteur dire : « C’est atroce ! Les pauvres bougres, heureusement ils ne se rendent pas compte ». Souvent, le « vieux de long séjour » est réduit à une étiquette : c’est un dément, un fou, un grabataire, un mourant, voire un « matériel d’étude intéressant » et il est clair que ce n’est plus une personne au même titre que nous.
Bien qu’ayant pris conscience de la dignité de la personne âgée, quel que soit son âge ou son handicap, je retrouve dans ma propre pratique cette non reconnaissance.
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Allant examiner les personnes signalées par les infirmières pour vomissement, hématome, ou autre, il n’est pas rare que, sans lui adresser la parole, je déshabille Madame X., lui fasse un toucher rectal, lui administre un lavement, avant de passer voir Madame Y., et sans l’avertir, je l’envoie à la radio. Elle risque aussi d’être transférée dans un autre hôpital sans autre explication.
Et pourtant j’ai souvent été surpris de la relation possible si nous savons nous asseoir, écouter, prendre la main, même avec une personne mutique jusque là. D’autant que la relation ne se limite pas aux mots.
Parler de soins en long séjour, de consentement aux soins, d’abstention thérapeutique, c’est donc d’abord parler de la dignité de l’autre, de sa dimension de personne, de la nécessité d’une parole, d’une relation.
Nous serons alors étonnés de la place que pourra prendre la personne âgée dans la décision, y compris celle qui est démente ou prostrée. En témoignent aussi les histoires suivantes :
12.2 Histoire de Madame Bastard :
Ancienne institutrice, 89 ans, Madame Bastard avait été hospitalisée 4 ans plus tôt en raison d’une paralysie progressive évoluant depuis dix ans et ne lui permettant plus de marcher. C’est une vieille dame seule et sans famille, à l’allure très digne.
Le 3 Octobre 1984, elle est examinée parce qu’elle ne mange plus certains jours et que cela devient rapidement plus fréquent. L’examen clinique est négatif, elle ne semble pas déprimée mais refuse de plus en plus souvent toute nourriture. Pendant un mois, l’équipe s’interroge sur la cause de cette anorexie, d’autant que, jusque là, elle ne présente pas de trouble de la déglutition et qu’elle mange un peu certains jours. Les avis du chirurgien, du psychiatre, de la psychologue sont demandés. Une fibroscopie gastrique est faite qui s’avère négative. Des traitements d’épreuve sont instaurés : antidépresseurs, traitement d’un éventuel ulcère… Rien n’y fait. Les jours où elle ne mange pas, elle est mise sous perfusion sous cutanée. Le 12 Novembre, le tableau se complète : elle est aphasique, un syndrome cérébelleux – atteinte du cervelet qui se traduit, entre autre, par une incapacité à coordonner ses mouvements – est apparu et elle a des troubles de la déglutition qui expliquent son anorexie.
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Les médecins lui proposent une sonde gastrique pour qu’elle puisse s’alimenter. Lorsqu’ils veulent la poser, elle se débat et refuse catégoriquement. Les médecins lui réexpliquent sa maladie, l’intérêt d’une sonde gastrique, qui peut lui permettre de vivre et lui disent que, si elle ne veut plus manger, elle va mourir. Deux jours plus tard, les médecins reviennent avec une sonde gastrique et la lui reproposent. Elle refuse à nouveau.
Sa décision est respectée. Il semble qu’elle ne veut pas accepter cette atteinte à son image et que la vie avec sonde n’a pas de sens à ses yeux.
Les médecins lui expliquent qu’elle sera accompagnée, que si elle souffre, sa douleur sera traitée, et qu’elle aura régulièrement des perfusions sous-cutanées pour ne pas éprouver de sensation de soif, sans être pour autant en permanence avec un « tuyau ». Elle les accepte. La décision de respecter le choix exprimé par Madame Bastard a été prise après une réunion d’équipe.
Elle était très attentive à l’image qu’elle donnait d’elle-même. Sa maladie correspondait à la période pendant laquelle Daniélé Incalcalterra tournait son premier film. Dans un premier temps, elle a refusé la proposition qui lui était faite d’être filmée – il semblait qu’elle ne voulait pas vivre en se sachant « dégradée » – et, finalement, 3 jours avant sa mort, elle a exprimé le désir d’être filmée.
Mademoiselle Bastard, est calme, souriante. Les aides soignants passent du temps à la coiffer, à lui faire ses ongles. Jusqu’au bout elle garde cette dignité et cette allure que nous lui avons connues. Au début, l’équipe était angoissée par cette dame qui ne mangeait pas (on sait l’importance pour une équipe soignante que les malades mangent bien, qu’ils prennent du poids et, inversement, la difficulté à faire face à quelqu’un qui ne mange plus).
Petit à petit, elle trouve un autre mode de relations, centrées non plus sur la nourriture, mais sur l’écoute du désir de Madame Bastard et sur la présence attentive à cette personne qui refuse clairement de vivre diminuée. Lorsque l’interne va voir Madame Bastard, en lui demandant si elle a mal, si elle a besoin de quelque chose, elle répond par un sourire en lui caressant le visage.
Elle meurt le 20 novembre 1984, souriant jusqu’au bout, et n’ayant plus rien mangé depuis le 1er Novembre.
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12.3 Histoire de Madame Deshormes :
Elle entre dans le service à 89 ans, le 3 Avril 1985. Elle vient d’une maison de retraite qui ne la garde pas car elle a des escarres. Comme elle est anémiée, les médecins lui prescrivent une transfusion de deux culots globulaires. Sa famille demande à ce que le confort soit privilégié et accepte mal que des transfusions soient posées. Les médecins l’écoutent et lui expliquent qu’ils partagent son souci du confort de la personne, que le but de la transfusion est d’une part, de lui éviter de souffrir d’hypoxie (manque d’oxygène), d’autre part, de favoriser la guérison des escarres débutantes, et donc, de supprimer la cause de la douleur.
La famille donne son accord. Les enfants sont associés à la surveillance du traitement antalgique. Les médecins les invitent vivement à les alerter s’ils pensent que leur mère a mal, ou s’ils ne sont pas d’accord avec les traitements faits. De leur côté, les soignants les appellent chaque fois qu’un geste thérapeutique est envisagé, ou simplement, pour leur donner des nouvelles.
Dans le même temps les médecins parlent à Madame Deshormes, lui expliquent son traitement et le but recherché. Ils lui demandent si elle a mal.
Madame Deshormes ne répond pas, car depuis quelque temps déjà, elle est prostrée ; mais une communication naît par le regard, la main tenue, ainsi que par la parole qui lui est adressée. Le 30 avril, une transfusion, de nouveau nécessaire, est posée avec l’accord, du bout des lèvres, de sa famille. Madame Deshormes cherche à l’arracher et ses poignets sont alors attachés. Plusieurs fois l’interne passe la voir, lui explique son traitement, lui prend la main. Son regard est changé. Elle semble fâchée et montre son poignet attaché. L’interne finit par lui proposer d’arrêter sa transfusion. Son visage, qui s’était fermé, s’éclaire alors. Elle est déperfusée et la communication se rétablit. Elle meurt paisiblement le 11 Mai 1985.
La parole adressée est importante pour le malade. Elle l’est tout autant pour le soignant. C’est par elle qu’il pourra s’ouvrir à une relation, reconnaître l’autre comme une personne. Nommer, s’adresser à l’autre, c’est déjà lui permettre d’exister.
Cette parole pourra éviter aux soignants de tomber dans le piège de la violence, cette violence qui peut servir de défense devant l’image de l’autre qui souffre, une image qui nous angoisse et nous fait peur.
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En long séjour, une connaissance et une reconnaissance du malade comme une Personne tendent à lui permettre d’exister, d’accéder à une certaine liberté, à une certaine capacité à consentir ou non aux soins proposés, ou tout au moins, à ressentir l’action de l’équipe soignante comme une aide et non comme une agression, une torture.
13. Refuser l’abstention quand elle est discrimination par l’âge ou le handicap.
J’ai, jusque là, voulu insister sur le droit à l’abstention thérapeutique dès lors qu’elle répond au désir de la personne et même, sur le devoir de s’abstenir quand tel est ce désir.
Je voudrais aborder les cas où l’abstention thérapeutique, ne se basant pas sur une reconnaissance de l’autre comme personne, s’apparente au racisme et à la discrimination par l’âge ou le handicap.
Que penser, par exemple, des refus essuyés auprès des services spécialisés, chaque fois qu’un pensionnaire de long séjour leur est proposé, refus basé sur le seul critère de l’hôpital d’origine ou de l’âge de la personne ? Ainsi, l’histoire suivante :
13.1 Histoire de Madame Romero :
86 ans, entrée dans le service deux mois plus tôt, elle fait une énième chute le Samedi 22 Juin 1985 à 9 heures. Le diagnostic est évident : fracture du col du fémur droit.
Madame Romero est entrée à la suite d’une fracture du col du fémur gauche. Depuis elle avait bien récupéré et remarchait. Elle avait eu quelques troubles psychiatriques qui avaient justifié un passage dans un service de psychogériatrie. Elle parle peu sauf à sa famille car elle est portugaise et ne comprend pas le français. L’interne prend le téléphone et commence à chercher un service qui veuille bien l’opérer. Après avoir essayé, sans succès, quatre hôpitaux de l’Assistance Publique en se présentant comme médecin de l’hôpital Charles Foix, il appelle directement la surveillante du service d’orthopédie d’un CHU de banlieue.
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Sans se présenter, il lui demande si elle a des lits de libres. Elle répond par l’affirmative. Il se présente et lui demande si elle peut prendre Madame Romero. Elle lui passe l’interne de garde qui refuse. Après divers essais, l’interne appelle une clinique privée qui accepte Madame Romero. Il est 12h et cela fait trois heures qu’une place est recherchée. Madame Romero part donc pour cette clinique.
Bien que prévenue qu’elle est portugaise, la clinique appelle à 13h pour dire que Madame Romero a des troubles de la conscience, qu’elle ne répond pas aux questions et qu’ils ne sont pas équipés pour la neurochirurgie.
Il leur est précisé à nouveau qu’elle ne comprend pas le français et qu’elle ne risque pas de répondre.
Rien n’y fait. La clinique la récuse, les recherches sont reprises. A 15h30, Madame Romero est transférée dans une deuxième clinique privée qui l’accepte. Le dimanche, une surveillante de cette clinique appelle pour savoir si Madame Romero peut payer et si leur établissement sera remboursé. Après consultation de son dossier administratif l’hôpital le leur garantit. Finalement, la clinique demande à la famille d’avancer une somme très importante, ce qu’elle ne peut faire. La clinique renvoie Madame Romero à Charles Foix.
Le Lundi matin un nouvel essai au téléphone permet de trouver une troisième clinique dans laquelle elle entre à 13h. Elle est opérée le mardi 25 Juin et revient dans le service le 1er Juillet.
Elle va bien et commence sa rééducation. Il a fallu pas moins de cinquante heures pour trouver une place.
13.2 Ne pas tout mettre sur le compte de la vieillesse
Une autre forme d’abstention, plus insidieuse, est la démission de certains médecins dès lors qu’ils se trouvent devant une personne âgée. « La vieillesse expliquant tout », et parce que le vieillard les rebute ou leur fait peur, des médecins, pourtant compétents, font des erreurs importantes sur des diagnostics simples, des erreurs qui entraînent des conséquences gravissimes pour les personnes concernées.
Dans sa thèse Dominique Cottin[48] recense 41 personnes entrées avec un diagnostic erroné auxquelles il faut en ajouter 14 autres porteuses de maladies non diagnostiquées jusque là. Elle a fait cette étude en examinant les dossiers des 351 personnes entrées à la 2ème Unité de l’Hôpital Charles Foix entre le 1er Août 1976 et le 31 Juillet 1977.
