Présentation de la nouvelle édition 2003

1.     Une sensibilisation précoce à la question de la dignité des personnes en fin de vie

En 1977, à 17 ans, je commence des études de médecine à la faculté de la Pitié-Salpétrière à Paris.

Très vite, travaillant l’été comme agent hospitalier, aide-soignant, puis infirmier, je suis confronté à la question de la douleur : la douleur non traitée, la douleur provoquée. En effet, si les soignants font des prouesses extraordinaires et soulagent bien des maux, ils négligent trop souvent les douleurs et provoquent des souffrances par absence de réflexion sur l’adéquation des soins à l’ensemble des besoins de la personne et par la non prise en compte de la parole du malade et de son entourage.

En 3ème année, devant ce décalage entre l’idéal que j’avais et la réalité que je

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découvre, j’envisage même d’arrêter mes études de médecine. En septembre 1981, au début de la 4ème année, j’ai la chance de pouvoir choisir un des stages les plus prisés par les étudiants : le service du Docteur Pierre Corone. Il m’a beaucoup marqué par son humanité, la qualité de son accueil des malades et de leur famille, la qualité du dialogue avec les étudiants en formation dans son service. Il était très engagé dans une association des familles des enfants atteints de cardiopathies congénitales et avait écrit un livre de vulgarisation pour les aider à comprendre les maladies dont leurs enfants étaient atteints. Il y avait donc d’autres manières d’exercer la médecine que ce que j’avais vu jusque là. Dès lors, je ne me suis plus posé la question d’arrêter mes études de médecine.

Pour autant, les questions liées à la douleur non traitée et provoquée, aux soins inadaptés, à l’insuffisance du dialogue avec le malade et sa famille, à la place faite aux plus pauvres dans le système de santé, à la nécessité d’une parole au sein d’une équipe soignante, continuent à me préoccuper.

Dans le même temps, je reçois beaucoup de la participation à l’aumônerie des étudiants chrétiens, aux soirées et week-ends de réflexion sur les questions auxquelles nous sommes confrontés dans notre découverte de l’exercice médical. Là, je dois beaucoup au Père Verspieren par lequel je découvre tout l’apport des hospices anglais en matière de soins à donner aux mourants. Je suis ses cours d’éthique médicale.

2.     Première édition du livre « En fin de vie »

2.1 Mon arrivée dans le service du Dr Sachet

En septembre 1983, j’entre en 6ème année et c’est à mon tour d’être en fin de liste pour choisir le prochain stage d’externe, de devoir prendre ce qui n’avait pas encore été pris par d’autres. Etant absent de Paris, je demande à une amie de choisir pour moi. Sans tenir compte des indications que je lui avais données, elle opte pour un service de gériatrie long séjour en me disant que, tel qu’elle me connaissait, cela devrait me plaire.

En octobre 1983, à 23 ans, j’arrive sans l’avoir choisi dans le service du Docteur Annick Sachet. Il fait partie d’un ensemble placé sous la responsabilité

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du Docteur Mireille Laurent, comprenant une unité de gériatrie aiguë, un hôpital de jour et deux unités de long séjour.

Le début est difficile. La traversée de ces longues salles dans lesquelles ont été rassemblées autant de personnes très vieilles, très handicapées, dont bon nombre « perdent la tête » m’est d’abord très pénible. J’ai envie de fuir. Je me revois en particulier le deuxième jour venant d’examiner une pensionnaire et incapable de rédiger l’observation clinique dans sa salle. Je suis pris par le spectacle des êtres qui m’entourent. Elles sont huit. Quatre sont inertes dans leurs fauteuils, les quatre autres parlent ou plus exactement émettent des cris, s’injurient. Ta-ta-ta-ta… dit l’une. « Timbalten, timbalten, t’es une timbalten » dit une autre… « Ta gueule, va te faire voir ! » crie la troisième… Pourquoi cette amie m’a-t-elle choisi un tel stage ? Autour de moi je ne vois que des fous, des grabataires, sûrement pas des personnes humaines.

