Ce texte est paru dans la revue des laïcs du Prado, Quelqu’un Parmi Nous, n° 175, juillet 2003
En février, l’équipe de préparation de la marche des jeunes à Lourdes a été en reconnaissance sur place. Là, nous avons rencontré par hasard les rédacteurs de « Lourdes Magasine ». Nous reproduisons ici l’interview accordée à cette occasion.
– Bruno, vous êtes prêtre du Prado. Vous êtes à Lourdes ces jours-ci pour préparer une marche pour les 18-35 ans qui, du 23 au 30 août, veulent vivre un temps fort de fraternité, mais aussi de lecture de l’Evangile et de prière à l’école d’Antoine Chevrier. Pouvez-vous nous présenter Antoine Chevrier et ses liens avec Lourdes ?
– Antoine Chevrier est né en 1826 à Lyon. Il est ordonné en 1850 et nommé à la Guillotière, sorte de bidonville à l’époque où s’entassaient les pauvres venus des montagnes environnantes pour travailler en usine et dès le plus jeune âge dans les conditions infra-humaines. C’est la Révolution Industrielle. C’est une période agitée avec de multiples révolutions, révoltes des Canuts, crises économiques. Très vite, Antoine Chevrier se laisse toucher par les conditions de vie des pauvres.
1856 sera une année décisive pour lui. Il aura un double choc :
– en mai, il touche de plus près la réalité de cette pauvreté en secourant la population durement éprouvée par une grande inondation.
– Et, la nuit de Noël 1856, Antoine Chevrier médite devant la crèche et vit une expérience spirituelle très forte qui va déterminer sa vie et son ministère auprès des pauvres :
« C’est à Saint André, disait-il, qu’est né le Prado. C’est en méditant la nuit de Noël sur la pauvreté de notre Seigneur et de son abaissement parmi les hommes que j’ai résolu de tout quitter et de vivre le plus pauvrement possible… C’est le mystère de l’Incarnation qui m’a converti… Je me disais : le Fils de Dieu est descendu sur la terre pour sauver les hommes et convertir les pécheurs. Et cependant, que voyons-nous ? Que de pécheurs il y a dans le monde ! Les hommes continuent à se damner (à vivre sans se savoir aimés de Dieu). Alors, je me suis décidé à suivre notre Seigneur Jésus-Christ de plus près, pour me rendre plus capable de travailler efficacement au salut des âmes. Et mon désir est que vous-mêmes, vous suiviez aussi notre Seigneur Jésus-Christ de près. »
Dès lors, il va se lier toujours plus aux plus pauvres, passer des heures à regarder Jésus dans l’Evangile pour essayer de se remplir de son Esprit, de vivre le plus possible comme lui. En 1860, il achète une ancienne salle de bal qui s’appelait « Le Prado ». Là, il accueille pour une durée de 6 mois des « séries », des enfants, garçons et filles, auxquels il apprend à lire, écrire, compter et les prépare à leur communion. Très vite, il va chercher à former des prêtres pauvres pour les pauvres. Dès le départ, il va associer à son œuvre des sœurs, des laïcs.
Et le Prado aujourd’hui ?
– D’abord, il est dur de ne pas voir l’actualité de la lumière reçue par Antoine Chevrier : aujourd’hui où la pauvreté du monde entier est là sous nos yeux et où nombre de nos contemporains ne se savent pas aimés par le Christ, comment ne pas prendre pour nous cet appel à suivre Jésus-Christ de plus près pour que les hommes, en particulier les plus pauvres, le connaissent ?
Aujourd’hui, nous sommes une famille de prêtres, religieuses, laïcs consacrés hommes et femmes, diacres, laïcs associés présents dans plus de 50 pays dans le monde. Nous nous aidons à nous lier toujours plus aux plus pauvres et à lire et relire l’Evangile. Une rencontre nationale des laïcs liés au Prado vient d’avoir lieu.
Et les liens entre Antoine Chevrier et Bernadette ?