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Je sais gré à mon maître, le Professeur Bouchon, d’insister sur le fait que « la vieillesse n’explique rien », qu’il y a toujours une maladie à chercher sur laquelle on peut éventuellement agir, et que le problème est une mauvaise formation des médecins et une démission trop fréquente de leur part sur le seul critère de l’âge.
S’il existe un enseignement spécifique de la gériatrie sous forme d’une « Capacité » accessible aux médecins thèsés, c’est-à-dire après leur cursus d’étude normale, la formation initiale en gériatrie des médecins en France reste très insuffisante en 2003.
13.3 Les personnes âgées ont le droit d’être soignées
Ailleurs, certains se demandent s’il faut encore soigner les « vieillards de long séjour » et si le mieux n’est pas de les laisser mourir, voire de les y aider et ceci parfois, sous couvert d’humanisme.
Ainsi, en 1935, le Docteur Alexis Carrel, prix Nobel de médecine, « humaniste », « haute autorité scientifique et morale », n’avait-il pas écrit dans son livre célèbre, « L’Homme cet Inconnu » :
« Un effort naïf est fait par les nations pour la conservation d’êtres inutiles et nuisibles. Pourquoi la société ne disposerait-elle pas des criminels et des aliénés d’une façon plus économique ? Un établissement euthanasique, pourvu de gaz appropriés, permettrait d’en disposer d’une façon humaine et économique. Il ne faut pas hésiter à ordonner la société par rapport à l’individu sain. »
Et Jean-François Six[49], qui rapporte cette citation, poursuit : « Faudrait-il porter sur soi la « carte jaune » avec ces quatre lettres : N.T.B.R., Not To Be Reanimated ? (Il s’agit d’un fait réel : carte jaune que le directeur d’un hôpital de Londres mettait systématiquement dans les dossiers des malades de plus de 65 ans »).
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Avec la crise économique, la pression se fait de plus en plus forte. Ici ou là, on se demande si tels ou tels soins doivent être encore faits chez les pensionnaires de long séjour. Il me semble que le problème ne doit pas être posé dans ces termes. Les personnes âgées et en particulier celles en long séjour, doivent pouvoir bénéficier, comme les autres, des progrès médicaux : scanner, pacemaker, réanimation, etc.
C’est en reconnaissant la dignité de l’autre, et son droit à vivre (le même pour tous), en cherchant à répondre à son désir profond et à satisfaire ses besoins, que, cas par cas, on décidera d’utiliser ou non tel ou tel traitement.
Il faut distinguer très clairement la décision d’exclure toutes les personnes ayant plus de 70 ans, par exemple, de l’accès à un traitement donné et celle prise, pour une personne particulière, en vue de répondre à son désir profond, de ne pas utiliser ce traitement.
Il est normal qu’en période de crise une société cherche à limiter la croissance de ses dépenses de santé. Elle peut, par exemple, délibérément limiter le développement de telle ou telle technique très coûteuse, mais cela devrait être fait sans discrimination ni de race, ni d’âge, ni par rapport à un handicap.
14. Prévoir l’urgence.
14.1 Avoir réfléchi avant que l’urgence n’arrive
Permettre au malade d’exercer sa liberté, répondre à son désir profond implique le temps d’une « négociation » entre le malade et les soignants, le temps d’une décision réfléchie en équipe et avec la famille.
En urgence, un tel processus n’est pas possible, surtout lorsque c’est l’interne de garde qui est appelé[50] :
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Ce problème devient spécialement dramatique la nuit, car les décisions doivent alors être prises par l’interne de garde, qui est dans l’impossibilité matérielle de connaître tous les malades. Certains services constituent bien un dossier, synthèse de toutes les remarques faites par les soignants: mais à 2 heures du matin, l’interne n’a pas le temps de le consulter.
« Au téléphone, l’infirmière a bien donné des éléments : elle a signalé que Madame X. Va mal : « Elle fait sans doute une embolie pulmonaire, elle avait fait une phlébite ». Il est exceptionnel qu’elle dise aussi : « Madame X. est démente, elle a des escarres qui lui rongent le sacrum elle a déjà exprimé de multiples fois que sa vie n’a plus d’intérêt ». Ce n’est pratiquement jamais dit. Ce sont des données de poids qui pourraient peser lourdement sur la décision ; mais celui qui les exprimerait deviendrait un homme de poids ; or, la société ne reconnaît pas à un aide soignant ni à une infirmière un tel poids. C’est marqué notamment par l’échelle de salaire qui va de 1 à 6, entre l’aide soignant et le médecin titularisé ! » (E.Vasseur.)
Aussi, très souvent, l’interne de garde prend une décision en fonction des seuls éléments médicaux apparents… ou de son angoisse. Plus question alors de liberté du malade, de respect de sa volonté…
A moins que l’interne fasse confiance à l’équipe de nuit, ou que le service ait prévu qu’un membre de son « état-major » puisse toujours être joint au téléphone à toute heure de la soirée ou de la nuit, ce qui est réalisé dans quelques services ; mais c’est sans doute encore très rare.
Mais l’urgence est le plus souvent prévisible et une réflexion constante menée dans le service y compris avec l’équipe de nuit peut permettre aux infirmières d’aider l’interne de garde dans sa décision, s’il le veut bien.
A la 1ère Unité, une fois par mois, il y a une réunion avec l’équipe de jour de chaque étage, une avec l’ensemble de l’équipe de garde et une avec celle de nuit (la surveillante générale, les médecins et la psychologue se déplacent pour venir la nuit). On y parle des entrants, de ceux qui sont malades ou qui vont mourir, de ceux qui posent un problème à l’équipe. A l’occasion de tel ou tel événement dans le service, une réflexion est faite sur un sujet ou un autre. En particulier, la mort, la douleur, le traitement contre la douleur, l’accompagnement, sont revenus souvent au centre de ces réflexions. D’autre part, les médecins laissent leurs coordonnées pour pouvoir être joints à tout moment y compris la nuit. Cette disposition est peu astreignante et ils n’ont été appelés que 6 fois en 1 an dont 3 fois où ils ont du se déplacer.
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Elle est, par contre, très importante, car elle sécurise l’équipe, lui permet de faire face aux urgences, de prendre des initiatives sans peur de se retrouver seule face à quelqu’un qui aurait mal, étoufferait ou saignerait.
Dès qu’une personne ne va pas bien, après écoute de la personne, rencontre avec la famille, réflexion en équipe, un mot détaillé sur l’attitude à avoir en cas d’urgence, est laissé dans le classeur de prescription pour l’équipe et l’interne de garde.
Du fait de la taille du service, qu’il y a toujours des membres de l’équipe en congé, il n’est pas toujours possible de réunir tous les intéressés pour décider ensemble de l’attitude à avoir. Chacun est invité à lire ce que nous appelons « le mot » sans attendre que l’urgence ne se produise et à dire s’il n’est pas d’accord. Dans ce cas, la conduite à tenir est redéfinie ensemble.
Voici un exemple de mot écrit en fonction d’une personne précise, après réflexion avec elle et en équipe :[51]
14.2 Exemple de mot pour l’interne de garde et les diverses équipes en cas d’urgence
Note importante pour situer ce document :
Il ne s’agit pas d’un mot standard, mais d’un mot écrit spécifiquement pour cette personne[52] et adapté au fur et à mesure des besoins et de l’évolution de son état.
Il s’agit de la pratique que nous avons eue pour cette dame là en 1984. Aujourd’hui, l’hypothèse de l’Hypnovel apparaîtrait.
Nous faisons le choix de maintenir ce document qui a le mérite d’inciter chaque médecin à élaborer le sien adapté aux traitements d’aujourd’hui, écrit spécifiquement pour chaque malade, réévalué régulièrement en fonction de l’évolution
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Madame Batéot, parfaitement lucide, est entrée dans le service pour cancer du poumon. Elle sait ce qu’elle a, a refusé une radiothérapie et demande surtout à ne pas souffrir. Elle a peur de mourir étouffée et seule, ayant vu toute sa famille (père, mère, soeur, mari) mourir d’étouffement. Elle n’a plus aucune famille. Son cancer est maintenant très évolué.
EN CONSEQUENCE, TRAITEMENT DE CONFORT EXCLUSIF
C’est à dire, d’abord et avant tout faire un examen clinique précis et complet.
- Si dyspnée (sensation d’étouffement) :
- Faire 2 SOLUDECADRON® (corticoïdes) d’emblée sans attendre l’arrivée de l’interne de garde. (IDG)
- Pour l’IDG :
- éliminer oedème aigu du poumon ou autre pathologie.
- elle est déjà sous antibiotiques [53]
- Mettre SOLUDECADRON® de 1/8h à 2/8h
- TRAITER L’ANGOISSE : TRANXENE® 5mg (anxiolytique), 1 cp/4h si et seulement si fréquence respiratoire supérieure à 40/mn. Commencer par 10 mg lors de la première prise. Si ne peut plus avaler passer à la voie IM (intramusculaire)
- Si signes de lutte persistent malgré les corticoïdes et les anxiolytiques faire SCOPOS® (Scopolamine) 3 ampoules à 0,125 mg en IM en une fois que l’on peut renouveler.
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- si fréquence respiratoire reste supérieure à 50/mn, malgré les corticoïdes, les anxiolytiques et la scopolamine, faire 1/2 ampoule de Morphine en sous-cutané que l’on peut renouveler toutes les 4 heures, si et seulement si la fréquence respiratoire reste supérieure à 50/mn
- Bien sûr proposer aspiration et oxygène, mais si ça ne l’améliore pas ou qu’elle ne le supporte pas, ne pas insister.
- Surtout l’écouter, lui tenir la main, l’entourer.
- Si douleur :
- Eliminer une cause simple en particulier globe urinaire, fécalome etc.
- Donner chlorhydrate de morphine en solution aqueuse 6 x 5mg, si douleur persiste au bout de 12 heures, passer sans attendre à 6x10mg
- Si ne peut plus avaler, passer au chlorhydrate de morphine et diviser la dose de morphine en solution aqueuse par 2 en arrondissant à la 1/2 ampoule supérieure. ex: de 6x5mg d’élixir passer à 6×1/2 ampoule sc ; de 6×10 passer à 6×1/2 ; de 6×15 passer à 6×1 ampoule sc
- Prévenir systématiquement la constipation
- Si état de choc ou hémorragie :
- Ne pas transférer, ne pas transfuser, ne pas perfuser en iv (intra-veineux), pas de Plasmion en urgence.
- Traiter l’angoisse 1/2 Tranxène 20 IM (ou 1 cp Tranxène 10 si peut avaler) puis 5mg toutes les 4 heures en fonction de la fréquence respiratoire et de la vigilance
- Si est très agitée faire d’emblée 3 ampoules de Scopolamine à 0,125 mg
- Si hémorragie digestive, pas de sonde d’aspiration gastrique, mettre en position latérale de sécurité, tête basse.
- L’écouter, la rassurer, lui tenir la main.
- Si urgence chirurgicale digestive :
- Eliminer fécalome éventuel.
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- Si occlusion, aspiration gastrique pour vider l’estomac puis enlever la sonde gastrique
- Faire lavements à l’eau tiède
- TRAITER LA DOULEUR ET L’ANGOISSE commencer par VISCERALGINE 1cp/4h, si ne peut plus avaler passer à 1 ampoule toutes les 4h, si douleur persiste, passer dès la 12èmeheure à la morphine (voir ci-dessus).