Ce qui me retient, c’est l’accueil de l’équipe soignante et en particulier du Docteur Annick Sachet. Je n’oublie pas le premier contact avec l’équipe. Ils étaient en train de prendre le petit déjeuner ensemble. C’est un temps important de la vie de l’équipe, un temps de parole un peu gratuite et aussi d’échange d’informations entre les infirmières et les médecins. Ce jour-là, la discussion a porté sur la détermination de la dose d’antibiotique à administrer à l’un des nombreux chats du service qui était malade, ce qui était difficilement vécu par la personne âgée qui l’avait adopté. Ensuite le Docteur Sachet s’est occupée des oiseaux puis nous sommes partis visiter le service. Dès la première salle il a fallu s’arrêter pour donner à manger aux poissons… Le Docteur Sachet allait enfin pouvoir nous présenter le service, mais elle a été dérangée par le téléphone[1] et nous a laissés seuls. Les infirmières ont alors pris le relais pour nous aider à nous repérer dans cette suite de grandes salles et nous expliquer notre travail. J’avoue avoir été un peu dérouté mais aussi attiré. Ce service n’était manifestement pas banal.

Très vite je suis intéressé par le travail que fait cette équipe et notamment par son souci de ne pas réduire la personne à un malade ce qui se traduit par un grand effort d’animation et aussi, au moment où j’arrive, par la création de l’association des familles et amis des pensionnaires.

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La qualité des relations de l’équipe avec les malades et leurs familles, leur souci de faire quelque chose pour les personnes âgées me séduisent. Certes il ne s’agit pas pour autant d’une équipe idéale, mais d’une équipe dans laquelle il y a un certain esprit et qui essaye de remettre en question sa pratique.

Venu pour 4 mois, je renouvelle constamment le choix initial, la première année comme externe, avec la particularité qu’en gériatrie long-séjour nous avons déjà la responsabilité de prescrire, les deux années suivantes comme interne.

J’ai donc été présent à la Première Unité pendant 3 ans, du 1er octobre 1983 au 30 septembre 1986.

2.2 La mise en place d’un traitement efficace de la douleur

Petit à petit je suis sensible à la façon dont un certain nombre de personnes peuvent mourir dans des souffrances importantes et du désarroi de l’équipe lorsque la mort arrive ou qu’un diagnostic comportant un pronostic fatal est posé. La question de la douleur non traitée me semble être une des causes majeures de ce désarroi.

En mars 1984, la revue LAENNEC publie un numéro spécial sur « La souffrance de celui qui meurt »[2] un numéro qui présente l’apport des hospices anglais en matière de traitement de la douleur et d’accompagnement des mourants.

En avril 1984, un même jour, trois demandes d’euthanasie sont formulées dans le service : deux par des soignants, une autre par la famille d’une personne atteinte d’un cancer au stade terminal et ayant des escarres importantes[3] sans traitement de la douleur efficace.[4] Nous n’avions jusque là aucun enseignement sur le traitement de la douleur. Les traitements proposés par St Christopher Hospice en Angleterre qui font autorité aujourd’hui étaient méconnus.

Je présente le numéro de la revue LAENNEC au Docteur Annick Sachet et, bien que je ne sois qu’externe, elle me fait confiance pour proposer à l’équipe la mise en

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place d’un traitement efficace de la douleur et une réflexion sur l’accompagnement des mourants à travers des réunions d’équipe plus systématiques et la réalisation d’une thèse.

Quelques temps avant mon arrivée elle avait déjà entendu parler de ces traitements et essayé de les proposer en rencontrant diverses oppositions. J’avais la chance de trouver une responsable déjà sensibilisée à cette question.

Cette mise en place d’un traitement efficace de la douleur a très rapidement provoqué de multiples découvertes et questions. Ce qui me frappe immédiatement, et le fait d’avoir travaillé comme agent hospitalier, puis aide soignant et infirmier tout au long de mes études me l’avait déjà fait entrevoir, c’est la richesse de ce qui peut être vécu dans la relation avec la personne en fin de vie, une richesse qui questionne notre pratique soignante avec les malades, bien avant qu’ils ne soient mourants, une richesse qui me questionne plus largement comme personne.