– D’abord, on peut remarquer des proximités de date : les apparitions de la Vierge à Bernadette ont lieu en 1858, quelques mois après les lumières qu’Antoine Chevrier reçoit à Noël 1856. Ils meurent tous les deux en 1879. Ensuite, il y a eu une véritable dévotion d’Antoine Chevrier pour Lourdes : en septembre 1873, il enverra ses séminaristes à pied de Lyon à Lourdes en poussant un vieux prêtre dans un fauteuil roulant et il les y rejoindra. Dans la chapelle du Prado, pour aider les pauvres à connaître le Christ, il met d’un côté une crèche avec des personnages grandeur nature. Sur le côté de cette crèche, il représente la vierge de Lourdes et la grotte.
Souvent, Antoine Chevrier invite ceux qui s’associent à lui à prier le rosaire, à le prier pour recevoir l’Esprit de Dieu, non de manière répétitive et mécanique, mais en contemplant Jésus, Jésus à la Crèche, à la Croix, au Tabernacle, Jésus dans toute sa vie. Il écrira toute une méditation sur les quinze Mystères du Rosaire. Parmi de multiples autres citations possibles, voilà ce qu’il écrit sur l’importance de cette dévotion :
« Comment peut-on acquérir l’Esprit de Dieu ?
En étudiant le Saint Evangile et en priant beaucoup. Il faut d’abord lire et relire le Saint Evangile, s’en pénétrer, l’étudier, le savoir par cœur, étudier chaque parole, chaque action, pour en saisir le sens et le faire passer dans ses pensées et dans ses actions. C’est dans l’oraison de chaque jour qu’il faut faire cette étude et qu’il faut faire passer Jésus-Christ dans sa vie.
Réciter son rosaire, faire son chemin de la croix, étudier l’enseignement de Notre Seigneur, c’est là que nous trouverons chaque jour quelque lumière du Saint Esprit et que nous arriverons peu à peu à conformer notre vie à celle de Jésus-Christ. Il faut une prière assidue. Bien faire chaque jour sa dévotion au Saint Esprit (…) répéter souvent cette invocation : Mon Dieu, donnez-moi votre Esprit ! afin que nous agissions toujours en union avec cet Esprit de Jésus-Christ, notre Maître et notre lumière. » (Véritable Disciple p. 227)
Aujourd’hui, le rosaire est donc une prière de base des pradosiens ?
– La lecture méditée chaque jour de l’Evangile en regardant qui est Jésus, ce qu’il fait, qui il rencontre, en contemplant aussi les rencontres que nous avons chaque jour en particulier avec les plus pauvres, sont vraiment la caractéristique du chemin de prière des pradosiens, même si nous avons toujours à nous y remettre, à en prendre vraiment le temps. Le rosaire, la prière du chapelet, n’est sans doute pas la prière de tous les pradosiens. Elle a été perçue comme répétitive, trop souvent déconnectée d’un regard sur Jésus dans l’Evangile. Mais je connais nombre de pradosiens qui trouvent là un chemin pour s’ouvrir à l’Esprit de Dieu.
Et vous-mêmes ?
– Pour être honnête, je suis d’une famille qui n’avait absolument pas cette dévotion, qui la percevait comme vieillotte. Je n’avais aucun attrait pour Lourdes. J’ai attendu d’avoir à accompagner le « Fraternel », rassemblement des lycéens de l’Ile de France, pour venir à Lourdes pour la première fois à 38 ans.
Juste après mon ordination, j’ai été envoyé à Champigny sur Marne en paroisse et au service de la J.O.C. et de l’A.C.O.. L’évêque m’a demandé d’apprendre le Portugais pour rejoindre la communauté portugaise de ce secteur. C’est la plus forte de France. On parle de 40 000 portugais dans un rayon de quelques kilomètres. Je ne voyais pas comment accompagner cette communauté pour laquelle Fátima et la récitation du chapelet avaient une telle importance sans essayer de la découvrir moi-même cette forme de prière. C’est l’amour des gens, des plus pauvres, qui m’a fait entrer dans cette prière que je dis aujourd’hui très souvent, toujours en portugais.