- Apport hydrique :
- Noter tout ce qu’elle boit et mange. Si elle mange moins, fractionner les prises, proposer alimentation semi liquide, lui demander ce qu’elle aime. Viser à ce qu’elle ait au moins 1 litre/24h
- A 20h si total inférieur à 0,7 litre, poser une perfusion sous-cutanée : [1 flacon de 0,5 litre sérum physiologique + 1 A de Hyaluronidase] posé « en Y » avec [1 flacon de 0,5 litre d’eau distillée + 1 A hyaluronidase]
- Dans tous les cas :
- NE PAS TRANSFERER
- TRAITER LA DOULEUR
- TRAITER L’ANGOISSE
- AUCUN EXAMEN COMPLEMENTAIRE ne débouchant pas sur un traitement de confort (en particulier, pas de gaz du sang…)
- L’accompagner.
Si problème ou si elle le demande, elle sait que nous avons laissé nos coordonnées,
ne pas hésiter à nous joindre, même la nuit.[54]
14.3 Histoire du Père Joseph
Comme je l’ai déjà signalé, bien que n’exerçant plus la médecine, je n’ai jamais cessé d’être appelé pour accompagner des personnes en fin de vie par des personnes de mon entourage.
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Quand j’étais en formation à Lyon, de 1986 à 1990, j’habitais en communauté en H.L.M. aux Minguettes. Nous montions deux jours par semaine au séminaire de Limonest à 10 Km au nord de Lyon pour retrouver les autres séminaristes qui habitaient en communauté dans le Beaujolais.
Le prêtre responsable de la maison de Limonest est tombé malade : un cancer du sternum infiltrant en profondeur et ayant évolué en deux ans vers la mort.
Le voyant grimacer, moins souriant et moins loquace qu’avant, j’avais la conviction qu’il avait mal. Mais il ne disait rien, formé à ne pas faire peser sur d’autres ce qui lui était difficile, marqué peut-être aussi, par l’idéalisation qui a trop longtemps été faite en Eglise de la douleur. Il est vrai que cette idéalisation de la douleur s’est développée à un moment où il n’y avait pas de moyens thérapeutiques contre elle.
La douleur du Père Joseph n’était pas traitée. Son chirurgien ne lui parlait que de guérison et d’envisager une nouvelle intervention pour faire une plastie visant à remplacer le sternum qu’il avait dû enlever. Pourtant, le cancer était très évolué et rendait tout à fait inadaptée une telle perspective. On peut penser que le chirurgien savait pertinemment que cette opération ne serait pas faisable et que c’était une manière de ne pas aborder avec le Père Joseph l’absence de perspective de guérison. Il se peut aussi que le chirurgien lui-même n’arrivait pas à accepter d’être en échec et qu’il croyait à cette perspective.
J’ai essayé d’ouvrir un dialogue avec le Père Joseph en lui offrant ma thèse. Il l’a acceptée avec gratitude en disant aussitôt :
– « Oh, merci bien ! Je connais une dame que ça intéressera beaucoup ! »
Et, sans la lire, il l’avait transmise à cette dame. Il était alors dans un moment de déni favorisé par les seules perspectives que lui proposait son chirurgien
Quelques semaines plus tard, j’ai été interviewé une heure sur Radio Fourvière pour présenter mon livre. Quand je remonte à Limonest, le Père Joseph est dans la cour du séminaire. Il m’accueille avec une colère inhabituelle :
– « C’est très beau tout ce que tu dis, mais pour moi, on ne fait rien ! »
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Je lui ai alors rappelé mon essai pour entamer le dialogue avec lui. Il a dit qu’il avait très mal et ne pouvait plus dormir. Je lui ai demandé s’il acceptait que j’aille parler du traitement de la douleur avec son médecin généraliste, s’il voulait y venir avec moi. Il a préféré que j’y aille sans lui. J’ai été très bien reçu et je lui ai fait part du travail réalisé avec l’équipe de l’hôpital Charles Foix. C’est pour le Père Joseph que nous sommes arrivés à la dose de 6 x 200 mg par jour pendant plus d’un mois.
Après avoir expliqué le traitement de la douleur, j’ai demandé à son médecin quelles étaient les complications qu’elle craignait devant ce cancer infiltrant du sternum. La réponse a été évidente : parmi d’autres complications possibles, il fallait penser à une éventuelle hémorragie massive, vu que le cancer se situait au-dessus du cœur et des gros vaisseaux qui y sont reliés.
Par des questions simples, j’ai provoqué son médecin traitant à prévoir à l’avance l’attitude à avoir en cas d’hémorragie, d’étouffement, etc. En réfléchissant à froid, il était évident qu’un transfert en S.A.M.U. dans un service de réanimation ne serait pas la réponse adaptée, pas plus que des transfusions.
Elle a fait un mot pour les gens de la maison pour qu’ils sachent quoi faire en cas d’urgence : l’appeler elle, s’asseoir à côté du Père Joseph en lui donnant la main, en paniquant d’autant moins que nous aurions évoqué par avance de telles situations.
Un matin, début mai 1989, une forte hémorragie externe s’est déclenchée au niveau de la grande plaie laissée par l’ablation du sternum. Le Père Joseph a appelé à l’aide. Sans paniquer, les gens de la maison se sont occupés de lui et ont appelé le médecin traitant.
Quand elle est arrivée, ayant réfléchi par avance à la situation, elle a calmement mis le drap sur la plaie pour masquer l’hémorragie,[55] fait une injection d’anxiolytique et s’est assise à côté du Père Joseph sans se lancer dans de multiples gestes techniques inutiles. L’infirmière était là aussi, venue pour les soins habituels de la plaie. Elle passait matin et soir.
Il y a eu un long partage de plus d’une heure avec les personnes de la maison. Il y a eu, entre autres, ces deux réparties avec le médecin et l’infirmière :
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– « Mais Père, reposez-vous un peu ! »
– « J’aurai bien le temps de me reposer après… »
Puis, un moment plus tard :
– « Mais Père, ne parlez pas tant ! »
– « Et si je ne parle pas maintenant, quand est-ce que je parlerai ? »
Le tout s’est passé dans un contexte très apaisé, tant du côté du malade que de l’entourage. L’hémorragie très importante a fini par s’arrêter d’elle-même.
Le soir, quand je suis remonté des cours de théologie à l’Institut Catholique, le Père Joseph était très calme, très fatigué aussi. Le drap était collé à la plaie par tout le sang qui s’était écoulé.
– « Comment ça va ? »
– « Je ne sais pas. »
– « On dit que les malades savent mieux que les soignants où ils en sont. Comment percevez-vous votre état ? »
– « Je me sens comme un oiseau sur la branche. Je ne sais pas de quel côté ça va tomber. »
Le lendemain, il était là, toujours très calme et fatigué. L’odeur du sang coagulé était difficilement supportable. Il fallait se décider à enlever le drap en acceptant le risque de déclencher de nouveau l’hémorragie. Nous l’avons fait avec d’infinies précautions, en mouillant abondamment le drap jusqu’à ce qu’il se décolle, provoquant un très léger saignement qui s’est stoppé spontanément. L’état très avancé de la maladie nous a fait exclure toute transfusion. Nous nous contentions de traiter la douleur et l’angoisse.
Petit à petit, le Père Joseph a repris des forces. Il avait invité toute sa famille à venir fêter ses 80 ans début juillet. Nous l’avons vu se relever et manifestement mettre toutes ses forces pour réaliser ce projet. Il est mort quelques jours après.
La mort est souvent regardée sous le seul angle de « l’atroce ». Elle est source de multiples peurs liées à la crainte de symptômes non maîtrisés.
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Comment rendre compte de tout ce que nous avons reçu, en particulier pendant ces deux derniers mois, dans les échanges avec le Père Joseph, mais aussi en l’aidant à prier, à célébrer ? J’ai été ordonné diacre le 3 juin, porté par ce chemin avec lui.
Comment rendre compte aussi de l’impact qu’a eu cette mort paisible qui semblait se passer à « huis clos » dans une chambre et dont, en fait, beaucoup de monde au village parlait parce que chacun était étonné de ce qui se vivait là ? Le médecin traitant et l’infirmière ne sont pas les dernières à avoir partagé autour d’elles leur étonnement et leur approbation devant cette manière de vivre la mort. En disant cela, je ne veux pas gommer la douleur de la séparation et les difficultés que le Père Joseph a eu à vivre.
Il est clair que le fait d’avoir prévu par avance l’attitude à avoir en cas d’urgence, d’avoir choisi de ne pas multiplier des soins devenus inutiles et d’avoir traité efficacement une douleur extrêmement intense, la plus forte que nous ayons rencontrée, a permis tout ce chemin, celui du Père Joseph, celui de tout son entourage.
Ce cas illustre combien des moyens très simples, utilisables à domicile, permettent de vrais accompagnements. On se reportera également avec beaucoup d’intérêt au travail du Dr Jean-Marie Gomas sur la mort à domicile.[56]
15. Non abstention et production de vieillards grabataires et prostrés.
La peur de la mort, de la relation avec celui qui souffre, la mauvaise interprétation du concept d’obligation de moyens ou du concept de non assistance à personne en danger, la vision restrictive du rôle des soignants par eux-mêmes et la société, amènent à empêcher des personnes à bout de force de mourir, et à les condamner à survivre, malgré elles, de plus en plus délabrées et coupées de toute relation.
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Il est certain qu’une proportion non négligeable de ces corps souffrants que l’on retrouve en long séjour ont été littéralement produits par une médecine (et la société dont elle est le reflet) qui ne fait pas toujours place à la personne, nie la mort et n’est pas prête à accompagner l’autre dans cette dernière étape de la vie qu’est la vieillesse puis la mort.[57]
15.1 Histoire de Madame Gyre :
93 ans, elle entre dans le service le 15 Février 85. Elle a fait un accident vasculaire cérébral le 6 Janvier qui l’a rendue aphasique et hémiplégique. Surtout, elle a de gros troubles de la conscience. Par ailleurs, elle a une insuffisance rénale et un diabète majeur.
D’abord hospitalisée dans un service de médecine, Madame Gyre fait une septicémie. En l’absence de consigne, l’interne de garde intervient mais demande à ce qu’une attitude soit proposée. La réponse du service de médecine est claire et réitérée deux fois : « pronostic réservé, ne rien faire de plus », « faire le minimum ».
Le 3 Février, elle fait un arrêt cardiaque. L’interne, de garde ce soir là, fait un massage cardiaque et réussit à faire repartir le coeur. Outre la sonde gastrique qu’elle avait déjà ainsi que la sonde urinaire, il lui pose une perfusion. Il fait des gaz du sang et de multiples autres prélèvements.
Le 15 Février 85, son état est stationnaire. Elle a les jambes rétractées, en raison de douleurs, non traitées, provoquées par les escarres. Sur l’observation faite ce jour, on peut lire : « patiente grabataire, escarres, répond aux stimulations en ouvrant les yeux, ne parle pas, ne suit pas son examinateur des yeux ».
Le lendemain de son arrivée à la 1ère Unité, un mot est mis pour l’interne de garde, un traitement antalgique institué, et l’équipe essaye de communiquer avec elle. Elle refait un arrêt cardiaque et meurt 3 jours après son arrivée.
Ce cas particulièrement regrettable, mais qui a connu une fin rapide, n’est malheureusement pas si rare. Pourtant l’attitude du service de médecine semblait claire. Sauf que la mention « faire le minimum » n’est pas très explicite pour un interne de garde pas habitué à se trouver dans cette situation.
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D’autre part, il n’avait pas eu le temps de relire l’observation, ce qui souligne la nécessité d’un mot mis en évidence, porté à la connaissance de tous les membres de l’équipe soignante.
15.2 Histoire de Monsieur Clouay :
Sans aucune famille, il entre dans le service à l’âge de 80 ans, le 21 Octobre 1970. Il est aveugle, mutique, grabataire. Le 10 Octobre 1983, il fait un accident vasculaire cérébral qui le rend hémiplégique. Le 4 Janvier 1984, il fait une fausse route massive. Un traitement par antibiotiques et corticoïdes est entrepris.