2.3 Une réflexion éthique

Dès lors, avec le soutien de l’équipe, de pensionnaires du service, de l’association des familles, celui aussi d’autres associations, je réalise ma thèse de médecine sur le thème suivant :

      « Analyse de quelques questions posées par la mise en place de l’accompagnement des mourants dans un service de gériatrie long-séjour. »

Je l’ai élaborée sous la présidence de mon oncle le Professeur Dominique Laplane. Neurologue à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, il m’a bien soutenu à un moment où une telle perspective de soins n’était pas reconnue et où nos premières prises de parole avaient suscité quelques remous, y compris au niveau politique. J’avais en effet été amené à intervenir au Sénat devant 400 journalistes sur ce que nous découvrions dans le traitement de la douleur et j’avais diffusé les chiffres traduisant la carence numérique en personnel et leurs conséquences en terme de déshydratation.[5]

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Cette thèse est d’abord diffusée de manière informelle à plus de sept cents exemplaires, avant d’être publiée en librairie sous le titre :

      « En fin de vie », « Répondre aux désirs profonds des personnes », éditions du Centurion, collection « infirmières d’aujourd’hui », Paris 1988.

Dans ce livre, j’essaye de rendre compte de la façon dont une équipe soignante de gériatrie a réfléchi avec les familles et avec certains pensionnaires aux questions rencontrées dans la pratique des soins aux personnes en fin de vie. Cette réflexion éthique déborde très largement le cadre des seuls services de gériatrie et rejoint les questions de tout soignant, voire de tout homme:

–     Peut-on traiter efficacement la douleur ?

–     Qu’est-ce que l’accompagnement ?

–     Quel est le but final des soins quand guérir ne veut plus rien dire ?

–     Comment soigner avec une telle carence numérique en personnel ?

–     Qu’est-ce qui conduit à l’acharnement thérapeutique, et qu’est-ce que l’acharnement thérapeutique ?

–     Dans quelles conditions peut-on s’abstenir de soins à visée curative ?

–     Quelle place pour le consentement aux soins, en particulier pour celui des personnes âgées en institution ?

–     Qu’est-ce qui provoque des demandes d’euthanasie et comment y répondre ?

–     Faut-il dire la vérité au malade ?

–     Comment faire face aux questions spécifiques que posent les soins à des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer ?[6]

–     Comment concevoir des institutions qui soient effectivement des lieux de vie ?

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–     Quelle place pour la recherche et les expérimentations ?

–     Quelle place pour la famille des personnes âgées en institution ?

Bref, comment permettre aux personnes âgées, et plus largement à toute personne malade, de vivre en relation avec autrui jusqu’à leur mort et non pas seulement de survivre ?

Ce livre ne donne pas de recette mais il propose des points de repère pour se situer devant ces questions et y répondre dans la pratique.

Il essaye de démasquer les fausses évidences et, plutôt que de donner une réponse, il essaye d’ouvrir un chemin, celui de la rencontre de l’autre, y compris lorsqu’il est malade, handicapé et/ou âgé.

2.4 Une réalisation commune soignants, familles, pensionnaires, bénévoles :

Si j’en ai réalisé la rédaction, la première édition a été très largement écrite en lien avec l’ensemble des soignants des trois équipes distinctes qui se succèdent sur 24 heures (jour, garde, veille), avec l’association des familles et amis des pensionnaires de la Première Unité de l’hôpital Charles Foix[7] devenue l’Association « Mieux vivre à Charles Foix », avec les associations de bénévoles « V.M.E.H. »[8] et des « Petits frères »[9] et aussi avec quelques pensionnaires eux-mêmes.

Outre le fait qu’il part de notre expérience commune, j’ai régulièrement fait lire aux divers partenaires ce que j’écrivais pour vérifier qu’ils s’y retrouvaient, et recueillir leurs remarques et suggestions. Avant de réaliser la mouture finale, j’ai diffusé une dernière épreuve en trente exemplaires, demandant à chacun de réagir sur l’ensemble et proposer ses corrections. De là sans doute, le très bon accueil qu’elle a eu auprès de familles, d’agents hospitaliers, aide soignant(e)s, infirmier(e)s, qui se sont immédiatement reconnus dans les questions soulevées.

Ce sont 10 000 exemplaires qui ont été diffusés avant que le livre ne soit

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retiré de la vente pour cause de restructuration aux Editions du Centurion. Il nous a valu beaucoup de courrier, d’échos de personnes disant combien il les avait aidées à vivre leur propre maladie, à se situer comme famille, à avancer comme soignant.

Au moment où j’ai réalisé la thèse puis le livre, j’étais aussi en formation au ministère de prêtre[10]. Mais la réflexion que j’ai menée dans ce livre est d’abord un questionnement humaniste avant d’être une problématique de foi.