Cependant, j’avoue que je reste triste de voir combien, trop souvent, le chapelet est dit de manière apparemment mécanique, parfois magique, répétitive à toute vitesse, sans aucun temps de silence. Je regrette que nombre de ceux qui affectionnent la prière du chapelet excluent trop souvent d’autres chemins pour vivre leur foi : comme méditer l’Evangile, s’aider à vivre la foi au quotidien, s’engager concrètement contre l’injustice, la pauvreté et ce qui la provoque. Mais, j’ai été bousculé par la foi des portugais que j’ai accompagnés, des personnes que j’ai accueillies en confession à Fátima, chaque année les 12 et 13 août pendant 9 ans. Je reste marqué par des témoignages comme celui de Daniel, Président Fédéral de la J.O.C. de Champigny : très engagé dans la vie sociale et politique, il parlait toujours avec émotion du pèlerinage à Fátima que son grand-père organisait chaque année à pied pour tous ses enfants et petits-enfants en leur prêchant le chapelet. Nombre de jocistes portugais témoignent dans le même sens. Il est vrai que d’autres aussi, disent leur écœurement d’avoir été obligé à cette prière pendant des années sans en avoir perçu le sens.
Aujourd’hui, j’aime cette prière que je peux facilement utiliser en vélo, en voiture. Elle m’aide quand je suis fatigué et que j’ai du mal à faire silence en moi. Chaque année, comme vacances, je fais des pèlerinages en vélo. Je me remémore la scène d’Evangile qui correspond au mystère que je vais prier. Puis je nomme une personne ou un groupe de personnes avant chaque « Je vous salue Marie ». Ça me fait aussi entrer dans la prière d’intercession pour le peuple qui m’est confié.
Avez-vous lu la lettre de Jean-Paul II sur le Rosaire ?
J’allais y venir. Dans sa très belle lettre « Au début du nouveau millénaire », Jean-Paul II appelle les croyants à repartir du Christ et à commencer par entrer dans une méditation du visage du Christ. A partir de cette méditation, il propose à tous les chrétiens comme base de programme pastoral de prendre au sérieux l’appel à la sainteté. C’est vraiment ce que proposait Antoine Chevrier. Jean-Paul II insiste pour que nos communautés deviennent des écoles de prière.
Dans sa lettre sur le Rosaire, il invite à vivre le chapelet dans cette perspective : contempler le visage du Christ avec Marie, prendre le temps de lire des passages de l’Evangile avant chaque dizaine, prendre le temps du silence, contempler Jésus non seulement à la crèche, à la croix, au tabernacle, mais dans toute sa vie. C’est le sens de la proposition de la nouvelle série des « Mystères Lumineux » : contempler le Christ à son baptême, à Cana, à la Transfiguration, lors des guérisons, à la Cène. Je crois que même ceux qui n’avaient pas d’attrait pour le Rosaire pourront se laisser toucher par cette très belle lettre. De là à dire que le Rosaire doive être la prière de tous… le Christ a une manière particulière de rejoindre chacun. Je peux juste témoigner de la joie que je trouve dans cette prière du chapelet qui est celle de nombre de pauvres et qui est un chemin riche de contemplation du Christ avec Marie.
A qui s’adresse votre projet de marche vers Lourdes avec Antoine Chevrier du 23 au 30 août prochain ?
– A tout jeune de 18 à 35 ans, gars ou fille, célibataire ou marié, bien portant ou atteint d’un handicap (prendre contact avant) qui souhaite vivre un temps fort de fraternité, de méditation de l’Evangile avec d’autres, se remettre devant l’appel du Christ au sens large et le laisser nous appeler à le suivre dans son amour pour tous les hommes, pour les plus pauvres en particulier.
Père Bruno Cadart