A cette époque là, l’attitude du service n’était pas la même que celle actuelle et correspondait à ce qui se pratique de façon assez générale, c’est à dire que les gestes possibles en vue de la survie étaient systématiquement entrepris. Ainsi, au lieu d’une perfusion sous cutanée, une sonde gastrique est mise en place. Comme il ne la supporte pas, »il faut » lui attacher la main gauche, celle qui n’est pas paralysée. Depuis, Monsieur Clouay « va bien », « il mange bien » ou plus exactement, il est bien gavé.
Au moment où ce compte rendu est fait, le 1er Novembre 1985, il est toujours grabataire, mutique, hémiplégique, aveugle, la main attachée. Il n’a pratiquement aucun contact avec quiconque, si ce n’est au moment des changes. Il n’y a aucune communication perceptible. Bien nourri, il n’a pas d’escarre, n’a plus refait la moindre infection et a toutes les chances de « durer encore longtemps ».
Il est pour moi le symptôme de l’aberration à laquelle peut conduire une médecine qui n’a pour but que la lutte contre la mort biologique. Il est un corps souffrant, pur produit de la médecine, pur produit des soins que nous avons faits.
Mal à l’aise, je me retrouve incapable d’aller le voir et comme d’ailleurs il ne fait plus d’infection, je constate que je n’ai jamais été le voir, ou presque, depuis Janvier 1984, soit depuis 22 mois. Ce compte rendu a été repris avec les trois équipes et la question de l’ablation de la sonde a été évoquée.
Mais si l’équipe arrive plus facilement aujourd’hui à prendre en compte d’autres besoins que celui de la survie et qu’elle ne pose plus de sonde gastrique, il lui est beaucoup plus difficile d’enlever une sonde posée depuis 22 mois à un monsieur qui « va bien ».
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S’il ne communique plus du tout et si les soignants réalisent que leurs soins tiennent plus de la torture que de la réponse au désir d’une personne, l’ablation de la sonde provoquera la mort à court terme et ils auront l’impression de l’avoir tué.
Une autre pensionnaire du service se trouvait au même moment dans une situation identique à celle de Monsieur Clouay. Un jour elle arrache sa sonde et une infirmière lui redonne à manger par la bouche, ce qu’elle réussit à faire. Elle avait cette sonde depuis trois ans et plusieurs essais de reprise de l’alimentation orale s’étaient soldés par des échecs.
L’interne essaye de refaire manger Monsieur Clouay mais les troubles de la déglutition existent toujours et une telle solution n’est pas possible.
L’équipe s’interroge sur la façon d’avancer. Une chose est claire, si la sonde est enlevée, il s’agira alors d’essayer de retrouver une relation avec Monsieur Clouay car c’est bien là le but. Les médecins attendent pour décider de l’ablation de la sonde, d’être sûrs que le consensus soit fait dans l’équipe, et que chacun perçoive bien la portée d’un geste qui n’est pas un acte d’euthanasie mais un retour à une situation normale.
Finalement, alors que la décision allait être prise, Monsieur Clouay meurt « brutalement », le 29 novembre 1985.
16. Non abstention et souffrance des familles.
Au delà de la souffrance du vieillard, la peur de la mort, la prise en compte trop exclusive du besoin maintien de la vie, va entraîner une souffrance très importante pour la famille et, très vite, une rupture de dialogue entre l’équipe soignante et la famille du vieillard va se produire.
Le problème est complexe et l’attitude des familles souvent ambiguë. Certaines familles demandent très rapidement la mort de leurs proches qui sont vieux au point, parfois, que l’équipe soignante doit jouer un rôle de protection du malade par rapport à sa famille. J’y reviendrai dans le chapitre sur l’euthanasie.
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Mais il nous faut, sans les juger, entendre la souffrance qu’expriment les familles, pour être en mesure de les accompagner, les laisser interroger notre pratique, et continuer à échanger entre soignants et avec la société, pour que notre pratique évolue. C’est seulement ensemble, équipes soignantes et familles, que nous pourrons mieux accueillir la vie des personnes âgées.
Louise Chauchard, dans son livre « Pardon ma mère pour cette mort là »[58], nous livre son cri de souffrance lors de l’agonie de sa mère dans un hôpital de gériatrie long séjour de l’Assistance Publique, entre le 1er Décembre 1982 et le 24 Août 1983. Malheureusement, une telle description n’appartient pas au passé et correspond à ce dont il m’arrive encore d’être témoin en 2003, pas seulement en gériatrie long séjour. Depuis 1986, j’ai trop souvent dû intervenir à la demande de familles pour faire cesser des situations absolument scandaleuses. C’est tout le livre de Louise Chauchard qu’il faudrait citer, en voici quelques extraits[59] :
15 Juillet :
« Je quitte Maman jusqu’à demain. J’entends ses cris, ses hurlements plutôt, jusqu’au bout du couloir au-delà même de la porte battante… Je ne vais même plus voir les surveillantes, essayer d’obtenir qu’on calme ma pauvre mère… A quoi bon ! (…)
C’est ainsi que j’ai demandé, il y a deux jours à peine, à l’une des surveillantes si ma mère avait des escarres. Son air offensé…
– « Mais non, Madame, voyons ! »
– « Ça arrive aux grands malades alités, et ma mère est devenue si maigre… »
– « Elle est parfaitement soignée. »
Mais aujourd’hui, j’ai assisté à la toilette de Maman, après le déjeuner, un peu plus tôt que d’habitude.
– « Voulez-vous sortir, Madame ? »
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– « Non. »
– « Je vais aller chercher la Surveillante si vous ne sortez pas… »
Je connais cette infirmière, butée, bornée et brutale avec les malades.
– « Je reste, il s’agit de ma mère et je veux constater son état. »
L’assistant noir me regarde avec compassion. Voyant ma détermination, il commence à dénuder le pauvre corps où se dessinent tous les os, et quand il le retourne doucement sur le côté pour retirer le drap souillé, j’aperçois l’horreur, les os du bassin sont presque à nu, la chair noirâtre s’en va par lambeaux, les coudes, les omoplates, les chevilles, les talons sont ensanglantés, toute surface de peau ayant un contact avec le drap s’effrite… L’urine et les excréments avivent les plaies. L’odeur est infecte.
Mes larmes coulent lourdement, qui ne laveront pas la chair torturée. Le jeune noir semble bouleversé et je lis la pitié dans ses yeux. Elle m’est secourable. Ma mère est retournée de l’autre côté.
– « Au secours, viens, j’ai mal… »
– « C’est sa démence sénile », dit l’infirmière, « elle ne souffre pas. Je vous avais bien dit de sortir… »
– « Non, désormais, j’assisterai à la toilette, et je me fous du règlement. »
Ils sortent tous les deux poussant le chariot cliquetant tandis que reprend autour de moi le ballet des vieilles femmes valides. Maman, les yeux clos, continue à crier. Je ne peux rien faire, que lui masser doucement les épaules et la poitrine qui se soulève par saccades, passer le tampon imbibé d’eau de Cologne sur son front et ses mains. Ses cris me poursuivront jusque chez moi et je me réveillerai cette nuit, croyant l’entendre encore. C’est ainsi tous les jours. (…)
16 Août[60]
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En franchissant la porte du bâtiment B, j’entends déjà les cris de ma mère, dont la chambre est au deuxième étage. Le cauchemar continue. Elle est à moitié assise, attachée aux bat-flancs par les poignets. Spasmodiquement, son pauvre visage se crispe, faisant trembler la sonde et le cornet de liquide accroché à la tête du lit, et le cri reprend, à chaque respiration : « Viens, au secours, j’étouffe ». Suivent des borborygmes inaudibles qui vont s’éteindre dans un horrible gargouillement, laissant la bouche pleine de mucosités… Le temps de reprendre son souffle puis de nouveau : « J’ai mal, Seigneur, prend pitié… au sec… » la voix sombre, remonte, sans fin, tandis que les mains enflées se tordent dans les bracelets.
Madame Pierret vient doucement près du lit :
– « Pauvre Madame, elle a crié comme ça toute la nuit. »
– « Tata-ta-ta », reprend Madame V… en bouchant ses oreilles alternativement avec sa seule main… (…)
Elle n’a pas pu dormir non plus une minute… Pourquoi faut-il laisser une mourante agoniser ainsi devant d’autres malades, pourquoi cette insensibilité devant la mort quotidienne ?
Depuis une heure, j’entends la longue plainte, je sais qu’elle est angoissée, je sais qu’elle se sent prisonnière et voit se profiler l’ombre noire qui toujours lui fit si peur… Elle a déjà plusieurs fois prononcé ce mot : « la mort… » ou « je vois la mort… au sec… »
Je devrais la protéger, je dois la protéger, lui rendre la paix dont pour son malheur elle est sortie, ce brouillard cotonneux dans lequel elle flottait, avant ces essais successifs de médicaments que j’aurais dû pouvoir empêcher…
Je vais voir la surveillante. Elle ne lève même pas la tête du registre qu’elle consulte pour me répondre.
– « Je sais, vous m’avez déjà dit qu’il fallait donner des calmants à votre mère, je ne peux faire de prescriptions… »
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– « Dites-le à l’interne. Il sait parfaitement qu’un demi-comprimé de Nozinan est insuffisant pour calmer son angoisse. »
– « Elle n’est pas angoissée. C’est sa démence sénile… »
– « Je suis sa maladie depuis des mois, je sais qu’elle a peur, et je comprends ce qu’elle veut dire à travers ses cris. Elle se sent attachée à son lit… »
– « Mais elle n’est pas attachée ! »
Je demeure sans voix. Pourquoi nier l’évidence ? De quoi a-t-elle peur ? Pourquoi refuser à une mourante l’aide d’un médicament qui lui rendra la paix, même si ce médicament est toxique dans une certaine mesure… Pour préserver quelle vie, quelle qualité de vie ? Vaut-il mieux mourir hurlante et ligotée sur un lit quinze jours ou un mois plus tard que mourir paisiblement, les bras libres, sans souffrance inutile, un peu plus tôt simplement.[61] (…)
J’ai quitté Maman hurlante, épuisée, la sonde bien en place dans le nez tuméfié, apportant l’eau et la bouillie nécessaires à la vie jusqu’à son estomac qui s’en iront ensuite par un autre tuyau jusqu’au sac à pipi, preuve que « ça » fonctionne… Tout cela est propre, fonctionnel, tout à fait à ma mesure? Je peux comprendre le circuit. Je peux voir que ses poignets sont très bien attachés (les bracelets sont doublés pour éviter les blessures). (…)
Mais alors, de quoi me plaindrais-je ? De quoi ? (…)
Je songe à la soeur de mon Père[62] âgée de quatre-vingt six ans, se mourant d’un cancer généralisé, qui fut encore transportée en ambulance quelques heures avant sa mort dans une autre clinique pour y subir des examens que les médecins savaient parfaitement inutiles ! A sa fille qui avait tenté de s’y opposer, ils avaient répondu, et sur quel ton :
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– « Vous refusez donc qu’on tente de soigner votre mère… »
Tout ceci doit être connu, doit nous pousser tous tant que nous sommes à nous informer, à prendre position et à nous faire écouter car il s’agit après tout de notre propre mort, qu’on nous prendra aussi, comme on a abîmé notre vie, parce que nous avons laissé faire. »
17 : Jusqu’où s’abstenir ?
Des règles générales ne peuvent être établies. Pourtant, une réflexion sur les limites de l’abstention thérapeutique notamment par rapport au problème de l’apport hydrique et alimentaire, est nécessaire.