Elle a été menée avec des soignants et des familles qui viennent d’horizons géographiques différents, des diverses régions de l’hexagone, de la Corse, des Antilles, de l’île de la Réunion, de l’île Maurice, d’Afrique du Nord, et aussi d’Afrique Noire et du Sud Est asiatique. Différentes confessions religieuses sont représentées et chacune d’entre elles est vécue de façon particulière selon l’origine culturelle et la tradition spirituelle des personnes. Les athées eux-mêmes forment plutôt une mosaïque qu’un bloc.

D’autres livres ont été écrits sur le sujet par des personnes qui portent les mêmes questions, font des découvertes similaires et qui se disent athées. Annick Sachet et Pascale Fouassier avec qui j’ai élaboré cette nouvelle édition ont chacune leur propre approche, leur propre sensibilité aux niveaux religieux et philosophique.

Si la réflexion qui va suivre ne suppose la foi ni en l’au-delà, ni en Jésus-Christ ou plus largement en Dieu, il y a pour moi un lien très profond entre ce que j’ai découvert et vécu à Ivry et ce que je découvre, en Eglise, du Christ et de son Evangile. Mais ce serait un autre livre…

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2.5 Parler de la vie de chacun

Certains vont penser que ce livre s’adresse exclusivement aux professionnels et aux familles touchées par la question de la mort de personnes très âgées en institution long séjour…

Si ce livre souhaite être un élément de dialogue avec ces personnes, il ne parle pas seulement de la mort des personnes âgées en long séjour. Il parle de la mort de toute personne car le non traitement de la douleur et les questions que nous avons rencontrées se retrouvent aussi ailleurs.

Plus fondamentalement, ce livre déborde largement la question de la mort, car parler de la mort, ou plus exactement de l’accompagnement des mourants, c’est d’abord, et peut-être exclusivement, parler de la vie.

Parler de la vie, ou plutôt laisser la vie parler, parce que, comme le clame Christiane Jomain, dans son remarquable livre « Mourir dans la tendresse »[11] le mourant est un vivant… Accueillir l’autre quand il est exclu, car âgé et handicapé, c’est écouter parler la vie de tout homme, de chacun, quels que soient son âge, sa condition sociale, sa race, son histoire.

En effet, lorsque l’on se trouve face à celui qui va mourir, ou face à celui qui est malade ou handicapé, la tentation est grande de fuir la relation en utilisant de nombreux artifices, parce que ce face à face avec quelqu’un qui nous est semblable mais qui vit une réalité néanmoins différente fait peur. Il est aussi possible d’essayer de l’accueillir, de nous laisser rencontrer.

Quelles que soient nos convictions philosophiques et religieuses, ce face à face avec le visage de l’autre qui est dans une situation limite, dans une situation autre que la nôtre et qui un jour sera nôtre, ce face à face questionne notre vie, notre façon d’appréhender les événements, le présent, le futur, d’accorder de l’importance à telle ou telle réalité.

Il est toujours possible d’essayer de conceptualiser ce questionnement. Néanmoins, cela restera aussi de l’ordre de l’indicible. Il m’est très difficile de dire ce que ces rencontres avec des personnes en fin de vie m’ont fait découvrir. Je peux simplement dire que quelque chose a changé en moi, que j’ai appris à

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donner de l’importance au moment présent, à la rencontre de l’autre, à relativiser certains projets et que ma vie en a été changée.

Dans ce livre, je ne cherche pas à élaborer une théorie sur ce que j’ai découvert. Je sais que cette expérience est aussi de l’ordre de l’incommunicable. D’autres vivent différemment ce face à face et n’ont que faire de mon propre discours. Simplement, je rends compte des repères qui ont permis à l’équipe de ne pas fuir le face à face avec celui qui souffre, avec celui qui meurt.

3.     Quelques mots de mon itinéraire personnel depuis juin 1986

3.1 Octobre 1986 : Entrée au séminaire du Prado

En dialogue avec mon évêque, marqué par le besoin de prêtres en paroisse pour permettre à ceux qui cherchent à découvrir le Christ, de pouvoir se nourrir de sa parole et de ses sacrements, je demande à arrêter l’exercice de la médecine et j’entre en second cycle au séminaire du Prado à Lyon.

D’autres ont articulé l’exercice de la médecine et leur ministère de prêtre. Pour diverses raisons que je n’aborderai pas ici, j’ai fait un autre choix. Ce n’est en tout cas pas par désintérêt ou par rejet pour la médecine où ce que nous faisions me passionnait.

3.2 Juin 1990 : « Réflexion sur mourir dans la dignité »

Dans le cadre de la formation au ministère de prêtre, il m’est demandé de faire une maîtrise de théologie à l’Institut Catholique de Lyon et je décide de reprendre la réflexion sous un autre angle ; je soutiens un mémoire que le Père Bruno Duffé a bien voulu diriger intitulé :

      « Quel dialogue est possible entre « l’Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité » et l’Eglise sur le concept de « dignité » ?

3.3 Septembre 1990 à Juillet 1999 : Prêtre en cités

Ordonné prêtre en juin 1990 pour le diocèse de Créteil, je me rends disponible pour le ministère en paroisse et avec les mouvements en mission

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ouvrière[12] dans les cités de ce diocèse de la banlieue parisienne. Très vite, je suis absorbé par le ministère à Champigny-sur-Marne puis Vitry-sur-Seine et je laisse de côté le travail réalisé en médecine.

3.4 Depuis juillet 1999 : Au service des prêtres du Prado

Je suis élu assistant du responsable de l’Association des prêtres du Prado de France. Le Prado est une association de prêtres diocésains qui a été fondée par un prêtre de Lyon, le Père Chevrier, dans la deuxième moitié du 19ème siècle. Nous sommes 650 en France, 1 300 au total répartis dans une cinquantaine de pays dans le monde. Nous essayons de nous soutenir pour nous aider à vivre l’Evangile avec les plus pauvres.

Si je n’exerce plus la médecine, je n’ai pas perdu tout contact avec les soins palliatifs. Régulièrement je suis appelé à l’aide par des amis, des familles, des personnes de la paroisse, des collègues, confrontés à la mort et dans la mesure de ce qui est possible, j’accepte de cheminer avec eux et de les aider, de les mettre en lien avec des soignants ouverts à cette perspective. Cela reste pour moi une dimension de ma vie où je reçois beaucoup de ceux avec qui je chemine, où je reste sensible à tous les questionnements qui surgissent là.

(Ajout 2017 : depuis, j’ai été 4 ans et demi au Brésil, 5 ans et demi à Madagascar et en intervenant régulièrement au Mozambique, 2 ans recteur du Séminaire international du Prado à Lyon. Depuis le 1er septembre 2017, je suis revenu à Champigny, curé de la paroisse Saint Jean XXIII du Bois l’Abbé. tél : 07 83 59 91 67)

3.5 Avril 2003 : Remettre à disposition la thèse et la maîtrise

Appelé à l’aide par diverses personnes, n’ayant plus d’exemplaire de mon livre « En fin de vie » à prêter, ni de ma maîtrise de théologie, je retrouve les disquettes des fichiers numériques du livre et de la maîtrise. Profitant des nouvelles possibilités que donne Internet, je propose à diverses bases de données en soins palliatifs de rendre disponibles sur le réseau les fichiers numériques correspondant à ces deux travaux.

C’est alors que j’ai eu la joie de recevoir une demande des Editions Ressources de Laval au Québec me demandant la possibilité de rééditer ma thèse de médecine, c’est-à-dire le livre « En fin de vie » et d’éditer ma maîtrise de théologie « Réflexions sur Mourir dans la dignité » en les mettant à disposition en français et en anglais pour le Continent Nord Américain et pour l’Europe.

Je les en remercie vivement en espérant que cela aidera des familles, des

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malades, des soignants à faire face aux questions qu’ils se posent devant une maladie grave. J’espère que cela aidera tout un chacun à réfléchir à ces questions si importantes pour nos sociétés, pour tout homme même non directement confronté à la question.

En juin 2003, j’acceptais de répondre positivement à la proposition des Editions Ressources de me remettre au travail. Depuis juin, l’actualité en France avec les 15 000 morts[13] par la canicule d’août 2003, le suicide assisté et annoncé de Vincent Humbert, la sortie de son livre « Je vous demande le droit de mourir »[14] et tout le débat qui a entouré cet évènement, m’ont encore convaincu de la nécessité de donner des éléments qui aident un large public à se repérer dans ces questions.