Que faire devant une personne qui ne mange plus, soit qu’elle refuse, soit qu’elle ne puisse plus ? Il est bien sûr important d’éliminer et de traiter une cause curable, comme une dépression, une mycose buccale ou un ulcère gastrique. Mais on peut s’interroger sur l’opportunité des sondes gastriques. Dans le service, elles sont réservées aux personnes atteintes d’un trouble électif de la déglutition et acceptant cette sonde. C’est à dire qu’aucune sonde n’a été posée depuis celle de Monsieur Clouay, soit depuis janvier 1984.
Face à une personne qui a délibérément décidé de ne plus manger, la sonde gastrique, me semble-t-il, n’a plus d’indication. Seuls la relation, le traitement d’un éventuel ulcère et d’une éventuelle dépression, un apport hydrique par perfusions sous-cutanées ont leur place. On risque sinon de ne se préoccuper que de l’alimentation et non plus de la relation avec cette personne, du chemin à faire avec elle.
Si c’est une perte temporaire du désir de vivre, la relation, l’écoute pourront permettre à la personne de retrouver cette envie de vivre.
Mais nous ne pouvons pas le lui redonner contre son gré et notre expérience nous montre que, dans la majorité des cas, les essais de nutrition forcée n’empêchent pas le plus souvent le décès de la personne et la mettent en situation de véritable torture, soit produisent des personnes prostrées telle Monsieur Clouay, personnes dont le corps survit, mais pour lesquelles la relation a été tuée.
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Quant aux équipes soignantes, elles vivent douloureusement ce double échec thérapeutique et relationnel et se défendent fréquemment en tombant dans une violence inouïe.
L’expérience montre aussi que lorsque l’on refuse le gavage et que l’on se met à l’écoute de l’autre, un certain nombre de personnes se remettent à manger, et s’ils ne le font pas, une relation féconde peut se vivre jusqu’à leur mort comme dans la relation avec Madame Bastard.
Jusqu’où s’abstenir ? Peut-on laisser quelqu’un mourir de soif ? Les perfusions sont-elles de l’acharnement ? Autant de questions souvent entendues en long-séjour.
Les docteurs Renée Sebag-Lanoë et Didier Rondinet présentent l’hydratation correcte comme un des éléments essentiels du confort des mourants. Ils insistent pour que cet apport soit oral aussi longtemps que possible, ce qui reste souvent réalisable jusqu’aux derniers moments, si l’on sait recourir à des petits moyens (canard, pipette, seringue placée dans le sillon gingivo-labial…) et que l’on répète régulièrement les prises sur 24 heures. Ils soulignent la nécessité de savoir résister à la facilité de poser une perfusion intra-veineuse, tout en sachant y recourir en cas de nécessité.[63]
Si je souscris à ces objectifs d’alimentation orale le plus longtemps possible présentés comme un dernier geste de vie, les perfusions sous cutanées me semblent plus adaptées que les perfusions intraveineuses qui devraient rester rares. En effet, il n’est pas nécessaire alors de se battre pour trouver une veine et la perfusion ne durant que 6 à 12 heures, la personne sera libre le reste du temps. Avec un peu d’habitude, ces perfusions peuvent être régulières sans faire de prise de sang, sans ionogramme sanguin. Elles peuvent être mises en place par les infirmières dès qu’une personne cesse de manger, sans attendre qu’elle ne se déshydrate. Elles ont un intérêt majeur pour le maintien à domicile de personnes mourantes car il est très facile d’apprendre à les poser (encore qu’à domicile, dans certaines conditions, on peut se passer de toute perfusion).
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Si l’on pouvait avoir la certitude que l’eau soit proposée régulièrement, de façon répétée, en petites quantités, de telle manière qu’une quantité suffisante soit proposée, on pourrait refuser la « sacro-sainte loi, parfois abusive, de réhydrater le malade en fin de vie par perfusion ».[64]
Cicely Saunders et Mary Baines sont plus catégoriques :
« Les perfusions et l’alimentation par sonde gastrique ne sauraient se justifier chez les mourants. Ils ne se plaignent de soif que rarement, et il est tout à fait possible de lutter contre le seul symptôme fréquent de déshydratation, la sècheresse de bouche, par des soins locaux tels que la prise fréquente d’une petite quantité de boisson, de la glace pilée à sucer et un respect scrupuleux des soins de bouche ».[65]
Mais en long-séjour, en raison en particulier de la carence aiguë en personnel, et de la difficulté qui en découle à ce que les soins soient faits de façon suivie, à ce que les vieillards aient même à manger et à boire, accepter de ne pas poser une perfusion revient souvent à accepter qu’une personne ne reçoive plus de soin.
Dans ce cas là, l’abstention thérapeutique ne sera plus le résultat d’une décision mûrement réfléchie mais la conséquence d’une incapacité de l’équipe soignante à assurer l’apport hydrique.
En écrivant cela en 1986, je ne pouvais pas imaginer la situation provoquée par la canicule d’août 2003 qui jette une lumière crue sur ce risque.
Il me semble donc que, dans la situation actuelle, on sera le plus souvent amené à refuser une telle abstention et à savoir poser une perfusion sous-cutanée. Avant de la poser, il nous faut nous battre en équipe pour que l’apport par voie orale soit maintenu le plus longtemps possible. Si par contre, on a la certitude que l’eau sera effectivement proposée, la perfusion doit pouvoir être refusée. L’utilisation de bombes d’eau pulvérisée permet alors de combattre la sensation de soif dans les derniers instants.
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18. Ne pas confondre « abstention thérapeutique » et « absence de soin ».
Le terme abstention thérapeutique est ambigu. Il est souvent traduit et vécu comme une absence de soin. Ainsi, un interne de garde ne s’est pas déplacé parce qu’une infirmière lui avait signalé la présence d’un mot dans le dossier disant de viser exclusivement le confort. Cela explique aussi le doute des infirmières sur l’attitude des médecins dans le cas de Monsieur Bonnet.
L’abstention thérapeutique correspond en fait à la décision de ne pas recourir à tel ou tel traitement à visée curative.
Elle n’a de sens que si l’on continue à soigner, c’est à dire à mettre en oeuvre les traitements palliatifs visant le confort, à se battre pour permettre à la personne de voir ses autres besoins satisfaits et lui permettre d’être accompagnée.
Une telle compréhension du concept d’abstention thérapeutique traduit bien la compréhension restrictive qu’ont les soignants de leur rôle.
Qu’est-ce que soigner ? Dans le dictionnaire Lexis, on trouve:
– soins : « Ensemble des moyens Hygiéniques, diététiques et thérapeutiques mis en oeuvre pour conserver ou rétablir la santé ».
– soigner : « s’occuper de rétablir la santé ».
Dès lors que l’on ne pourra ou ne voudra ni conserver, ni rétablir la santé, cela signifiera donc que l’on ne soigne plus.
Christiane Jomain refuse cette conception :[66]
« l’interprétation médicale du mot soin est restrictive si on la compare à son sens initial de sollicitude, attention à; « soigner », n’est-ce pas également « prendre soin de », « avoir soin de »?
Pour Rosette Poletti[67] :
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« Le but final des soins infirmiers, c’est de soutenir le patient dans sa lutte » (…), « c’est dans le soutien apporté à la personne que les soins infirmiers prennent tout leur sens ».
Ce qui est dit des soins infirmiers est aussi vrai des soins médicaux et j’apprécie particulièrement cette dernière définition dans la mesure où elle fait place à la personne : c’est elle qui lutte; il n’est pas d’abord question d’agir sur des symptômes, une maladie, la santé… J’aurais quant à moi envie de modifier cette formule en remplaçant le mot lutte comme suit :
Le but final des soins médicaux et infirmiers, c’est d’accompagner l’autre, de le soutenir sur son chemin.
En effet, telle personne peut ne plus vouloir lutter et nous aurons à rester présents en acceptant ce choix et en restant disponibles s’il venait à se modifier.
Soigner…
C’est donc se mettre au service de l’autre, et, à partir d’une relation, en utilisant notre compétence technique, lui permettre de satisfaire l’ensemble de ses besoins, de faire son chemin à lui, de s’adapter à un environnement qui change, de grandir, de vieillir, et finalement la possibilité d’attendre la mort en paix ou, éventuellement, avec tout autre sentiment qui serait le sien.
« Il s’agit de passer de la projection sur un monde dont toute morbidité serait éradiquée, à une gestion du présent intégrant l’expérience de la maladie, de la souffrance et de la mort. »[68]
Le rôle des soignants ne se confond pas avec la lutte contre la mort ou pour la prolongation de la vie. Le plus souvent, le service de celui qui est face à l’épreuve de la maladie passera par une lutte contre la maladie, la mort, et permettra une guérison ou une prolongation de la vie. D’autres fois, il ne visera pas à empêcher la mort mais à permettre à la personne de vivre en relation avec les siens le temps qu’il lui reste à vivre, de le vivre sans être détruite par la douleur, l’angoisse, et tous les autres symptômes qui peuvent l’affecter.
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19. « Accompagner »
19.1 un terme qu’il nous faut préciser et critiquer
Accompagner…
Pour Catherine Chalier[69], « si l’idée d’un accompagnement de l’autre dans sa souffrance n’est pas réellement pertinente, c’est qu’elle dit à la fois trop et trop peu. Trop si elle laisse entendre que nous pouvons suivre pas à pas son trajet, en rythmant notre démarche au rythme de la sienne (…), trop peu si l’on considère que celui qui accompagne sait pertinemment qu’il ne fait qu’accompagner et qu’au bout d’un moment, peut-être même pas à la fin du chemin, il retournera à ses occupations et à ses soucis, le désir de son bien à lui traçant ses voies et ses impératifs ailleurs et il laissera l’autre à son destin. »
L’accompagnement est souvent opposé aux soins: on accompagnerait quand on ne pourrait plus soigner. Ce serait une démarche ne reposant pas sur une technique, opposée aux soins médicaux et réservée aux mourants. C’est cette perception de l’accompagnement qui, sans doute, a amené notre maître, le Professeur Bouchon, à intervenir lors des Journées de Gériatrie d’Ivry de novembre 1985 pour demander à ce que l’on ne colle pas l’image de l’accompagnement des mourants à la gériatrie.
Accompagner a aussi une signification très ambiguë chez certaines personnes qui interprètent ce terme comme la mise en oeuvre de médicaments provoquant la mort, l’accélérant. On retrouve là une confusion largement provoquée par des discours comme celui de l’A.D.M.D.
Rappel :
Dans tout ce livre, je ne parle d’accompagnement que pour désigner des soins faits dans des services ayant fait le choix de respecter de façon absolue l’interdit d’euthanasie.
Ailleurs, l’accompagnement apparaît comme une mode, une solution au problème de la souffrance, une nouvelle technique qui résoudrait tous les problèmes.
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Il suffirait de tenir la main pour répondre à l’ensemble des besoins de la personne. Une telle vision n’est elle pas encore une façon de ne pas entendre la souffrance de l’autre et de vouloir l’étouffer ?
R.W. Higgins et I. Marin[70] soulignent « le caractère décisif de l’accueil réservé aux familles par les soignants pour apprécier ce qui se joue aujourd’hui sous le nom de soins palliatifs : extension de procédures médicales et hospitalières dans l’illusion de traiter scientifiquement la mort ou émergence d’une exigence qui témoigne d’une prise de conscience, d’une volonté de repenser la fonction médicale et qui engage, bien au-delà du mourant, ce que sera demain le plus quotidien de la relation du soignant à celui qui souffre. »
Les soignants du service n’aiment pas trop parler d’accompagnement parce que ce terme risque de laisser sous-entendre que les soins qu’ils font tendent vers l’idéal. Et pourtant, du fait de la carence numérique en personnel, du fait de la structure, mais aussi de nos limites personnelles, nous avons conscience de la difficulté de la vie en long séjour et du fait que nous n’arrivons même pas, parfois, à satisfaire les besoins primaires. Si certains meurent effectivement entourés, beaucoup continuent à mourir seuls.[71]
19.2 Pourquoi continuer à parler d’accompagnement ?
Il suffirait de dire que l’on soigne, ou que l’on essaye.