(Ajout 2017 : malheureusement, les Editions Ressources semblent avoir fait faillite et ne répondent plus à aucun de mes courriers. Cela aura au moins permis au Cardinal Barbarin d’offrir les deux livres (En fin de vie et Réflexions sur mourir dans dignité) à tous les membres de la commission Leonetti qui citera le livre En fin de vie dans les débats sur la Loi qui porte son nom, dans sa première version)

4. Une nouvelle édition mise à jour et très largement enrichie

4.1 Une édition en collaboration avec Annick Sachet et Pascale Fouassier

17 ans après sa première publication, la réflexion éthique du livre « En fin de vie » reste totalement actuelle. Il est cependant nécessaire de réactualiser les données sur le traitement de la douleur et de reprendre les questions entendues depuis lors.

Il est intéressant de demander à l’équipe du Docteur Annick Sachet de dire où elle en est après 20 ans de pratique et de réflexion sur l’accompagnement des personnes en fin de vie, en particulier des personnes âgées.

Est-il nécessaire de dire la joie qui est la mienne de pouvoir sortir cette nouvelle version réactualisée grâce à la collaboration du Docteur Annick Sachet à qui je dois tant, et de son associée, le Docteur Pascale Fouassier ?

Depuis mon départ du service du Docteur Annick Sachet en octobre 1986, l’attention aux

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soins aux personnes en fin de vie s’est poursuivie et a pris une nouvelle ampleur. Elle a lancé une Unité de Soins Palliatifs et une Equipe Mobile de Soins Palliatifs dont la responsabilité directe a été confiée au Docteur Pascale Fouassier. Toutes les deux ont acquis des compétences universitaires dans ce domaine.

4.2 Les changements apportés

Par rapport à l’ancienne édition, c’est à la fois le même livre : tout ce qui était dans la première édition a été gardé.

C’est en même temps presqu’un nouveau livre avec un ajout de près de 200 pages. Ces nouvelles pages sont largement occupées par sept récits et se lisent donc facilement. Les changements sont les suivants :

  • Le chapitre sur le traitement de la douleur a été remis à jour, et nettement plus détaillé, en essayant de démonter toutes les fausses objections qui continuent d’avoir pignon sur rue et qui font qu’en 2003 des hommes, des femmes, des enfants, continuent de souffrir de manière totalement inacceptable à l’hôpital et à domicile, et pas seulement quand ils sont atteints d’une maladie en phase terminale. J’espère ainsi donner à des familles, des malades, des soignants, la possibilité d’obtenir des traitements corrects de la douleur là où cela est encore refusé.
  • Dans les cas cliniques qui servent de support à toute la réflexion éthique, j’ai laissé les traitements tels qu’ils ont effectivement été faits il y a plus de 17 ans. Quand cela est nécessaire, une note indique ce qui se ferait en 2003. En effet, si des produits nouveaux sont apparus, les grands principes du traitement de la douleur n’ont pas fondamentalement changé depuis 1986.
  • J’ai ajouté quatre récits d’accompagnements de malades pour lesquels le problème majeur n’est pas la douleur physique, mais une paralysie progressive conduisant en quelques mois à la mort par étouffement et dans une situation de totale dépendance, sans plus pouvoir communiquer. Cette maladie, appelée « Sclérose Latérale Amyotrophique » ou « maladie de Charcot » est souvent mise en avant pour réclamer une légalisation de l’euthanasie et du suicide assisté.
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  • Je n’ai pas pu ne pas faire un écho conséquent aux questions posées par Vincent Humbert, ce jeune homme tétraplégique, tué à sa demande par sa mère, après avoir écrit une lettre au Président de la République française et en faisant éditer un livre réclamant ce droit à l’euthanasie et au suicide assisté le jour même de son suicide assisté.
  • Le but des soins palliatifs n’est pas seulement de traiter la douleur, mais d’ouvrir pour le malade et son entourage une possibilité de donner sens à ce qu’il vit. Un nouveau chapitre aborde cette perspective à partir de deux récits d’accompagnement.
  • Un dernier chapitre permet de présenter ce qu’est devenue l’équipe du Docteur Annick Sachet, 17 ans après, devant quelles questions elle se trouve aujourd’hui.
  • En annexes, nous avons mis divers documents qui enrichiront les éléments mis à disposition tant d’un large public que de professionnels.
  • Quelques ajouts ou corrections ont été faits ici ou là.

La publication simultanée aux mêmes éditions de ma maîtrise de théologie sous le titre : « Réflexions sur mourir dans la dignité » enrichit l’ensemble d’une réflexion portant sur le fond même de l’enjeu de l’interdit d’euthanasie. On n’hésitera pas à s’y reporter après, et seulement après la lecture de ce livre qui conditionne la bonne compréhension de ce deuxième livre.

5.     apporter notre pierre

Ecrire, rééditer, c’est une manière de partager ce que j’ai reçu, ce que l’équipe de l’hôpital Charles Foix continue à chercher. C’est une manière de dialoguer avec tous ceux qui partagent cette même passion de l’accueil de celui qui souffre.

Puisse cette nouvelle édition, parmi les publications d’autres équipes qui travaillent dans le même courant des soins palliatifs, contribuer à améliorer la vie des personnes en fin de vie, le vécu de leurs familles.

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Nous faisons le choix de reverser nos droits d’auteur au profit de la Société Française d’Accompagnement et de soins Palliatifs[15] pour contribuer au développement de soins permettant à tout homme de vivre le passage inéluctable de la mort comme un temps d’accomplissement pour lui et de construction pour sa famille au-delà de la part de souffrance et de séparation inéluctable. Nous ne pouvons qu’encourager ceux qui le souhaitent à soutenir ce type d’associations.

Fait à Lyon, le 6 octobre 2003

Bruno Cadart

[1]      Devant la difficulté pour les familles de garder un lien avec leurs parents hospitalisés dans un tel univers, le Docteur Sachet considérait comme prioritaire de répondre aux appels téléphoniques ou de recevoir les familles quand elles venaient pour les aider à garder un lien.

[2]      La souffrance de celui qui meurt, journal Laennec n°3-4, Printemps 1984.

[3]      En Annexe n° 2, les professionnels de la santé trouveront des repères pour le traitement des escarres chez la personne âgée en fin de vie.

[4]      Voir récit plus loin, chapitre 1, § 1.2 L’histoire de Monsieur Lartigue

[5]      Intervention faite dans le Salon Médicis au Sénat à Paris le 18 juin 1985 à l’invitation de l’Association Française des Journalises Catholiques sous la présidence du Président du Sénat, Monsieur Alain Poher, sur le thème : « Peut-on abréger les souffrances ? ». Cette intervention reprise partiellement par de nombreux journaux a été publiée dans la revue Laennec, n° 2, décembre 1985 et la Revue de Gériatrie, T 11, n° 2, février 1986.

[6]      En 2003, près de 70 % des pensionnaires des services de gériatrie de Soins de Longue Durée sont atteints de cette maladie.

[7]      « Association Mieux vivre à Charles-Foix », 7 av. de la République, 94200 Ivry.

[8]      V.M.E.H., Visiteurs des Malades en Etablissement Hospitalier, 8 bis avenue René Coty, 75014 Paris, (16-1) 43-20-87-97.

[9]      Association des petits frères, 2 bis, pl. Bienvenüe, 75015 Paris, (00-33) (0)1 45-44-44-30

[10]    Il existe en effet une formation, les G.F.U., Groupes de Formation en monde Universitaire, qui permet, dans un premier temps de faire à la fois des études profanes et de se former au ministère de prêtre; dans un deuxième temps, la personne arrête ses études et le métier qu’elle exerçait pour suivre un temps plein de formation au séminaire. En 1988, au moment où j’écris la première édition de ce livre, je suis dans cette deuxième étape de formation au séminaire du Prado à Lyon pour le diocèse de Créteil. Je n’exerce plus la médecine, au moins pour le moment, mais je garde des liens avec des soignants. Je vis en communauté en HLM aux Minguettes, cité populaire de la banlieue de Lyon, et je termine ma formation théologique à l’institut catholique de Lyon. L’intérêt de ce type de formation est de favoriser un discernement et surtout de nous permettre d’être à l’écoute de ce que le monde d’aujourd’hui cherche et découvre et de pouvoir y annoncer l’Evangile dans la culture de ce temps.

[11]    Christiane Jomain, Mourir dans la tendresse, collection infirmières d’aujourd’hui, Le Centurion, Paris, 1984.

[12]    Avec les jeunes de la Jeunesse Ouvrière en particulier.

[13]    Dont beaucoup de personnes âgées

[14]    Vincent Humbert, Je vous demande le droit de mourir, Propos recueillis et texte élaboré par Frédéric Veille, Michel Lafon, Paris 2003

[15]    Voir annexe 4 qui présente cette association.

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