Si j’utilise ce terme, c’est pour souligner que soigner ne se réduit pas à la satisfaction des besoins physiologiques, que le rôle des soignants est de permettre à la personne de voir un maximum de ses besoins satisfaits, et que cela implique une remise en cause permanente de notre action.
Il souligne aussi la nécessaire prise en compte des besoins particuliers des personnes en fin de vie et de leur entourage. Mais il n’est pas nécessaire d’être mourant pour avoir besoin d’être soigné au sens plein du terme, d’être accompagné.
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L’accompagnement, les soins, peuvent se vivre de façons très diverses. On l’a vu dans les histoires qui précèdent, et les comptes rendus qui suivent l’illustrent aussi:
19.3 Histoire de Madame Matthieu :
90 ans, elle entre dans le service le 26 novembre 1984. Elle vient d’un service de médecine dans lequel elle a présenté un épisode de fièvre et vomissements resté inexpliqué. Au bout de deux jours, elle est de nouveau très fatiguée, avec une fièvre à 40° et de nouveaux vomissements. Les médecins suspectent une inflammation de la vésicule biliaire et l’adressent dans un service de gastrologie pour qu’elle y subisse une cholangiographie par voie rétrograde, ce qui permet de visualiser des calculs obstruant la voie biliaire principale. Les calculs sont extraits par voie endoscopique et, deux jours plus tard, alors qu’elle semblait mourante avant son départ, elle revient dans le service, sans fièvre, en très bon état général. Depuis Madame Matthieu va bien, chante très souvent, essuie la vaisselle, mais refuse de participer aux fêtes, ou, plus exactement, de danser : « Mon mari vient de mourir, je ne peux tout de même pas danser… »
Dans ce cas, c’est donc une technique diagnostique précise et la mise en oeuvre de thérapeutiques particulièrement performantes, qui ont permis de répondre à ses besoins.
Ailleurs, on aura une double attention avec, d’une part, le souci d’être curatif, d’utiliser des thérapeutiques efficaces, et, d’autre part, celui d’assurer en même temps un confort réel avec un traitement de la douleur et de l’angoisse. Ce souci du confort, la prise en compte de besoins comme le besoin de sécurité, celui d’être dans un cadre familier, entouré des siens, amèneront à mettre en place certains traitements à visée curative et à en refuser d’autres qui nécessiteraient un transfert.
19.4 Histoire de Madame Dancer :
Elle a été hospitalisée à 84 ans, le 9 octobre I984, pour intoxication par les digitaliques prescrits en raison d’une insuffisance cardiaque mais sans surveillance suffisante et le maintien à domicile s’avérant très difficile, un placement est décidé.
Sa vie a été marquée par plusieurs drames. Alors qu’elle était encore jeune mariée, elle a perdu son mari dans un accident de moto, restant seule avec deux filles à élever.
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Plus tard, l’une de ses filles est décédée elle aussi dans un accident de moto. Madame Dancer a élevé les trois enfants de cette fille. L’autre fille, qui a eu cinq enfants, a perdu son premier mari dans un accident et le second des suites d’un cancer, il y a dix ans.
Cette fille qui lui reste est déprimée et a beaucoup de mal à accepter son incapacité à garder sa mère chez elle, du fait qu’elle doit travailler. De nombreux échanges avec les soignants lui permettent, petit à petit, de mieux vivre cette situation et de retrouver une relation moins difficile avec sa mère.
Le 23 Décembre 1984, Madame Dancer profite d’une offre de l’association des Petits Frères et d’Air France. Elle passe son baptême de l’air et va passer une journée à Venise. A travers cet événement, elle se redécouvre capable de vivre du neuf, de faire des expériences nouvelles. Elle sort un peu de son statut de malade attendant la mort. Dans le film « Dernier état » elle dit que ses petits enfants parlent d’un miracle en la voyant comme elle est. Et c’est un fait que le placement en long séjour, le fait de ne plus être totalement dépendante de sa fille, l’ont amenée à revivre
Le 5 Février 1985, elle fait une poussée d’insuffisance cardiaque massive avec embolie pulmonaire. Elle est très essoufflée et a de nombreuses extrasystoles ventriculaires.
La question d’un transfert en réanimation est posée et l’équipe, avec sa fille, décide finalement de mettre en place un traitement curatif mais de ne pas faire de transfert. Outre le traitement curatif, un accompagnement relationnel important est effectué par l’ensemble de l’équipe, accompagnement de Madame Dancer mais aussi de sa fille.
Une autre pensionnaire de 92 ans, lucide, passe ses journées au chevet de Madame Dancer Un traitement anxiolytique – contre l’angoisse – est aussi institué.
Les soignants parlent avec elle de leur espoir de guérison mais aussi de l’hypothèse de sa mort. Elle s’inquiète beaucoup pour sa fille, pour ses petits enfants. Par ailleurs, elle a peur d’étouffer. L’équipe lui garantit que sa dyspnée sera traitée et l’informe que les médecins laissent leurs coordonnées.
Finalement, son état s’améliore, et elle reprend ses activités antérieures. Elle lit beaucoup, mais reste plus fatiguée qu’auparavant.
Sollicité pour une intervention sur la souffrance, je réfléchis avec elle au sujet proposé. Invitée à participer à ce débat au Sénat le 18 Avril 1985, elle revient enthousiasmée : « Monsieur Poher[72] m’a embrassée… » Elle existe.
Le 15 Juin 1985, lors d’une réflexion avec les familles sur la question de la souffrance et des soins à donner aux personnes en fin de vie, sa petite fille explique qu’elle est impressionnée par la sérénité de sa grand-mère, qu’elle la trouve transformée, alors que jusque là elle exprimait une grande peur de la mort. Elle rend compte aussi de l’évolution vécue par toute la famille. Madame Dancer a lu ce livre et j’en ai discuté avec elle.
Une autre dame avait aussi fait une poussée d’insuffisance cardiaque. Une attitude thérapeutique identique avait été mise en oeuvre. Elle, par contre, est décédée au bout de 6 jours. Ce qui était important pour elle c’était d’être sûre que ses plantes seraient arrosées et qu’on penserait à donner des bonbons à la nièce d’un membre de l’équipe soignante dont elle demandait souvent des nouvelles.
19.5 Histoire de Monsieur Rivelini :
69 ans, entré dans le service le 8 Février 1985, il vient d’un service de médecine et présente d’importants troubles de l’équilibre pour lesquels le diagnostic de sclérose latérale amyotrophique (paralysie progressive et fatale) a été porté. Il n’a aucune famille, est célibataire, investit tout son temps et son énergie dans la lecture et la collection de livres de valeur. Il en possède 6 000 et continue à louer son appartement pour les garder.
A l’expiration de sa prise en charge en moyen séjour, comme il doit alors payer les frais d’hospitalisation en long séjour, il ne peut plus payer la location de son deux-pièces. Les soignants lui suggèrent alors de vendre ses livres ou de les donner à une bibliothèque.
Mais ils comprennent vite que cela revient à le vendre lui-même.
Finalement, ils lui proposent d’en amener une partie à l’hôpital. Un déménagement est organisé et l’équipe décide d’emmener Monsieur Rivelini pour qu’il participe au choix des livres. Les soignants, qui pourtant trouvaient que Monsieur Rivelini s’était bien adapté dans le service, sont impressionnés de voir comme il est différent chez lui, dans son univers, et à quel point il revit.
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Devant le nombre très important d’ouvrages, les soignants essayent de négocier avec Monsieur Rivelini, lui demandant de faire des choix car il ne semble pas possible de tout loger à l’hôpital. Mais pour lui, il reste toujours un livre à prendre « L’histoire, c’est important ». Et on rajoute une histoire de France en 20 volumes. « Et la géographie, la géographie c’est important ». 25 volumes de géographie. Quand un soignant attrape 17 volumes de l’intégrale d’une oeuvre, de l’autre bout de la pièce, Monsieur Rivelini le surveille et l’interpelle : « Il y a 2 autres volumes ». Il sait tout ce qu’il y a sur ses rayonnages, connaît par coeur le contenu des oeuvres qu’il a lues plusieurs fois. Quand les soignants croient avoir emmené le principal, Monsieur Rivelini leur montre un placard mural qui laisse échapper une avalanche de livres au moment où ils l’ouvrent. A midi, Monsieur Rivelini invite les soignants à manger au café du coin de la rue, un café où il a passé de nombreuses heures, où on le connaît.
De retour à Ivry, la question est soumise au Directeur de l’hôpital qui propose de supprimer un lit pour lui permettre d’avoir le plus d’ouvrages possible dans sa chambre et il lui attribue un espace dans les sous-sols, ce qui permet l’organisation d’une deuxième expédition.
Monsieur Rivelini a pu garder tous ses livres et passe ses journées à lire. Il continue à acheter de nouveaux ouvrages.[73]
20 quelques mots de remerciement à mes maîtres
Certains seront surpris de la facilité apparente avec laquelle le directeur propose de supprimer un lit pour répondre aux besoins de Monsieur Rivelini. En 1988, j’écrivais :
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Je ne peux tout traiter dans ce livre et j’ai fait le choix de ne pas aborder la question des relations avec l’administration. Tout ne s’est pas passé si facilement et les communications, comme celle intitulée « Peut-on abréger les souffrances ? », faite à l’invitation de l’association des journalistes catholiques dans les locaux du Sénat, ont été source de difficultés : nous avions abordé le problème de la carence numérique en personnel. La naissance d’une association des familles ne s’est pas faite non plus sans problème… Mais ce serait une « histoire de l’histoire de l’équipe de la Première Unité » qu’il faudrait écrire !
On n’imagine pas ce qu’une pratique un peu différente et une certaine liberté de parole peuvent susciter comme réactions, et ce, jusqu’à des niveaux très élevés de l’administration.
En 2003, près de vingt ans après, permettez-moi d’en dire un peu plus.
Tout d’abord, je voudrais évoquer l’engagement courageux du Docteur Annick Sachet et de Madame Guigui, surveillante générale, avant l’intervention dans les locaux du sénat. Ayant transmis à l’avance le texte de mon intervention au chef de service, elle m’a fait convoquer pour me prévenir que la direction de l’hôpital risquait de me mettre à pied pour manquement à l’obligation de réserve si je publiais les chiffres de manque de personnel et leurs conséquences en termes de déshydratation. Comme je persistais à vouloir parler, elle m’a de nouveau appelé pour m’alerter sur le fait qu’Annick Sachet et Madame Guigui, mes responsables, risquaient aussi de perdre leur poste dans la mesure où elles avaient accepté d’être présentes à cette intervention, d’être mentionnées dans le texte et en connaissaient à l’avance le contenu élaboré ensemble. Comme j’abordais la question avec chacune d’elle séparément, elles m’ont dit, chacune de leur côté, sans se concerter :
– « Tu as ordre de parler, nous ne sommes pas là pour tenir une place. »
Dès le lendemain de l’intervention, elles ont effectivement été convoquées par le Directeur de l’hôpital de l’époque et menacées de procès parce que j’avais parlé. Je n’ai pas été immédiatement convoqué personnellement car le directeur était intrigué par ma présence au Sénat et avait lancé une enquête pour savoir plus qui j’étais, comment je m’étais retrouvé dans les locaux du Sénat, comment m’exclure de Charles Foix.
L’explication est toute simple : j’avais accepté de témoigner au cours d’une soirée organisée au centre Laennec sur la souffrance, avant que la parole ne soit donnée à un théologien. Le lendemain, un journaliste m’a appelé en disant que son fils avait participé à la soirée du centre Laennec et qu’il avait apprécié ce que j’avais dit.
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Ce journaliste me demandait si j’acceptais d’intervenir à un débat qu’il organisait. Ce n’est qu’en recevant le carton d’invitation officiel que j’ai vraiment pris conscience du lieu où il m’était demandé de témoigner. Je ne voyais pas comment parler de ce que nous faisions, de la qualité de certains accompagnements sans dénoncer une carence numérique aussi marquée en personnel. Je pense que là, on aurait pu m’accuser à juste titre de non assistance à personne en danger.
Quelques temps après, j’ai moi-même été convoqué par le Directeur de l’hôpital et j’ai été l’objet d’intimidations et de menaces. Il est clair que la peur que des journalistes et des Sénateurs ayant participé à la rencontre au Sénat ne s’emparent de l’affaire nous a protégés.
Suite à ces menaces, je n’oublie pas l’engagement déterminé du Docteur Boiffin, psychiatre à l’hôpital Charles Foix : quelques jours après cette intervention reprise sur une demi page dans le Parisien Libéré du lendemain avec titre en première page, reprise aussi dans le « Nouvel Observateur » et dans plus de cinquante publications, le Docteur Boiffin m’a poussé à proposer le texte de cette intervention à la Revue de Gériatrie.
Comme le Comité de rédaction avait refusé de la publier, sans doute à cause des remous suscités par les déclarations sur le manque de personnel, sans doute aussi à cause des positions encore peu admises concernant le traitement de la douleur qui y étaient présentées, le Docteur Boiffin m’a proposé de représenter le texte en le cosignant avec Annick Sachet et Marie-Geneviève Freyssenet[74]. Il a ainsi réussi à faire paraître ce texte dans cette revue qui fait autorité.
Je suis aussi reconnaissant à mon oncle, le Professeur Dominique Laplane. Le Sénateur de l’époque qui représentait le Maire de Paris au Conseil d’Administration de l’Assistance Publique lui avait écrit, suite à cette intervention pour le mettre en garde contre son neveu « gauchiste ». C’était bien la première fois que j’avais le droit à ce qualificatif. Le Professeur Laplane a alors pris sa plume pour s’associer à mon intervention et confirmer les chiffres que j’avais donnés et qui correspondaient à ce qu’il observait dans le service de long-séjour dont il avait la charge.
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Ce Sénateur n’avait pas hésité à écrire à l’Association des familles pour les mettre en garde contre le Docteur Sachet à qui il reprochait « de véhiculer un rejet de toutes les réalités économiques et financières et, qu’en conséquence, la continuité du service public n’était plus assurée. »
Dans un autre registre, deux médecins de l’hôpital Charles Foix, qui avaient commencé par ne pas comprendre la pratique de l’équipe de la première unité en matière de traitement de la douleur et par la combattre, ont tenu à m’apporter publiquement leur soutien après avoir adopté cette manière de soigner les personnes en fin de vie.
- Le premier médecin m’a fait convoquer devant ses attachés, internes, surveillantes, quelques jours avant la soutenance de ma thèse. Il a dit devant eux combien il s’était opposé et avait ri de ceux qui avançaient dans cette voie des soins palliatifs avant d’ajouter :
« Aujourd’hui, 8 malades de mon service sont sous les traitements tels que vous les préconisez à la première unité. L’un d’entre eux, que j’aurais euthanasié avant, faute de connaître d’autres possibilités pour qu’il ne souffre pas, est retourné chez lui avec de la morphine en solution aqueuse et il va bien. »
- Le deuxième médecin m’a demandé de présenter ma thèse devant les médecins, surveillantes et infirmières de l’hôpital Charles Foix qui était sous sa responsabilité. Alors qu’un de ses collègues commençait à mettre en doute ce que nous écrivions par rapport à l’euthanasie, il ne m’a pas laissé répondre pour expliquer devant tous ceux qui étaient présents comment il avait lui-même été amené à pratiquer l’euthanasie y compris de proches et combien il adhérait maintenant à cette perspective ouverte par les soins palliatifs.
Cela reste pour moi autant de moments forts de mon passage à l’hôpital Charles Foix qui m’ont fait admirer la qualité de ces maîtres que j’ai eu la chance de croiser sur ma route.
Permettez-moi de citer ici les docteurs Mireille Laurent, Sylvie Legrain et Claude Gallinari ; les Professeurs Jean-Pierre Bouchon, Jean-Bernard Piéra et François Piette.
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En 2004, quand je vois que tous les services de l’hôpital Charles Foix et Jean Rostand ont fait appel à l’équipe mobile des Docteur Sachet et Fouassier[75] depuis qu’elle existe, que la direction de l’hôpital a apporté son soutien tandis que le Comité Consultatif Médical de Mars 2002 a voté à l’unanimité pour présenter en premier la demande d’un poste de Praticien Hospitalier au profit du Centre de Soins Palliatifs, que l’on voit la place accordée au travail des Dr Sachet et Fouassier lors des journées de Gériatrie d’Ivry de mars 2002, je ne peux qu’être heureux de tout le chemin fait depuis 1983.
J’espère que les moyens seront effectivement donnés à l’équipe du Docteur Annick Sachet[76] pour aller plus loin, ouvrir une consultation sur la douleur et avoir le personnel nécessaire.
21 accompagner, ou s’interroger sur l’ensemble des soins que nous donnons habituellement
Mais reprenons notre réflexion sur l’accompagnement.
21.1 Histoire de Madame Tassin :
84 ans, elle entre le 9 Octobre 1984. Elle est grabataire, démente et au bout de quelques mois elle ne communique presque plus. Sa belle fille vient très souvent la voir et vit difficilement la maladie de sa belle-mère et a une relation très fusionnelle avec elle. Elle se montre souvent agressive envers l’équipe.
Madame Tassin devient de plus en plus fatiguée. Au mois de Décembre 1984, elle n’ouvre quasiment plus les yeux. A l’occasion d’une fête organisée, pour Noël, la belle fille de Madame Tassin s’occupe de ses voisines de chambre qu’elle fait danser.
Sa belle mère est affalée dans un fauteuil, les yeux fermés et semble ne participer à rien. La fête, les grand-mères qui dansent, rendent encore plus insupportable le spectacle de Madame Tassin.
Un soignant s’approche de Madame Tassin et lui demande si elle veut danser. Elle est grabataire, très somnolente, et ne parle pratiquement plus depuis des mois.
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Son visage s’illumine alors, et contre toute attente, au milieu d’un large sourire, elle répond par l’affirmative. Le soignant la prend dans ses bras et danse avec elle. Elle a alors les yeux grands ouverts un immense sourire éclaire son visage, elle parle et remercie, elle embrasse celui qui la porte. La fille d’une autre pensionnaire la prend en photo. Sa belle fille n’en revient pas. Elle est très émue, très heureuse. 15 jours après, Madame Tassin meurt mais sa belle fille garde, comme dernière image, le visage illuminé de sa belle mère qui danse, qui sourit et parle.
21.2 Accompagner ou être au service des personnes
Parler d’accompagnement, c’est donc souligner que les soins, en se basant sur une technique précise et en ne s’y limitant pas, visent à être au service d’une personne, de sa famille, pour leur permettre de Vivre jusqu’ à la mort et pas seulement lors des derniers instants.
Parler d’accompagnement, c’est s’interroger sur les soins que nous donnons, mais aussi, sur la structure même de l’hôpital, des services de long séjour qui sont presque entièrement tournés vers la prise en charge, l’alimentation, l’hébergement, le traitement des maladies, sans prendre en compte d’autres besoins, en isolant et en rassemblant, les personnes les plus âgées, les plus handicapées, en marge de la société.
Le chemin fait avec Monsieur Rivelini, Madame Dancer, Monsieur Fort et d’autres encore, nous fait mieux mesurer à quel point l’hôpital dépersonnalise, provoque le processus de « dépouillement » dont parle Erwing Goffman[77] pour décrire l’incorporation d’une personne dans ces institutions qui englobent l’individu tout entier et prévoient des procédures et des rites qui enlèvent à la personne, son autonomie, son identité, et tout statut propre.
22. Non pas survivre, mais vivre.
La question si souvent entendue « faut-il soigner en gériatrie long-séjour » est dès lors complètement déplacée et transformée en :
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– Comment soigner en long-séjour ?
– Comment créer des structures d’accueil différentes ?[78]
– Comment permettre à la personne de vivre ?
– Comment lui permettre de satisfaire un maximum de ses besoins de base ?
– Comment répondre à son désir profond, l’accompagner et la soutenir sur son chemin qui passe par la vieillesse, la maladie, la souffrance et la mort ?
Est-ce par tel geste ou tel autre (main tenue, écoute, appel de la famille, réalisation d’un désir particulier comme d’aller visiter une dernière fois son quartier etc.) ? Est-ce en mettant en place un traitement médicamenteux à visée curative ou palliative ? Est-ce en associant des traitements à visée curative et des traitements à visée palliative ?
Les soins en long-séjour ne seront plus vécus comme une impasse, un échec, mais comme une quête pour permettre à la vie qui est en l’autre de naître, y compris dans le handicap, la vieillesse et la mort. Cela permettra, comme le souhaite notre maître le docteur André Boiffin, que le vieillissement ne soit plus exclusivement perçu en terme d’involution mais plutôt en terme d’évolution, chacun étant appelé à croître dans cette dernière étape de la vie, jusqu’à son dernier souffle.[79]
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[1] Voir chapitre 1 § 3
[2] Cette réflexion s’appuie très largement sur les articles de Patrick Verspieren « Liberté du malade et consentement aux soins » et « Liberté,autonomie et responsabilité du malade » publiés dans le numéro 3-4 du journal Laennec du printemps 1983 sur le thème: « Le malade,sa liberté et le consentement aux soins ». Cette réflexion s’appuie aussi sur son livre: « Face à celui qui meurt, euthanasie, acharnement thérapeutique, accompagnement », collection « temps et contretemps », Desclée De Brower, 1984.
[3] Laennec, avril 1981, « La complexité de l’acte de soigner », p.13
[4] R. Sebag-Lanoë (Villejuif), « Vieillissement, pertes et deuils: les réactions des soignants », Médecine et Hygiène, N°1564, Mai 1984.
[5] Extrait du texte de Marie-Geneviève Freyssenet, dans le cadre de l’intervention « à trois voix » de Marie-Geneviève Freyssenet, Jacqueline Guigui, Annick Sachet, « Vivre, Soigner, Mourir », faite au 3ème Carrefour de l’Humanisme Hospitalier, Abbaye des Prémontrés, 27 au 30 avril 1987, à paraître dans la revue « Gestion Hospitalière ».
[6] cf. Tobie Nathan, « La folie des autres », Dunod, Paris, 1986, p. 34
[7] Murray Parkes : « L’équipe hospitalière. Le malade et sa famille face aux difficultés des phases terminales. « Saint-Christopher Hospice, London, 1978. Traduction L.Cludy.
[8] Professeur Henri Péquignot : « Conclusion sur la mort et le mourir », Gérontologie, N°56, Octobre 1985.
[9] Notre affirmation date de 1986. Malheureusement, en 2003, tous les médecins sont loin d’avoir changé d’opinion et de pratique.
[10] Louise Chauchard : « Pardon ma mère pour cette mort là… » Les Editions Ouvrières, 1984, page 139, cité plus loin dans le même chapitre, paragraphe n°16
[11] Patrick Verspieren, o.p. cit. p. 24 et 25.
[12] Patrick Verspieren, o.p. cit. p.26.
[13] Henri Péquignot, o.p. cit. p.30
[14] Séminaire auquel j’ai participé jusqu’en fin 1986, qui se réunit depuis 1985 dans le service du professeur Zittoun, à l’initiative conjointe de E. Goldenberg, R.W. Higgins, E. Hirsch, M. Salamagne, R. Sebag Lanoë, P. Verspieren, R. Zittoun est s’est constitué en avril 1986 en association type loi 1901. Cette dernière association vient de publier un livre : « Partir », Emmanuel Hirsch, Le Cerf, Paris 1986.
[15] o.p. cit. p. 3.: « les médecins sont moralement tenus de traiter leurs patients de façon appropriée, mais non d’administrer tout traitement techniquement possible ».
[16] o.p. cit. p.2
[17] J. Dausset, J. Crosnier et J.N. Muller, Nouv. Presse Médicale, tome 3, n°1, 5 janvier 1974.
[18] Jean Mignon, Conseiller Juridique de la Confédération des Syndicats Médicaux français, « La liberté du malade et le consentement aux soins dans le cadre du Droit français », Laennec n°1, octobre 1984.
[19] Nous considérons dans un premier temps, le cas d’une personne capable d’exprimer un désir et de participer de façon éclairée à un consentement.
[20] H. Mac Aleese, « Le consentement et le droit », Le Concours Médical, 22-09-1984, 3175-3177.
[21] On rappelle l’invitation faite au début de ce chapitre à lire l’annexe n° 4 qui présente toutes les dispositions réglementaires et législatives apparues depuis 1986 et qui confirment notre position.
[22] Paula Caucanas Pisier, « Pourquoi je veux une loi », bulletin n°19, février 1986 de l’ ADMD, p.7
[23] Gilbert Brunet, « La mort digne et la loi », bulletin n°19, février 1986, de l’A.D.M.D., p.10.
[24] Cette notion de « désir profond » est reprise au chapitre 5, paragraphe 6.2
[25] Patrick Verspieren, o.p. cit. p.34
[26] Position exprimée par Louis Portes lors d’une communication prononcée à l’Académie des Sciences Morales et Politiques, le 30 janvier 1950, rééditée plusieurs fois, au moins jusqu’en 1964, rapportée et analysée par Patrick Verspieren dans son article: « Liberté du malade et consentement aux soins », Laennec, n°3-4, printemps 1983.
[27] Louis Portes, « Du consentement du malade à l’acte médical », in « A la recherche d’une éthique médicale », Masson éditeur, 1964, p.170.
[28] o.p. cit. p. 166.
[29] o.p. cit. p. 162.
[30] o.p. cit. p. 159.
[31] o.p. cit. p. 169.
[32] o.p. cit. p. 163.
[33] o.p. cit. p. 162.
[34] G. Payen, Déontologie médicale, Université L’Aurore,Zi-Ka-Wei, 1935, bien qu’éditée en Chine, il était diffusé en France et reposait uniquement sur l’expérience médicale française.
[35] Ordre National Des Médecins, Commentaires du Code de Déontologie Médicale, 1987, p.24 à 28. Voir en annexe 4 le Nouveau Code de Déontologie Médicale 1995.
[36] Eckhard Frick, « Le consentement aux soins psychiatriques », travail fait sous la direction de Patrick Verspieren dans le cadre de son enseignement de bioéthique au centre Sèvres, 1985.
[37] Eckhard Frick, o.p.cit. p.17
[38] Patrick Verspieren, « Liberté du malade et consentement aux soins » déjà cité.
[39] G. Payen, déjà cite. Nous invitons toujours le lecteur à avoir jeté un œil sur l’annexe 4 et les textes législatifs apparus depuis 1995 et qui confirment notre analyse faite en 1986.
[40] James E.Childress, « Priorities, Biomedical Ethics », Chap. 1, Patern and the patient’s rights to decide. The Westminster Press, 1981.
[41] Pie XII, « Problèmes médicaux et moraux de la réanimation », Doc. Cath., 22 décembre 1981.
[42] S. Congrégation Pour la Doctrine et la Foi.
[43] On notera qu’aux médecins, Monsieur Bonnet disait : « Je vais guérir, hein ? », et 5 minutes plus tard à sa femme : « Je vais mourir, tu t’occuperas des enfants ».
[44] On se reportera avec intérêt au travail de Jean-Marie Gomas pour aider à une décision éthique, in La Presse Médicale, 30, n° 19, Juin 2001
et aussi : Jean-Marie Gomas, Refus de traitement ou d’alimentation en gériatrie : comment décider, et qui décide ? in Journées d’éthique médicale Maurice Rapin, Nouveaux droits des patients, François Lemaire, Hervé Outin, Suzanne Rameix, Médecine-Sciences, Flammarion, Paris 2002.
[45] On retrouve là une des intuitions de Lévinas quand il présente comme exigence le fait de sortir de « l’il y a« , de sortir du non sens, de passer de « l’existence » à « l’existant« , passage qui, selon lui, se fait dans la « responsabilité pour autrui », « l’être-pour-l’autre« , qui seuls permettent de sortir du non sens. Emmanuel LEVINAS, « Ethique et Infini », Fayard/France Culture, 1982, p.42.
[46] Madame Petit Lievois, « Etude sur l’animation dans les institutions accueillant des personnes âgées », Notes et documents de la FNOSS, n°26, 2ème trimestre 1967.
[47] Cipriani, o.p. cit. p.26.
[48] Dominique Cottin, « Profil médical et para-médical d’une unité de gériatrie long-séjour de l’Assistance Publique » -la deuxième unité à Ivry, thèse, Pitié-Salpétrière, 1979.
[49] Jean-François Six, « Combat pour les vieux jours », Le Centurion/DHS, 1983, p.50-51.
[50] Patrick Verspieren, « Vieillards en long séjour, Soins et excès de soins », table ronde, Laennec n°1, octobre 1981.
[51] Il ne s’agit pas d’un « mot type » mis systématiquement, mais d’un mot écrit pour une personne précise, en vue de répondre à son désir profond, de satisfaire les besoins que dans ce cas précis, elle a jugés prioritaires, après réflexion en équipe, et dans le strict respect du cadre éthique et juridique actuel. Pour adapter ce mot à ce qui est disponible aujourd’hui, on se réfèrera au chapitre 3 sur l’expérience des hospices et aux annexes concernant le traitement de la douleur.
[52] Voir l’histoire de Mme Batéot dans le chapitre sur l’euthanasie. Chapitre 5, § 3.2
[53] De mars à juin 1986, il nous est arrivé 3 fois, pour répondre aux besoins de personnes précises, de marquer « Ne pas mettre d’antibiotiques, mais traiter la dyspnée et l’angoisse ». Pour une personne prostrée et grabataire, cette dernière mesure a l’intérêt de ne pas prolonger une agonie qui jusque là pouvait durer très longtemps. Ainsi une dame de 92 ans, rongée par les escarres, ne mangeant plus rien du tout a vécu encore 45 jours avec seulement 1 perfusion sous-cutanée de 1 litre tous les 2 jours. Cette dernière abstention reste exceptionnelle dans notre pratique et limitée à des cas très précis.
[54] En 2003, à l’Unité de Soins Palliatifs de l’hôpital Charles Foix, il y a des prescriptions anticipées et personnalisées du type de celle de 1986. Les médecins de soins palliatifs assurent une astreinte téléphonique avec un appel systématique à 23h. Ils sont joignables à tout moment.
[55] En 2003, on aurait prévu un pansement spécifique qui, sans douleur, peut absorber le sang voire arrêter le saignement comme un Alginate (COALGAN® par exemple).
[56] Jean-Marie Gomas, Soigner à domicile des personnes en fin de vie, Cerf, Paris, 1989, nouvelle édition 2001.
[57] Au risque de nous répéter, mais pour éliminer toute ambiguïté, quand nous parlons d’accompagnement des personnes en fin de vie ou de réponse à leur désir profond, cela exclue tout geste posé pour provoquer la mort, toute injection d’un produit quelconque destiné à accélérer sa survenue.
[58] Louise Chauchard, « Pardon ma mère pour cette mort là… », collection Témoins, éditions Ouvrières, 1984.
[59] o.p. cit. p. 105 à 109.
[60] o.p. cit. p. 130 à 133.
[61] La demande de Louise Chauchard qui semble accepter l’hypothèse d’une mort provoquée, n’est pas tant une demande d’euthanasie qu’une demande de soulagement de la douleur et de l’angoisse de sa mère. Un traitement antalgique et anxiolytique correct, d’autres relations avec l’équipe soignante et en particulier avec les médecins, un accompagnement, lui auraient permis de ne plus vivre ce cauchemar. Nous l’avons vu, un tel traitement ne joue pas sur la durée de la vie, au contraire, en permettant de nouveau la relation, voir l’alimentation dans certains cas il peut éventuellement augmenter la durée de la vie, et surtout il en transforme la qualité.
[62] o.p. cit. p. 139.
[63] Renée Sebag Lanoë, Didier Rondinet, « L’accompagnement du vieillard mourant: quels objectifs se fixer ? », Revue Médecine et Hygiène, n°1610, 15 mai 1985. On se reportera aussi à l’article de Pascale Fouassier en Annexe n° 2
[64] Patrick Verspieren, « Vieillards en long séjour, soins et excès de soins », Laennec n°1, octobre 1981.
[65] o.p. cit. p. 62.
[66] Christiane Jomain, « Mourir dans la tendresse », collection infirmières d’aujourd’hui, Le Centurion, 1984.
[67] Rosette Poletti, « Les soins infirmiers, théories et concepts »,collection infirmières d’aujourd’hui, Le Centurion, 1978, p. 44.
[68] Thierry Ropers, « A propos d’une étude sur la différence d’accès et de traitement en matière de soins dentaires », thèse, faculté de chirurgie dentaire de Lille, 1984, p.4.
[69] Catherine Chalier, « La Souffrance d’Autrui », Les Nouveaux Cahiers, automne 1985, n°82, p.7.
[70] Robert William Higgins et Isabelle Marin, « L’accompagnement des familles », Revue du Praticien, 36, 9 (11 février 1986) p.486
[71] voir compte-rendu de la réunion à propos de l’histoire de Monsieur Bonnet, chapitre n°1 § 3
[72] Président du Sénat à ce moment-là.
[73] Il est décédé quelques mois plus tard très paisiblement
[74] Psychologue dans le service qui a beaucoup contribué à ce travail
[75] Dr Pascale Fouassier, Bilan d’activité du Centre de Soins Palliatifs Gériatrique du Groupe Hospitalier Charles Foix – Jean Rostand, Janvier 2003
[76] Et aux autres équipes travaillant dans le même sens
[77] Erving Goffman, Asylum, « Essays on the social situation of mental patients and other inmates, Garden City: NY, Doubleday and Co, 1961. publié en France sous le titre « Asiles », « Etude sur la condition sociale des malades mentaux », Editions de Minuit, Paris, 1968.
[78] Voir notamment le « Cantou » de Georges Caussanel.
Foyer Emilie Rodat, 9 bis rue Trudeau, 92 Rueil Malmaison. Voir aussi « L’orangerie » à Lyon. Il s’agit de petites unités de 12 lits dans lesquelles les personnes, toutes démentes, ne sont pas seulement traitées mais participent à la cuisine, à des activités. Chacune a sa chambre personnelle aménagée avec leurs propres objets et mobilier par la famille. Les familles participent de près à la marche de l’établissement. L’orangerie, hôpital de la Croix Rouge, 25 chemin Champlong, 69450 St Cyr au Mont D’Or.
[79] Elizabeth Kubler Ross, « La Mort, Dernière étape de la croissance », éditions du Rocher, 1985; publié initialement en français par éditions Québec/Amérique, INC Ottawa, 1977.